Dans les entrailles de Protopolis, une installation chorégraphique d’ordre autotopographique 

Protocoles pour inventer une ville

Le processus de recherche et d’expérimentation du projet Protocoles pour une ville inventéeest configuré par deux étapes d’exploration qui se développent sur des sites distincts : la ville de Grenoble et le studio de création situé à la Maison de la Création et de l’Innovation – MACI. Ces deux espaces distincts constituent le terrain de cette recherche artistique.
Deux protocoles d’action ont été élaborés pour l’étape d’explorations à Grenoble, l’un à une échelle plus domestique et l’autre à une échelle plus urbaine. Ces protocoles ont servi de balise et de moteur pour les études et les expérimentations sur ce paysage urbain.
Dans cette partie de l’étude, je m’attache à réfléchir à cette étape d’exploration de la ville. Je souligne également les méthodologies sollicitées, en mettant l’accent sur la perspective du corps au cours de cette période d’investigation.

Agir sur le territoire

Avant de me lancer dans une réflexion sur les protocoles d’action mis en place dans le cadre de ce projet, je voudrais porter attention à la triade élémentaire avec laquelle nous entamons cette démarche : temps, espace, corps. La relation entre ces trois acteurs constitue la base de l’expérience de ce projet. Sachant que ces éléments ont déjà été réfléchis par différents théoriciens et théoriciennes – dans des domaines différents – je voudrais ici évoquer certains de ceux qui alimentent et guident la perspective avec laquelle j’aborde cette triade dans le cadre de cette étude.

Le corps comme point de convergence

Commençons par l’espace. Pour le philosophe américain Edward S. Casey, « […] l’espace sert de condition à toutes les choses existantes. Cela signifie que, loin d’être simplement locatif ou situationnel, l’espace appartient au concept même d’existence » [notre traduction]. À partir de cette perspective, j’envisage dans cette étude l’espace comme un aspect indissociable de notre compréhension du corps, donc une condition élémentaire de notre notion « d’être ». Cette vision est également défendue par le géographe Mathis Stock qui défend une définition qui n’envisage pas l’espace « comme étendue, contenant ou surface terrestre, mais comme une condition et ressource de l’action ». Dans les deux approches, l’espace cesse d’être observé à partir d’une perspective métrique et fixe – le périmètre que nos corps occupent –, et est défini par sa capacité à générer du corps et de l’action. Je considère que la potentialité et l’agentivité inhérentes à l’espace sont des caractéristiques essentielles dans le cadre de cette recherche.
Et de ce fait, le corps s’impose comme le point de convergence de toutes expériences de l’espace.
Edward S. Casey affirme que « Mon corps me met continuellement en place. Il est à la fois agent et véhicule, articulateur et témoin de l’être-en-place » [notre traduction].
Cette optique place le corps au centre de l’expérience du lieu. Ce point de vue est partagé par le phénoménologue Dylan Trigg. Il est également conscient du fait que ce qui nous localise dans le monde est notre corps, ce dernier est notre point d’orientation et aussi à travers lequel nous percevons le monde. Dylan Trigg affirme que « la totalité de l’expérience du lieu commence et se termine avec le corps » [notre traduction]. Bien que cette perspective pourrait supposer une hiérarchie du corps sur l’espace, elle dévoile finalement l’interdépendance entre ces deux forces. Cette perspective est partagée par Dylan Trigg, qui suggère que « Le corps active le lieu. Mais la même chose est vraie à l’envers : le lieu active le corps » [notre traduction].
Selon Dylan Trigg l’accent mis sur le corps dans l’appréhension du lieu rend ce dernier « temporellement et spatialement singulier » [notre traduction], puisque chaque individu aura son propre corps – et tout ce qu’il apporte – comme médiateur de cette relation. Dans le cadre de cette recherche, l’accent sur la spécificité de la relation qui s’établit entre moi et Grenoble est essentiel pour la compréhension de ce projet. Cela se justifie par le fait que toutes les données produites au cours des explorations et de la réalisation des protocoles ne cherchent pas une compréhension généralisée des aspects de l’urbanité grenobloise. Les données explicitent plutôt un regard spécifique qui passe par l’expérience unique de mon corps avec cet espace et temps. Selon Dylan Trigg, cet angle est inévitable car « non seulement le corps est très spécifique à un lieu particulier […] mais la relation que nous avons avec n’importe quel endroit donné est unique et irréductible »[notre traduction].
Un autre aspect que je voudrais évoquer ici est celui de l’ordre de la temporalité. Dylan Trigg suggère que « la temporalité et la spatialité sont intimement liées, chacune impliquant l’autre » [notre traduction]. Cette caractéristique ressort comme un facteur important dans ce projet, puisque sa réalisation s’étend sur une période de presque un an.
La temporalité est donc, un autre acteur qui met en tension, modifie et façonne ma relation entre cet espace et temps imbriqués avec l’expérience de mon propre corps. Cela signifie que, dans cette démarche, la triade temps-espace-corpsincarne un système en constante interaction et transformation, influençant et reconfigurant mutuellement mon expérience avec ce paysage urbain.

Les échelles d’expérience urbaine

En octobre 2020, j’ai commencé à mobiliser les premières réflexions qui ont engendré l’étape d’expérimentation qui serait consacrée à l’espace de la ville de Grenoble.
À ce stade, il était clair pour moi que le cœur de l’étude serait la relation entre le corps et l’urbanité de Grenoble. Pour procéder à cette exploration, j’ai délimité quatre échelles d’expérience urbaine dans la ville de Grenoble : l’échelle intime, l’échelle architecturale, l’échelle massive et l’échelle tacite. Ces dernières ont été délibérément adoptées après une première réflexion qui visait à choisir des caractéristiques correspondant à un premier regard sur ce paysage urbain. J’ai défini ces quatre perspectives comme suit : L’échelle intime est liée à un périmètre personnel, à la fois le mien et celui des habitants de la ville.
Elle est liée aux mouvements qui se construisent quotidiennement, aux déplacements et aux relations interpersonnelles. À son tour, l’échelle architecturale renvoie à l’urbanisme de la ville, ses bâtiments, ses places, ses monuments, son mobilier urbain, ses ponts, ses rues, ses moyens de transport. L’échelle massive concerne les structures et les événements naturels, le grand paysage, tels que les montagnes, les rivières, le ciel, les nuages, les bois, le climat. Enfin, l’échelle tacite se communique avec les éléments invisibles de la ville, tels que son histoire, son passé, ses mythologies, ses temporalités, ses tensions, ses coutumes.
L’inspiration pour travailler avec l’idée des échelles d’expérience urbaine, je l’apporte de mon vécu sur la ville où j’ai grandi : Brasilia. Cette dernière est une ville inventée de toutes pièces, construite au centre du Brésil pour accueillir la nouvelle capitale brésilienne, suite à une proposition d’intériorisation et de modernisation du pays. Sa conception est le résultat d’un concours, organisé en 1957, et remporté par Lúcio Costa, un urbaniste brésilien né en France, responsable du plan d’urbanisme de la ville.
L’inauguration de la nouvelle capitale a eu lieu le 21 avril 1960. Cependant, ce n’est qu’en 1961 que Lúcio Costa définira ce qui, selon lui, « caractérise et donne un sens à Brasília », ses quatre échelles urbaines qu’il définit comme suit :
L’échelle résidentielle ou quotidienne ; l’échelle dite monumentale, dans laquelle l’homme acquiert une dimension collective, expression urbanistique de ce nouveau concept de noblesse. Enfin, l’échelle grégaire, où les dimensions et l’espace sont délibérément réduits et concentrés afin de créer un climat favorable au regroupement.
Nous pouvons également ajouter une quatrième échelle, l’échelle bucolique des espaces ouverts destinés aux week-ends au bord du lac ou à la campagne.
La relation de mon corps avec ces quatre échelles a toujours été vivante dans mon expérience avec Brasília. L’expérience conceptuelle et concrète de ces caractéristiques dans ma vie quotidienne a forgé en moi un regard spécifique sur l’espace urbain de la ville où j’ai grandi. Par conséquent, ce regard forgé dans une relation avec Brasilia devient un paramètre avec lequel je regarde les autres villes que je traverse. Dylan Trigg souligne que l’unicité de chaque individu sera également marquée par d’autres endroits « que nous emportons avec nous » [notre traduction]. En d’autres termes, les résidus provenant d’autres espaces vécus imprègnent la façon dont nous habitons le monde. Cette pensée est corroborée par la manière dont mes expériences urbaines antérieures ont influencé la relation spécifique que je construis avec la ville de Grenoble. Et donc, élire quatre échelles qui caractérisent Grenoble est une preuve de cette influence.
Transposer cette perspective des échelles urbaines à mon expérience avec Grenoble a été un moyen que j’ai trouvé pour aborder et identifier les caractéristiques de ce paysage urbain. Depuis ces aspects, je pourrais enquêter les spécificités de son urbanité. Segmenter l’expérience de la ville de Grenoble dans une proposition de quatre échelles (intime, massive, tacite et architecturale) était, donc, un moyen que j’ai trouvé pour établir les premiers paramètres d’action et de réflexion sur ce territoire – un paramètre encore fluide et mobile que je ne garderais pas obligatoirement dans toute la continuité du projet.
Et même s’il a été méthodologiquement choisi de les séparer, je comprends qu’il existe un processus de contamination et de croisement entre les quatre échelles. C’est l’agencement et l’interaction de tous ces aspects – et de nombreux autres qui se chevauchent – qui caractérisent et donne forme à « l’âme de la ville ». Ainsi, lorsque je fais ce choix, je dessine pour moi-même une première ébauche de ce que serait cette âme de Grenoble.
Cela est une évaluation fondée, on l’assume, sur un premier regard extérieur de quelqu’un qui ne maîtrise pas profondément les strates de cette ville et qui apporte d’autres expériences urbaines qui sont mise en tension avec ce territoire.
Je peux donc dire que le choix de cette catégorisation en quatre échelles est déjà, en quelque sorte, une première réponse théorique-performative à l’urbanité grenobloise, puisqu’elle naît de la friction entre un référentiel culturel que je porte en amont et mon expérience actuel avec la ville de Grenoble. C’est-à-dire que c’est une proposition méthodologique qui n’émerge pas d’une méthode d’analyse déjà établie précédemment pour la recherche, mais d’une articulation entre ce que j’apporte comme bagage référentiel et une première expérience d’immersion réflexive sur ce paysage urbain.

Inventivité méthodologique ou méthodologie sur mesure

Cette première proposition méthodologique basée sur une approche empirique sur le terrain révèle un fait important que nous pourrons retrouver tout au long de ce projet : « l’invention » d’outils méthodologiques spécifiques au contexte qui est présenté dans ce projet. Une sorte de méthodologie sur mesure qui s’approprie, emprunte, reconfigure et rassemble des outils méthodologiques issues d’autres domaines de recherche, de telle sorte que cette « nouvelle » méthode que s’installe au sein de cette étude répond à un contexte de recherche spécifique, et peut ou non fonctionner dans d’autres démarches. Ce type d’approche est appelé « bricolage méthodologique » par Sylvie Fortin, professeure du Département de Danse de l’Université du Québec à Montréal. Elle définit ce mouvement comme « l’intégration d’éléments venus d’horizons multiples, ce qui est loin d’un syncrétisme effectué simplement par commodité ». L’idée de reconfigurer les méthodologies pour le déploiement de nouvelles approches de recherche est également défendue par elle, qui encourage « le développement possible de méthodes de recherche adaptées aux besoins de la pratique artistique ». Je crois que, d’un point de vue épistémologique, cette marge d’inventivité – même sur le plan méthodologique ou analytique – est quelque chose d’inhérent au processus de recherche dans les pratiques artistiques, étant donné la spécificité de la pratique artistique elle-même – un domaine qui mobilise des aspects liés au sensible, au subjectif et à l’expérientiel.
Pierre Gosselin, professeur de l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal, fait écho à cette même pensée, en mettant également en lumière l’importance des méthodologies capables d’unir les aspects expérientiels et conceptuels de la recherche. Pour lui, en raison de la spécificité de la recherche dans la pratique artistique, les artistes chercheurs « doivent en quelque sorte se donner une méthode permettant d’articuler un savoir émergeant du terrain d’une pratique ou d’une pensée expérientielle et la pensée conceptuelle collaborent de façon particulière ». Le fait de se « donner » une méthodologie met en évidence le caractère de spécificité de la recherche en art, puisque la profusion d’approches et d’esthétiques entraîne l’impossibilité d’un cadre fixe comme paramètre unique pour toutes les démarches, de sorte que l’artiste chercheur en tant qu’agent actif de sa recherche doit trouver les méthodes les plus adaptées à la démarche qu’il mène. Cette mise au point méthodologique peut être façonnée par la pratique elle-même, qui définira ses besoins spécifiques, ou par l’emprunt et l’adaptation d’autres méthodologies provenant d’autres domaines de pensée.

Quadrilatères: un protocole sur le regard

Au cours de mes promenades à vélo dans la ville de Grenoble, je me suis intéressé à ce qui était affiché à l’intérieur des cadres de fenêtres pendant les secondes où elles entraient dans mon champ de vision. En raison du déplacement rapide du vélo, je ne percevais que de petits fragments de l’intérieur des fenêtres, comme, par exemple, une télévision allumée diffusant un programme quelconque ; une personne frottant des casseroles dans l’évier de la cuisine ; une conversation entre deux hommes qui se ressemblent physiquement ; quelqu’un lisant assis en tailleur dans son fauteuil ; une pièce vide. Des petits faits quotidiens sans importance. Des petits fragments isolés de la vie de quelqu’un. Instinctivement, je « complétais » ces fragments de vie quotidienne avec un fait que j’imaginais pouvoir justifier l’événement exposé, le fictionnalisant avec un donnée qui pouvait être aussi bien être de l’ordre du passé que du futur. Par exemple, quelqu’un qui regarde tous les jours le même programme télévisé juste après être rentré fatigué d’une journée de travail qu’il n’a jamais songé à changer, bien qu’il ne se sente pas totalement épanoui professionnellement ; une personne qui lave les casseroles utilisées lors du dernier dîner qu’elle a mangé seule ; une conversation entre deux frères qui ne se voient pas souvent et qui, de ce fait, n’ont pas beaucoup de choses à échanger, seulement l’essentiel ; une personne qui lit des livres en quête de développement personnel ; une personne qui a quitté précipitamment la maison parce qu’elle était en retard pour un rendez-vous important et a oublié d’éteindre la lumière. Ce mouvement qui s’est établi naturellement dans mon expérience avec la ville m’a inspiré la mise en place d’un premier protocole d’action pour déclencher les explorations qui font partie de l’étapes d’investigation dans la ville : Protocoles pour une ville inventée. Au cours de la réalisation de ce premier protocole d’action, je me suis penché sur des réflexions sur ce que j’ai défini précédemment comme l’échelle intime.

Sur le seuil des fenêtres

La première étape de cette recherche commence à être conçue dans un contexte incertain où la distanciation sociale et la limite du déplacement ont été imposées en raison des mesures sanitaires pour faire face au COVID. Ce cadre m’a éloigné de la conception d’une proposition artistique plus relationnelle ou performative. Cela a aussi limité mes expériences avec la ville au studio de répétition à la MaCI, mon domicile et les déplacements entre les deux lieux. Et c’est à ce moment du processus de création que les réflexion sur l’échelle intime de la ville se présente dans les explorations. Je m’intéressais à la manière dont cette strate de la ville nous singularise et rend évident différents accords sociaux qui peuvent régler nos relations interpersonnelles. Ainsi, une première question est soulevée : quelle est la limite tacite qui s’impose dans l’enquête qui cherche à comprendre de l’intimité de quelqu’un hors de mon cercle personnel ?
Ce questionnement me pousse à concentrer les explorations sur un élément de l’urbanité qui pourrait représenter les caractéristiques de l’échelle intime dans une agglomération urbaine: la maison. Cette dernière comme un élément représentatif de l’ordre du privé, de l’intime et du personnel. Ayant l’espace de la maison comme ce noyau intime de chaque individu, la fenêtre surgit comme élément clé de cette enquête, puisqu’elle représente le portail qui relie deux qualités opposées qui coexistent dans la ville : le public et l’intime. Je souhaitais interroger cette ouverture qui délimite la frontière ténue entre divers paramètres dichotomiques qu’on retrouve dans l’expérience urbaine : le dangereux et le sécurisé ; l’intérieur et l’extérieur ; le fini et l’infini ; le contrôlé et l’imprévisible ; le privé et le public ; le soi et l’autre. Dans ce lieu de frontière, je m’intéresse à ce qui était affiché dans les cadres des fenêtres de la ville : des petits fragments de quotidien qui s’ouvrent au public à travers le cadre de la fenêtre, ainsi qu’à la relation et posture de l’observateur à cet événement dévoilé.
Sachant que le cadre de la fenêtre est ce portail qui relie le public et le privé, y a-til quelque chose de public dans ce qui est montré à l’extérieur ? Et si oui, pourrait-on s’approprier de ces éléments ? Ces questions ont alimenté les réflexions qui ont précédé le début de ce protocole d’action.
Un premier protocole d’action pour affronter l’échelle intime de la ville est mis en place, ce que j’ai intitulé Quadrilatères. Lors de mes déplacements dans la ville, je me plaçais dans une position de disponibilité pour les événements qui se manifestaient dans les différentes fenêtres et façades de la ville. Sans nécessairement élire une cible spécifique ou un lieu précis à observer, je me laissais déambuler sans avoir la prétention d’avoir un fragment de vie quotidienne à observer. Cependant, lorsque quelque chose m’attirait l’œil, je recueillais mentalement cette image afin de pouvoir, plus tard, fictionnaliser un passé ou un présent pour ce fragment d’intimité.
Pour cette récolte, je devais me servir d’une observation quotidienne, en essayant de ne pas conduire mon regard dans une perspective objective ou productive. C’est-à-dire éviter de se déplacer dans la ville dans le but de trouver des fragments dans les fenêtres, mais laisser ces fragments rencontrer mon regard flottant. Cette perspective représentait un défi pour moi, car la limite entre la réalisation du prototype et le simple fait de vivre ma vie quotidienne était très subtile. Le résultat a été une contamination entre ces deux perspectives de telle sorte que le protocole artistique s’est confondu avec ma vie quotidienne.
Je renforce que cette enquête n’avait pas une posture inquisitrice en soi, c’est-àdire qu’elle n’était pas configurée comme une chasse aux événements affichés dans les cadres des fenêtres. Au contraire, le but était de laisser émerger ces fragments de manière spontanée, en les laissant traverser mes activités quotidiennes dans un second plan. Cette collecte préserve l’anonymat des personnes, afin de regarder ces fragments comme une image ou un tableau d’un événement impersonnel. L’objectif était de traiter cette collection pour sa matérialité et pour ce qu’elle évoque en tant que récit fictif.

Approches croisées entre protocole d’action et programme performatif

Le terme protocole ou protocole d’action est adopté pour définir cet outil de recherche qui permet de créer des occasions pour expérimenter les échelles de la ville.
Dans ce projet, ce mot est employé comme une balise dans le champ d’exploration. Il fixe les règles et les critères conceptuels et pratiques qui seront pris en compte lors des explorations – qui peuvent parfois prendre la forme d’une consigne, d’une liste d’actions ou d’un réseau d’expériences qui s’enchaîne. Ces derniers conservent une certaine malléabilité, car les protocoles peuvent être adaptés en fonction de l’évolution de la recherche.
L’idée de protocole – comme un outil qui crée des circonstances pour mettre le corps en expérience avec la ville – est basée et inspirée de la notion de programme performatif élaborée par Eleonora Fabião, performeuse et professeure de l’Université Fédéral de Rio de Janeiro – UFRJ. L’artiste qui se définit comme quelqu’un « qui fait des actions », adopte le mot programme en s’inspirant de l’utilisation du terme par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans 18 novembre 1947 – Comment se faire un corps sans organes ? . Pour les philosophes, le programme est défini comme « moteur d’expérimentation ». Utilisant cette réflexion pour les études sur la performance, Eleonora Fabião défend que « la déconstruction de la représentation, si fondamentale dans l’art de la performance, s’opère à travers une procédure compositionnelle spécifique » [notre traduction], qu’elle appelle « programme performatif» [notre traduction]. Selon elle, le programme peut être défini comme suit :
Le programme est le moteur de l’expérimentation, car la pratique du programmecrée du corps et des relations entre les corps ; elle déclenche des négociations d’appartenance ; elle active des circulations affectives impensables avant la formulation et l’exécution du programme. Le programme est le moteur de l’expérimentation psychophysique et politique. Ou, pour reprendre un mot cher au projet politique et théorique d’Hanna Arendt, les programmes sont des initiatives. [notre traduction]
Pour Eleonora Fabião, cette procédure compositionnelle prendra la forme d’une consigne qui « permet, guide et entraîne l’expérimentation » [notre traduction].
Concrètement, cette consigne se traduit par « un ensemble d’actions préalablement stipulées, clairement articulées et conceptuellement polies, à être exécuté par l’artiste, par le public ou par les deux, sans répétition préalable » [notre traduction]. En prenant comme exemple le protocole discuté dans ce chapitre, nous pourrions appliquer cette méthodologie en adoptant la consigne suivante : collecter des fragments de la vie quotidienne qui sont montrés dans les cadres des fenêtres de la ville et ensuite construire des récits fictionnels avec ces éléments. Dans ce cas, la consigne délimite et pousse à une action spécifique qui permet une expérience concise et bien circonscrite dans un contexte objectif.

Primaires, un protocole qui interroge les rencontres urbaines

Après deux mois de réflexion sur l’échelle intime de la ville à partir du protocole d’action traité dans le chapitre précédent, j’ai ressenti le besoin de me lancer dans des expériences qui se dérouleraient en dehors de mon périmètre domestique. Ce désir est né après avoir considéré que le premier protocole avait une circonscription très délimitée, de sorte que pour découvrir d’autres couches d’expérience avec la ville, je devais quitter le domaine intime, contrôlé et sûr de ma maison et me lancer dans un environnement public, imprévisible et incontrôlable : les rues de Grenoble.
Pour le deuxième protocole, une image poétique est sollicitée : le cycle de vie des tortues. Ce dernier m’habitais depuis long temps compte tenue de la manière bien particulière dont celui se déploie : une chaîne d’étapes qui se déroulent sur un même cycle, ramenant toujours les tortues à leur point de départ chaque fois qu’elles génèrent un nouveau cycle. Cet aspect rend évident une condition implicite du cycle de vie des tortues — revenir à la plage où elles sont nées —, ce qui en quelque sorte peut rejoindre l’idée de l’échelle tacite de la ville. C’est-à-dire, des éléments invisibles qui nous traversent et influencent notre expérience, tels que les coutumes, l’histoire, les accords sociaux. Pour cette raison, je m’inspire de trois étapes du cycle de vie des tortues pour créer le deuxième protocole d’action intitulé Primaires. Les étapes sur lesquelles je me base sont les suivantes : la ponte– le moment où la tortue adulte quitte la mer et monte sur la plage pour pondre ses œufs fécondés ; l’éclosion et la maturation– le stade où les petits quittent le nid et traversent la plage pour se lancer dans la mer, où ils restent jusqu’à l’âge adulte ; et le retour à l’espace où ils sont nés – le moment où la tortue femelle retourne sur la plage pour pondre des œufs et relancer ainsi un autre cycle de vie des tortues.
Primairesprend la forme d’un déclencheur d’actions qui se développe de manière cyclique, comme la vie des tortues. Différents aspects de chacune de ces trois étapes — la ponte, la maturation et le retour à la plage — ont été utilisés comme moteurs symboliques pour créer des actions qui traitent de la vie urbaine à Grenoble. Dans ce chapitre, nous aborderons les spécificités de chaque étape de ce protocole d’action, en mettant l’accent sur la manière dont cet image symbolique a déclenche des actions qui traitent d’éléments liés à l’échelle tacite du paysage urbain grenoblois.

 

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Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Partie 1 – Protocoles pour inventer une ville
Chapitre 1. Agir sur le territoire
1. Le corps comme point de convergence
2. Les échelles d’expérience urbaine
3. Inventivité méthodologique ou méthodologie sur mesure
4. Bricoler des outils de l’autoethnographie pour la recherche en création
Chapitre 2. Quadrilatères : un protocole sur le regard
1. Sur le seuil des fenêtres
2. Approches croisées entre protocole d’action et programme performatif
3. Entre l’observateur et l’observé
4. Fictionnaliser l’autre, créer des récits de soi
Chapitre 3. Primaires, un protocole qui interroge les rencontres urbaines
1. La gestation : création d’un objet relationnel qui interroge la rencontre
2. La ponte : quand un objet relationnel rencontre l’espace urbain
3. L’éclosion : lorsque la potentialité de la rencontre s’actualise
4. Le retour : Tisser des trajectoires dans le temps et l’espace
Partie 2 – Processus créatif de Protopolis
Chapitre 4. Entre autobiographie et topographie
1. Perspectives autobiographiques dans la construction d’une œuvre
2. Perspectives autotopographiques dans la construction de l’œuvre
Chapitre 5. Construire un espace inventé, installer une action chorégraphique
1. Topographie immersive
1.1 Matérialité et chromaticité
1.2 Créer des reliefs, construire des horizons possibles
1.3 La perspective in situ comme outil de composition
2. L’affordance de la matière comme moteur chorégraphique
2.1. Mythes et théories de la création de l’espace
2.2. Dans la grotte, perspectives souterraines
2.3. L’auto-atmosphère dansante
Chapitre 6. Déclinaison des expériences avec la ville en propositions chorégraphiques
1. Le regard
2. Le drapeau blanc
3. Les cartes
Partie 3 – Dans les entrailles de Protopolis, une installation chorégraphique d’ordre autotopographique 
Chapitre 7 – Protopolis, une installation chorégraphique
1. TABLEAU #01 – Genèse, ou ce que la ville enterre
2. TABLEAU #02 – Les drapeaux sont des murs entre les gens
3. TABLEAU #03 – La perversion du regard
4. TABLEAU #04 – La grotte, le souterrain, la tente
5. TABLEAU #05 – L’atmosphère, l’œuf, la suffocation
6. TABLEAU #06 – La ville des tortues
Chapitre 8 – Disséquer l’expérience
1. Entre les objets, les choses, les matières et les corps
1.1. L’ascension vers la « chose »
1.2. Corps enterré
2. Entre, répétition, insistance et différence
2.1 Le piège de la temporalité
2.2 Cycles de différence
3. Entre immerger, habiter, porter et tracer
3.1 Un espace pénétrable
3.2 Transmutabilité du corps-matière
3.3 Le trait comme geste biographique
Chapitre 9 – Création d une autotopographie
1. Résidus de temps passés
2. Étendre le corps au-delà de ses frontières
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Table des illustrations
Table des annexes
Table des matières

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