De la dualité « ouvert/fermé » à la question de l’évolution des paysages de référence

Emergence et institutionnalisation du concept de paysage dans le champ politique

A partir des années 1970, on observe l’affirmation du concept de paysage dans le champ politique. On peut identifier plusieurs jalons : les années 1970 à travers la structuration du paysagisme, les années 1990 avec la loi paysage et les années 2000 avec la Convention Européenne du Paysage (CEP). Le paysage peut être défini comme « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations » (CEP 2000).

Au cours du XXème siècle, la question du paysage se développe sur la scène publique. Un premier jalon dans l’affirmation politique du paysage a eu lieu dans les années 1970 autour de la structuration du secteur du paysagisme. Dans son article rétrospectif, Luginbühl (2007) explique qu’à partir de 1968, les études paysagères se multiplient dans l’aménagement du territoire. Elles présentent un diagnostic du paysage existant et de ses dynamiques ainsi que de recommandations pour atteindre les objectifs fixés en termes de paysage. L’expansion des études paysagères s’inscrit dans le cadre de l’essor de la profession et du marché du paysagisme, avec la formation qui s’organise et des concurrences qui apparaissent. Concrètement, cela se traduit par la création du Centre National d’Etudes et de Recherche sur le Paysage en 1972 et la création de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles en 1975 (Luginbühl 2012).

Le paysage devient également objet de droit. La notion de paysage se retrouve dans de nombreux textes juridiques, comme dans la loi de 1976 relative à la protection naturelle qui fait de sa protection un objet « d’intérêt général », ou encore les lois Montagne et Littoral en 1985 et 1986. Le jalon le plus important reste cependant la loi paysage du 8 janvier 1993, principalement axée sur les paysages remarquables (Morand-Deviller 2010). Labat et Aggeri (2013) analysent l’impact de cette loi sur les politiques territoriales et montrent que dans un premier temps, le paysage est plutôt abordé dans sa dimension rhétorique, notamment dans le cadre des renouvellements urbains engagés dans les années 1990. Il faut attendre la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain, votée en 2000, pour que le paysage soit mobilisé en tant qu’outil, notamment à travers les documents d’urbanisme : le paysage devient, au-delà du zonage, un outil de marketing et de mise en concurrence des territoires. Enfin, les procédures d’aménagement se complexifient, et l’évaluation de l’impact environnemental de l’aménagement devient indispensable. Cependant, par manque de définition juridique, le paysage est peu mobilisé et c’est le thème de la biodiversité, notamment à partir du Grenelle de l’environnement en 2007, qui devient porteur des enjeux environnementaux. Les auteurs concluent que la loi paysage de 1993 a tout de même considérablement contribué à l’essor du paysage, en mettant à disposition des outils de connaissance qui ont participé à l’appropriation des paysages et à enrichir les compétences de porteurs de projet.

La CEP, ratifiée en 2000, contribue également à la reconnaissance du paysage, mais de façon très différente. Tout d’abord, l’approche est moins axée sur la planification ou la biodiversité, il s’agit davantage d’une approche culturaliste et holistique, qui place la perception des habitants au cœur du concept de paysage, la CEP invite les parties signataire à considérer les paysages comme un patrimoine commun. Le paysage est alors utilisé comme un outil intégrateur des différentes préoccupations sectorielles et comme un outil de médiation sociale entre acteurs (Labat et Aggeri 2013). Par ailleurs, ce ne sont plus seulement les paysages remarquables qui sont protégés, mais également les paysages du quotidien (Luginbühl 2012). L’affirmation du paysage se retrouve également dans les aires protégées. Au départ, ce ne sont pas les paysages qui sont protégés mais les sites. Dès le début du XXème siècle, la loi du 21 avril 1906 organisant la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique témoigne d’un intérêt grandissant pour les sites, le pittoresque, le tourisme et les monuments naturels, ce qui aboutit au classement pour les sites remarquables (Corbin 2002). Cette approche savante, inspirée par Rousseau et le romantisme, constitue un préalable à la reconnaissance des paysages. L’élite sociale et intellectuelle se préoccupe particulièrement des paysages montagnards et littoraux, qu’elle considère menacés par l’industrialisation et l’urbanisation (Selmi 2009). La loi de 1930, qui porte sur « les monuments naturels et sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque », lui succède et ses dispositions seront intégrées plus tard dans le code de l’environnement au début des années 2000 (Jaworski 2005; Auduc 2006; Sgard 2010) .

Dans les Parcs Nationaux (PN), qui ont été créés à partir des années 1960, le caractère pittoresque des paysages ruraux et naturels est présent dès les commencements (Larrère, Lizet, et Berlan-Darqué 2009). Plus tard, la loi de réforme de 2006 réaffirme que les PN doivent protéger non seulement les « milieux naturels » mais aussi le « paysage » (Filoche 2007). La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, favorise une approche du paysage qui s’inscrit dans l’évolution des territoires, qui intègre clairement les dynamiques écologiques et anthropiques. De façon plus générale, les Parc naturels régionaux ou les PN ont suivi le mouvement de démocratisation du paysage, qui est mobilisé à la fois comme un enjeu, puisque le Parc doit assurer sa protection, mais il sert aussi de support à l’image et à l’attractivité du Parc (Sgard 2011). Passant d’une définition élitiste à des ambitions démocratiques, l’affirmation du paysage dans le champ politique s’illustre donc bien dans l’histoire des aires protégées. Finalement, nombre de travaux mettent en lumière la diversité des relations qui existent entre la notion de paysage et la sphère politique. Premièrement, il existe plusieurs vecteurs par lequel le paysage s’inscrit dans le champ des politiques publiques, que ce soit par le développement de la profession des paysagistes dans les années 1970 (Luginbühl 2007), par l’outil réglementaire avec la loi de 1993 (Labat et Aggeri 2013) ou par l’approche concertée et volontaire avec la CEP (CEP 2000). Deuxièmement, le paysage est parfois utilisé dans sa dimension rhétorique en tant qu’objet fédérateur, parfois dans sa dimension d’outil, notamment dans une approche naturaliste, ou encore dans une perspective holistique qui va permettre de dépasser l’approche sectorielle (Labat et Aggeri 2013). La politique s’est dans un premier temps attachée aux paysages exceptionnels pour s’intéresser peu à peu aux paysages ordinaires qui sont au centre de la CEP (Sgard 2011, p.29). Enfin, on voit à travers l’intégration du paysage dans la politique que ce concept est à la croisée de plusieurs approches, de l’écologie à travers le développement des trames vertes et bleues aux courants culturalistes basés sur la perception des citoyens comme la CEP (Luginbühl 2007). Cette diversité d’approches montre que l’intégration du concept de paysage dans le champ politique s’est adossée à des courants scientifiques variés qui prennent pour objet le paysage à partir des années 1970.

Le paysage à la croisée de plusieurs courants en géographie

Le concept de paysage est central en sciences sociales, notamment en géographie depuis les écrits de Paul Vidal de la Blache au tournant du XXème siècle. Les paysages sont alors étudiés par les géographes ruralistes et ils sont résolument agraires. Après la Seconde Guerre Mondiale, la géographie se trouve éclatée en deux grands courants, la géographie humaine, qui rejette la notion de paysage, jugée trop bourgeoise et peu utile pour comprendre les phénomènes sociaux qui se jouent en marge des sites exceptionnels reconnus et protégés, et la géographie physique, qui s’intéresse aux paysages dans leur seule dimension biophysique (Luginbühl 2007).

A partir des années 1970, le concept de paysage connaît un regain d’intérêt, et se trouve à la confluence de plusieurs courants en sciences sociales, suite à une publication de George Bertrand réhabilitant le paysage comme « science diagonale » (Bertrand 1972). Chacun de ces courants mobilise un dispositif conceptuel pour proposer une définition du paysage et des méthodes pour s’en emparer. Ainsi, le courant du paysagisme met en avant la dimension instrumentale du concept de paysage, qui est considéré comme un « projet de territoire » (Michelin 2005). La géographie culturelle s’empare de ce concept autour des écrits d’Augustin Berque et de ses apports en phénoménologie, qui permet de dépasser la dualité objet/sujet en définissant le paysage comme un concept relationnel : « le paysage ne se réduit pas aux données visuelles du monde qui nous entoure. Inversement, le paysage n’est pas que « le miroir de l’âme », il existe toujours un support objectif. Le paysage ne réside ni seulement dans l’objet, ni seulement dans le sujet, mais dans l’interaction complexe de ces deux termes » (Berque 1994, p.4). L’écologie du paysage, quant à elle, définit le paysage comme un niveau d’organisation des systèmes écologiques, ayant ses dynamiques propres. Cette approche intègre les facteurs écologiques et l’activité humaine, considérée comme part intégrante du paysage. Elle mobilise des concepts tels que la diversité, l’hétérogénéité, la continuité et la contiguïté des éléments de paysage, en s’appuyant sur les théories de la hiérarchie, qui prend pour postulat une corrélation entre les échelles spatiales et temporelles (R. Forman et Godron 1986; Burel et Baudry 1999). La géographie environnementaliste, autour de l’œuvre de Claude et George Bertrand avec l’élaboration du système Géosystème Territoire Paysage permet d’élaborer une pensée systémique alliant les dimensions biophysique, sociale et culturelle. Dans ce système, le paysage constitue « l’entrée socio-culturelle » et se réfère à la dimension sensible et esthétique, qui transfigure la matérialité à travers le processus d’ « artialisation », défini comme « l’ensemble de la transformation-transfiguration de la nature par toutes les formes de représentation de la pensée et de la sensibilité humaines, des arts, des émotions et des rêves » (Bertrand et Bertrand 2014, p.18).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1 : ETAT DE L’ART ET PROBLEMATIQUE
Chapitre 1 : De la dualité « ouvert/fermé » à la question de l’évolution des paysages de référence : les dynamiques paysagères vues par les sciences sociales
1.1. Emergence et institutionnalisation du concept de paysage dans le champ politique
1.2. Le paysage à la croisée de plusieurs courants en géographie
1.3. Le paysage comme construction sociale : quelles implications pour la recherche?
1.4. De la dynamique ligneuse à la « fermeture des paysages », l’émergence d’une thématique scientifique et politique
1.5. L’état de référence : un postulat à la forte dimension descriptive et normative
1.6. L’intensification des paysages ouverts, la face cachée des débats sur la « fermeture des paysages »
Chapitre 2 : Choix sociaux et dynamiques paysagères : Problématique de la thèse
Synthèse de la Partie 1
PARTIE 2 : CADRE CONCEPTUEL, SITE D’ETUDE ET METHODES
Chapitre 3 : Un cadre conceptuel original associant les concepts de services écosystémiques et d’état de référence
3.1. Le concept de SE : définition, histoire et développement
3.2. Le concept d’état de référence : définition, histoire et développement
3.3. Mobiliser les concepts de SE et l’état de référence pour éclairer les représentations
3.2. Expliciter les mécanismes sous-jacents aux choix sociaux liés aux dynamiques paysagères
3.3. Accompagner les acteurs vers des choix plus concertés
3.4. Mise en œuvre du cadre conceptuel dans la thèse
Chapitre 4 : Le Mont Lozère, un site d’étude emblématique pour explorer les choix sociaux liés aux dynamiques paysagères
4.1. Des paysages protégés par de multiples statuts
4.2. Deux mille ans de fluctuation entre forêts et paysages ouverts
4.3. La « fermeture du paysage », une problématique vive sur le Mont Lozère
4.4. Les transitions de l’agriculture sur le Mont Lozère et son impact sur les paysages
4.5. « Fermeture des paysages » et intensification des paysages agricoles : deux dynamiques paysagères conjointes, qui restructurent les jeux d’acteurs
Chapitre 5 : Posture, approche, démarches et méthodes
5.1. Une posture de recherche déterminée par le contexte scientifique et partenarial
5.2. Une approche qualitative monographique
5.3. La démarche compréhensive : les entretiens et l’observation participante
5.4. La démarche de recherche-action : la méthode de modélisation d’accompagnement
5.5. La restitution aux acteurs de terrain
Synthèse de la Partie 2
PARTIE 3 : RESULTATS
Chapitre 6 : Analyse des représentations des dynamiques paysagères au prisme de l’état de référence et des SE
6.1. Recenser les SE et les états de référence mentionnés dans les entretiens pour accéder aux représentations : précisions méthodogiques
6.2. Contribution du recensement des SE à l’analyse les représentations des dynamiques paysagères
6.3. Typologie des représentations de la dynamique d’augmentation du couvert forestier
6.4. Discussion : le rôle de l’état de référence dans les divergences de représentations paysagères
6.5. Conclusion : De la « fermeture des paysages » aux dynamiques des paysages agricoles : inertie et renouvellement des débats sur le paysage
Synthèse du Chapitre 6
Chapitre 7 : L’évolution des paysages de référence, un angle-mort dans la gouvernance des paysages ?
7.1. Analyse des intérêts : comment l’augmentation du dérochage et du retournement de prairies redessinent les interdépendances entre les acteurs ?
7.2. Analyse des institutions : Comment sont régulées les nouvelles interactions entre SE induites par l’augmentation du dérochage et du retournement de prairies ?
7.3. Analyse des idées : comment les acteurs intègrent les pratiques de dérochage et le retournement de prairies dans l’histoire des relations entre l’humain et la nature?
7.4. Liens entre les intérêts, les institutions et les idées
7.5. Discussion : L’évolution des paysages de référence met en évidence des choix inévitables et complexes
7.6. Conclusion : L’identification d’un besoin de concertation autour de l’évolution des paysages de référence
Synthèse du Chapitre 7
Chapitre 8 : Accompagner la mise en débat de l’état de référence par l’outil jeu de rôles
8.1. Eclairer les interactions socio-écologiques grâce au concept de SE : conception du jeu de rôles SECOLOZ
8.2. Evaluation de l’effet des sessions de JdR sur les apprentissages
8.3. Discussion : Quelles contributions du JdR SECOLOZ pour encourager des choix plus concertés ?
8.4. Conclusion : La démarche de modélisation d’accompagnement, un moyen d’accompagner les acteurs vers des choix plus concertés
Synthèse du Chapitre 8
PARTIE 4 : DISCUSSION ET PERSPECTIVES
Chapitre 9 : Plus-value et limites du concept de SE pour une démarche de recherche qualitative en partenariat avec les gestionnaires d’aires protégées
9.1. Retour réflexif sur notre usage du concept de SE
9.2. Le partenariat avec les gestionnaires : quelle valeur opérationnelle du concept de SE dans les aires protégées ?
9.3. Quelles contributions et limites du concept de SE pour penser les paysages de référence ?
9.4. Sortir de la métaphore des services écosystémiques ?
Chapitre 10 : Perspective de recherche : la mobilisation de l’héritage dans la légitimation de l’action paysagère
10.1. Le paysage en héritage : une thématique récurrente et équivoque
10.2. Le concept de SE et la valeur de transmission
10.3. L’état de référence et héritage
10.4. Autochtonie, justification et institutionnalisation : trois concepts pour explorer la légitimation de l’action paysagère
Synthèse Partie 4
CONCLUSION GENERALE

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