De la durée à la vie une dialectique entre métaphysique et politique chez Bergson

Bergson ne s’arrêtant pas…

Bergson ne s’arrêtant pas. C’est un Bergson que nous voudrions étudier, présenter, faire apparaître, et donc prolonger, voire construire. Peut-on se contenter, s’agissant d’un philosophe de la durée, qui affirme que le changement est la seule réalité substantielle, si l’on veut lui être fidèle, de répéter Bergson ς L’enjeu est de mesurer l’effet et la conséquence de cette affirmation, que le changement est la seule réalité substantielle, sur la pensée de celui qui l’affirme. En fait, une telle déclaration de l’universalité ontologique du changement ne peut être donnée une fois pour toutes, comme un axiome qui serait posé sans que son évidence apodictique ne puisse jamais être mise en doute. Il lui faut au contraire une dialectique qui sans cesse puisse l’assurer en l’argumentant, pour tenter de le démontrer, comme pourrait l’être un théorème, dialectique que le premier ouvrage de Bergson, L’Essai sur les données immédiates, commence à mettre en œuvre, dans des limites explicites qui en restreignent la portée au domaine des états psychologiques (quoique ces états ne sont pas ceux d’un moi seulement subjectif, même solipsiste comme nous allons le montrer), mais qui sera progressivement élargie pour finalement porter sur l’ensemble des êtres avec les ouvrages suivants.

Cependant, quand nous parlons de l’effet et des conséquences de l’affirmation susdite sur la pensée de l’auteur lui-même, ce n’est pas seulement parce que cette affirmation devrait sans cesse tenter de s’établir par un processus de pensée dialectique. C’est parce qu’un problème ou un paradoxe évident et simple est aussitôt inévitablement posé par une pareille tentative de démonstration de l’universalité du changement. Si les arguments et les démonstrations de Bergson étaient validés, s’il s’avérait que la vérité en ontologie, n’est pas seulement que tout change, mais, plus radicalement, que seul existe le changement, alors cette affirmation la plus universelle ne s’en révélerait pas moins être la plus pauvre de sens, presque insignifiante. Sans parler du paradoxe de l’invariabilité de l’énoncé lui même au milieu de ce changement dont il affirme pourtant l’universalité (pour que l’affirmation soit vraie, il faudrait que l’idée ou la pensée exprimée par cette affirmation puisse se situer et demeurer hors de ce changement universel qui comme tel ne peut tolérer d’exception. Certains y verraient une contradiction performative entre le contenu de l’énoncé et l’énoncé lui-même), sans parler donc de ce paradoxe, il faut bien avouer que la certitude, désormais, que tout es bel et bien changement, ne nous apprendrait pas grand-chose, ne nous apporterait guère d’informations inédites. L’affirmation en question n’aurait de sens que comme la négation de l’affirmation contraire, celle qui dit que rien ne change ou qu’il y a quelques choses, certaines choses qui ne changent pas.

L’hypothèse d’une dialectique de la vie entre métaphysique et politique chez Bergson 

Voulant vérifier ou au moins rendre plus concrète cette idée d’un autre de la durée, nous en sommes venu à l’hypothèse, celle d’une « dialectique de la vie, entre métaphysique et politique, chez Bergson ». Cette hypothèse s’est constituée en deux aspects, la dialectique de la vie, et le mouvement propre de cette dialectique qui la fait passer du métaphysique au politique, aussi bien du point de vue de l’être que du point de vue de la connaissance de l’être, du point de vue du devenir que du point de vue de la réflexion sur ce devenir. Nous allons présenter ces deux aspects.

Sur la dialectique de la vie. Tout d’abord, avouons que le concept de dialectique est problématique, et même troublant. Il l’est surtout si l’on veut l’employer à propos d’un auteur qui a tellement critiqué la vacuité verbale que peut devenir la dialectique : « dialectique pure, c’est-à-dire tentative pour construire une métaphysique avec les connaissances rudimentaires qu’on trouve emmagasinées dans le langage » . Pour lui, la dialectique est une méthode philosophique qui ne peut que tourner « à vide », autour de mots, d’idées trop larges. Sans doute, il pense à la version vulgarisée de la dialectique hégélienne, qui avance par contradiction entre concepts. Ou bien peut être à la dialectique platonicienne du dialegein, dialegesthai, qui est, dit-il, « à la fois une conversation où l’on cherchait à se mettre d’accord sur le sens d’un mot et une répartition des choses selon les indications du langage » . La dialectique est en effet toujours rattachée au langage, à la croyance selon laquelle le langage suit le découpage linguistique de la réalité. Il en va de même, lorsqu’il reconnaît ailleurs l’utilité de cette dialectique : « La dialectique est nécessaire pour mettre l’intuition à l’épreuve, nécessaire aussi pour que l’intuition se réfracte en concepts et se propage à d’autres hommes ; mais elle ne fait, bien souvent, que développer le résultat de cette intuition qui la dépasse. […] En résumé, la dialectique est ce qui assure l’accord de notre pensée avec elle-même » . La dialectique est nécessaire pour que l’intuition devienne dicible, et communicable, parce qu’elle est méthode qui « lie des idées à des idées » . Elle assure l’accord de notre pensée avec elle-même, parce qu’elle concerne l’expression non contradictoire ; elle est aussi méthode d’exprimer en fonction des principes d’identité, de contradiction.

Mais cela ne nous interdit pas d’envisager une dialectique réelle, non pas simplement verbale ou idéale. En effet, intuition et dialectique ne sauraient être séparées d’une façon simpliste comme ce qui accéderait seul à la réalité qui serait en elle-même indicible, et ce qui relèverait seulement du langage, parce que le langage lui-même fait partie du réel. Comme la science qui est une connaissance langagière par excellence, le langage reflète nécessairement quelque aspect de la réalité. En outre, le langage crée lui-même une réalité qui est proprement humaine. La société, la pratique, et la science de l’homme s’appuient en partie sur le langage. L’effort intellectuel de Bergson comme philosophe ne consiste-il pas à tenter d’exprimer son intuition, à la traduire, comme il peut, en réalité langagière ?

Par conséquent, le rapport entre intuition et dialectique pose bien le problème, difficile de penser le rapport entre la réalité et le langage, rapport qui ne peut en aucun cas se réduire à celui entre réalité et illusion ou même déformation par la pensée, mais qui renvoie au contraire sans doute à une dualité qui est interne à la réalité elle-même. La réalité elle-même est en partie indicible et en partie dicible, et ces deux parties ont des relations dynamiques et complexes d’influences réciproques. Ces deux parties ne recoupent pas exactement d’autres dualités de la réalité (durée et espace, ou vie et matière, etc.), car l’indicible doit pouvoir être exprimé quand même. Le langage suit la logique de la matière, si bien qu’il est inadéquat pour exprimer la vérité de la durée ou de la vie. Durée et vie relèvent d’une autre « logique ». Il n’en reste pas moins qu’il faut en parler. Malgré la différence essentielle entre la matière et la durée, tous deux doivent être dicibles. L’intuition doit donc trouver le moyen de se prolonger en dialectique.

Contre ou avec Bergson ? : La méthode de l’indice de la rupture textuelle 

Il est enfin temps de préciser notre positionnement eu égard à la question de la fidélité interprétative aux textes, ou même à l’esprit de Bergson lui-même, dernier point que nous avons déjà abordé. Bien sûr, nous proclamerons simultanément une fidélité et une infidélité. En effet, notre méthode pour prouver l’existence d’une dialectique de la vie dans l’œuvre de Bergson, a consisté en principe à procéder en deux étapes, que nous n’avons cependant pas aussi distinctement effectuées dans chacune des parties de notre étude. Tout d’abord, nous avons essayé de lire fidèlement et attentivement les quatre ouvrages majeurs de Bergson. Au fil de ces lectures, grâce à elles, nous avons fait apparaître certaines difficultés, certains désaccords entre les théories, les points de vue, les idées présentées par chacun de ces livres, mais surtout certaines profondes ambiguïtés, voire ambivalences, qui semblaient inhérentes à chacun de ces livres. Chaque ouvrage majeur de Bergson comporte, chacun à sa manière, des ambiguïtés, des ambivalences et cela retrouve dans la constitution de la suite des chapitres. Il s’agit d’autant des faits textuels qui ouvrent naturellement, comme d’eux-mêmes, à plusieurs interprétations différentes, voire même incompatibles. Nous prenons ces faits textuels comme les enregistrements d’autant de marques d’un contact tendu entre la réalité et un auteur s’efforçant de l’atteindre et qui serait si intellectuellement honnête que ses textes n’enregistraient pas seulement sa pensée tentant d’exprimer la réalité pensée, mais aussi la résistance qu’il éprouve dans sa propre pensée à l’occasion de ces contacts avec cette réalité, qui résiste aussi, pour ainsi dire, à sa pensée. Dans ces contacts, en effet l’auteur rencontre bien la réalité mais c’est une réalité fuyante, dont l’expression semble se distancier aussitôt émise : une rencontre-séparation. Outre l’intention consciente de l’auteur, qui règle le texte, nous croyons pouvoir voir et devoir montrer, les enregistrements de tels contacts avec la réalité, qui se révèlent par certaines ambiguïtés, certaines apories, et même certaines contradictions. Nous sommes d’avis que les découvertes, mais aussi les explicitations que nous donnons de ces contradictions sont en fait le résultat d’une lecture fidèle, fidèle à la lettre du texte de Bergson. C’est là la première étape de notre recherche, qui se prétend fidèle à Bergson, en repérant des « points d’hérésie »  dans les textes du philosophe. Ce serait une orthodoxie au seuil de l’hérésie. Il s’agit d’un repérage des points problématiques où plusieurs interprétations toutes possibles mais exclusives les unes des autres, d’où des malentendus et des abuses peuvent sortir. En un mot, d’abord nous avons tenté simplement de faire des quatre ouvrages majeurs de Bergson les textes problématiques, aporétiques, ouverts à plusieurs interprétations, et cela en les lisant fidèlement.

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Table des matières

INTRODUCTION
0.1.Bergson ne s’arrêtant pas
0.2.L’hypothèse d’une dialectique de la vie entre métaphysique et politique chez Bergson
0.3.Contre ou avec Bergson ? : La méthode de l’indice de la rupture textuelle
I. DE LA DUREE
PREMIERE PARTIE. LA DIALECTIQUE DE LA DUREE DE L’ESSAI
Le problème de l’Essai
Chapitre I. La dialectique de la durée
1.1.L’état de conscience, la singularité et le présent
1.2.Multiplicité qualitative et durée
1.3.Le problème de la liberté et l’avenir
DEUXIEME PARTIE. LES DEUX DIALECTIQUES DE MATIERE ET MEMOIRE
Un deuxième essai de Bergson
Chapitre II. La perception pure et l’image en soi
2.1.La déduction de la nécessité de la perception
2.2.Un « réalisme réflexif »
2.3.Les deux exigences du réalisme réflexif
2.4.Le virtuel et l’autre temporalité
2.5.L’élucidation finale de la représentation perceptive
2.6.Les deux lectures de la théorie de la perception pure, et l’affection
Chapitre III. La mémoire pure et l’« image invisible »
L’importance de la mémoire et les deux dialectiques
L’autre temporalité et le paradoxe du présent idéal
3.3. Une théorie de la temporalisation
3.4. Présent vécu et temporalisation
3.5. Le passé à partir du présent
3.6. Le passé en lui-même : l’« image invisible »
L’« image invisible » : un schéma dynamique
L’être passé de l’« image invisible »
3.9. Une temporalisation à partir du passé
Chapitre IV. Vie et durée : au-delà des images ou entre les images ?
4.1. Un monisme de la durée ou une synthèse par la durée
4.2. La tension irréductible
Les deux dialectiques à propos de l’image
II. A LA VIE
TROISIEME PARTIE. LA DIALECTIQUE DE LA VIE DANS L’EVOLUTION CREATRICE
Dialectique de la vie, histoire de la vie
Chapitre V. La durée et la vie
5.1. Une réévaluation de la structure conceptuelle de la durée
5.2. La vie comme limite de la généralisation de la durée
5.3. L’ambiguïté de la relation entre vie et matière
Chapitre VI. De la fondation de la science à la vie comme son fondement
L’entreprise globale de L’Evolution créatrice
L’idée de désordre et la critique de la théorie de la connaissance
Le problème de l’induction : l’origine de la croyance à la causalité
6.4. Le problème de la déduction : la nécessité géométrique
L’équivalence entre interruption et inversion : l’obscurité de la genèse par privation
Chapitre VII. Un nouveau concept de la vie
L’image de la vie originaire : l’immanence de la tendance matérielle à la vie
L’image de la source terrestre de la vie
7.3. Le concept de vie bergsonien et la biologie contemporaine
De la tension de la vie à l’histoire de la vie
Chapitre VIII. L’historicité de la vie
L’unicité de l’histoire de la vie
8.2. Une communauté « affective »
8.3. Le déploiement de l’historicité de la vie
L’histoire de la vie comme ensemble des déterminations des tendances
L’histoire de la vie comme rapport temporel entre un passé et plusieurs présents
8.6. Le « finalisme rectifié » de Bergson et l’historicité de la vie
La temporalisation propre à l’historicité de la vie : la contemporanéité
8.8. La transformation de la philosophie par le temps de la vie
L’histoire de la pensée comme histoire de l’homme lui-même
QUATRIEME PARTIE. LA POLITIQUE, ENTRE LES DEUX SOURCES DE LA MORALE ET DE LA RELIGION
La place de la politique dans Les Deux Sources
Chapitre IX. La société close et la politique
La naissance de l’homme ou l’essence de l’homme
Le pouvoir formateur de l’obligation sociale
9.3. Une anthropologie biologico-métaphysique : vivant impossible, vivant communautaire
9.4. Instinct virtuel ou « virtuel d’instinct »
9.5. Etre communautaire et « virtuel d’instinct »
Un second virtuel d’instinct : la religion statique ou l’idéologie
Chapitre X. Les deux politiques
10.1. La société close ou société pour la guerre
10.2. Le pouvoir politique
La démocratie et la possibilité d’une politique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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