L’eau est et sera toujours source de vie. L’homme ne peut imaginer sa vie sans eau pour boire, pour se laver, pour cuire, pour nettoyer ses vêtements et sa maison. Les conséquences d’une vie dépourvue d’eau potable sont nombreuses : les enfants souffrent de maladie hydrique comme la diarrhée, les femmes perdent leur dignité et font des kilomètres à pied pour finalement puiser dans des marées insalubres, la qualité de vie en général est affectée et l’économie stagne et même régresse. Et pourtant, une vie sans eau potable est encore celle de bien plus de la moitié de la population mondiale. En effet, 76% a une disponibilité specifique en eau inférieure à 5 000 m3 par an par personne, dont 20% ayant des systèmes d’approvisionnement en eau inappropriés (UNESCO, Journée mondiale de l’eau, 2006). Pour l’autre moitié, avoir accès à l’eau potable est un privilège consideré trop souvent comme acquis. Ceci les amène dans la plupart du temps à gaspiller cette merveilleuse richesse, oubliant qu’elle a aussi ses limites. C’est ainsi que le développement durable des ressources en eau doit être une des priorités mondiales car l’objectif est de disposer de l’eau de bonne qualité non seulement pour aujourd’hui ou l’année prochaine mais aussi pour les futures générations. A Madagascar, 27 % seulement de la population ont accès à l’eau potable [1]. Les eaux souterraines sont les sources majeures d’alimentation en eau, et dans des régions semi-arides du Sud et du Sud Ouest, ce sont les seules ressources disponibles. Ainsi, plusieurs projets d’installation de puits et forages ont été realisés : grâce au projet national d’exploitation des eaux souterraines, financé par le JICA, une centaine de puits et forages a été installée dans la préfecture de Menabe, Sud Ouest de l’île. Dans la région d’Antanimora, à l’extrême Sud, 150 forages ont été installés par financement de l’UNICEF. Pour ce dernier, 30 % des forages ont été abandonnés à cause de la forte minéralisation des eaux (CE > 12 000 µS/Cm) ou les forages sont secs après seulement quelques mois d’utilisation. Dans le Sud Ouest de l’île, si le taux de minéralisation est moins elevé et l’accès à l’eau potable semble plus facile, une gestion irrationnelle pourrait mettre ces installations hors d’usage à long et même à court terme car les ressources en eau souterraine quoique renouvelables ne sont pas nécessairement inexhaustives.
Ainsi, la durabilité de ces installations à fournir de l’eau potable est encore un defi, non seulement pour les gouvernements et autres organisations non gouvernementales, en matière d’éducation et d’information des usagers, mais aussi et surtout pour les scientifiques, en matière de modélisation des divers processus régissant les eaux de surface et les eaux souterraines. En effet, la connaissance de ces divers mecanismes permet de prendre les dispositions nécessaires et de planifier des stratégies de gestion des ressources en eau.
Datation d’eaux souterraines récentes par le tritium
Les isotopes de l’environnement
Les isotopes de l’environnement sont les isotopes des éléments présents naturellement en quantité abondante dans notre environnement. On distingue trois sources d’isotopes naturels [2]:
– isotopes d’origine cosmique,
– isotopes d’origine souterraine, et
– isotopes de la série de désintégration de l’uranium .
En hydrogéologie, ce sont les isotopes des principaux éléments constituant les systèmes hydrologiques, géologiques et biologiques qui sont les plus utilisés. Ce sont notamment l’hydrogène (H), l’oxygène (O), le carbone (C), l’azote (N), et le soufre (S). Ce sont également des éléments légers [3]. Les isotopes de l’hydrogène et de l’oxygène sont les isotopes de la molécule d’eau et sont ainsi appelés « traceurs intimes » de l’eau. Les isotopes du carbone, de l’azote et du soufre sont les isotopes appartenant à des substances dissoutes dans l’eau, en particulier HCO3- , SO4 -2 , et NO3- . Les isotopes présentent deux caractéristiques particulières qui font que leur utilisation apporte une contribution importante dans la résolution des problèmes hydrogéologiques.
– Les isotopes stables légers les plus abondants dans l’environnement terrestre montrent un fractionnement isotopique appréciable lors des phénomènes de changement de phase. Ceci permet de distinguer les différents phénomènes expliquant la minéralisation, la pollution, ou encore l’origine des eaux souterraines. En effet, le fractionnement isotopique donne aux différentes masses d’eau leurs signatures isotopiques caractéristiques.
– Les isotopes radioactifs, en se désintégrant dans le temps, permettent d’estimer le renouvellement des eaux souterraines et de déterminer leurs « âges ».
Les « âges » des eaux souterraines
L’ « âge » des eaux souterraines est l’intervalle de temps écoulé par rapport à la dernière recharge. A cause des phénomènes de dispersion et de mélange hydrodynamique engendrant une variété de sources de recharge et d’âges, l’« âge » des eaux souterraines correspond en réalité à la distribution temporelle de plusieurs écoulements élémentaires [4]. De plus, outre le tritium (isotope radioactif de l’hydrogène et traceur intime de l’eau), la concentration mesurée par datation est celle de substances dissoutes dont l’abondance dans l’eau est fonction de processus physico-chimiques et biologiques. Par conséquent, le terme « temps de transit moyen » exprime mieux l’intervalle de temps écoulé par rapport à la dernière recharge. Cependant, le terme ‘âge’ est communément utilisé à cause de sa simplicité [3]. La connaissance des « âges » des eaux souterraines permet de gérer les ressources en eau de façon rationnelle. Elle permet de distinguer les eaux souterraines renouvelables, aptes à une exploitation durable :
– les eaux souterraines relativement jeunes (< 50 ans)
– les eaux souterraines profondes et/ou régionales qui peuvent être des mélanges d’eau souterraine jeune et plus ancienne, indiquant la connection hydraulique avec des systèmes d’écoulement actifs, donc potentiellement exploitables .
Ainsi, l’âge est un paramètre important dans le développement et la gestion des ressources en eau et les méthodes isotopiques sont particulièrement utilisées pour la datation des eaux souterraines.
Approche de datation des eaux souterraines par les isotopes de l’environnement
La méthode de datation des eaux souterraines, que ce soit par des substances chimiques ou des isotopes est basée sur la mesure de la concentration de ces traceurs dans l’eau. En réalité, ce sont les traceurs qui sont datés, mais pas l’eau elle-même. L’âge des eaux souterraines est ainsi interprété à partir des aspects temporels des substances chimiques ou isotopiques dans l’eau [3]. La méthode de datation dépend de la nature de substances utilisées. Les isotopes radioactifs ou radionucléides, grâce à leur propriété instable, se désintègrent exponentiellement dans le temps et donnent naissance à de différents isotopes (stables ou instables), à un taux décrit comme « temps de vie moyenne » ou « période ».
Le tritium dans les précipitations
Les concentrations du tritium dans les précipitations varient en fonction de la latitude, de la distance par rapport à l’océan, et de la saison :
– à plus haute latitude (c’est à dire plus près de la source), la concentration du tritium est plus élevée. C’est l’effet de latitude.
– par échange avec les eaux de surface océanique qui ont une faible concentration en tritium, la concentration des vapeurs d’eau au-dessus de l’océan diminue. C’est le gradient continental en tritium.
– la concentration du tritium en printemps est plus élevée que celle en hiver à cause du glissement de la tropopause entre 30 et 60° à chaque printemps (chaque printemps dans les deux hémisphères), entraînant une fuite des vapeurs d’eau stratosphérique de concentration en tritium élevée dans la tropopause.
Avant les premiers essais d’armes thermonucléaires en 1950, les taux de tritium naturel dans les précipitations à basse et moyenne altitude étaient relativement bas, dans l’intervalle de 2 à 10 UT ([5]; [6]; [7]; [8], [3]). Entre 1950 et 1980, où les principaux essais ont eu lieu, la concentration en tritium dans les précipitations augmentait considérablement dans l’hémisphère nord, atteignant une valeur maximale de 2 500 UT en 1963, avant de retomber à un taux de 50 UT en 1980 [3]. Comme la plupart des tests d’armes nucléaires a été effectuée dans l’hémisphère nord, la distribution en 3H dans les deux hémisphères est fortement asymétrique .
A l’heure actuelle, le taux de tritium dans l’atmosphère varie entre 5 et 30 UT dansl’hémisphère nord, et entre 2 et 10 UT dans l’hémisphère sud (AIEA/OMM, 2006).
Interprétation qualitative des données en tritium
La valeur maximale de 2 500 UT en 1963 est connue sous le nom de « pic de tritium». C’est le pic de référence utilisé dans l’interprétation des données en tritium. En effet, la présence de concentration élevée de tritium dans les échantillons d’eau souterraine est un indicateur d’échantillons contenant au moins une fraction d’eau rechargée aux alentours des années 1963-1964 (hémisphère nord). Dans l’hémisphère sud, le « pic de tritium » est retardé (1965-1970) et est moins élevé à cause de l’effet de latitude (le tritium artificiel se combine avec le tritium naturel et arrive dans l’hémisphère sud par transport stratosphérique et sa concentration diminue par rapport à la source [3]. Ainsi, dans l’hémisphère sud, les échantillons d’eau souterraine contenant plus de 1 UT sont supposées des eaux rechargées après 1950, donc relativement jeunes. Les échantillons d’eau souterraine contenant du taux de tritium variant entre 0,7 et 1 UT est des mélanges d’eau récente et ancienne. Les échantillons d’eau souterraine contenant moins de 0,5 UT sont des eaux anciennes [9].
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. BASES THEORIQUES
1.1. DATATION D’EAUX SOUTERRAINES RÉCENTES PAR LE TRITIUM
1.1.1. Les isotopes de l’environnement
1.1.2. Les « âges » des eaux souterraines
1.1.3. Approche de datation des eaux souterraines par les isotopes de l’environnement
1.1.4. Application : détermination des âges des eaux souterraines récentes par le tritium
1.1.4.1. Le tritium dans les précipitations
1.1.4.2. Interprétation qualitative des données en tritium
1.1.4.3. Interprétation quantitative des données en tritium : estimation de l’âge des eaux souterraines
1.2. PROCESSUS GÉOCHIMIQUES DE MINÉRALISATION DES EAUX SOUTERRAINES
1.2.1. Minéralisation des eaux souterraines à travers le sol
1.2.2. Minéralisation des eaux souterraines par interaction eau-roche
1.2.2.1. Echange d’ions-Impact sur la composition chimique de l’eau
1.2.2.2. Dissolution/précipitation des minéraux
1.2.3. Réaction d’oxydo-réduction
1.2.4. Interaction solution aqueuse/solution vapeur
CHAPITRE 2. THEORIE DE LA MODELISATION
2.1. MODÉLISATION MATHÉMATIQUE DES ÂGES DES EAUX SOUTERRAINES
2.1.1. Définitions
2.1.1.1. Méthode des traceurs
2.1.1.2. Modèle conceptuel
2.1.1.3. Modèle mathématique
2.1.1.4. Vérification d’un modèle mathématique
2.1.1.5 Technique de modélisation
2.1.1.6. Etalonnage d’un modèle
2.1.1.7. Validation du modèle
2.1.2. Approche du modèle de la boîte noire ou modèle empirique dans la détermination des âges des eaux souterraines
2.1.2.1. Modèle piston
2.1.2.2. Modèle exponentiel
2.1.2.3. Modèle combiné exponentiel et piston
2.1.2.4. Modèle de dispersion
2.1.3. Application du modèle empirique dans la détermination des âges des eaux souterraines : la méthode du tritium
2.1.4. Sources d’erreurs
2.1.5. Le logiciel FLOWPC
2.1.5.1. Description
2.1.5.2. Technique de modélisation
2.1.5.3. La fonction d’entrée
2.1.5.4. Le fichier contenant les concentrations mesurées sur un site d’observation
2.1.5.5. Exemples
2.2. MODÉLISATION GÉOCHIMIQUE DES PROCESSUS DE MINÉRALISATION DES EAUX SOUTERRAINES
2.2.1.. Eléments de modèle conceptuel
2.2.2. Indice de saturation dans le développement de modèles conceptuels
2.2.3 Méthode de modélisation géochimique
2.2.4. Modélisation géochimique par la méthode de bilan de masse
2.2.5. Sources d’erreurs et limites
2.2.5.1. Sources d’erreurs
2.2.5.2. Limites
2.2.6. Le logiciel NETPATH V 2.0
2.2.6.1. Description
2.2.6.2. Bases de données (DB) utilisées par NETPATH
2.2.6.3. Concepts théoriques et terminologie
CHAPITRE 3. RAPPEL DES TRAVAUX ANTERIEURS
3.1. PROJETS DE DÉVELOPPEMENT D’ADDUCTION EN EAU POTABLE
3.2. TRAVAUX SCIENTIFIQUES
3.2.1. Investigations hydrogéologiques
3.2.2. Investigations hydrochimiques
3.2.3. Apports des techniques isotopiques
CHAPITRE 4. PRESENTATION DE LA ZONE D’ÉTUDE
4.1. CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE
4.2. TOPOGRAPHIE
4.3. RÉSEAU HYDROGRAPHIQUE
4.4. CONTEXTE CLIMATIQUE
4.4.1. Précipitation
4.4.2. Evaporation
4.4.3. Température
4.4.4. Humidité relative
4.5. CONTEXTE GÉOLOGIQUE
4.5.1. Morphologie
4.5.2. Lithologie et stratigraphie
4.5.3. Tectonique
4.6. CONTEXTE HYDROGÉOLOGIQUE
4.7. MINÉRALOGIE
CONCLUSION