De la collaboration a l’échange d’informations : des relations differenciees et hierachisees

Problématisation : passage de l’objet au sujet de recherche

Cette présentation, bien que nécessaire, se situe presque à l’encontre de mon objectif initial. Je ne souhaite pas étudier les frontières entre les groupes professionnels, mais leurs interactions. Or, la transgression, le brouillage ou l’effacement de ces frontières se traduit par l’instauration de relations singulières, selon les différentes combinaisons d’acteurs possibles.
Certaines relations semblent évidentes. Par exemple, les agents de la police aux frontières (PAF) entrent nécessairement en contact avec les membres de la Direction des libertés publiques et des affaires judiciaires (DLPAJ). Ne serait- ce que parce qu’ils dépendent du ministère de l’Intérieur et se transmettent les dossiers administratifs et des migrants maintenus, leur relation repose sur une entière collaboration. D’autres relations sont moins soupçonnées. C’est par exemple, le cas de la PAF et de l’Anafé. Leurs objectifs étant, la plupart du temps, opposés, ces acteurs sont indépendants l’un de l’autre, de sorte que rien ne suggère ce qui se joue, au départ, dans la relation.
Pourtant, tous les acteurs se plient au fonctionnement de la zone d’attente et interviennent au quotidien dans les mêmes espaces, auprès des mêmes étrangers maintenus.
Derrière les apparences – celles qui reflètent les objectifs et la marge de manœuvre, propres et spécifiques à chaque acteur – un certain nombre d’éléments les rendent comparables, voire les unissent.
Le listing MZA (« Maintenus en zone d’attente »), transmis par la PAF aux permanenciers de l’Anafé qui en formulent la demande explicite, matérialise précisément « le croisement et la superposition des différents systèmes de gestion » : il permet « d’embrasser en un seul regard le système de recensement par GTM, le système de gestion du centre d’hébergement par la CRF, le système de gestion des dossiers par le GASAI, le système de gestion de la procédure d’asile par l’OFPRA, le système de gestion des maintenus par la PAF (la date d’arrivée déterminant la date de passage devant le tribunal, et la date de sortie au terme des 20 jours) ». « Document de référence pour tous », il est aussi essentiel pour les permanenciers de l’Anafé qui effectuent le suivi des personnes avec lesquelles ils se sont entretenus.
Ensuite, tous exercent leurs missions dans une temporalité marquée par « l’urgence d’une gestion des flux en temps réel », le « rythme disciplinaire de la vie en ZAPI » et « le temps administratif jalonné par les délais de la procédure » (Makaremi ; 2008). En réaction à ces stri ctes limites de temps, et dans un objectif d’efficacité, chaque acteur se crée et adopte un langage caractérisé par l’emploi d’acronymes : « Inad », « Ratata », « ZA », « CR », « DA », « NA »… A ce vocabulaire, s’ajoutent les contraintes de la « paperasse » auxquelles sont soumis tous les acteurs. Face aux papiers de police – procès- verbal, notification du placement et du maintien en zone d’attente –, au compte- rendu de l’entretien OFPRA, à la notification de rejet de la demande d’admission au titre de l’asile du ministère de l’Intérieur, au listing des chambres établi par la Croix – Rouge, aux différents documents envoyés par l’Anafé pour aider la personne, le sujet s’efface, les images de son récit disparaissent, la frontière entre l’être et l’objet devient friable …au profit de l’anesthésie des acteurs et du renforcement de leur capacité d’action et de leur efficacité.
La prise en compte de ces différents éléments communs à l’ensemble des acteurs introduit une nouvelle perspective dans les relations interprofessionnelles. Bien loin du « cloisonnement » de la « compartimentation », du « tronçonnage » proposé par Chowra Makaremi (Makaremi ; 2007), ouvrent- ils pour autant la voie à une vraie collaboration caractérisée par la réciprocité, l’entraide et la facilitation du travail de l’autre ? Comment, dans ce cadre marqué par de multiples antagonismes, peuvent s’opérer les relations entre les différents acteurs de la zone d’attente ?
Dans une première partie, je présenterai successivement les quatre acteurs choisis à travers trois axes principaux : l’imbrication des acteurs autour de la procédure de maintien due à leur insertion progressive au sein du dispositif ; à l’échelle de l’organisation, la constitution d’un socle commun par le recrutement, la formation, les missions fixées ; à l’échelle individuelle, la marge de m anœuvre et le pouvoir d’appréciation de chacun qui se traduisent par des pratiques et des comportements aléatoires. Nous verrons que si chaque groupe professionnel détient sa propre configuration, ils ont en commun un certains nombres de caractéristiques qui viennent complexifier le jeu des acteurs.
La seconde partie sera consacrée à l’étude des relations à travers la présentation d’éléments concrets d’interaction. Ancrée dans un objectif de classification, elle s’attachera à démontrer que les relations ne sont pas uniformes. Cette analyse prendra en compte l’échelle institutionnelle et hiérarchique – convention, réunions – ainsi que l’échelle individuelle – initiatives, tentatives des acteurs présents au quotidien sur le terrain – afin de mettre en lumiè re une certaine hiérarchisation dans les relations.
Enfin, la troisième partie sera dédiée à l’étude des lieux, qui, dans leur fonction, localisation, agencement spatial mais aussi dans leur temporalité – ce que j’appellerai la logique du lieu –, sont porteurs de sens et traduisent une volonté spécifique. Cette analyse est nécessaire dans l’étude des relations, dans le sens où l’espace est un opérateur d’interactions.
En effet, il donne naissance, conditionne et influence le jeu des acteurs dans la mesure où il attribue, à chacun, une légitimité propre – aspect central qui induit à son tour, des rapports de force à géométrie variable selon les lieux. Cette étude de la logique des lieux impliquera un changement d’échelle en dissociant d’une part, le poids de l’espace physique, architectural qui prévoit le cloisonnement des acteurs et la division des tâches ; d’autre part, le rôle des individus dont l’appropriation de l’espace se situe à l’origine de multiples micro – interactions.
Délimitation du terrain et justification des choix : quatre acteurs, deux lieux, une procédure Devant la multiplicité des acteurs présents en zone d’attente, j’effectuerai un zoom sur les quatre acteurs qui interviennent auprès des personnes maintenues tout au long de la procédure classique de non admission – excluant les catégories des demandeurs d’asile et des mineurs isolés : la police aux frontières (PAF), la Croix – Rouge française (CRF), l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et les juges de la liberté et de la détention (JLD). Il était question, au départ, d’étudier la relation entre la PAF et l’Anafé.
Mais ce choix ne m’aurait- il pas conduit à la schématisation ou à la généralisation hâtive ?
N’aurait- il pas constitué un obstacle au dépassement de l’opposition classique entre associations et services de l’Etat ? Ne serait- il pas venu caricaturer le jeu des acteurs, bien plus complexe ? Je me limiterai donc à deux entités, mais subdivisées en leur sein : le monde associatif avec les membres de l’Anafé et de la CRF ; les acteurs dépendants de l’Etat, puisque rattachés à un ministère, avec les agents de la PAF (ministère de l’Intérieur) et les JLD (ministère de la Justice).

Négociation d’un « terrain sensible »

La zone d’attente est une « terrain sensible ». En effet, elle se caractérise par un « accès difficile car soumis à un fort contrôle institutionnel » (Frésia ; 2009). L’accès y est très réglementé : il n’est autorisé que pour un petit nombre d’acteurs – à savoir, les associations habilitées par le ministère de l’Intérieur, les parlementaires et les autorités de contrôle indépendantes tel que le contrôleur général des lieux de privation de liberté. La médiation des associations s’avère donc nécessaire et incontournable : elle seule conditionne et garantit « la pratique de l’enquête, même l’existence du terrain » (Frésia ; 2009). Plusieurs auteurs ayant opté pour cette solution peuvent être cités: Nicolas Fischer, bénévole à la Cimade pour accéder dans un centre de rétention administrative, Morgane Iserte, ou encore Chowra Makaremi, toutes deux bénévoles à l’Anafé pour accéder à la zone d’attente de Roissy CDG. Leur stratégie se justifie par la perspective ethnographique de leur enquête, impliquant de mener une série d’observations, au quotidien et de l’intérieur.
J’ai précisément négocié mon accès au terrain dans le cadre d’une demande de stage auprès de l’Anafé afin de me situer au plus près des acteurs et des lieux que j’étudie. Lors de l’entretien de recrutement, après la première sélection des candidatures écrites, il n’était pas question de convaincre mes interlocuteurs du bien- fondé de mon enquête, mais plutôt de les persuader que je ferais une « bonne stagiaire » et que je répondais à la plupart de leurs critères en mettant en avant mon expérience du monde associatif, mes quelques connaissances en droit des étrangers, ma capacité à travailler dans l’urgence et en équipe. A cette position de « donneur » – engagé à ef fectuer les différentes tâches confiées – est venue s’ajouter la position de « demandeur ». En effet, la négociation de ce terrain correspondait aussi à une sollicitation : l’Anafé savait pertinemment qu’elle m’ouvrait la porte d’un terrain auquel je n’aurais eu accès en effectuant une demande auprès du ministère de l’Intérieur. Cette négociation fut aussi « un moment d’échange et une étape nécessaire à la construction de l’objet de recherche » (Derbez ; 2010). L’entretien avec deux des responsables du bureau de l’Anafé a constitué un cran essentiel de la consolidation de mon projet : il a contribué à préciser mon sujet. Après leur avoir exprimé mon intention de travailler sur les relations entre les acteurs de la zone d’attente et notamment sur les interactions entre la PAF et l’Anafé, mes deux interlocutrices (les deux salariés de l’Anafé sont des femmes) ont éclaté de rire et m’ont affirmé qu’il y avait beaucoup à dire sur ces « roquets ». L’utilisation de ce terme pour désigner les agents de la PAF constitue déjà, en soi, un matériau d’analyse. Aussi, la détermination des missions à effectuer dans le cadre de mon stage, m’ont orienté en termes de choix des lieux et des acteurs : l’intervention en ZAPI III, l’observation au TGI, le suivi des personnes refoulées et de l’actualité de l’Anafé depuis son siège… autant d’activités qui me permettront d’observer et d’analyser les relations entre la PAF, l’Anafé, la CRF et les JLD, ainsi que les interactions au sein de ces groupes, depuis la zone d’attente de Roiss y CDG et le TGI.

Apprendre à se positionner : la difficulté d’un terrain aux multiples enjeux

Mon premier mois de terrain fut consacré à trouver ma place en tant que stagiaire, au sein de l’Anafé, tant parmi les salariés que parmi les bénévoles. Mon objectif premier était alors de répondre aux missions qui m’étaient confiées et à leurs exigences attenantes. J’ai volontairement mis de côté la « casquette chercheuse » pour me consacrer entièrement aux activités de l’Anafé. Ce choix tient en partie à la diversité des tâches qui m’ont été attribuées et aux nombreuses informations qu’il m’a fallu assimiler (voir tableau ci- dessous). Mais il se rapporte également à un certain positionnement « éthique », ou tout du moins consciencieux, qui m’interdisait de faire passer mon mémoire avant les personnes maintenues que j’étais amenée à rencontrer lors des permanences juridiques. Enfin, il s’agissait d’un choix stratégique répondant du « donnant- donnant » : il m’est apparu évident que les intervenants de l’Anafé ne pouv aient devenir personnes ressources que si j’effectuais correctement et avec application le travail qui m’était demandé.
Le deuxième enjeu tenait à ma position quant aux autres acteurs. L’entrée en zone d’attente m’ayant été autorisée, ainsi que ma présence régulière au tribunal, ont permis aux agents de la PAF, aux médiateurs de la CRF, ainsi qu’aux juges, de m’assigner une identité : j’ai été d’emblée confondue et associée à l’ensemble des membres qui composent l’Anafé.
Sans qu’elle soit dévoilée, ma position fut donc automatiquement soupçonnée, et ma relation avec les autres acteurs, formatée par le type de relation entretenue dans le passé. J’avais prévu de me présenter à chaque acteur comme étant aussi « apprentie chercheuse » afin de me défaire des préjugés qui collaient à l’image de l’Anafé. Les différentes temporalités de chaque lieu ne me l’ont pas permis : au tribunal, le juge et la greffière n’apparaissent que pour l’audience et la délibération ; en ZAPI III, la priorité est d’arriver le plus rapidement au bureau pour commencer à recevoir les personnes qui attendent déjà devant la porte. Cette présentation n’a pu s’effectuer que dans le cadre de la négociation des entretiens.
Enfin, la mise en place de quelques stratégies s’est avérée rapidement nécessaire, voire vitale, afin de faire face au quotidien et aux situations auxquelles je m’exposais lors des audiences ou des permanences juridiques. Autrement dit, il m’a aussi fallu gérer ce qui était du domaine de l’affect et de ma sensibilité personnelle. Quitter physiquement la zone d’attente en fin de journée ne permettait pas instantanément de mettre derrière soi les récits de demandeurs d’asile, le désespoir et l’incompréhension de certaines personnes, l’impossibilité d’agir en raison des voies de recours épuisées ou encore le comportement abjecte de certains policiers. L’humour noir s’est imposé à moi comme une solution : partagées au siège de l’Anafé, ou hors des heures de travail, les blagues « racistes » inspirées d’anecdotes sur la PAF furent n otamment une véritable catharsis.

CONFIGURATIONS PROPRES ET CARACTERISTIQUES COMMUNES : DE LA COMPLEXITE DU JEU DES ACTEURS

Dans la zone d’attente de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, chaque acteur dispose d’une place définie au sein du dispositif : chaque acteur agit en fonction du rôle, des objectifs et des missions qu’il s’est fixé et/ou qu’il lui ont été imposés. Cependant, si le fonctionnement de ce lieu d’enfermement « repose sur le principe de séparation des tâches » et si l’action de chaque acteur relève d’une « marge de marge de manœuvre spécifique », « celles- ci entrent[…] en tension avec la logique de procédure à la frontière » (Makaremi ; 2008).
En effet, l’insertion progressive des acteurs a consacré leur imbrication autour d’une même procédure, celle de maintien à la frontière, et autour des mêmes personnes, celles qui sont maintenues, dans l’attente d’une décision d’admission sur le territoire français ou de refoulement vers leur pays d’origine. A cette disposition des acteurs qui reflète déjà une intrication certaine, s’ajoute la configuration propre à groupe professionnel qui vient complexifier le jeu des acteurs. En effet, aucun d’entre eux ne constituent des « blocs de granit » (Spire ; 2009) : forgés par les modalités de la constitution du socle commun, au sein de chaque groupe, les pratiques et les comportements en ressortent fluctuants et aléatoires.
Dans la partie qui suit, les quatre acteurs seront présentés successivement afin de mettre en ex ergue la place qu’ils occupent au sein du paysage institutionnel ainsi que leur fonctionnement respectif. Eléments nécessaires à l’analyse des relations, il s’agit ici de savoir « de qui parle- t – on » en allant au – delà des apparences, des représentations, et de l’image que renvoient la PAF, les JLD, la CRF et l’Anafé.

LA POLICE AUX FRONTIERES (PAF) : UN ACTEUR QUI ETAIT, EST, ET RESTERA AU CŒUR DU DISPOSITIF DE L’ENFERMEMENT AUX FRONTIERES

Dès sa naissance, la zone d’attente, tout comme les centres de rétentions administratives (CRA), était le « lieu d’exercice de la police des étrangers » où le fonctionnement reposait sur la « simple pratique policière » et où le refoulement était soumis à la « précarité et l’arbitraire policier ». Puis, l’institutionn alisation progressive de la rétention a doté la zone d’attente d’un cadre spécifique pour « l’exercice du quadrillage policier » (Fischer ; 2009). La PAF a développé, au fur et à mesure des années, certaines pratiques d’administration à travers la mise en place de codes, de procédures et l’introduction d’une nouvelle discipline, permettant l’ajustement progressif d’une technique d’enfermement des étrangers à la frontière (Makaremi ; 2008).

Des premières vérifications à la gestion des personnes en ZAPI III : une chaîne d’intervention ininterrompue

Le fonctionnement de la zone d’attente est aujourd’hui rationalisé, et la mission de la PAF, bien définie. Autorité publique dépendante du ministère de l’Intérieur et plus précisément de la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), la PAF est, selon la définition la plus classique, chargée d’appliquer les textes relatifs à la réglementation nationale et européenne en matière de contrôle et de gestion des flux migratoires aux frontières. Plus précisément, elle prononce le maintien, surveille la zone d’hébergement et contrôle le déplacement des étrangers. Devant répondre à de strictes limites de temps, les agents de la PAF travaillent dans l’urgence : dans un objectif d’efficacité administrative, l’organisation interne repose sur une large division des tâches et se décline en plusieurs unités (voir croquis ci – dessous).

L’INTERVENTION DES JUGES DES LIBERTES ET DE LA DETENTION (JLD) DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY (TGI) : UNE « SOUPAPE » DANS LA PROCEDURE DE MAINTIEN EN ZAPI III ?

Le juge des libertés et de la détention occupe une position marginale au sein du dispositif du contrôle des frontières. Saisi dans des délais fixés par la loi, il contrôle la régularité de la procédure sans pouvoir procéder à l’examen des décisions d’éloignement ou de refus d’entrée, rôle qui incombe au juge administratif. A ces compétences limitées, s’ajoutent de véritables contraintes : le JLD statut en juge unique, dans la journée, à partir de dossiers légers dont les pièces sont rassemblées par les proches et l’essentiel de l’instruction se fait à l’audience. L’organisation est précaire : la salle d’audience est petite et manque de place pour les familles et les amis, venus nombreux. « Le périmètre d’intervention du JLD apparait donc très contraint et son isolement donne l’idée d’un juge ‘assiégé’ » (Perdriolle ; 2013).

Décision d’admission ou prolongation de maintien : des compétences en théorie limitées

Le JLD est chargé d’assurer « un contrôle juridictionnel de la légalité et de la proportionnalité des mesures de privation de liberté » (Fischer ; 2009) prises par la police aux frontières. Il incarne la seule autorité pouvant prononcer le prolongement du maintien en zone d’attente après quatre jours ou ordonner la libération. En effet, selon l’article L.222 – 1 du CESEDA « Le maintien en zone d’attente au- delà de quatre jours à compter de la décision initiale peut être autorisé par le juge des libertés et de la détention, pour une durée qui ne peut être supérieure à huit jours ». Garant des libertés individuelles, il vérifie s’il n’y a pas eu d’atteintes aux droits fondamentaux de la personne et s’assure que la procédure préalable à la saisine est régulière.
L’équipe des JLD de Bobigny est actuellement composée de six magistrats : Eva Lima (coordinatrice), Martine Constant, Michelle Gorse, Alain Chêne, Hélène Langlois (et Marie Elisabeth Mescart qui ne statue pas sur les audiences relatives à la zone d’attente). Les équipes sont renouvelées assez régulièrement, et en règle générale, les juges ne restent pas en poste plus de trois ans. En plus des audiences dites du 35 quater , les JLD occupent de nombreuses fonctions, toutes purement pénales : placement et prolongation de détention, placement sous contrôle judiciaire, demande de mise en liberté, hospitalisation sous contrainte, comparutions immédiates…
Les audiences « Etrangers », ou « CESEDA », ou « 35 quater » (cf supra) sont organisées par un bureau des greffes entièrement dédié à ce contentieux qui assiste les juges dans leur fonction. Composé de deux greffières et de deux agents administratifs, le greffe est chargé de contacter les avocats et les interprètes, suivre l’audience, formaliser les décis ions, et enfin, notifier auprès du parquet et transmettre le dossier dans le cas d’un appel. Ces audiences se tiennent tous les jours, sans interruption. Elles sont assurées par l’équipe permanente des JLD pendant la semaine, puis par les vice- présidents, selon un système de rotation, pendant le week- end, les vacances, les vacations judiciaires et les jours fériés.
Selon la coordinatrice des JLD, Eva Lima, ce roulement est nécessaire pour deux raisons. La première, « politiquement incorrecte », tient au caractère extrêmement « lourd » de ces audiences, « du point de vue humain » » : peu apprécié » et victime d’une « mauvaise réputation », Eva Lima est convaincue que si cette fonction était amenée à faire l’objet d’une « spécialisation », « le magistrat ne ti endrait pas longtemps psychologiquement ». Quant à la l’explication la « plus politiquement correcte », « ce roulement permet de pouvoir échanger et surtout, de ne pas rentrer dans des mécanismes, dans des automatismes juridiques, d’évoluer par la discussi on avec les autres ». En effet, ces audiences – extrêmement lourdes – peuvent atteindre jusqu’à trente dossiers à traiter, ce qui entraîne de fait une certaine « répétition ».
Craignant « de perdre sa fraîcheur de juriste » , Eva Lima insiste sur la nécessaire remise en cause du juge au travers d’échanges avec ses collègues, afin que la réflexion juridique ne s’appauvrisse pas.

Des juges en grande partie auto-formés

A chaque magistrat sa jurisprudence, donc. Ceci s’explique en partie par l’absence d’une formation destinée à l’ensemble des JLD. Si certains d’entre eux ont pu bénéficier d’une formation d’un mois ou d’une semaine, le contenu sur le contentieux du CESEDA ne réservait qu’une maigre partie à la procédure de maintien en zone d’attente. L’essentiel des connaissances s’acquiert alors par l’auto- formation « en se plongean t dans le CESEDA » , en lisant les documents ressources mis en ligne sur le site de l’Ecole nationale de magistrature, en observant des audiences et en discutant avec les autres juges. La « bible de Bobigny  , outil mis à disposition permanente des JLD, propose des paragraphes de motivation, par exemple pour ou contre les moyens de nullités ou les garanties de représentations. « On n’envoie pas comme ça un collègue au feu ! » , plaisantera Eva Lima au cours de l’entretien.
L’apprentissage se fait aussi et surtout sur le tas, par la pratique, en traitant des cas d’espèces et en se confrontant aux avocats. En effet, les deux juges interrogés évoquent la difficulté, surtout dans leurs débuts, d’avoir eu à faire à des avocats, tous très spécialisés en droit des étrangers, qui « testent les nouveaux juges » en soulevant par exemple tous les moyens de nullités pour un même dossier. Répercussions sur le déroulement de l’audience et l’attitude du juge envers le justiciable
L’attitude du juge envers les justiciable est très aléatoire. Très souvent lié à la jurisprudence du magistrat, elle dépend aussi de la personnalité et de la sensibilité de chacun.

LES MEDIATEURS DE LA CROIX-ROUGE FRANÇAISE EN ZAPI III : UNE MARGE DE MANŒUVRE RESTREINTE A UNE MISSION DEFINIE ET TRES ENCADREE

« Les critiques émanant des associations à l’encontre du projet de loi ne changent rien à l’opinion du pays, qui soutient majoritairement la politique de fermeté et d’équilibre mise en œuvre par le Gouvernement en matière de contrôle de l’immigration. De surcroît, le ministère de l’Intérieur n’est pas hostile à un élargissement du rôle de ces associations, notamment pour la gestion de certaines tâches au sein des zones d’attente, sous réserve qu’elles se consacrent à un rôl e strictement humanitaire. »
Par ce discours prononcé en juin 2003 lors de la présentation de son projet de loi devant l’assemblée nationale, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, annonçait la rupture du « face à face » entre les agents de l’État, les juges et les étrangers maintenus « avec l’introduction de tierces parties telles que la CRF » (Makaremi ; 2008) et limitait aussi, d’entrée de jeu, sa mission à une assistance purement humanitaire. Véritable sous – traitant de la gestion quotidienne, la Croix – Rouge française, acteur privé, acteur associatif et acteur dont l’intervention dépend de financements étatiques, quelle est sa position et son rôle au sein du dispositif ?

Médiation, soutien psychologique et assistance humanitaire

La CRF se présente comme « la seule association qui assure à l’aéroport de Roissy une mission complète, allant du premier soutien des personnes maintenues en zone d’attente à l’accueil des personnes admises sur le territoire ». Elle tient une « permanence d’assistance » auprès des étrangers maintenus, « une permanence d’accueil pour les étrangers sortant de la zone d’attente pour assurer accueil, écoute et assistance humanitaire ainsi qu’une orientation sociale, administrative et juridique » et mène « une action 365 jours/an en tant qu’« administrateur ad hoc » auprès des mineurs isolés étrangers, qu’il s’agit de représenter et d’assister durant les procédures liées à leur maintien en zone d’attente et à leur accès au territoire ou le cas échéant, à leur renvoi. »

L’ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIERES POUR LES ETRANGERS (ANAFE) : « UN PION DANS LE PAYSAGE DE LA ZONE D’ATTENTE » ?

Le rôle de l’Anafé ou la mise en abîme d’un contrôle de la zone d’attente

Au « quadrillage disciplinaire » de la PAF, s’ajoute un contrôle de ce quadrillage, incarné par l’Anafé, qui exerce, au cœur même d’un espace de répression, une activité critique, et revendique, face à l’État, « un usage militant du droit ». Indépendants des administrations, ses militants associatifs sont les maîtres de l’expertise juridique. Les droits des étrangers étant reconnus, le rôle de l’Anafé est de les rendre effectifs en assurant leur traduction pratique (Fischer ; 2009). Concrètement, cette association examine la situation des étrangers retenus à la frontière, les conseille et les assiste dans la procédure. Un second objectif réside dans la mise en lumière des dysfonctionnements dans la procédure de maintien et de refoulement aux frontières : l’Anafé observe et collecte des informations pour témoigne r auprès des administrations concernées et sensibiliser l’opinion publique (Anafé ; 2009). Le travail qu’elle effectue aujourd’hui auprès des personnes maintenues n’a pas toujours été ainsi. La bande dessinée ci – après retrace, de façon schématique, les dif férentes étapes qui ont permis à l’Anafé de se forger une place au sein de la zone d’attente. La principale revendication de l’Anafé – et ce, depuis sa création – reste la mise en place d’une permanence d’avocats au sein de la zone d’attente : elle considère que l’État doit financer ce service auquel elle ne peut se substituer.
Cependant, pour pallier ce manque, elle n’a guère d’autres choix que de prendre la place qui lui a été donnée, à l’issue d’une longue négociation avec le gouvernement. Le croquis ci- après (Croquis 10.) permet de situer les différentes actions dans les différents lieux de la zone d’attente et de saisir globalement l’organisation de ce collectif.

…qui ne garantit pas nécessaire une uniformisation totale des pratiques

Bien que l’intervention des bénévoles soit très encadrée, une uniformisation totale des pratiques semble impossible. Selon Alexandre Moreau, bénévole à l’Anafé dep uis deux ans, lors des permanences, « nous ne faisons pas que du juridique. Nous faisons même 10 à 15% de juridique. Le reste, c’est du ‘social’, dans le sens, relations humaines » et « la formation est suffisante sur le fond du droit […] mais elle ne prépare pas à l’entretien individuel, qui est une problématique bien spécifique. Avoir une relation avec une personne dans un lieu d’enfermement, c’est pas une formation qu’on a : c’est quelque chose qui se développe beaucoup sur le terrain ». Cet aspect- là de l’assistance introduit de fait une dimension aléatoire dans la tenue des permanences : chaque bénévole « doit réagir à des situations. Or, chacun a son intelligence. C’est donc à chacun de s’adapter en fonction de son caractère, de sa propre sensibilité ».
La mise en place récente de séances de supervision et de suivi psychologique, assurées par le centre Primo Levi, constitue une tentative d’uniformisation des pratiques des bénévoles.
Ces séances de quatre heures créent un espace encadré et plus formel de discussions entre intervenants et engendre une série de réflexions à partir de situations spécifiques vécues. Elles permettent de soulever des questionnements relatifs à un enjeu central : celui de l’attitude et du positionnement de l’intervenant vis- à- vis des personnes maintenues et leur mise en confiance. Elles mettent en commun les différentes stratégies mises en place et contribuent ainsi à faire évoluer les pratiques de chacun sur le fondement de questionnements fondamentaux.
Comment, d’abord, trouver un équilibre entre les différentes tâches à accomplir et la disponibilité totale pour la personne en demande ? En effet, l’intervenant est soumis à un ensemble de contraintes liées aux exigences imposées par l’association : lorsqu’il reçoit une personne, il doit photocopier l’ensemble de ses documents (papiers de police, co mpte rendu de l’entretien OFPRA dans le cas d’un demandeur d’asile, éventuelles garanties de représentation…) pour la création de son dossier papier, il doit remplir une fiche informatisée et nourrir le bilan de la permanence, envoyé en fin de journée sur la liste des bénévoles. De l’autre côté, il est confronté à un individu, dont la situation et le récit peuvent être dramatiques. Dès lors, comment ne pas basculer dans l’empathie paralysante, misérabiliste, annihilant toute force d’action ? Comment ne pas se laisser totalement envahir par ses émotions et rester en capacité de réagir ?
Il est tout d’abord primordial pour le bénévole d’éviter une confusion des rôles : il se place donc souvent en opposition par rapport aux autres acteurs de la zone d’attente – et particulièrement la PAF et l’OFPRA. Lors d’entretiens plus approfondis, pour la rédaction d’un recours asile par exemple, une seconde stratégie consiste à toujours ramener au contexte en expliquant pourquoi les questions posées peuvent paraître si intrusives. L’enjeu est de taille puisque seul le recueil d’un récit précis et détaillé peut légitimer l’intervention de l’Anafé.
Dès lors, il s’agit pour le bénévole de montrer un intérêt singulier et adapté en considérant que chaque sujet est unique à travers l’utilisation du vouvoiement, une écoute attentive, un visage ouvert et l’échange de sourires – contrairement à la PAF qui prévoit un traitement de masse non personnalisé, passant par le tutoiement, et dont l’écoute est fortement conditionnée par la présentation des papiers délivrés à la personne à son arrivée. Pour être sûr de bien se faire comprendre, il développe des stratégies langagières : il évite le vocabulaire trop juridique et répète, en utilisant différents termes, pour être le plus clair possible.

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Table des matières
INTRODUCTION
NOTIONS
METHODOLOGIE
PREMIERE PARTIE. CONFIGURATIONS PROPRES ET CARACTERISTIQUES COMMUNES : DE LA COMPLEXITE DU JEU DES ACTEURS
DEUXIEME PARTIE. DE LA COLLABORATION A L’ECHANGE D’INFORMATIONS : DES RELATIONS DIFFERENCIEES ET HIERACHISEES
TROISIEME PARTIE. LOGIQUE DES LIEUX : POIDS DE L’ESPACE ET DES
TEMPORALITES
CONCLUSION ET OUVERTURE. UN TRIBUNAL EN ZAPI III : QUELLES RELATIONS DANS LA PERSPECTIVE D’UN MICROCOSME RETRECI ?
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ANNEXES
ANNEXES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES MATIERES

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