Louis Pergaud est né dans un petit village des premiers plateaux du Doubs nommé Belmont. Fils d’un instituteur, il se destine à son tour à l’enseignement. Après avoir été reçu premier au concours de l’école normale de Besançon, il s’aperçoit qu’il déteste son métier qui ne lui apporte aucun plaisir. Comme il l’affirme à plusieurs reprises dans sa Correspondance, il n’est pas fait pour cette mission. Pergaud se tourne alors rapidement vers la littérature, délaissant ainsi peu à peu l’enseignement pour les lettres. De ce temps résultent deux œuvres poétiques, à savoir L’herbe d’avril et L’Aube dont le style précieux diffère totalement de celles qui suivront. Malgré le peu de retentissement de ces deux ouvrages, il se décide à se consacrer à l’écriture. En 1907, il quitte sa Franche-Comté natale et part vivre à Paris.
Dans cette ville, malgré un travail incessant, il ne parvient pas à se faire reconnaître, à se faire une place dans le monde littéraire. Anne-Marie Thiesse, dans Écrire la France, explique cette difficulté par les logiques littéraires en vigueur de cette époque . Face à cette hostilité, Pergaud n’abandonne pas ses espoirs de succès mais il se surprend aussi à regretter sa campagne natale. Il écrit alors un ouvrage, De Goupil à Margot, soustitré Histoires de Bêtes, pour lequel il reçoit le prix Goncourt en 1910. Ce recueil de contes met en scène des animaux comtois dans un moment précis de leur vie, généralement un moment qui les place dans une position difficile et fatale. Même s’il n’abandonne pas ses rêves parisiens, puisqu’il fait un roman d’analyse psychologique à l’heure où c’est ce qui domine dans la création littéraire et puisqu’il écrit cet ouvrage dans un style relativement précieux, il se montre plus attaché que jamais aux réalités rurales. Dans cet ouvrage, il se tourne en effet vers sa campagne dans une sorte de pulsion régionaliste. Ce sont les plaines du Doubs qui se déroulent à travers les pages et les animaux comtois qui font office de personnages principaux. Pergaud développe d’ailleurs leur psychologie à tel point qu’ils n’ont rien à envier aux humains. Ces animaux pensent, sentent, semblent doués d’une intelligence et d’une perspicacité sans borne. Cet accès à la psychologie animale pose toutefois problème en regard de la notion de réalisme. En effet, nous avons vu que l’œuvre de Pergaud peignait les réalités rurales et donc la réalité telle qu’elle est dans les hauts plateaux du Doubs. Pourtant, il semble difficile de rendre compte de la pensée des animaux dans une nouvelle réaliste, sans faire preuve d’imagination et de fantaisie. Il est certes possible d’observer les bêtes, de rendre compte de leur quotidien ou encore de leur physiologie. Mais comment est-il possible de rendre compte de leurs pensées ? Comment connaître leurs ressentis puisque les animaux ne peuvent pas s’exprimer avec des mots ? D’ailleurs, nombreux sont les philosophes qui ont affirmé avant Pergaud que les animaux ne pensaient pas, n’avaient pas de conscience. Il semble de ce fait intéressant d’interroger la notion de réalisme dans cette œuvre
Le réalisme renforcé par la dimension régionaliste de l’œuvre
Louis Pergaud fait partie du mouvement des auteurs régionalistes comtois, qu’il préside avec Léon Debeul. Il n’est alors pas étonnant de constater que les divers contes, publiés sous la forme du recueil De Goupil à Margot, sont d’abord apparus dans des revues d’avant-garde régionalistes. « Le viol souterrain » a, par exemple, été publié dans Le Beffroi en 1910, « L’horrible délivrance » ainsi que « La fin de Fuseline » ont été publiés dans L’Île Sonnante, « La conspiration du Murger » dans Les Proses en 1910, « Le fatal étonnement de Guerriot » dans La Phalange et, enfin, « L’évasion de la Mort » dans Le Feu en 1910. Avant de poursuivre cette réflexion, nous pouvons d’abord spécifier ce qu’est le régionalisme.
Le régionalisme, mouvement culturel et politique, naît à la fin du XIXe siècle en réaction aux grandes lois de la Troisième République qui visent à uniformiser la France. Cette dernière développe en effet l’école, les chemins de fer, la presse et ces progrès contribuent à détruire l’identité des régions pour n’en construire qu’une seule : l’identité nationale. Le but des régionalistes, qu’ils soient écrivains ou simplement défenseurs des identités régionales, est donc de lutter contre le centralisme et de tenter de préserver les différences locales, de promouvoir les particularismes régionaux, de préserver le folklore. Anne-Marie Thiesse, dans son ouvrage Écrire la France, décrit d’ailleurs précisément cette période de mutation et d’investissement des individus au service de leur région :
Les changements sociaux induits par l’industrialisation s’accroissent dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle : l’exode rural est à son apogée, l’uniformisation géographique des modes de vie sur l’ensemble du territoire s’accentue, cependant que tombent en désuétude des coutumes, des parlers, des costumes. Les cultures régionales et rurales, à mesure qu’elles deviennent obsolètes, suscitent l’intérêt et servent de support à une nostalgie pour le passé qui se nourrit des inquiétudes entraînées par des changements profonds et rapides.
Une observation exacte et rigoureuse de la réalité relevant du réalisme
Le réalisme, comme nous l’avons précisé au début de notre propos, se caractérise par une observation préalable de la réalité, observation extrêmement précise. Or, Louis Pergaud, pour écrire ses contes animaliers, dit avoir énormément observé la faune et la flore de sa région. Dans son article « La Fontaine et la psychologie animale », il écrit que :
[P]our faire œuvre d’art, partant de données exclusivement expérimentales, il faut supporter des travaux scientifiques, des dissections animales, des observations multiples, un tas d’études préalables .
Ce qui est intéressant dans ce passage, ce sont les termes qui associent d’une part l’« art » à la « scienc[e] » et d’autre part « l’art » à « l’observatio[n] ». Le fait d’associer l’art à la science fait immédiatement penser à l’œuvre de Zola qui voulait justement que la littérature se substitue à la science, qu’elle en devienne l’égal. Zola a d’ailleurs appliqué dans ses romans, des théories scientifiques et ces termes peuvent rappeler certains de ses écrits. Le fait d’associer l’art à l’observation le rapproche cette fois aussi bien des réalistes que des naturalistes. Balzac, aussi bien que Zola, prenait par exemple beaucoup de temps pour observer, se documenter, s’imprégner de ce qui allait constituer le sujet de son œuvre. L’importance de l’observation scrupuleuse de la réalité chez Pergaud est donc encore une fois une preuve de son réalisme, de sa volonté d’être le plus fidèle possible à la réalité. Une lettre, écrite à Alfred Valette, en 1910, va dans le même sens : J’ai l’honneur de vous adresser en même temps que cette lettre un conte que je crois très original et nouveau, et dans lequel un long séjour à la campagne m’a permis de faire entrer des études fort approfondies de la psychologie animale.
Le mot « étude » fait écho aux idées développées précédemment. Il rappelle l’exactitude des scientifiques. Sa démarche artistique est donc plus proche d’une démarche expérimentale que d’une démarche créative et inventive à proprement parler. Le terme « psychologie » fait quant à lui aussi référence à la science et à la connaissance de l’individu et cela ne va pas sans rappeler Balzac qui s’est, lui aussi, plut à peindre des caractères et des types et donc, par extension, la psychologie des individus. Nous pouvons terminer cette réflexion, sur le caractère scientifique de l’œuvre de Pergaud, qui le conduit à un réalisme rigoureux, en évoquant sa position par rapport à Jean de La Fontaine, position longuement évoquée dans l’article « La Fontaine et la psychologie animale ». Il ne cesse de proclamer une rupture entre lui et La Fontaine et on comprend comment il se définit par rapport à lui. Pergaud, qui se définissait précédemment comme un « psycholog[ue] » des animaux, affirme que La Fontaine « psychologue raffiné et scrupuleux observateur des bêtes » est une «légende », autrement dit un mythe, une idée fausse mais à laquelle de nombreux individus adhèrent. Il écrit, à propos de La Fontaine que :
[C]e serait […] le calomnier que de vouloir affirmer que ce rêveur, ce fantaisiste charmant qui fut souvent un misanthrope cruel, ait pu se plier à des disciplines aussi sévères que celles auxquelles s’assujettissent les naturalistes et les entomologistes.
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Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Chapitre 1 : De Goupil à Margot, une œuvre réaliste
Chapitre 2 : De Goupil à Margot, entre réalisme et merveilleux
Chapitre 3 : De la recherche à l’enseignement
Chapitre 4 : Mise en pratique
Conclusion
Annexes
Bibliographie
Table des matières
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