Dangerosité et santé mentale

Dangerosité et santé mentale

Définitions et concepts

Le terme de dangerosité renvoie à une notion complexe, difficilement quantifiable, non nécessairement associée aux troubles mentaux. Elle reste cependant le ‘mythe fondateur’ de la psychiatrie. Le concept de dangerosité émerge au XIXème siècle avec l’école positiviste et l’essor de la criminologie (Garofalo, 1885). Selon le criminologue italien, Raffaele Garofalo (22), « c’est la quantité de mal qu’on peut redouter de la part d’un individu ». Ce concept de dangerosité prend progressivement de l’ampleur plus récemment dans les années 1980, en lien avec un climat global d’insécurité, tant sur le plan social que politique et juridique (25). Selon Senninger (46), la dangerosité nait de la confrontation de trois éléments : “l’auteur, son environnement socio-affectif, et la victime”. Cela met en évidence les interactions entre sujet et environnement et l’existence de facteurs de risque dynamiques de violence, modifiables, et donc accessibles à des mesures de prévention ou de contrôle social. Un certain nombre de circonstances réunies à un moment dans la vie du sujet exposent à cette dangerosité. On peut donc plus parler d’état ou de moment dangereux que de patient dangereux.

Selon un rapport de l’HAS de 2011 (25), le danger se définit par « ce qui menace ou compromet la sûreté, l’existence de quelqu’un ou de quelque chose. » La dangerosité quant à elle est « une perception subjective, qui connaît des évolutions en fonction des temps et des lieux au regard des exigences variables du droit pénal positif et de la protection de la société » (25). Cette définition de l’HAS met en avant le caractère subjectif et culturel de la notion de dangerosité. Celle-ci dépend du système de valeurs morales propres à la société à une époque donnée, de la tolérance de celle-ci aux différentes formes d’atteinte à la vie et aux mœurs et des connaissances scientifiques de l’époque. La dangerosité est habituellement assimilée à un risque, une probabilité de passage à l’acte violent dans les études internationales. Elle est ainsi évaluée par le biais de ces passages à l’acte violents ou de condamnations pour actes de violence (12).

Dangerosité et santé mentale : historique et représentations 

La genèse de la psychiatrie
L’association entre maladie mentale et dangerosité remonte aux origines de la psychiatrie avec le courant aliéniste de la fin du XVIIIème siècle.

Avant cette période, et ce depuis l’édit royal de 1656, s’opérait ce que l’on appelle « le Grand Enfermement ». Dans les Hôpitaux Généraux de toutes les grandes villes et les gros bourgs étaient regroupées toutes les personnes constituant une charge pour la société (fous, délinquants, débauchés, marginaux, mendiants, etc…). Cette mesure venait répondre à une paupérisation importante de la population à la fin du XVIème siècle et au début du XVIIème (26). Dans ces Hôpitaux Généraux, aucune distinction n’était faite entre fou et criminel. Cet enfermement n’avait aucune visée médicale, mais faisait fonction de régulateur social, moral et économique. C’est dans ce contexte que Philippe Pinel fut nommé médecin-chef de l’Hôpital Général de Bicêtre en 1793. Il prôna la sortie des malades mentaux de ces Hôpitaux Généraux et l’instauration de structures de soins spécifiques pour les accueillir. Les fous passèrent alors du statut de criminels à celui de malades mentaux (26, 46). C’est le mythe de la ‘libération des chaines’ à Bicêtre, tel qu’illustré par le tableau de Tony Robert-Fleury de 1876 (44).

Philippe Pinel continua ses travaux lorsqu’il fut muté en tant que médecin-chef à la Salpêtrière en 1795, où il écrivit son « Traité médico-psychologique sur l’aliénation mentale » (1801-1809) (6, 23, 26). Pour Philippe Pinel, l’aliénation mentale était pourvoyeuse de tous les excès (7), et notamment d’actes criminels, ces derniers s’expliquant par un état de démence ôtant à leur auteur toute responsabilité. Le sujet, avant tout victime de ses troubles, devait bénéficier de soins spécifiques dans des établissements adaptés. En accord avec ces principes, sous l’impulsion d’aliénistes tel qu’Esquirol, élève de Pinel, la loi du 30 juin 1838 dite ‘loi des Aliénés’ imposa ultérieurement l’établissement d’un asile d’aliénés dans chaque département, établit deux modes d’hospitalisation, le placement volontaire et le placement d’office, et posa ainsi les fondations de la psychiatrie française pour les 150 ans à venir .

Les années 1970 et la désinstitutionnalisation 

La psychiatrie prit un nouveau tournant à partir de 1952, avec l’apparition du premier traitement neuroleptique (17). L’introduction de traitements pharmacologiques permettant une stabilisation clinique fit se poser la question de la réinsertion sociale de ces patients psychotiques. L’évolution du système asilaire débuta dans les années 1970 en France, avec les courants de désinstitutionnalisation de la psychiatrie et de l’anti-psychiatrie (1). Cette politique, humaniste mais aussi économique, entraina progressivement le développement de structures extra-hospitalières, la fermeture de lits d’hospitalisations à temps complet, diminua les durées d’hospitalisations, ouvrit les Hôpitaux psychiatriques vers l’extérieur. L’objectif était de privilégier une prise en charge ambulatoire des patients et ainsi de favoriser leur insertion dans la société. Certaines auteurs allèguent que l’insuffisance de structures extra et intra-hospitalières résultante amena de nouvelles problématiques : patients en situation d’errance, mauvaise compliance aux soins, conduites addictives, voire hausse de la criminalité (1, 59). L’autre conséquence fut la proximité accrue de la société avec les malades mentaux, dorénavant sortis de ce système asilaire fermé, alimentant de ce fait la peur du malade mental laissé sans surveillance .

Représentations collectives et maladie mentale

L’imaginaire collectif associe maladie mentale et dangerosité, plus particulièrement en ce qui concerne la schizophrénie (9, 24, 42). Dans une enquête française de 2002 portant sur l’image de la schizophrénie auprès du grand public, 48% des personnes interrogées considéraient les personnes souffrant de schizophrénie comme dangereuses envers autrui (42). L’image du « fou dangereux » commettant un acte de violence gratuit est entretenue par les médias au travers de faits divers très médiatisés. L’acte violent est synonyme de folie pour le grand public car destructeur, incontrôlable, et semblant échapper à toute raison (7). Les psychiatres sont de plus en plus amenés, dans un contexte de demande sécuritaire croissante, à exercer un rôle de contrôle d’une population désignée comme ‘à risque’, celle des malades mentaux, alors que dans les faits les patients sont plus souvent les victimes d’actes de violence qu’ils n’en sont les auteurs .

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Table des matières

INTRODUCTION
Première partie : Dangerosité et santé mentale
I) Définitions et concepts
II) Dangerosité et santé mentale : historique et représentations
a) La genèse de la psychiatrie
b) Les années 1970 et la désinstitutionnalisation
c) Représentations collectives et maladie mentale
III) Etudes épidémiologiques concernant les troubles mentaux graves et la dangerosité
IV) Facteurs associés aux comportements violents chez les sujets présentant une maladie mentale grave
a) Les éléments cliniques
b) Les éléments sociodémographiques
c) Les éléments biographiques
d) Les substances psycho-actives
e) Les facteurs liés à la prise en charge psychiatrique
f) Les facteurs environnementaux
Deuxième partie : Une étude descriptive et comparative en Unité pour Malades Difficiles
I) Introduction
II) Objectifs
III) Méthodes
a) Type d’étude et définitions
b) Critères d’inclusion et d’exclusion
c) Recueil des données
d) Analyse statistique
1) Variables quantitatives
2) Variables qualitatives
IV) Résultats
1) Facteurs socio-démographiques
a) Age d’admission en UMD
b) Modèle familial dans l’enfance
c) Niveau d’études
d) Statut professionnel lors du passage à l’acte
e) Présence actuelle d’une mesure de protection juridique
2) Facteurs cliniques
a) Diagnostic actuel
b) Age lors du diagnostic actuel
c) Nombre de diagnostics différents sur vie entière
d) Motifs d’admission des hospitalisations précédentes
e) Antécédent de tentative de suicide
3) Les substances psycho-actives
a) Consommation de substances psycho-actives
b) Types de substances psycho-actives
4) Facteurs liés aux modalités de soins
a) Age du début présumé des troubles psychiatriques
b) Age de première prise en charge pour la pathologie mentale
c) Age de première prise en charge psychiatrique
d) Nombre de séjours en UMD
e) Présence d’une prise en charge psychiatrique lors du passage à l’acte
f) Type de prise en charge lors du passage à l’acte
g) Traitement en rapport avec le diagnostic lors du passage à l’acte
h) Mauvaise observance du traitement lors du passage à l’acte
i) Traitement par clozapine
5) Facteurs biographiques
a) Age lors du passage à l’acte
b) Responsabilité juridique pour le passage à l’acte
c) Antécédents de condamnations avant le passage à l’acte
d) Antécédent d’homicide et de tentative d’homicide avant le passage à l’acte
e) Antécédent d’actes violents avant le passage à l’acte
f) Victimes des tentatives d’homicide et homicides
V) Discussion
VI) Conclusion
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes

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