L’enseignement sophistique
Dans la société athénienne du Vème siècle avant Jésus Christ, on donne aux hommes qui enseignent la culture et l’éloquence, contre rétribution, le nom général de sophistes. Ils n’appartiennent pas à une seule et même école mais ils ont en commun le rejet de la religion, l’explication rationaliste des phénomènes naturels, le relativisme éthique et social et le scepticisme. Leur mouvement se rattache à l’ionisme et ils apparaissent comme les derniers venus dans la série des poètes et des chanteurs, des savants et des sages. Ils viennent des îles voisines ou de la côte et s’acheminent vers le marché d’Athènes avec un esprit intéressé. L’objectif principal de leur enseignement est l’application, à bon escient, sur l’homme et sur la société, de la technique du débat contradictoire, née de l’expérience politique. Pour illustrer l’habileté des sophistes dans les dialogues de Platon, prenons cette portion de discussion entre Socrate et Thrasymaque : Voilà, […], le talent de Socrate : il ne veut, lui, rien enseigner, mais il va s’instruire auprès des autres, […]. Ecoute donc, […]. Je ne soutiens, moi, que la justice n’est autre chose que l’intérêt du plus fort. Par son intervention, premièrement, Thrasymaque veut que Socrate ne soit pas aimé du public assoiffé de connaissances ; car selon lui, il ne transmet aucune connaissance mais en reçoit seulement. Deuxièmement, il soutient que la justice est l’intérêt du plus fort. Chose étonnante, les sophistes font payer cher leurs leçons, mais ils attirent un bon nombre de gens et combien ils ont comme adeptes. Dans la maison de Callias, Protagoras est là quand Socrate dit : En entrant, nous avons trouvé Protagoras qui se promenait sous le portique, accompagné d’un côté de Callias, fils d’Hipponicos et de son frère utérin Paralos, fils de Périclès et de Charmide, fils de Glaucon ; de l’autre côté, de l’autre fils de Périclès, Xanthippos, de Phillipide, fils de Philimellos, d’Antimoiros, de Mendè, le plus renommé des disciples de Protagoras qui étudie pour faire le métier de sophiste : derrière eux, tendant l’oreille pour écouter, marchait une foule de gens où dominaient évidemment les étrangers que Protagoras amène dans chacune des cités par où il passe ; il les charme de sa voix magique, ils s’attachent à ses pas ; il y avait des gens d’ici dans le chœur. Par son propre constat, Socrate veut nous faire sentir combien les gens riches et remarquables sont influencés par l’enseignement des sophistes. Parmi ceux qui sont à l’école de Protagoras, nous pouvons citer les fils du gouverneur Périclès. Ils suivent cet enseignement qui sème le paradoxe et l’apparence en faisant vivre des paralogismes. Notons au passage que c’est le gouverneur Périclès, avec Ephialte qui ont introduit les réformes démocrates dans le régime d’Athènes (vers -462 ou -461). Plusieurs des contemporains de Socrate posent le dilemme de savoir si Socrate est un adversaire des sophistes ou est lui-même un sophiste ? Néanmoins, les lecteurs de Platon trouvent une différence frappante dans les dialogues en lisant Socrate intervenir. Ce dernier conclut par la suite que le sophiste est un : « Chasseur intéressé de jeunes garçons riches ». Par cette qualification, Platon nous informe que ces sophistes sont comparables au chasseur intéressé par des gibiers gras et gros c’est-à-dire des jeunes gens riches qui sont en mesure de bien payer la leçon. En outre, le sophiste met l’accent sur le fait que les connaissances ne sont que sensibles dans la mesure où aucune vérité absolue n’existe. C’est cette idée qui a mené Protagoras à proclamer que : « L’homme est la mesure de toutes choses, de l’être de celles qui sont et du non-être de celles qui ne sont pas. »Par cette affirmation, ce sophiste appuie sur la relativité et sur la subjectivité de toute chose et c’est l’homme qui la situe et la précise. En effet, cette soutenance du caractère relatif et subjectif des choses et de l’origine humaine des lois vient à l’encontre de la conception traditionnelle qui attribue aux dieux l’initiative des lois. En d’autres termes, la sagesse radicale grecque souffre de ce courant de pensée sophistique. Les sophistes possèdent Athènes par leur éloquence. Ils imitent le sage alors qu’en vérité ils ne savent point. Ils sont capables d’exercer leur ironie en public, dans des longs discours devant la foule. Leur éloquence est fondée sur l’opinion qui est une source de plusieurs erreurs d’analyse.
De l’Etat oligarchique à l’Etat démocratique
Vu les réalités politiques que vit le peuple athénien, les penseurs ne s’arrêtent pas d’imaginer un nouveau régime politique pour améliorer l’existence collective athénienne. Nous allons parler du régime oligarchique mais avant cela, expliquons d’abord comment on passe de la timocratie à l’oligarchie. La timocratie est une constitution qui permet aux dirigeants d’entasser des richesses. Vraiment, c’est un régime d’accumulation de trésor. Les dirigeants découvrent des sujets de dépense en ne plus apportant obéissance aux lois. Ils poursuivent de plus en plus la richesse et attachent moins de prix à la vertu qui est la base du bonheur de la vie collective. Dans un Etat timocratique, l’égoïsme orienté vers la richesse domine. De leur côté, les citoyens finissent par devenir avares et cupides en vantant le riche, l’admirant, le portant au pouvoir et ils méprisent le pauvre. C’est le capitalisme de l’époque. Face à cette affliction de la majorité, les dirigeants établissent une loi qui fixe les bornes de la constitution oligarchique en imposant une redevance annuelle ou un cens. Ils interdisent les charges publiques à celui dont la fortune ne s’élève pas au cens fixé. Ils font passer ces mesures par la force et les armes ou sans aller jusque- là mais par l’intimidation. Nous définissons alors la constitution oligarchique par une forme de gouvernement fondé sur le cens, où les riches commandent et où les pauvres n’ont aucune part dans l’autorité. Toutefois dans le cadre du gouvernement, le cens ne doit pas être la clé d’accès au pilotage. Le cens ne situe pas la subtilité spirituelle. Le bon pilote peut être dans la majorité appauvrie mais le régime écrase la supériorité qu’il pourrait avoir. La constitution oligarchique divise la population d’un même pays en deux groupes nettement séparés par la fortune. D’un côté se placent les peu nombreux mais forts par le commandement qu’accorde leur richesse. Ils sont aisés sur le plan d’existence. De l’autre est le groupe des pauvres, rongé par l’abattement politique de la constitution mise en place. Cette majorité travaille dur pour satisfaire les besoins des oligarques dans tous les domaines. Tacitement, ces deux groupes conspirent sans cesse les uns contre les autres car ce sont deux ennemis qui habitent le même sol engagés dans une lutte. Un point est manifeste, c’est que partout dans un Etat oligarchique, des voleurs et des malfaiteurs de toute espèce abondent. Ce qui signifie que des mendiants se multiplient nuit et jour, pour ne pas dire que tout le monde mendie à l’exception des chefs. Toute chose a sa fin. Un oligarque finit toujours par être traîné devant les juges, attaqué par des dénonciateurs et condamné à la mort ou à l’exil ou à la perte de ses droits de citoyens et de tous ses biens… Un oligarque victime de telles tribulations ou d’un tel malheur se trouve humilié car il est versé dans la classe des pauvres. Inconsciemment, il se tourne vers le lucre et à force de travail et d’économies sordides et mesquines, il amasse de l’argent. Il ne recherche que les moyens d’accroître sa fortune car il met sa gloire dans possession de grands biens et de ce qui peut contribuer à les lui procurer. Nous affirmons donc que cet homme oligarchique au départ et qu’actuellement le tribunal verse dans la classe des opprimés reste toujours apparié à l’Etat oligarchique. Le penseur politique continue toujours à chercher une nouvelle constitution pour remplacer celle d’actuel jugée portant profond malheur à la majorité. La démocratie arrive pour supplanter l’oligarchie. Il va de soi que l’origine du passage de l’oligarchie à la démocratie est la convoitise ardente d’être aussi riche que possible. En effet, les démocrates se refusent à réprimer par une loi le libertinage des jeunes gens et à les empêcher de gaspiller et de perdre leur patrimoine. Les démocrates veulent acheter les biens de ces dissipateurs et leur prêter sur hypothèque pour devenir encore plus riches et plus considérés. De nombreux citoyens oisifs qui demeurent dans la cité sont les produits d’une telle pratique. Ils sont soit chargés des dettes, soit couverts d’infamie, soit des deux à la fois et sont remplis de haine. Ils complotent contre ceux qui ont acquis leurs biens et contre le reste des citoyens et ne respirent que de révolution. Cependant ces usuriers, c’est- à- dire les démocrates, blessent les citoyens qui leur donnent prise avec leur argent en centuplant les intérêts de leur capital. Autrement dit, l’Etat est ici encore plein de malfaiteurs politiques écrasant toujours les citoyens. Les pères de famille des citoyens exploités qui ne pensent qu’à faire vivre au jour le jour leur famille respective sont mis en permanence sous-tension des injections des usuriers démocrates. Un Etat dans une telle situation c’est- à- dire dominée par les démocrates usuriers devient, à la moindre occasion, la proie de la guerre intestine car les partis politiques autres interviennent sous- prétexte de libérer les peuples pauvres. La démocratie est née alors quand les pauvres ont victoire sur les riches et elle s’établit par les bouts du canon ou par la peur qui oblige les riches à se dérober. Dans une constitution démocratique, le citoyen est libre. Libre dans le sens de pouvoir circuler, de parler franc et d’avoir la licence ou la permission de faire ce qu’on veut après l’approbation des dirigeants. Par la suite, il est clair que là où règne cette licence, chacun peut s’y faire un genre de vie selon sa propre fantaisie. Des hommes de toute sorte se font trouver dans ce gouvernement selon leur conception respective de gérer leur vie matérielle ou leur vie spirituelle. La constitution démocratique semble être la bonne pour donner aux citoyens au moins leur dignité et leur valeur d’homme. Pourtant l’oligarchie et la démocratie ont été ruinées par la richesse excessive. La démocratie observe comme son bien suprême la liberté qui ouvre la voie à la perte dans biens et le patrimoine des citoyens. Il n’est pas superflu de faire remonter en surface que la démocratie fait arriver au pouvoir les cancres pour piloter le vaisseau gouvernemental. C’est là que se pose le hic : laisser les pouvoirs aux mains des cancres. C’est inacceptable! Il faut trouver un régime qui éloigne ces gens dirigeants qui ne pensent qu’à la richesse.
La science au service de l’action
Le long de la vie quotidienne est marqué par des actions de diverses formes qui vont être observées surtout dans les domaines des gardiens gouverneurs et des gardiens défenseurs. Il n’est pas du tout inutile de rappeler les sciences qui servent les actions faites par les gardiens dirigeants passant aux gardiens défenseurs et pourquoi pas aux autres citoyens dans l’exécution de leur métier respectif. Il y a l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie mais avant ce trio la musique en tant qu’art avec la gymnastique à son côté n’est pas à omettre. L’âme touchée et pénétrée fortement par la musique sent et trouve la négligence et la laideur dans les ouvrages de l’art et dans ceux de la nature. Le charpentier qui fabrique du lit défigure complètement la vérité du lit. Le lit qu’il produit n’est qu’une copie car cela relève du domaine de la conjecture. Le vrai est l’idée de lit parce qu’elle est éternelle, immuable, indépendante du temps et de l’espace .Héraclite affirme que ce monde naturel est livré à une dissolution à travers des flots de devenir. Les objets, les êtres vivants qui y sont se perdent à la merci du changement et de la dégradation. Une certaine rotation de changement d’aspects frappe la nature. La nature d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier et ne sera plus celle de demain et ainsi de suite selon l’affirmation héraclitéenne ci-après : « On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve » car « Tout passe et rien ne demeure ». Selon Platon, la musique peut ouvrir l’œil de l’âme pour sentir et voir ce devenir des ouvrages qui relèvent de la nature. C’est ce qu’elle apporte à l’action musicale basée sur l’Idée du Bien, du Beau et du Juste. Voyons ensuite ce que fait la gymnastique au service de l’action chez les gardiens défenseurs de l’Etat. Tout d’abord, ils sont comparables à des chiens de garde. Par ailleurs, des caractéristiques spécifiques sont exigées à ces gardiens. Au premier abord, ils doivent être capables de reconnaître la figure amie ou celle ennemie. Ils doivent s’irriter à la moindre occasion douteuse pour être habitués à livrer un combat quand les ennemis sont à leur portée. La gymnastique faite est pour la perfection du corps qui ne peut pas se réaliser sans l’intervention de la pleine vertu de l’âme. C’est cette dernière qui précise les règles de la culture du corps. Un gardien défenseur n’est pas digne d’être ivre et par suite ne pas savoir où il est. Il est bon de souligner que Platon met l’accent sur l’adoption de la simplicité dans la musique et dans la gymnastique. La variété engendre le dérèglement qui, à son tour, donne naissance aux maladies. Avoir un Etat valétudinaire n’est pas du tout désirable. En somme, la gymnastique apporte beaucoup, par la vertu entière de l’âme, d’aide à la pratique du métier de gardien défenseur de la belle cité. Maintenant, voyons ce que l’arithmétique peut faire pour l’action au bénéfice de la belle cité. Sans ambages, nous affirmons que l’arithmétique est la science qui manipule les nombres donc c’est la théorie des nombres. Il est utilisé pour dévoiler la vérité par les opérations intellectuelles guidées par l’âme vertueuse. Ne perdons pas de vue que les nombres servent aussi vivement le calcul. L’arithmétique et le calcul sont inséparables et tous les deux s’adonnent pour découvrir la vérité enfouie quelque part dans le monde sensible. Dans sa méditation philosophique et son labeur politique pour rencontrer l’Idée du Bien en étudiant un cas de la société, le gardien gouverneur a besoin des nombres. Le bon gardien défenseur voulant comprendre quelque chose à l’ordonnance de l’armée doit avoir connaissance de l’arithmétique sinon il ne saura rien des consignes portant des nombres. Cette science se prononce très nécessaire jusqu’à la troisième couche sociale. Un commerçant ayant le souci de vendre ses articles sans excès et sans réduction doit avoir des connaissances relatives à l’arithmétique pour ses opérations de vente. L’arithmétique sert beaucoup aux actions journalières de la vie de la belle cité et tout cela fondé sur l’Idée du Bien, du Beau et du Juste. La géométrie s’ajoute à l’arithmétique. Elle se rapporte beaucoup aux opérations de la guerre. Pour un général qui va situer son camp, il faut qu’il soit géomètre pour remplir les bonnes conditions justes à faire. En un mot, le général doit être fort en tactique. Pour que l’armée puisse se situer convenablement par rapport à l’emplacement du camp ennemi, choisir le moment de resserrer ou le moment d’étendre pendant les marches et les batailles : le guide doit être géomètre. Autrement le général en tête va mener son armée dans la gueule du loup. La géométrie aide à mieux comprendre les autres sciences et apporte beaucoup de savoir-faire dans la défense de la belle cité. En outre, il faut reconnaître que la géométrie est une science propre à tirer l’âme vers la vérité et à faire naître l’esprit philosophique qui élève nos regards vers les choses d’en haut au lieu de les tourner vers les choses d’ici-bas. Reconnaissons que la géométrie est aussi l’art de mesurer. Elle se rapproche de la musique en ce sens. Division et combinaison vont ensemble et cela est très utile pour celui qui veut gouverner. L’astronomie n’est pas à omettre s’il s’agit d’entreprendre une action dans la communauté. Le général, en tête de son armée, doit être capable de se situer dans le temps et dans l’espace aussi bien en mer qu’en terre ferme pour ne pas se perdre. Il ne doit pas minimiser aussi la consultation ou plus exactement l’observation des astres pour éviter les moments néfastes. Les sciences sont au service des actions dans la cité et elles prennent leur fondement sur l’Idée du Bien, du Beau et du Juste. C’est pourquoi Platon confirme à Glaucon : Si c’est une chose sensible qu’on veut étudier, qu’on la regarde en haut, bouche béante, ou en bas bouche close, je nie qu’il y ait jamais eu là connaissance ; car la science ne comporte rien de sensible ; […]. Par cette confirmation, Platon fait apparaître noir sur blanc que l’astronomie, en tant que science, ne découvre pas la vérité des choses dans ce monde d’Héraclite où tout se dissout dans les flots du devenir. Chez Platon, les sciences sont des instruments de conviction sans égaux et elles partent toujours du domaine de l’eikasia (de la conjecture), passant par celui de la pistis (de la croyance) en remontant à celui de la « dianoia » (de la connaissance discursive) pour aboutir à la noésis (à l’intelligence).
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Table des matières
Introduction
Première partie : Genèse de la belle cité
Chapitre I : Origine de la pensée de Platon
1.1.1. L’enseignement sophistique
1.1.2. La réforme platonicienne
1.1.3. Platon aux fondements de l’idéalisme
1.1.4. Les chemins du savoir chez Platon
Chapitre II : La réforme radicale au niveau éthico- politique
1.2.1. Projet de société platonicien : pouvoir aristocratique
1.2.2. L’éducation des acteurs de l’Etat
1.2.3. La reforme socio- éthique par des mesures législatives
1.2.4. Pour l’efficacité de l’éducation sociale
Deuxième partie : Fondement de l’organisation sociale de la belle cité
Chapitre I : De l’amour du vrai à l’amour du Bien
2.1.1. La science au service de l’action
2.1.2. La fonction des mythes
2.1.3. Ce qu’apporte la justice à la belle cité
2.1.4. Le fondement pédagogique de la belle cité
Chapitre II : La conduite vertueuse asseoit l’harmonie dans la cité
2.2.1. Le bien : conçu comme une prudence dictée par la mesure et la proposition
2.2.2. Les femmes auront les mêmes fonctions et la même éducation que les hommes
2.2.3. Le communisme platonicien
2.2.4. De la rhétorique au discours politique vertueux
Conclusion
Bibliographie
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