La communication interpersonnelle correspond à un échange dynamique entre deux partenaires qui se fait à l‟aide du langage articulé mais aussi de mouvements d‟une ou plusieurs zones corporelles que l‟on nomme comportements non verbaux (Argyle, 1975 ; Corraze, 1988 ; Kendon, 2004). Parmi eux, les mouvements des bras et des mains entretiennent une relation privilégiée avec le discours. On parle alors de gestes liés au discours ou gestes co-verbaux. Ils ont pour fonction de transmettre des informations et de réguler l‟interaction sociale entre deux partenaires (Kendon, 1986, 2004). Dans cette partie, l‟accent sera mis sur la définition de ces gestes co verbaux, et les liens qu‟ils entretiennent avec le discours. En effet, nous nous intéressons particulièrement aux liens entre parole et gestes liés au discours dans le cas de dissociation parole-geste, c‟est-à-dire lorsque ces deux modes de communication ne se produisent pas simultanément, en particulier ici en cas d‟atteinte de la parole. La question centrale de cette thèse est d‟envisager si en cas d‟incapacité chronique à utiliser correctement le langage articulé, comme c‟est le cas dans la maladie d‟Alzheimer, les gestes liés au discours sont toujours présents et peuvent permettre de maintenir l‟interaction avec le partenaire.
Deux grands types de modèle envisagent les relations entre parole et gestes liés au discours. Ils ont émergé suite à un débat à la fin des années 80 à propos des liens entre parole et geste et qui est toujours d‟actualité (Wagner, Malisz, & Kopp, 2014). Deux positions distinctes ont été notamment discutées par McNeill, psycholinguiste (McNeill, 1985, 1987) et Feyereisen, neuropsychologue (Feyereisen, 1987). McNeill (McNeill, 1985, 1987) ou encore par Goldin-Meadow (Goldin-Meadow, 2003, 2010) posent l‟existence d‟un système unique de communication où les modalités verbales et non verbales font partie d‟un même construit cognitif global lié à la pensée (théorie de l‟inner speech puis du Growth Point ; McNeill, 2000, 2002, 2005). Ainsi, si la modalité verbale est touchée, l’autre le serait aussi. Cependant, cette position ne fait pas l‟unanimité, Feyereisen (1987) ainsi que plusieurs auteurs (Butterworth & Hadar, 1989; De Ruiter, 2000; Feyereisen & de Lannoy, 1991; Kita & Özyürek, 2003; Krauss, Chen, & Gottesman, 2000) proposent des modèles alternatifs qui ont pour point commun de poser l‟existence de deux systèmes de communication, verbal et non verbal, parallèles et pouvant interagir entre eux à différents moments de l‟élaboration du message. Contrairement au modèle de McNeill, ils laissent donc la possibilité qu’un des deux modes de communication (verbale ou non verbale) puisse persister malgré l‟absence de l’autre. Pour la question qui nous préoccupe, dans le cas d‟une atteinte de la parole dans la maladie d‟Alzheimer, il est important de déterminer si les gestes liés au discours permettent de maintenir la communication avec autrui, soit en facilitant l‟accès lexical, soit en compensant la perte du langage.
LA COMMUNICATION NON VERBALE
La communication peut être considérée comme un processus social qui envisage l‟individu situé dans un contexte particulier et qui émet différents types de comportements verbaux et non verbaux (Marc & Picard, 2003). Ainsi, le processus de communication renvoie simultanément à l‟aspect verbal de la communication (parole) et à l‟aspect non verbal (gestes, expressions faciales, regard, espace interpersonnel, etc.). L‟intérêt pour la communication non verbale remonte à l‟Antiquité. Aristote, Cicéron et Quintilien soulignaient déjà l‟importance des gestes dans l‟exercice oratoire. Les idées de langage corporel, de synchronie entre parole et gestes, d‟illustration du discours par les gestes sont déjà évoquées. Reprises dans les travaux de Darwin puis de Wundt, ces réflexions ont servi de point de départ à l‟étude de la communication non verbale (Schiaratura, 2013).
Situations d’interaction et communication non verbale
La communication non verbale peut être définie comme les moyens de communication qui existent entre plusieurs individus en dehors de toute utilisation du langage parlé ou des dérivés non sonores de ce même langage (comme l‟écriture ou le langage des signes ; Corraze, 1988). On considère que l‟aspect non verbal occupe une place prépondérante dans le processus de communication (Mehrabian & Ferris, 1967; Mehrabian & Wiener, 1967). L‟étude de la communication non verbale a connu un véritable essor à la fin des années 40 grâce au développement des différents moyens d‟enregistrement audio et vidéo. Les modèles de la théorie de l‟information, comme celui de Shannon (1948), sont alors transposés à la communication humaine. La question de la nature du système de codage de l‟information (le code est qualifié de digital pour le langage versus analogique pour les comportements non verbaux) est à l‟origine de la formulation explicite du concept de « communication non verbale ». Dès les premières études, l‟accent est mis sur son rôle dans le maintien des relations interpersonnelles, en particulier dans le domaine de l‟expression des émotions (Ekman & Friesen, 1967) ou encore des attitudes (Argyle, Alkema, & Gilmour, 1971), en opposition au langage qui ne transmet que des informations propositionnelles. Différents domaines se sont intéressés à la communication non verbale parmi lesquels la psychologie sociale et l‟éthologie. Les méthodes et les objectifs respectifs de ces domaines ont permis d‟envisager différentes classifications des comportements non verbaux (Feyereisen & de Lannoy, 1990).
LES GESTES CO-VERBAUX
A la fin des années 40, avec l‟essor du concept de communication non verbale, l‟intérêt porte sur les comportements non verbaux qui fournissent d‟autres informations que celles délivrées par le discours. Il faut attendre le milieu des années 70, période à laquelle le débat sur l‟origine du langage se développe, pour que les travaux sur les gestes connaissent un véritable essor. Les gestes sont , à cette époque, définis comme les mouvements des membres supérieurs (voir Kendon, 2004). Parmi ces mouvements des membres supérieurs, un intérêt particulier est porté aux mouvements de la main et du bras qui accompagnent le discours. C‟est ce qu‟on appelle les gestes co-verbaux ou gestes liés au discours. Ces gestes semblent avoir une place prépondérante dans les situations d‟interaction sociale et entretiennent une relation privilégiée avec le discours. Ils peuvent être co-occurrents avec le langage parlé et exprimer un sens en lien avec le contenu sémantique du discours qu‟ils accompagnent (De Ruiter, 2000; Krauss, Morrel-Samuels, & Colasante, 1991; McNeill, 1992). Les classifications gestuelles sont nombreuses et dépendent principalement des critères de fonctionnalité attribués aux gestes dans le processus de communication (Efron, 1941/1972; Ekman & Friesen, 1969 ; Kendon, 1988; Rimé & Schiaratura, 1991 ; McNeill, 1992). Au-delà des caractéristiques physiques des mouvements tels que l‟orientation ou le mouvement de la main, ces classifications se basent sur la fonction du geste par rapport à son référent verbal.
Classification d’Efron (1942/1972)
Les travaux d‟Efron (1942/1972) sont les premiers à s‟intéresser, dans une approche fonctionnelle, aux relations de la parole et des gestes liés au discours. L‟intérêt d‟Efron est de comparer les gestes émis au sein de différentes cultures. De ces travaux, qui n‟ont jamais été formalisés sous forme de classification, nous pouvons retenir qu‟ils distinguent deux types de gestes, respectivement qualifiés de discursifs et d‟objectifs. Parmi les gestes discursifs qui représentent « le déroulement du processus idéationnel », il envisage notamment les gestes baton-like (ou gestes bâtons) qui rythment le discours et les gestes « idéographes » ou « logico topographiques » qui décrivent le déroulement logique de la pensée. Parmi les gestes « objectifs », qui transmettent quant à eux une signification indépendante du discours et peuvent apparaître en co-occurrence ou non avec la parole, il distingue trois types de gestes : (1) les gestes déictiques (ou gestes de pointage) ; (2) les gestes « physiographiques », qui renvoient à la fois aux gestes « iconographiques », qui peuvent décrire soit la forme d‟un objet ou ses propriétés spatiales, aux gestes «kinétographes » qui représentent une action ; (3) les gestes « emblèmes » ou «symboliques » qui présentent une signification dépendante de la culture (il décrit par exemple, chez les italiens, le fait de placer ses mains à plat au-dessus des sourcils pour signifier « attention »). Cette classification, bien que non reprise telle quelle dans la littérature actuelle, a servi de point de départ des travaux s‟intéressant à la classification des gestes et plusieurs catégories de gestes seront reprises dans la littérature actuelle tels que les gestes déictiques et les gestes symboliques.
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Table des matières
Introduction
Une rencontre entre la Neuropsychologie et la Psychologie Sociale
PARTIE THEORIQUE
Partie 1 : De la communication non verbale aux gestes liés au discours :
Les liens avec la parole en cas de dissociation
La communication non verbale
Situations d‟interaction et communication non verbale
Les gestes co-verbaux
Classification d‟Efron (1942/1972)
Classification d‟Ekman et Freisen (1969)
Classification de Kendon (1988)
Classification de Rimé et Schiaratura (1991)
Classification de McNeill (1992)
Taxonomie de la thèse
Approche fonctionnelle des liens entre parole et gestes liés au discours
Fonctions des gestes liés au discours
Modèles sur les liens entre parole et gestes lies au discours : conséquences en cas d‟atteinte verbale ?
Synthèse et enjeux thérapeutiques
Partie 2 : Du vieillissement normal au vieillissement pathologique :
Le cas de la maladie d’Alzheimer
Impact du vieillissement sain sur la communication
Maladie d’Alzheimer : Maladie de la Communication ?
La Maladie d‟Alzheimer : d‟une « démence » à un « trouble cognitif majeur »
Des critères au diagnostic
Troubles de l‟humeur dans la maladie d‟Alzheimer : Quelles conséquences pour les capacités de communication ?
Troubles cognitifs dans la maladie d‟Alzheimer : Quelles conséquences pour les capacités de communication ?
Partie 3 : Les gestes liés au discours dans la maladie d’Alzheimer :
Thèse défendue
Au cours du vieillissement normal
Au cours de la Maladie d’Alzheimer
Objectif du travail de thèse
Une situation d’interaction sociale écologique
Niveaux d’analyse
Hypothèses
PARTIE EMPIRIQUE
Vue d’ensemble et procédure générale
Critères d‟inclusion et de non-inclusion des participant(e)s
Procédure générale
Entretien préliminaire
Session expérimentale : Situation d‟interaction sociale
Décodage
Indices verbaux et gestuels
Conclusion
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