La fusion, une accélération du temps pour respecter la date butoir du 1er janvier 2017
Cette fusion imposée par la loi s’inscrit de fait dans un agenda contraint en obligeant les acteurs de la fusion à obligatoirement s’inscrire dans le calendrier prescrit par la loi NOTRe. Cela suppose ainsi de planifier, hiérarchiser et prioriser les actions nécessaires à la fusion dans une chronologie. La date butoir du 1er janvier 2017, devient l’échéance pour réaliser la fusion des communautés de communes et communes, créer la nouvelle entité territoriale dans le respect du délai imposé. De fait, ce temps devient linéaire, avec des étapes clés, des jalons à respecter. Ce temps de la fusion apparaît ici comme un temps de projet, le temps du projet de création d’une nouvelle entité territoriale. C’est ainsi que le dirigeant A – Le Cotentin agglomération illustre ce caractère d’immédiateté en précisant : « …non seulement [la fusion] était un mariage forcé et un mariage de raison, mais c’était un mariage imposé en un temps record.» ou encore « … vous créez l’EPCI… vous fusionnez 11 communautés de communes et communes nouvelles en un temps record. ». Coralie Belliard, directrice de la communication de Guingamp Paimpol agglomération17 nous précise : « C’est une volonté claire de créer un collectif, très très rapidement. » Virginie Aulas, Directrice générale des services de Loire Forez agglomération nous dit : « On fait partie des collectivités XXL, 87 communes c’est quand même pas rien… il a fallu se mettre en ordre de marche et donc très vite les élus se sont dit : maintenant c’est fait, il faut qu’on y aille ». « Un organigramme a été décliné au 1er janvier 2017, sachant que les transferts de compétences se sont effectués sur 2 ans 2017-2018. En 2018, l’entité était en ordre de marche, soit 1 an de transformation, mais il y a eu un gros travail en amont en 2016. » Romain Rollant, Directeur général des services de Guingamp Paimpol agglomération, indique : « quand on regarde tout ce qui a été fait depuis 2017, c’est simplement à la fois effrayant et en même temps assez enthousiasmant sur la capacité de ce qu’on était en mesure, en capacité de faire, ce que les équipes ont pu faire. » A travers ces premiers verbatims, on perçoit le caractère d’urgence et l’accélération du temps pour réaliser cette fusion dans le respect de la date butoir fixée par la loi au 1er janvier 2017. Le compte à rebours est lancé pour réaliser cette transformation. Les équipes se mettent rapidement en ordre de marche et le processus de fusion est alors lancé pour constituer juridiquement la nouvelle entité.
Premières priorités en matière de communication
Les entretiens semi-directifs menés ont fait apparaître 2 priorités en matière de communication, à cette étape de fusion, avec :
Ͳ Pour l’interne : l’élaboration d’une communication interne à destination des agents territoriaux concernés par la fusion ;
Ͳ Pour l’externe : la conception d’une identité avec la création d’un logo et d’un nom identifiant l’institution nouvelle.
Camille Ledemeney, directrice de la communication du Cotentin Agglomération précise : « Et moi ce qui me paraissait très important, c’était quand même la question de la communication interne que l’on a pu mettre en place vraiment 2-3 mois avant la création de l’agglo en mettant en place un support très didactique qui permettait avec des questions/réponses de répondre très clairement aux interrogations de notre personnel. Donc voilà, les premiers chantiers, c’était vraiment la communication interne et le logo, à un mois de la naissance de notre collectivité. »
Le moyen terme : le temps de la culture commune [2018-2021]
Dans cette deuxième étape qui correspond au moyen terme et pour les EPCI étudiés à la période allant de 2018 à 2021, il nous apparaît intéressant d’utiliser comme cadre d’analyse, le modèle Structures-Interactions-Culture développé par Renaud Sainsaulieu, précurseur en matière de sociologie de l’entreprise, discipline au carrefour de la sociologie des organisations et de la sociologie du travail. Il s’agit d’envisager l’organisation comme un monde social, de plus en plus complexe et en transformation continue. Les changements sont de plusieurs ordres et peuvent soit concerner la structure de l’organisation, les relations ou la culture, ou plusieurs de ces items combinés. Renaud Sainsaulieu considère l’entreprise comme un espace de socialisation doté d’une régulation culturelle. Partant de ce postulat, il a construit un modèle d’analyse intégrant les 3 dimensions principales que sont : les structures, les interactions et la culture. Ces deux dernières dimensions seront particulièrement approfondies dans la Partie III consacrée aux dynamiques sociales à l’œuvre dans la création de cette nouvelle entité. Les témoignages des interviewés nous apprennent que cette seconde phase correspond à une étape où les acteurs de la transformation, pour poursuivre la création de la nouvelle entité, vont plus particulièrement s’interroger et mener des actions sur ces 3 dimensions, à savoir les structures, les interactions et la culture.
Le modèle SIC (structures/interactions/culture) de Renaud Sainsaulieu
Le « S » (Structures) : correspond à tout ce qui touche au forme de l’organisation et notamment les règles prescrites. Elles doivent êtres lisibles, non-contradictoires de façon à créer un cadre de référence pour les agents dans leurs activités. Il s’agit d’être vigilant, car l’illisibilité des règles, les contradictions internes et le foisonnement des règles peuvent parfois devenir un « empêchement » pour réaliser son travail.
Le « I » (interactions) : il s’agit ici d’envisager l’organisation par son réseau de relations, les jeux de pouvoir et comme question centrale : « Comment travailler ensemble ». Cette dimension s’intéresse à la manière dont les relations de travail se construisent. L’organisation est vue sous l’analyse des rapports de négociation et de pouvoir entre acteurs.
Le « C » (culture) : c’est l’entrée dans l’organisation par une approche quasi ethnologique.
L’organisation est considérée comme une mini société avec ses rites, ses mythes, sa mémoire collective. Elle est composée de cultures différentes à l’intérieur de l’organisation. Cette approche consiste à vouloir gérer l’organisation en gérant la culture. Une vigilance particulière est à avoir avec cette approche par la culture pour ne pas être contre productive. En effet, les cultures naissent des relations de travail et lorsque la direction injecte une culture cela ne suppose pas que les personnels vont s’approprier cette « corporate culture ». Dans le meilleur des cas, elle pourra résonner par rapport aux cultures existantes, construites dans le travail, mais attention il faut être très prudent à ne pas la plaquer sur un système social qui a d’autres valeurs et pourrait générer des confusions au regard du sens du projet de l’organisation. Ce schéma permet ainsi de comprendre les articulations entre ces trois dimensions qui se nourrissent les unes les autres. Voyons à présent quelques illustrations des EPCI étudiés sur chacune de ses dimensions.
Agir sur la culture : Faire culture commune
« Et ce territoire, que je connaissais un petit peu, était pour moi un vrai beau condensé, un beau défi au moment où je l’ai pris, qui n’était pas le moment de la fusion en tant que telle du point de vue technique, mais qui était celui de la création de la culture commune. » Romain Rollant nous précise, ici, qu’il prend ses fonctions en tant que Directeur général des services de Guingamp Paimpol agglomération, non pas au moment de la première phase de fusion, mais lors de cette deuxième étape à enclencher qui va consister à développer la culture commune. Il rajoute : « Ce qui m’a amené, en juin 2018, donc quand même très très vite à présenter ce que j’ai appelé la feuille de route, issue de beaucoup d’entretiens que j’ai pu faire avec les agents, avec les élus et de ma propre connaissance du territoire ; une feuille de route, présentée en juin 2018, pour relancer la définition du projet de territoire, plus dans la logique de faire culture commune que d’aller dans un document de planification. » Cette deuxième étape dans la création d’une entité nouvelle apparaît être le temps de la culture commune, ou de la culture du changement. Ainsi une fois le temps de la fusion réalisée au 1er janvier 2017, qui correspond au temps de la constitution juridique de l’institution, et à la précision des premiers éléments qui font socle commun, qui représentent les fondements de la nouvelle institution, une deuxième phase s’enclenche autour de la question de la culture commune de l’organisation. Les 3 EPCI se questionnent sur comment créer de la cohésion, comment « faire commun » ce qui revient à s’interroger sur le développement du sentiment et de fierté d’appartenance. Ces interrogations, à cette étape, concernent le collectif de travail et donc les agents territoriaux et plus largement l’ensemble du personnel qui compose la nouvelle entité territoriale, ainsi que les élus des communes de l’EPCI. Le Dirigeant territorial – Le cotentin agglomération précise quant à lui : « on va dire depuis fin 2019, le temps véritablement de se poser, de réfléchir un peu à l’organisation, c’était 2 ans complets et.. Là aujourd’hui, on entre dans le dur, c’est qu’il faut le faire et donc la culture du changement. Mais c’est vrai que la réalisation d’un projet de territoire fait qu’il faut donner du sens, je ne dis pas que donner du sens est le seul sujet… c’est un sujet important mais c’est vrai qu’aujourd’hui, la culture du changement, la culture de l’agglomération… le sens de l’agglo : Comment tu participes, qu’est-ce que je fais ? A quoi je sers … il faut le faire et on va s’appuyer sur le projet de territoire pour le faire. » Virginie Aulas, DGS de Loire Forez agglomération aborde le sujet de la culture commune sous l’angle du sentiment d’appartenance et précise : « …c’est un sujet que je souhaite vraiment retravailler, parce qu’autant les agents qui sont au siège ou dans les antennes, ou mêmes sur certaines compétences…sont bien « Loire Forez », alors que d’autres [agents] qui sont dans des équipements ou dans des missions très spécifiques, se sentent peu « Loire Forez ». » Pour creuser un peu plus cette piste, Maurice Thévenet nous éclaire : « la gestion de la fusion est culturelle car il faut faire fonctionner des gens ensemble autour de systèmes de gestion, d’organigrammes, ou de politiques communs, et ce dans des situations génératrices d’anxiété par nature ». Il poursuit en indiquant que bon nombre de fusions n’ont pas fonctionné faute d’avoir pris le temps nécessaire pour considérer ce problème. Dans un contexte de fusion, il apparait pertinent voire essentiel, pour poser ce premier socle fondateur, de se questionner sur la question de la culture commune. Nous pouvons noter que les trois EPCI envisagent la question de la culture commune dans cette nouvelle étape, une fois la fusion réalisée et les premiers jalons posés. Il s’agit pour les trois intercommunalités de mener une réflexion sur une culture commune ou comment « faire commun » en interne avec les agents territoriaux, c’est-à-dire leur personnel mais aussi avec les élus communautaires et municipaux.
L’EPCI, un espace territorial
Monique Fourdin nous dit que : « Constituée sur la base d’un regroupement des communes membres, l’assise spatiale des EPCI revêt une importance originelle inhabituelle puisque l’institution est définie comme territoire avant d’être dotée de compétences et de pouvoirs. » Il aura fallu attendre les années 90 pour voir les premières actions de communication à destination de la population. La mise en scène, via le recours à la cartographie, au graphisme, logo, nom et signatures, aura eu pour conséquences de transformer l’espace en territoire. Pour l’autrice, cette évolution est également à mettre en lien avec « l’entrée des EPCI sur le marché du sentiment d’appartenance », jusqu’ici occupé par les collectivités locales (communes, départements…). Isabelle Pailliart, dans son article « Les territoires et les médias dans la construction de l’espace public », annonce que la localisation de l’espace public est une condition essentielle à son émergence et à sa construction. Cela revient ainsi à dire qu’avant toute chose, il convient de localiser un espace pour le faire exister. L’auteur nous dit aussi que la dimension territoriale est un élément constituant de l’espace public à travers trois caractéristiques. Tout d’abord le territoire est d’abord défini par ses frontières. Cette première étape consiste à délimiter spatialement le territoire. Deuxième caractéristique : le territoire est déterminé par ses institutions. Dernière caractéristique, le territoire peut être défini en tant qu’espace vécu ou pratiqué
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Table des matières
Introduction
PARTIE I – La temporalité au service de l’émergence d’une culture commune
I.1 – Le temps court, immédiateté, gérer l’urgence : le temps de la fusion [2016-2017-2018]
I.2 – Le moyen terme : le temps de la culture commune [2018-2021]
I.3 – S’appuyer sur le passé et le présent pour se projeter dans le futur : la délicate gestion des temporalités et l’écueil des dyschronies
I.4 – Se projeter dans le futur lointain : le macro-temps à l’œuvre
Conclusion // PARTIE I
PARTIE II – La construction de la nouvelle entité : de sa réalité de territoire à sa réalité institutionnelle et politique
II.1 – L’EPCI, un espace territorial
II.2 – L’EPCI, un espace public institutionnel
II.3 – L’EPCI, un espace politique/communautaire
Conclusion // PARTIE II
PARTIE III – Les dynamiques sociales pour construire la nouvelle entité et développer une culture commune
III.1 – les figures d’autorité et de la coopération : incarnation et portage
III.2 Fonder les relations et organiser la coopération
Conclusion // PARTIE III
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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