Élasto-plasticité
La formulation classique du comportement élasto-plastique d’un milieu continu se place dans l’hypothèse de la transformation infinitésimale. Ces modèles de comportement écartent tout effet de vieillissement du matériau et de viscosité. Les modèles élasto-plastiques permettent de décrire un comportement non linéaire avec une déformation irréversible des matériaux. Le schéma des modèles élastoplastiques intègre l’existence d’un palier d’écoulement sur la courbe contraintedéformation et de déformations irréversibles. Cette application permet de décrire de façon relativement satisfaisante les principaux aspects du comportement mécanique des sols saturés, en conservant néanmoins un domaine de réversibilité. Par ailleurs, ce schéma est bien adapté à une implantation dans les logiciels de calcul par éléments finis. Le temps physique n’est pas supposé intervenir (pas d’effet de vitesse). Cette section vise à présenter les notions fondamentales de la théorie de l’élastoplasticité, qui sont, pour un modèle élasto-plastique à un seul mécanisme :
• la partition des déformations, qui décompose le tenseur des déformations totales en la somme du tenseur des déformations élastiques et du tenseur des déformations plastiques ;
• la surface de charge, qui définit le seuil de contrainte au delà duquel le comportement d’un matériau est irréversible ;
• le domaine d’élasticité, qui correspond à l’intérieur de la surface de charge et dans lequel les déformations sont réversibles ;
• le choix des variables internes décrivant la mémorisation de l’histoire des états du matériau (écrouissage, déformations plastiques) ;
• l’écrouissage, qui permet de faire évoluer la surface de charge dans l’espace des contraintes en fonction de l’intensité des sollicitations. Dans ce cas, le domaine d’élasticité varie également ;
• la règle d’écoulement plastique, qui décrit la manière dont évoluent les déformations plastiques et les autres variables internes
• le critère de plasticité parfaite, qui caractérise la rupture du matériau. Lorsque le seuil de contrainte n’évolue pas, ce critère est confondu avec la surface de charge.
Modélisation du comportement des sols granulaires
Résultats expérimentaux L’interprétation des essais triaxiaux en sollicitations monotones réalisés sur des sols 24 2.5 Revue de modèles existants granulaires mène aux observations suivantes relevées par Mestat (2002) :
• Apparition de déformations irréversibles pour de faibles déformations. Le domaine d’élasticité de ces matériaux est très réduit.
• Les sables denses présentent un pic de résistance, suivi d’un radoucissement progressif. Le cisaillement imposé conduit alors dans un premier temps à une compression de l’échantillon suivie d’une augmentation de volume.
• Les sables lâches ne présentent pas de pic de résistance avant d’atteindre une valeur asymptotique limite. Le volume de l’échantillon diminue durant toute la durée de l’essai.
• L’enveloppe des points de rupture (équivalente au palier d’écoulement plastique sans déformation volumique) dans le plan de Mohr , est une droite passant par l’origine, tant pour un sable lâche que pour un sable dense ( contrainte normale et contrainte tangentielle locale) .
• Lorsqu’il y a changement de comportement volumique, avec un passage d’une phase de contraction à une phase de dilatance, l’état du sol est appelé « état caractéristique ».
• La déformation volumique tend ensuite vers une limite pour les grandes déformations. La condition d v=0 correspond à la notion « d’état critique ».
• Pour les fortes pressions de confinement, une courbure de l’enveloppe de rupture apparaît vers l’axe des compressions isotropes.
• Les essais sur presse tridimensionnelle montrent une enveloppe de rupture en forme de triangle curviligne dans le plan déviatorique (illustration 2.2, Lade (1977)). Néanmoins, cette enveloppe ne présente pas de points anguleux.
• Pour les sables humides ou légèrement cimentés, l’enveloppe de rupture ne passe plus par l’origine et le matériau présente donc une cohésion. Les résultats d’essais sous sollicitions cycliques permettent de mettre en évidence les points suivants (Cambou et Hicher, 2002) :
• Effet de l’histoire de chargement en contraintes qui agit essentiellement sur la partie déviatoire de la réponse. Cet effet traduit l’évolution d’une anisotropie induite avec l’histoire de chargement.
• Effet des variations de volume qui se traduit par une augmentation de densité en régime drainé ou une diminution de la contrainte effective en conditions non drainées, qui peut conduire à la liquéfaction des sols.
Modèles de comportement Pour représenter le comportement des sables sous chargement monotone, différentes approches de modélisation dans le cadre de l’élasto-plasticité ont été mises en place :
• Modèle élasto-plastique parfaitement plastique : surface de rupture de MohrCoulomb.
• Modèles élasto-plastiques à deux mécanismes : la majorité de ces modèles associe un mécanisme plastique pour les sollicitations déviatoires (cisaillement) et un second pour les sollicitations isotropes. Jenck (2005) a établi une revue bibliographique étendue des modèles de ce type, dont le modèle CJS2 dans son approche hiérarchisée mise en place par Maleki (1998).
• Modèles élasto-plastiques à un mécanisme fermé sur l’axe des compressions isotropes (« cap model »). Jenck (2005) propose également une revue bibliographique de ces modèles, dont les modèles de Desai (1980) ou encore de Nova (1982) basé sur le modèle de Cam-Clay (présenté au §2.5.2.4 ).
Les modèles de type élasto-plastique basés sur un seul critère de plasticité (MohrCoulomb), à écrouissage isotrope (type Cam-Clay), ou bien à deux surfaces de charge développant uniquement des écrouissages isotropes (modèle de Lade (1977)), ne sont pas adaptés à la modélisation du comportement des sols sous sollicitations cycliques, mais donnent des résultats acceptables pour des chargements monotones. Dans le cadre de l’élasto-plasticité, un écrouissage mixte apparaît nécessaire pour reproduire les phénomènes cycliques observés pour les sables. Cependant, la modélisation de l’anisotropie induite par la rotation des contraintes principales reste un des points les plus délicats. Des modèles adaptés aux comportements des sables sous chargements cycliques existent et ont notamment été proposés par Ghaboussi et Momem (1979, 1982), Manzari et Dafalias (1997), Desai (1994) et Fang (2003), Hujeux (1985), Prévost et Keane (1990). Ces modèles intègrent de l’écrouissage cinématique en translation, rotation ou mixte, avec un ou plusieurs mécanismes plastiques.
• Ghaboussi et Momem (1982) proposent un modèle cyclique pour les sables en utilisant un écrouissage isotrope et cinématique de la surface de charge. Le module d’écrouissage est supposé et les déformations volumiques sont calculées à partir d’une relation semi-empirique. Les déformations déviatoires sont issues d’une loi d’écoulement non associée. Ce modèle sous-estime la part des déformations plastiques de cisaillement, tandis que les déformations volumiques sont en bon accord avec les résultats.
• Le modèle élasto-plastique de Manzari et Dafalias (1997) est basé sur le concept d’état critique. Il combine deux surfaces de charge et la théorie de plasticité à surface limite (« bounding surface plasticity »). L’idée majeure de la plasticité à surface limite est construite sur la notion d’une surface englobant tous les états de contrainte possibles. La distance entre l’état de contrainte et son image sur la surface limite est utilisée pour évaluer le module d’écrouissage. La prise en compte de ces deux surfaces permet de définir une transition douce de l’état élastique à l’état plastique. Dans le cadre de la plasticité généralisée, Pastor et al. (1990) définissent un modèle capable de représenter le comportement des sables sous sollicitations cycliques. Khoei et al. (2004) réalisent des simulations de tenue au séisme de digues en terre avec ce modèle en comparaison des résultats obtenus avec les « cap models ». Ils démontrent que cette approche permet notamment de mieux rendre compte du comportement réel de ces ouvrages sous séismes, notamment avec l’application sur le barrage de San Fernando, où la montée de pression interstitielle dans le barrage se produit après le séisme, phénomène observé lors du séisme de 1979. Ce modèle a également été utilisé par Fernandez Merodo (2001) pour simuler le phénomène de liquéfaction d’un talus de sable lâche sous chargement sismique.
Anisotropie des argiles naturelles
Les modèles de type Cam-Clay représentent bien un grand nombre de phénomènes qui caractérisent le comportement des argiles normalement consolidées sous chargement monotone. En revanche, ces modèles ne permettent pas de décrire les phénomènes typiques qui apparaissent dans les sables ou les argiles surconsolidées. Les modèles de type Cam-Clay ne tiennent pas compte de l’anisotropie des argiles naturelles, due au mode de déposition des matériaux. Ces modèles ont été développés en considérant les sols comme isotropes. Des évolutions ont donc été apportées pour corriger ces points. Il existe notamment le modèle Mélanie développé par Kattan (1990), Lepidas et Magnan (1990) et Mouratidis et Magnan (1983) cités par Mestat (2002). Ce modèle élasto-plastique est finalement construit avec une surface de charge à écrouissage isotrope et une relation élastique linéaire anisotrope.
Relation de comportement de Hujeux
Le modèle de comportement des sols de Hujeux a été développé par les chercheurs de l’Ecole Centrale Paris (ECP) dans les années 1980 afin de représenter la rhéologie des sols pour des chargements alternés, par exemple sous séisme. Cette relation de comportement de mécanique des sols est un modèle multi-mécanismes, caractérisé par deux fois quatre surfaces de charge avec écrouissage : trois reliées à des mécanismes déviatoires et une à un mécanisme isotrope, définies pour des trajets monotones et des trajets cycliques. Les mécanismes déviatoires sont définis sur trois plans fixes, ce qui induit une orthotropie de comportement du sol. Les mécanismes sphériques reproduisent la forte non-linéarité du comportement des géomatériaux sur un chemin de chargement isotrope. Au Laboratoire MSSMat de l’ECP, il existe plusieurs versions du modèle de Hujeux mises en œuvre dans le logiciel éléments finis GEFDyn :
• une version V0 intégrée en explicite, avec les 4×2 mécanismes d’écrouissage dans un repère cartésien fixe ( x , y ,z ou r , ,z (Costa D’Aguiar, 2008)), et une élasticité non linéaire. Ce modèle correspond au modèle implanté, en implicite, dans le cadre de cette thèse dans le logiciel Code_Aster ;
• une version V1, dite ISOGEO, exprimée en contraintes principales, sur le repère déterminé au pas précédent puis réactualisé, établie par Piccuezzu (1991) mais peu expérimentée par l’ECP ;
• une version V2, dite GEOMAT, où les critères de plasticité sont exprimés dans les plans de cisaillement et de contraintes normales, sur un à trois des plans fixes. Elle est dédiée aux matériaux cohérents représentant une anisotropie initiale comme de la maçonnerie et des roches, où des variables d’endommagement (quatre pour chaque direction de fissuration : amplitude et direction) ont été ajoutées par rapport au modèle de base élastoplastique. Cette extension du modèle permet de représenter la fissuration et la baisse de raideur anisotrope dans les plans perpendiculaires à la fissuration. Ce modèle a été appliqué en trajet cyclique dans le cadre de la thèse de Piccuezzu (1991). Modaressi (2003) présente l’application de ce modèle aux panneaux de maçonnerie et aux roches.
• Une version V3 (Aubry et al., 1990), dédiée aux interfaces, utilisée notamment dans la thèse de Costa d’Aguiar (2008), qui s’est intéressée aux interfaces sol/pieu et à la localisation des déformations autour des pieux. Cette formulation est utile pour représenter les surfaces de rupture d’une structure en géomatériaux, en poursuite d’un calcul reposant sur une cinématique de milieux continus. Les discontinuités estimées sont ajoutées à partir de l’observation des zones à fort gradient de déformation. Ces modèles ont également été utilisés pour modéliser des discontinuités cinématiques situées à l’intérieur d’un massif rocheux (Lopez-Caballero (2003a)) ou de roche (Modaressi et Aubry (1989)).
Gestion des échecs d’intégration locale
Les actions menées, décrites ci-dessous, interviennent en cas d’échec de l’algorithme de Newton local (§4.3.3 ). Toute modification apportée à M pot conduit nécessairement à reprendre l’intégration locale avec le nouveau domaine M pot . Ce processus de mise à jour de M pot est toutefois limité à cinq tentatives, faute de quoi le modèle de comportement renvoie un indicateur d’échec au niveau global.
• Les premiers cas traités s’intéressent après chaque itération de l’algorithme de Newton au risque de chevauchement de deux surfaces de charge déviatoires cyclique et monotone ou cyclique et cyclique dans l’espace des contraintes et variables internes. Ces phénomènes sont détectés via des tests de proximité entre la position de l’état actuel à la j ème itération (état défini par son état de contraintes et valeurs des variables internes) et la surface de charge mise en cause en cas de chevauchement.
◦ Pour le cas particulier des deux surfaces de charge déviatoires cyclique et monotone, si la proximité est établie, le mécanisme monotone M km est ajouté directement au domaine M pot tout en retirant le mécanisme cyclique tangent Mkc .
◦ Pour les cas de proximité de deux surfaces de charge déviatoires cycliques « père » et « fils », le critère de proximité porte sur la position de l’état actuel par rapport à la position de l’état mémoire caractérisant le point de création de la surface de charge « fils ». Cet état mémoire est un point de tangence entre les surfaces de charge « père » et « fils ». Si la proximité est établie, le mécanisme « fils » est retiré de M pot pour ensuite y ajouter le mécanisme « père ».
• D’autres échecs peuvent se produire durant l’algorithme de Newton local, notamment l’apparition d’états de contrainte de traction.
◦ Si un état de traction est détecté après échec local, pour tout multiplicateur plastique, associé à un mécanisme déviatoire, négatif après le tir explicite d’Euler(§4.3.2 ), kK0, le mécanisme déviatoire est retiré de Mpot.
◦ Si tous les multiplicateurs plastiques sont positifs après le tir explicite d’Euler, c’est à dire kK00 , alors une solution heuristique consiste à retirer l’ensemble des mécanismes déviatoires présents dans Mpot,pour obtenir un nouveau prédicteur après actualisation de M act (§4.3.5).
• Pour les cas différents de ceux présentés ci-dessus, une autre approche heuristique a été mise en place pour gérer ce problème d’échec d’intégration locale. On regarde la valeur maximale de RY j . Si cette valeur maximale est portée par une loi d’évolution d’un mécanisme déviatoire cyclique M kc, alors le mécanisme en question est retiré de Mpot.
• La dernière tentative heuristique s’attache à contrôler la présence de mécanismes déviatoires cycliques vierges. Si c’est le cas, ces mécanismes sont retirés de Mpot.
Si aucun des traitements spécifiques décrits ci-dessus n’a été sollicité, la nonconvergence locale du modèle est supposée et cette information est renvoyée à l’algorithme d’intégration globale de l’équilibre non linéaire.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Le contexte industriel
1.2 Le projet scientifique
1.3 Le plan du mémoire
2 Modélisation du comportement des géomatériaux
2.1 Introduction
2.2 Élasticité
2.3 Élasto-plasticité
2.4 Autres approches
2.5 Revue de modèles existants
2.6 Intégration des modèles de comportement élastoplastique
2.7 Conclusion
3 Formulation théorique du modèle de Hujeux (1985)
3.1 Relation de comportement de Hujeux
3.2 Définition des variables d’état et expression de l’énergie libre
3.3 Mécanismes élasto-plastiques déviatoires
3.4 Mécanismes isotropes
3.5 Traitement des états de traction
3.6 Paramètres élastoplastiques du modèle
4 Méthode d’intégration appliquée au modèle de Hujeux
4.1 Introduction
4.2 Intégration de l’équation constitutive non linéaire élastique
4.3 Intégration des équations constitutives élasto-plastiques
4.4 Tenseur élasto-plastique continu
4.5 Perspectives d’évolution
5 Validation numérique de l’implantation du modèle de Hujeux
5.1 Introduction
5.2 Modélisation d’une colonne 1D de sol bi-phasique saturé
5.3 Conclusion sur l’implantation du modèle de Hujeux
6 Stabilité et bifurcations rencontrées en mécanique des sols
6.1 Introduction
6.2 Équations du problème aux limites
6.3 Analyse globale de l’évolution du système mécanique
6.4 Unicité et stabilité des solutions au niveau local
6.5 Étude de la bifurcation en bandes localisées
6.6 Conclusion sur les critères de stabilité
6.7 Microstructure et localisation
6.8 Méthodes de régularisation
7 Application de la théorie du second gradient de dilatation
7.1 Introduction
7.2 Formulation théorique du modèle de second gradient
7.3 Formulation numérique
7.4 Couplage avec le modèle de Hujeux pour des matériaux dilatants
7.5 Étude numérique d’un essai biaxial drainé
7.6 Étude de stabilité d’un déblai
8 Conclusions générales et perspectives
9 Annexes
9.1 Relations entre les paramètres élastiques
9.2 Calcul analytique de la matrice tangente d’intégration locale
9.3 Essai cyclique induisant une rotation de l’état de contraintes
9.4 Essai biaxial drainé sur sable d’Hostun
9.5 Essai triaxial non drainé cyclique
9.6 Essai de cisaillement avec micro-décharges
9.7 Modélisation d’une digue en terre avec le modèle de Hujeux
9.8 Analyse des systèmes dynamiques
9.9 Perturbation de la suite des itérés de la méthode de Newton
9.10 Application du modèle de second gradient volumique à la dynamique
9.11 Tenseur élastoplastique du modèle Hujeux type Cam-Clay (HCC)
9.12 Domaine des directions instables selon le critère de Rice
9.13 Simulation d’un essai biaxial drainé sur sable d’Hostun à DR=40%
9.14 Analyse de stabilité de pente avec la méthode des tranches de Bishop
10 Bibliographie
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