De la découverte du Nouveau Monde à l’arrivée des Français aux Caraïbes

La lutte contre le protestant

La lutte directe

Durant toutes ces guerres antillaises, les troupes du roi catholique partent à la rencontre d’un ennemi que les clercs connaissent bien : le protestant.
Les Anglais furent aux Caraïbes les plus grands rivaux de la colonisation française : de la guerre anglo-hollandaise (1665-1667) au conflit pour la succession d’Espagne (1701-1714), une bonne partie des Antilles ne put en en effet échapper à cette concurrence. François Crouzet parla même de « seconde guerre de 100 ans67 » pour qualifier ce contexte international particulièrement belliqueux68. Si la menace britannique apparaissait comme laplus dangereuse, elle n’était pas pour autant exclusive. Les prétentions territoriales des bataves calvinistes amenèrent ces derniers à mener une série d’attaques sur les Caraïbes françaises avec pour point d’orgue les raids consécutifs à l’affrontement dit de Hollande (1672-1678)69. Ces deux nations protestantes formèrent même, sous la Ligue d’Augsbourg, une alliance commune à la dimension très religieuse.
Le militantisme catholique issu des divergences chrétiennes du 16ème siècle reprit ainsi vigueur dans la course aux âmes américaines. Les missionnaires en furent les premiers défenseurs, ils bénéficièrent pour cela du soutien de la papauté qui comptait sur ses « pions » pour limiter l’hérésie au Nouveau Monde, elle qui était déjà trop influente en Europe. Les ecclésiastiques, dans cette défense des intérêts français et romains, se montrèrent ainsi particulièrement virulents et actifs. Le jésuite La Borde fut sans doute le premier martyr des missions antillaises à mourir dans le combat contre les hérétiques. Celui-ci, succomba à ses blessures lors de la bataille de Cayonne en 1666 où il avait affronté les Britanniques un crucifix à la main et un portrait de saint François de Sales71 dans l’autre.
Son sacrifice encouragea ses successeurs à exalter une lutte antiprotestante où se jouait le sort de la Contre-Réforme. Ainsi peu après son décès, le vicaire du Carmel Hyacinthe de la Sainte- Trinité s’inscrit dans sa continuité. Selon lui, les Anglais prévoyaient, en cas de reconquête de l’île de Saint-Christophe, de pendre tous les religieux aux croix qui avaient été implantées – durant leur absence – sur leurs possessions. Le danger ne fit pourtant qu’augmenter son zèle puisqu’il voyait en celui-ci autant d’occasions de se faire le « martyr » d’une guerre juste. La défense de la noble cause catholique devient même sous sa plume un argument supplémentaire pour raviver les futures vocations missionnaires dont l’utilité était toute démontrée. Plus tardivement, le carme Nicolas de Saint-Estienne, malgré ses infirmités, ne craignait pas le combat à la veille de la guerre de la Ligue d’Augsbourg : « s’il faut se battre, nous nous battrons, tout le monde de cette ille s’y attend ». En 1703, les Britanniques après avoir repris Saint-Christophe, poursuivirent leur conquête vers la Guadeloupe. L’île est alors défendue par tous les habitants et le dominicain Labat prit en charge une partie des opérations militaires : « Je fis charger 20 bombes qui nous restoient de celles que les Anglois nous avoient laissé la guerre passée, et les fis mettre deux à deux dans les futailles avec des grenades et des ferrailles, pour enterrer au devant des brèches, pour faire fauter ceux qui viendroient à l’assaut. Je fis aussi charger 2 à 300 grenades et je fis préparer quelques artifices…  ».
Nous savons que le Carmel, à cette même époque, possédait des établissements guadeloupéens ; il est donc possible, qu’au même titre que Jean-Baptiste Labat, il se soit investi dans la protection de l’île française. Les missionnaires, par leurs actes et leurs écrits, servent à justifier une guerre dont la juste cause légitime aussi certaines alliances.

Le soutien aux Irlandais catholiques

Le soutien aux minorités catholiques des terres protestantes s’avère être une des tâches principales des missionnaires français en Amérique. Dès le début des missions carmes,Maurile de Saint-Michel s’emploie à assurer quelques offices religieux aux Anglais catholiques de Saint-Christophe ainsi qu’à la petite colonie française présente à Saint- Eustache : une île qui était majoritairement sous le contrôle des Hollandais. Par la suite, le Carmel exerça surtout son influence sur les Irlandais de la partie britannique kittitienne dont la cause fit prendre des risques inconsidérés au carme Cyrille de Sainte-Marie Madeleine de Pazzi. Ce dernier, en juin 1689, failli périr en se déplaçant chez ses frères gaéliques – à qui il souhaitait offrir une messe – bien que ceux-ci lui aient assuré que l’expédition était trop incertaine : les rebelles celtes venant de rentrer en guerre contre les armées du prince d’Orange. Dans ce dernier projet, la province de Touraine était soutenue par la congrégation romaine de la propagation de la foi, qui faisait de la préservation du catholicisme irlandais – menacé par les persécutions anglaises – une priorité à la fois en Europe et aux Caraïbes. Elle se servit notamment des colonies françaises pour envoyer aux Antilles des missionnaires d’origine irlandaise qui devait parfois cacher leur réelle identité afin d’éviter les représailles britanniques.
Le clergé régulier en nourrissant cette alliance religieuse établissait une brèche dans la rivalité politique anglo-française. La consolidation de ces liens entre catholiques eut pour impact principal des unions politiques circonstancielles. Durant les guerres, les Irlandais – par leurs révoltes anti-anglaises – aidèrent ainsi amplement les Français à expulser leur voisin de Saint- Christophe en 1666 et en août 168986. La barrière entre le soutien religieux et politique est de ce fait très mince, et forts de cette solidarité beaucoup de gaéliques choisirent de se réfugier dans les terres américaines du roi Bourbon, espérant y trouver une meilleure considération. Colons et missionnaires font corps lorsque l’ennemi qui se présente en face d’eux s’avère être protestant, Rome et Paris trouvent alors des intérêts communs dans la défense des îles caribéennes françaises. Néanmoins, la concurrence que s’exercent les nations européennes en Amérique ne peut se limiter à un schéma spirituel opposant les réformés aux catholiques : les alliances contre nature soulignent en effet toute la limite du religieux dans les logiques politico-économiques.

La guerre : une menace pour les missions

Nous nous sommes longuement étendu dans la partie précédente sur le lien fort qui existait entre les missions et la colonisation. Cette imbrication, en cas de victoire militaire, apporte des garanties territoriales à nos religieux, néanmoins dans le cas contraire ces derniers doivent aussi subir – au même titre que les habitants – les conséquences négatives des guerres.

La guerre : un frein au développement des missions

Le visage glorieux des conquêtes, contribuant à augmenter le potentiel spirituel des colonies, laisse aussi place, paradoxalement, aux freins terribles qu’entraîne la guerre antillaise sur les entreprises religieuses américaines.

La communication

L’état documentaire de la correspondance est un premier témoin de ces contraintes. Entre 1646 et 1699, les documents antillais reçus par la province de Touraine couvrent seulement trente années, regroupées en six périodes, de ce large demi-siècle89. Ainsi de 1652 à 1658, 1662 à 1666, 1672 à 1679, 1683 à 1687 et enfin de 1690 à 1698, les sources ne semblent pas avoir laissé de trace. La chronologie précitée présente un fort lien avec les évènements militaires du second 17ème siècle, dans lesquels se retrouve intégrée la France : le conflit franco-espagnol90, l’implication du royaume dans les rivalités anglo-hollandaises, la guerre de Hollande ou encore le déclenchement de la Ligue d’Augsbourg sont autant d’événements qui pourraient expliquer, de façon plus que probable, les difficultés à correspondre entre les deux rives.
D’ailleurs, le vicaire Raphaël de Saint-Agnès confirme, au sortir de la paix de Bréda (1678), les problèmes rencontrés pour échanger lors du conflit précédent : « Nous avons eu un temps de guerre ou toute la prudence des plus experimentez se perd et s’egare. J’ay envoyé des effectz et les Hollandois les ont pris ». Dans ce contexte d’insécurité maritime, les intermédiaires fiables et capables d’assurer la transmission du « colis » se font clairement de plus en plus rares94. Ces limites dans le trafic épistolaire et matériel ne sont malheureusement pas les seules pour notre carme, qui doit composer avec un élément encore plus dangereux pour la survie des missions : le manque de religieux tourangeaux sur les îles. Raphaël de Saint-Agnès souligne sa détermination à exiger, depuis huit ans, un secours qu’il n’obtient pas. La raison principale de cet insuccès serait selon lui le « défaut du viatique » sur lesquels ses supérieurs s’expriment peu95. Que souhaite-t-il signifier par ce terme ? Nous savons que l’expression provenant du latin viaticum comporte un sens religieux, néanmoins et à mon sens, elle prend plutôt ici le sens d’une provision – en nourriture ou en argent – donnée pour un voyage. Ainsi la province de Touraine se refuserait à financer une traversée qu’elle juge sûrement trop incertaine et aléatoire en ce temps de guerre. La conséquence est directe pour le Carmel américain, qui voit son existence clairement menacée par ces rudes conditions puisqu’il semblerait, en recoupant les sources, que Raphaël de Saint-Agnès soit le seul carme présent aux Antilles à la fin de la guerre de Hollande. En effet, sachant que cinq de ses confrères décédèrent durant ce conflit – Aubin de Sainte-Barbe en 1673 ; Theodore de la Mère de Dieu en 1673 ; Ferdinand de Saint-Claude en 1677 ; Hyacinthe de la Sainte-Trinité en 1677 ; Léonard de Saint Jean-Baptiste en 167896 – et que ces derniers ne purent être remplacés, nous comprenons comment entre 1672 et 1678 la mission tomba dans un seuil critique.

Les dégâts humains et matériels

La guerre, avant de contrarier les projets des supérieurs européens, touche d’abord la vie missionnaire sur place. Les risques sont grands et visent d’abord les personnes. Nous ignorons si certains de nos carmes – et notamment ceux décédés durant la guerre de Hollande – sont morts au combat, mais comme en témoignent les menaces anglaises de pendaisons, il existait un réel danger pour des ecclésiastiques au coeur des enjeux politiques.
Ensuite, les dégâts sont matériels. Encore une fois, la situation se crispe pour le Carmel au cours de l’affrontement franco-hollandais, durant lequel les troupes bataves de Jacob Binckes pillèrent l’île de Marie-Galante en 1676100. La province de Touraine était alors la seule congrégation religieuse présente en ce lieu et subit autant que les colons les ravages de cette razzia : [les Hollandais enlevèrent] presque tous les esclaves, grand nombre de bestiaux, les chaudieres à sucre, serrures de moulin, ustancilles, meubles, hardes et linge ; en sorte qu’il ne se voit resté auxdits religieux en jcelle, nonplus qu’ausdits habitants que les terres seules et hors d’estat de sauver les cannes a sucre et vivres qui estoient dessus ».
L’économie de l’île se remit difficilement du désastre et le Carmel pour relancer l’activité agricole et sucrière de son domaine à Marie-Galante fut contraint de vendre, au sieur Charpin, une partie de ses terres pour la somme de quatre milles livres tournois. Cet acte juridique intervient en 1680, à un moment où commence à apparaître dans les finances américaines de l’ordre un endettement dont l’origine est a priori consécutive à cette guerre puisque par la suite – et jusqu’au terme de notre correspondance – nous trouvons dans nos sources de multiples références à des problèmes économiques que le conflit suivant de la Ligue d’Augsbourg n’aida pas à résoudre.

Les carmes et les esclaves : une relation ambigüe

Arlette Gautier souligne dans son ouvrage que la nature de la condition servile dépendait avant tout de la volonté des maîtres : si certains purent se montrer très cruels envers leurs esclaves, d’autres leur donnèrent une vie un peu plus « digne » bien qu’abominable.
Qu’en est-il au Carmel ? La relation des Tourangeaux avec l’esclavage fut ambigüe car s’ils le justifiaient, ils réclamaient aussi une certaine bienveillance dans le traitement de ces futurs chrétiens.

Un esclavage justifié mais encadré ?

Cette politique vis-à-vis des « nègres » a été énoncée dès les premières années des missions carmes par Maurile de Saint-Michel lui-même190. Ce dernier donna d’abord dans son ouvrage une justification théologique de l’asservissement des Africains dont les origines remontaient, selon lui, à Noé. Ce personnage biblique eut en effet trois fils qui se partagèrent le monde : le premier Sem disposa du Proche-Orient ; le second Cham eut l’Afrique que « ses enfants divisèrent en diverses parties desquelles descendirent les Égyptiens, Libyens, Ethiopiens et Nègres » ; enfin Japhet bénéficia de l’Europe. Or, ce Cham s’étant moqué de son père endormi et nu, et ayant voulu lui interdire toute descendance, fut maudit de Noé qui le destina lui et ses frères à une malédiction éternelle ; la principale victime de celle-ci fut néanmoins Chus, l’aîné de Cham, qui engendra des « hommes noirs nés pour servir ». Ce comportement irrespectueux envers leur aïeul causa donc aux Africains leur damnation pour Maurile de Saint-Michel :
« Ne vous étonnez donc plus, pauvres Nègres, si vous êtes nés à la servitude et si votre lignée sera esclave jusqu’au jour du jugement, c’est pour punir l’ingratitude de votre père, c’est pour apprendre la piété à toutes les nations, c’est pour leur enseigner qu’après la religion qui regarde Dieu, la piété vers les parents est la plus recommandable de toutes les vertus ».
Cette faute profita au contraire à Japhet, père des Européens, qui pour n’avoir pas adhéré au péché de Cham fut béni de Noé. Ce dernier lui permit ainsi d’étendre son empire sur celui de Sem et de cette prophétie découlèrent les Grandes Découvertes : de l’arrivée de Vasco de Gama en Inde à la conquête du Nouveau Monde par les Européens (les Amérindiens étant des descendants de Sem selon Maurile de Saint-Michel), tout reposait donc sur la Providence. Au contraire des capucins à la même époque, l’esclavage sous toutes ces formes était loin d’être condamné par Maurile de Saint-Michel puisqu’il lui donna une signification théologique qui permit de justifier la dépréciation et l’exploitation du peuple de Cham.
Pour autant et de manière paradoxale, la charité chrétienne devait empêcher de rendre cette condition servile contraire aux préceptes du Christ : « nos histoires rapportent que les Espagnols, qui commandent les Indiens et les Nègres, font travailler ces pauvres néophytes outre mesure et en veulent tirer jusqu’à la dernière goutte de sang, si bien qu’ils rendent le joug de Jésus-Christ insupportable à ces jeunes convertis, ou à ceux qui veulent se faire baptiser(…) ainsi « j’ai toujours exhorté nos Français à traiter humainement et chrétiennement les pauvres Nègres, louant grandement ceux qui, en ayant retiré ce qu’ils leur ont coûté, leur donnent liberté en vue du christianisme ».
L’identité du carme en arrivant aux Caraïbes se complexifia indéniablement de telle sorte que nous pouvons nous demander si l’engagement du missionnaire dans ce commerce sucrier ne fut pas excessif au point de trahir ce qu’il put représenter par le passé. Ce paradoxe était néanmoins tout aussi présent chez les jésuites et chez les dominicains, il suffit de se reporter à la relation du père Labat pour s’apercevoir de la place essentielle que prend l’industrie de l’or blanc dans ses écrits ; d’ailleurs les procédés de fabrication du sucre décrits dans ce chapitre sont parfois référencés par les historiens eux-mêmes comme étant la « méthode dite du père Labat » tant ce dernier s’appliqua à détailler le cycle industriel de la canne. Dans cette ambiance américaine si originale, les carmes antillais étaient finalement plus proches, par certains aspects de leur mode de vie, de leurs rivaux jésuites et dominicains que de leurs homologues tourangeaux restés dans les couvents français. Les missionnaires que nous étudions, si singuliers de leurs concurrents dans leur rapport à l’apostolat, l’étaient-ils finalement autant dans l’accomplissement de leurs pratiques quotidiennes ? Voici la question à laquelle nous allons essayer de répondre maintenant pour conclure ce mémoire.

Des missionnaires particuliers ?

Missionnaires carmes, dominicains, jésuites et capucins valorisent tous, dans leurs écrits, leur différence : chacun étant persuadé d’être dans l’approche de Dieu sur un meilleur chemin que les autres. Pourtant, il ne faudrait nier, que ces religieux véhiculèrent dans le même temps une identité commune : ils sont unanimement portés par un idéal qui les pousse à parcourir des milliers de kilomètres pour aller évangéliser des âmes. Dans cette propagation du christianisme ils se confrontèrent néanmoins à une réalité d’une toute autre nature sur place car la vie de missionnaire en Amérique ne fut pas celle dont ils rêvaient : la guerre contre les Indiens, les priorités économiques de la traite, les barrières culturelles sont autant de points qui rendirent en effet les tâches évangélisatrices beaucoup plus ardues que ce que ces religieux s’étaient imaginé. Dans ce contexte, la frustration s’avéra être un sentiment propre à tous les missionnaires amenant beaucoup d’entre eux à se concentrer finalement sur le plus simple, autrement dit les tâches pastorales envers la population coloniale. Certes, s’il ne fait pas négliger l’influence du christianisme sur les sociétés postcoloniales caribéennes, il ne fait pas de doute également que tout religieux américain – bien qu’à différents degrés – passa au moins une fois par une phase de désillusion devant la difficulté inattendue de l’évangélisation.
Les carmes, au même titre que leurs « rivaux », n’échappèrent pas à cette remise en cause des ambitions initiales d’autant plus qu’elle fut semble-t-il bien plus nette chez eux que dans les autres congrégations antillaises. Les profondes dissensions de la province de Touraine autour de l’apostolat contraignirent davantage les Tourangeaux à se limiter aux travaux pastoraux que leurs adversaires. Pourtant les missionnaires carmes étaient aussi zélés dans la conquête des âmes que les jésuites, capucins ou dominicains mais le peu de moyens dont ils bénéficiaient ne leur permit pas de se lancer dans une politique active de conversion. Ainsi, tout au long de la correspondance ils évoluèrent de désillusions en désillusions ce qui les obligea à changer à de nombreuses reprises de priorités : certes, leur action spirituelle ne fut pas sans résultats – et nous verrons lesquels – mais ils étaient cependant bien plus frustrés que n’importe quel autre missionnaire.
J’ai donc choisi de répondre à la question de ce chapitre par deux volets : d’abord je crois important de placer en premier les évolutions de la pratique missionnaire carme dans une vision plus large propre à l’ensemble des religieux antillais ; puis je terminerai ensuite par ce qui fait à mon sens la singularité des Tourangeaux dans ce registre c’est-à-dire leurs faibles résultats en matière d’évangélisation.

Carmes, jésuites, dominicains et capucins : des missionnaires frustrés ?

S’il y eut une déception, c’est que les religieux ne jouèrent pas le rôle qu’ils s’étaient imaginé avoir aux Antilles : quelles étaient donc leurs ambitions initiales ?

Les objectifs initiaux des missionnaires : colons et Amérindiens

Malgré sa courte histoire, la Compagnie des îles d’Amérique fut décisive dans la fondation des missions antillaises en invitant les religieux à suivre les desseins de Richelieu outre-mer. Dans son aventure américaine, le cardinal avait en effet toujours mis les intérêts spirituels au même niveau que les bienfaits économiques : ainsi les missionnaires devaient pour lui tout servir tout autant à la population coloniale qu’à l’évangélisation des Amérindiens des Petites Antilles – étudiés par Benoît Roux – qui s’appelaient eux-mêmes les « Callínagos ». Néanmoins, le profil des premiers clercs américains s’avéra incompatible avec une partie de ces ambitions puisque ces derniers en tant que séculiers – citons Jean Mabire, Étienne Mallet et Jacques Leheurteur – débarquèrent avant tout aux Caraïbes pour « dire et célébrer la sainte messe, faire les prières et services, et administrer les saints sacrements aux personnes habitant l’une des îles des Indes-Occidentales ». De plus ces prêtres, non missionnés par la Compagnie de Saint-Christophe, se trouvaient aux Antilles en dehors de toute hiérarchie ecclésiastique – l’archipel ne dépendant en effet d’aucun évêché du royaume français – ce qui ne permettait pas à l’institution monarchique d’exercer un contrôle accru sur ces séculiers ; elle décida ainsi de faire appel très vite aux réguliers mieux armés pour faire naître la mission apostolique auprès des « Sauvages ».
Les premiers conviés à jouer ce rôle furent les jacobins qui souhaitaient par leur venue en Amérique commémorer le martyre de leurs confrères ibériques assassinés le 2 août 1603,selon le récit de Juan de Salazar, en Guadeloupe par des Callinagos lors d’une aiguade de la flotte espagnole qui les conduisait aux Philippines. Pour Raymond Breton et les autres dominicains français, cette tragédie était un signe de la providence qui devait justifier leur dévouement pour la cause amérindienne. Peu de temps après, Louis XIII ordonna au provincial des capucins de Normandie d’envoyer à nouveau des religieux sur les îles pour que l’ensemble de la population puisse y « recevoir de l’instruction et consolation spirituelle »8 autrement dit la royauté demandait expressément aux franciscains d’assurer les tâches paroissiales. Cette dernière formulation fit penser à Giovanni Pizzorusso que la monarchie eut dès le début de la colonisation vocation à diviser les travaux spirituels en fonction des ordres religieux : pendant que les dominicains se consacreraient aux Callínagos, les capucins assureraient eux la cure des habitants. Ce partage des exercices s’avéra néanmoins impraticable en raison des incohérences juridiques des institutions européennes car la Propagande en ne reconnaissant que la mission franciscaine fit des religieux de Saint-François les seuls capables de mener à bien les oeuvres évangélisatrices. Malgré ces incertitudes dans le droit missionnaire, les objectifs spirituels de l’aventure américaine – entre colons et Amérindiens – étaient maintenant clairement établis et ils furent d’ailleurs confirmés quelques années plus tard.
En effet, le 1er juin 1639, la Compagnie sur les instances de Fouquet fut contrainte face à l’insuffisance de clercs antillais d’appeler les jésuites en ces îles pour oeuvrer à « la gloire de Dieu [et à l’] instruction es François et des Sauvages »10. De même que le 4 avril 1646, le sieur de Nuaily supplia humblement le provincial de Touraine, Léon de Saint-Jean, de bien vouloir lui accorder quelques-uns de ses religieux « po(ur) l’instruction des Sauvages (dont je suis expressement chargé par ma commission) et pour le maintien de la pieté des principaux de mes associéz qui font voyage en ces cantons esloignés qui desire estre assistéz pour leur salut ».

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Table des matières
Introduction
1) De la découverte du Nouveau Monde à l’arrivée des Français aux Caraïbes
· Les Français au Nouveau Monde
· L’histoire religieuse des Antilles
· L’expansion du Carmel tourangeau
2) La base de mon travail : une correspondance exceptionnelle
· La nature des documents
· La géographie
· La chronologie
3) Un renouveau historiographique 
Partie I. Le décor antillais des missions carmes
Chapitre 1. Faire face au « déracinement »
1) À la découverte d’un environnement
· La traversée
· Un environnement antillais contraignant ?
· Relativiser le « mal » environnemental
2) L’affaiblissement des santés
· Les religieux face à la mor
· Le moral des religieux
Chapitre 2. La prolongation des guerres européennes dans l’espace antillais
1) « A babel of all nations »
· Un archipel convoité: les résistances au monopole ibérique
· Les théories mercantilistes à l’origine d’une « petite Europe » en Amérique
2) La guerre : un élément d’intégration
· L’emprise territoriale : une conquête politco-religieuse
· La lutte contre le protestant
3) La guerre : une menace pour les missions
· La guerre : un frein au développement des missions
· La guerre religieuse : un mythe ?
Chapitre 3. Les guerres civiles et leurs conséquences sur les missions (1635-1664) 
1) Le régime des propriétaires
· La montée des ambitieux : Du Parquet, Houël, Poincy (1637-1644)
· Une véritable guerre civile (1644-1647)
· La fin de la Compagnie
2) Les missionnaires et les seigneurs : des liens de solidarité
· La venue des ordres missionnaires aux Antilles
· Les fondations spirituelles
3) Les missionnaires et les seigneurs : des rivalités
· Les premières tensions
· L’amplification des tensions avec la guerre civile
· Les conséquences de ces tensions
Partie II. La gestion européenne des missions carmes
Chapitre 4. Le Carmel antillais : un maillon faible ? 
1) 1646-1664 : l’heure de gloire du Carmel ?
· La création de l’entreprise apostolique
· L’extension du Carmel dans les îles (1646-1660)
· Le Carmel face aux autres
· Des premiers signes inquiétants (1646-1664)
2) 1664-1678 : les positions se figent : un Carmel menacé ?
· 1664 : un changement institutionnel difficile
· Les démarches vers Rome
· La province de Touraine : des moyens limités pour ses missions
3) 1678-1699 : un renouveau ?
· 1678-1690 : une amélioration notable
· Des limites
· Le Carmel : un maillon faible ?
Chapitre 5. La province de Touraine au second 17ème siècle
1) L’évolution de la réforme en France et en Europe à partir de la seconde moitié du 17ème siècle
· Une réforme qui se tarit ?
· La fin des années 1680 : un nouvel élan pour l’observance
2) La province de Touraine et des difficultés internes
· La montée de l’indiscipline dans les couvents tourangeaux
· La division de la province : Bretons contre non-Bretons
· L’indiscipline : changement des mentalités ou illusion documentaire ?
Chapitre 6. Le carmel et le phénomène missionnaire : une inadéquation ?
1) La place des missions chez le Carmel
· Peu de missions
· Le retard accumulé sur les autres ordres
· Les carmes : promoteurs des missions
2) Être missionnaire et contemplatif : une tâche impossible
· Les origines du Carmel
· L’âge des réformes
· L’impact de ces divisions sur les missions
Partie III. Le missionnaire carme : un être métissé
Chapitre 7. D’où viennent-ils ? 
1) Le portrait de ces religieux
· Qu’étaient-ils avant d’être carmes
· L’entrée dans l’ordre
2) Devenir missionnaire
· Un contexte géographique favorable
· La construction d’un idéal missionnaire
3) Des carmes avant tout
· Être contemplatif et missionnaire (1652-1669)
· Les lectures des missionnaires : un héritage de leur formation (1671)
· Des carmes liés aux évolutions de la province de Touraine
Chapitre 8. Des carmes américanisés 
1) Le carmel : un acteur de l’économie coloniale
· Le passage du « pétun » au sucre : vers une agriculture moderne
· Le Carmel : pionnier de cette agriculture moderne
· Les bénéfices du sucre
2) L’américanisation : un danger pour l’identité carme ?
· Quelques trajectoires de carmes américanisés (1665-1682)
· Lutter contre l’endettement : un changement des priorités au profit du Carmel ? (1679-1699)
· Les carmes et les esclaves : une relation ambigüe
Chapitre 9. Les carmes : des missionnaires particuliers ?
1) Carmes, jésuites, dominicains et capucins : des missionnaires frustrés ?
· Les objectifs initiaux des missionnaires : colons et Amérindiens
· Du Callínago à l’esclave : l’évolution du zèle apostolique
· Transmettre la foi : une épreuve délicate
2) Des missionnaires particuliers : des résultats moindres dans l’action spirituelle
· Les Amérindiens : une quasi-absence de résultats pour le Carmel
· L’évangélisation des esclaves africains au 17ème siècle : un Carmel limité ?
· Les carmes : un clergé avant tout colonial ?
· La lutte contre le protestantisme : la seule réussite du 17ème siècle ?
Conclusion générale 
Sources 
Bibliographie

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