Contexte et importance de l’étude du cycle de vie des systèmes convectifs de mousson
Le cycle de l’eau et de l’énergie dans les tropiques est un élément central du climat de la Terre (figure 1.1). En effet, dans les régions intertropicales, le système terre-océan-atmosphère reçoit en moyenne plus d’énergie du Soleil qu’il n’en renvoie vers l’espace, impliquant alors des cycles très actifs.
L’excès d’énergie est alors transporté vers les régions de plus hautes latitudes par des circulations atmosphériques sous forme de chaleur latente et sensible mais également par des circulations océaniques. Toute modification du bilan d’énergie des zones tropicales a donc des conséquences sur le climat de la planète toute entière. En dehors de cet effet de redistribution de l’énergie à l’échelle du globe, les échanges énergétiques à l’intérieur du système tropical terre-atmosphère lui-même sont complexes. L’évaporation sur les surfaces océaniques de part et d’autre de la zone de convergence intertropicale correspond à un flux de chaleur latente, permettant d’évacuer vers l’atmosphère une partie de la chaleur apportée essentiellement par le flux solaire descendant. La libération de cette chaleur latente se fait par condensation de la vapeur d’eau dans les zones de précipitations, beaucoup moins étendues. Ainsi, bien que 60% des précipitations globales tombent dans les tropiques, la surface qu’elles couvrent n’est que de quelques pourcents.
Le rôle des systèmes convectifs dans ces régions est alors crucial et les processus d’interaction entre flux radiatifs, flux de vapeur d’eau, nuages, précipitations, dynamique déterminent au final le déroulement des moussons, les inondations ou les sécheresses mais également le cycle de vie des systèmes nuageux. Ces systèmes convectifs produisant une large proportion de précipitations sur le globe sont donc d’une importance majeure d’un point de vue climatologique.
Les questions scientifiques fondamentales sur le cycle de l’eau et de l’énergie, initiées voilà une cinquantaine d’années, sont toujours d’actualité. Grâce notamment à l’avènement des satellites météorologiques d’observation spatiale, les récentes décennies sont témoins d’avancées importantes, concernant la documentation des précipitations, des systèmes convectifs, de la vapeur d’eau et du rayonnement au sommet de l’atmosphère. Cependant, le cycle de l’eau et de l’énergie dans les tropiques aux différentes échelles spatio-temporelles reste encore méconnu et mal représenté par les modèles de climat et météorologiques, limitant ainsi les capacités de prévisions aux différentes échelles de temps. La figure 1.2 illustre les variations de précipitations annuelles moyens à la fin du 21e siècle (2090-2099) par rapport à l’époque actuelle (2000-2009) simulées par le modèle IPSL-CM4 et le modèle CNRM-CM3 dans le scénario SRES-A2 dans le cadre du quatrième rapport du GIEC. De manière générale, les résultats s’accordent sur la répartition des précipitations mais sont en désaccord sur certaines régions, comme par exemple dans les régions tropicales d’Amérique du Sud, d’Afrique de l’Ouest et de l’Ouest de l’Inde. Dans ces régions tropicales, alors que le modèle de l’IPSL simule une diminution des précipitations, celui du CNRM simule une augmentation. Si l’on considère un plus grand ensemble de modèles climatiques, on obtient également des résultats très contrastés.
Dans ce contexte de réchauffement climatique, il revêt alors d’une importance majeure d’approfondir notre connaissance du cycle de l’eau et de l’énergie dans les tropiques, nécessitant en particulier de préciser le rôle des systèmes convectifs organisés dans ce cycle et dans la circulation de mousson et de documenter leurs propriétés. Dans le cadre de la mission satellitaire MeghaTropiques, nous chercherons au cours de cette thèse, à évaluer le cycle de vie des systèmes convectifs de mousson et à quantifier la durée des différentes phases de ce cycle en analysant d’une part leurs caractéristiques morphologiques, et d’autre part en estimant l’évolution de leurs précipitations.
Introduction aux systèmes convectifs de méso-échelle
On distingue deux types de convection : la convection locale et la convection organisée. La convection locale prend la forme d’orages cellulaires. La convection organisée correspond aux systèmes convectifs de méso-échelle qui se forment lorsque ces cellules orageuses, en réponse à une instabilité convective, s’agrègent et s’organisent en un système nuageux de taille beaucoup plus importante présentant ainsi une surface pluvieuse importante. Ces systèmes produisent une large proportion de précipitations sur le globe et sont donc d’une importance majeure d’un point de vue climatologique. Le terme méso-échelle décrit les phénomènes qui se passent à une échelle plus petite que l’échelle synoptique, mais plus grande que celle des nuages individuels traités par la micro-échelle. Les systèmes convectifs de méso-échelle interviennent dans la partie haute de l’échelle meso-beta et à l’échelle meso-alpha (200 km < l < 2 000 km) (Orlanski [1975]). Plus généralement, et selon une définition établie par Houze [1993], un Système Convectif de Mésoéchelle (MCS) peut être défini comme étant un système nuageux apparaissant en association avec des orages produisant une zone continue de précipitations d’extension horizontale de l’ordre de 100 km ou plus dans au moins une direction (figure 2.1 et 2.3).
Les précipitations convectives sont représentées par la couleur rouge, les précipitations stratiformes correspondent à la couleur verte, alors que la couleur bleue indique le nuage haut non précipitant associé au système convectif. Ce schéma idéalisé montre que le cycle de vie des MCS peut être décomposé en trois phases :
– Une phase d’initiation au cours de laquelle les cellules convectives se développent. Ce déclenchement de la convection est un phénomène complexe dont les causes peuvent être variées. Il peut ainsi être expliqué par des instabilités dans l’atmosphère dues à des systèmes nuageux pré-existants, à la présence d’un mécanisme de soulèvement dans les basses couches, à des effets orographiques, à des contrastes de terrains forts (contraste terre-mer) etc… Ces cellules convectives qui grossissent finissent par s’agréger. Il en résulte une zone continue de précipitations intenses et l’établissement de circulations méso-échelle permettant aux MCS de durer plusieurs heures.
– Une phase de maturité est atteinte lorsqu’une large partie stratiforme se développe à partir d’anciennes cellules convectives donnant des précipitations stratiformes. Chaque cellule convective possède en effet son propre cycle de vie, s’affaiblissant et devenant ainsi une composante de la partie stratiforme du MCS. Aussi longtemps que des cellules convectives se développent, le MCS reste dans cette phase de maturité et est alors composé de cellules actives, de cellules en phase de dissipation et de précipitations stratiformes.
– Une phase de dissipation correspondant à la fin de vie d’un MCS. De moins en moins de cellules convectives se développent à l’intérieur du MCS, la région stratiforme, n’étant plus alimentée par les cellules se dissipant, s’estompe et le système convectif disparaît. Cependant, ce schéma conceptuel, bien qu’indiquant les trois phases du cycle de vie des MCS, ne permet pas de quantifier la durée de ses différentes phases. Une connaissance de l’évolution du bouclier nuageux est d’une importance majeure pour l’étude du bilan radiatif. De même, une connaissance de l’évolution des précipitations convectives et startiformes associées aux systèmes convectifs permettrait d’améliorer notre compréhension du bilan de chaleur.
Si le cycle de vie des systèmes convectifs, la dynamique méso-échelle ainsi que l’évolution des fractions convectives/stratiformes sont relativement bien appréhendés et communs à l’ensemble des cas rencontrés, la définition d’un MCS par Houze reste cependant floue. De nombreuses études ont en effet mis en évidence différents types de systèmes convectifs de méso-échelle : les lignes de grains, les Complexes Convectifs de Méso-échelle (MCC), les Systèmes Convectifs Organisés (OCS), les systèmes convectifs en forme de V etc… Les différences entre ces différents types de systèmes résident en particulier dans la propagation, dans l’évolution de l’organisation ainsi que dans l’interaction des MCS avec leur environnement.
Les lignes de grains peuvent se retrouver aussi bien dans les latitudes moyennes (Houze et al. [1989]), que dans les tropiques (Zipser [1977]). Grâce aux campagnes de mesures dans les régions tropicales (GATE, TOGA/COARE), ces systèmes ont pu être largement étudiés. Une définition a été proposée par Zipser [1977] : « Nuages de type cumulonimbus, organisés en ligne, associés à un front froid en surface, se déplaçant plus vite que l’air environnant de basses couches et dans la direction du vent dans l’air froid juste à l’arrière du bord d’attaque de la ligne de grains ». La ligne de grains est constituée de deux parties : le front ou bord d’attaque correspondant à une zone de forte convection dans laquelle se forment de nouvelles cellules convectives. A l’arrière de ce bord se forme une zone de précipitations stratiformes de faible intensité, composée des cellules convectives se dissipant et pouvant s’étendre sur plusieurs centaines de kilomètres.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 Contexte et importance de l’étude du cycle de vie des systèmes convectifs de mousson
2 Une nouvelle méthode de détection et de suivi des systèmes convectifs de méso-échelle
2.1 Introduction aux systèmes convectifs de méso-échelle
2.2 Historique sur l’observation spatiale des phénomènes convectifs de méso-échelle
2.3 Etat de l’art sur les méthodes de suivi des systèmes convectifs de méso-échelle
2.3.1 La détection des systèmes convectifs de méso-échelle
2.3.1.1 Détection par seuillage en température de brillance
2.3.1.2 Détection par seuillage thermique adaptatif
2.3.1.3 Détection par l’utilisation des multi-canaux
2.3.2 Suivi des systèmes convectifs de méso-échelle
2.3.2.1 Suivi par la méthode de recouvrement
2.3.2.2 Suivi par utilisation des champs de déplacements apparents
2.3.2.3 Minimisation d’une fonctionnelle
2.3.2.4 Suivi par la méthode des modèles déformables
2.3.2.5 Conclusion
2.4 Introduction à l’algorithme de suivi des systèmes convectifs TOOCAN
2.4.1 Méthodologie de l’algorithme de détection et de suivi TOOCAN
2.4.1.1 Distribution des clusters dans l’imagerie infrarouge
2.4.1.2 Fonctionnement de la segmentation 3D de l’algorithme TOOCAN
2.4.1.3 Les paramètres des systèmes convectifs déterminés par l’algorithme TOOCAN
2.5 Conclusion
3 Evaluation des résultats issus du nouvel algorithme de suivi TOOCAN
3.1 Introduction
3.2 Sensibilité de l’algorithme aux pas de détections : cas d’étude
3.3 Analyse statistique des sorties de l’algorithme TOOCAN
3.4 Comparaison des sorties de la méthode TOOCAN avec l’algorithme de suivi basé sur le « recouvrement »
3.4.1 Introduction
3.4.2 Comparaison basée sur des études de cas
3.4.2.1 Cas d’étude en Afrique de l’Ouest
3.4.2.2 Cas d’étude dans la région indienne
3.4.3 Comparaison statistique
3.5 Conclusion
4 Cycle de vie des systèmes convectifs de mousson dans les régions indiennes et ouest africaines
4.1 Introduction
4.2 Données et méthodologie
4.2.1 Détection et suivi des systèmes convectifs de mousson
4.2.2 Le cycle de vie des systèmes convectifs de mousson
4.2.2.1 Classification
4.2.2.2 Technique de normalisation
4.3 Résultats
4.4 Simplification du cycle de vie des MCS
4.4.1 Modèle linéaire d’accroissement/décroissance (LGD : Linear Growth/Decay)
4.4.2 Evaluation de la pertinence du modèle LGD
4.4.3 Cycle de vie des systèmes convectifs de mousson de la classe 2a
4.5 Discussion
4.6 Conclusion
CONCLUSION
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