Cyberthé : un projet intergénérationnel

Psychologie de la personne âgée

Force est de constater que la personne qui avance en âge ne cesse de changer sur le plan physique comme psychique. Seul le décès nous prive du vieillissement.
Celui-ci est universel, inéluctable mais différentiel ; chacun le vit et y est sensible de manière différente. Nous naissons tous avec une personnalité, elle évolue et se modifie avec notre vécu, notre environnement et nos acquis. La vieillesse révèle la personnalité profonde de la personne, les aspects qui n’ont pas changé et ceux qui ont été transformés, adaptés. Les ressentis de la personne diffèrent et dépendent de la manière dont chacun accepte ou non cette fatalité de l’humain à vieillir (MÉMIN, C. 2001, p.24). Selon l’auteur, plusieurs causes modifient le comportement d’une personne avec les années et facilitent les «coups de vieux».
Le physique : Suite à des accidents ou à des douleurs diverses, les personnes peuvent perdre de l’assurance dans leurs mouvements et voir leurs capacités physiques diminuer. Ou encore, les changements corporels bouleversent leur image d’elles-mêmes.
Les décès et les deuils : Les répercussions des pertes des proches de la personne sont énormes. A cela s’ajoute notamment la solitude, le manque, la «paperasse» administrative, la réorganisation du mode de vie, la difficulté à nouer de nouvelles amitiés…
La famille en mutation : Les personnes qui avancent en âge ont, aujourd’hui, de nouveaux soucis pour leur famille. Les changements plus fréquents des conjoints de leurs enfants et l’éloignement géographique de ceux-ci sont des éléments qui peuvent les déstabiliser.
Autres : La perte d’un animal de compagnie, perte d’objets matériels familiers, une hospitalisation, le placement dans une institution… (p. 26-33)
Le fonctionnement psychique des personnes âgées s’affaiblit à cause d’une perte progressive de la plasticité mnésique et perceptive. C’est-à-dire, la production de la pensée par tout ce qui est vécu, ressenti et compris par la personne. Tous ces éléments produisent du sens et, en diminuant, vont atteindre les capacités de communication et la façon d’être face au monde (CARON, R., 2000, p.35).

La retraite

Un des aspects défiants de la vieillesse décrit plus haut est l’arrivée à la retraite. Les personnes y rencontrent souvent trois problèmes, dont il ne faut toutefois pas faire une généralité: la perte de leur statut professionnel, la perte de leur rôle instrumental et la disparition des pairs formés par les collègues (CARADEC, V.,2004, p.29).
Le travail a pris une place importante dans notre société et véritablement créé une identité pour certaines personnes. L’importance du rôle social attribué par le travail a pris une telle place dans la vie des individus qu’au moment de la retraite, leur estime personnelle peut littéralement s’effriter. Certains assument cette retraite et développent une force vitale qui les amène à consommer, à voyager, à profiter de leur temps libre, etc. (CARON, R., 2000,p.62).
Nous l’avons vu précédemment : l’entrée dans la vieillesse est quelque chose de difficile à déterminer ; par contre la retraite est plus facile à fixer. En Suisse, l’âge actuel de l’entrée en retraite est de 65 ans pour les hommes et de 64 pour les femmes. Toutefois, ces chiffres sont variables. Nous avons la possibilité de demander une retraite anticipée ou de continuer à travailler plus longtemps. La tendance, de nos jours, est de prolonger ce temps de travail (CONFÉDÉRATION SUISSE). L’OCDE estime que 27 % des Suisses de plus de 65 ans sont encore actifs (GENEVABUSINESSNEWS, 2012).
Comme pour la vieillesse, nous pouvons voir et vivre l’étape de la retraite de manière négative (crise d’identité, crise de valeur, reconsidération de son existence, dépression, voire suicide…) (MAISON DE RETRAITE, 2010).
La retraite peut cependant aussi amener son lot de joies et de satisfactions. Les conditions économiques s’étant améliorées, cette période de vie est devenue plus attractive et valorisée. L’arrêt de l’activité professionnelle ne provoque pas toujours de traumatisme, elle est plutôt bien vécue par la majorité des personnes (CARADEC, V., 2004, p.30). Etant donné le vieillissement de la population, les personnes peuvent vivre encore de longues années et elles se voient découvrir un nouveau sens à leur vie. De nouvelles opportunités voient le jour comme l’engagement familial et citoyen (p.38).
Selon Jean-Pierre Fragnière (2012), un professeur suisse de politiques sociales, auteur de nombreux ouvrages dans le champ social notamment sur les relations intergénérationnelles, la retraite est un véritable nouveau projet de vie. Il définit cette étape comme un défi, une nouvelle carrière, un nouveau rapport à la société, une nouvelle place à prendre, de nouvelles activités à commencer, des compétences à travailler, etc. Pour lui : « tout cela se prépare, s’apprend, se discute et se partage ».

La prolongation de la vie active

Les personnes arrivant à la retraite sont confrontées à la question de savoir comment occuper leur temps libre. A l’heure actuelle, une vie de plus en plus longue nous est promise, avec la possibilité d’avoir des soins médicaux poussés qui nous offrent une santé privilégiée par rapport aux générations précédentes. Les générations actuelles ont accès à la formation, à l’information, à l’écrit et aux instruments de communication modernes. Chacun a une multitude de choix à disposition. Toutefois, tout a évolué très vite et, aujourd’hui encore, des personnes sont mal préparées et se retrouvent parfois face à une mort sociale, une solitude, voire un oubli ou de la maltraitance une fois arrivées en EMS (FRAGNIÈRE, J-P,2012, p.11).
Certaines personnes considèrent le travail exclusivement comme un gagne-pain, alors que beaucoup éprouvent l’envie de prolonger leur vie professionnelle pour les relations sociales et pour la valorisation, le sentiment d’utilité et le sens qu’il procure. Ce qui confirme le sentiment de «perte» éprouvé ensuite.
D’où cette nouvelle tendance à « l’activation ». Cette vision pourtant se centre sur le faire plutôt que sur l’être. Il ne suffit pas d’exister pour être reconnu socialement, mais bel et bien de se mettre en activité. Nous y reviendrons.
Comme le soulève une économiste, l’activation de l’emploi est une politique nouvelle qui vise à insérer le plus rapidement possible les personnes sans emploi pour diminuer le coût du travail et augmenter la concurrence sur le marché du travail (ERHEL, 2012). Par ces politiques économiques, la société vise de plus en plus à éviter l’inactivité.
Ces dernières années, de nouvelles politiques sociales ont mis au jour la notion de vieillissement actif afin de permettre aux personnes âgées de continuer de travailler, de rester plus longtemps en bonne santé et de conserver un rôle actif dans la société, par exemple par l’instauration du bénévolat. L’Union européenne s’est donné comme mission de développer des possibilités d’activation dans des domaines comme l’emploi, la protection et l’inclusion sociale, la santé publique, la société de l’information et le transport (COMMISSION EUROPÉENNE, 2010). Nous pouvons constater que ce modèle d’une société «d’activation» traverse divers domaines de vie, notamment les politiques sociales et même le domaine de la vieillesse.

Les liens sociaux / le réseau social / les relations sociales

Selon le lexique de Jean-Pierre Fragnière, le lien social désigne «l’ensemble des relations, appartenances et affiliations qui unissent des individus faisant partie d’un même groupe ou les différents groupes sociaux entre eux. Les liens sociaux permettent d’assurer la cohésion sociale par le biais de l’intégration des individus qui, eux-mêmes, acquièrent une identité sociale au sein du groupe. Des mesures peuvent être prises lorsque le risque de rupture du lien social est repéré chez une personne ou un groupe.» (FRAGNIÈRE, J-P, 2012, p.153). Selon une étude, les contacts que le ou la jeune établit avec des personnes-clé sont considérés comme un soutien et font grandir son réseau social. Selon l’auteur, un réseau social affaibli démontre souvent une carence de rapports intergénérationnels. Il a notamment constaté cela en étudiant les liens entre des jeunes et leurs grands-parents (PRONOVOST, G., 2008, p.166).
Des auteurs distinguent deux types de réseaux : l’informel et le formel ou également nommés primaire et secondaire. Le premier se développe d’un point de vue personnel (p. ex : famille) tandis que le deuxième est organisé par le collectif (p. ex : professionnels d’une structure d’accueil). Ces deux réseaux se composent d’un certain nombre d’individus et forment les relations sociales de la personne (PITAUD, P. & REDONET, M, 2010, p.43). Pourtant, selon leur étude, des personnes peuvent se sentir très seules alors même qu’un réseau relationnel très présent existe autour d’elles. Notons que l’inverse peut se produire également et que chaque personne évalue la qualité de ses relations de manière différente dans son réseau relationnel selon son vécu (p. ex : la famille peut avoir moins d’importance que le collègue de travail…) (p.58-59). Les auteurs révèlent également que chaque individu a sa manière de percevoir le monde et de construire ses liens avec autrui. Certaines personnes n’investissent pas dans les rapports aux autres (p. ex : le voisinage), ce qui est très fortement lié à des facteurs intra-individuels voire à des choix de vie ou des vécus singuliers. Des comportements, des traits de caractères, des attitudes peuvent provoquer soit l’éloignement aux autres soit, au contraire, une position plus ouverte face aux gens qui les entourent (p.62). Par ailleurs, force est de constater qu’avec l’âge, suite à des ruptures, des décès, des maladies, l’éloignement géographique etc., le réseau relationnel diminue (p.63). Le problème de la solitude qui s’ensuit est donc surtout lié à la nature des liens que la personne possède et de sa participation à son milieu, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents. Le réseau social peut être déficient de par sa quantité ou sa qualité. Selon ces auteurs donc, les caractéristiques individuelles jouent un rôle au manque de liens de certaines personnes, mais ils affirment que les valeurs culturelles, comme l’individualisme, est un facteur prédisposant (p.70-71).

Le projet Cyberthé

Je m’intéresse au projet Cyberthé, car j’ai constaté que peu de choses sont mises en place, dans les institutions du canton de Neuchâtel et ailleurs en Suisse, entre des personnes âgées et des adolescent-e-s. C’est un des premiers éléments qui m’a fait penser que le Cyberthé était un projet original. Grâce à celui-ci, je souhaite m’intéresser plus particulièrement à des jeunes en difficulté lors de l’entrée dans le monde du travail ou de la formation et qui participent au Semestre de Motivation (SEMO) et à des personnes âgées retraitées faisant appel à Pro Senectute pour y participer. En effet, le SEMO et Pro Senectute collaborent, depuis quelques années, dans le cadre du projet Cyberthé, en regroupant ces deux tranches de population.
Comme mentionné, cette collaboration est innovante dans le canton de Neuchâtel, et je n’ai pas encore découvert de tel projet dans les autres cantons romands.
Dans la région BEJUNE, trois Cyberthé ont été lancé (Neuchâtel, Chaux-de-Fonds et Moutier). Toutefois, d’autres projets intergénérationnels ont régulièrement été créés à Neuchâtel. En voici quelques exemples :
Une crèche La Pirouette organise des activités parascolaires entre des enfants dès 4 ans et le home médicalisé Les Myosotis. Ces activités peuvent comprendre la réalisation de pâtisseries, de bricolages, l’apprentissage de chants, des initiations musicales, etc. (ASSOCIATION LA PIROUETTE, 2014).
Le mouvement des aînés organise divers événements intergénérationnels tels que : la dictée des aînés qui se déroule une fois par année. Chacun peut s’y rendre quel que soit son âge et sans inscription. Une personne quelconque dicte alors un texte à toutes les personnes présentes. Cet événement rassemble chaque année une centaine de personnes. Plusieurs bénévoles accueillent également régulièrement, soit le mardi, le mercredi ou le jeudi après-midi, des enfants des écoles primaires (3ème et 4ème Harmos) pour partager avec eux un temps de lecture (MOUVEMENT DES AÎNÉS, 2014).
L’atelier GénérAction regroupe des jeunes et des plus âgés. Des séniors sont prêts à investir quelques heures bénévolement pour partager leurs compétences, leurs idées, leurs conseils, leurs contacts, avec des jeunes qui souhaitent réaliser des initiatives ou des projets dont les thèmes peuvent être d’ordre social, environnemental, culturel, artistique, etc. Ce projet novateur est réalisé par infoclic.ch romandie (promotion de l’enfance et de la jeunesse en Suisse), en collaboration avec Pro Senectute Arc Jurassien et soutenu par Santé Suisse.
Plusieurs associations de bénévoles proposent également du soutien scolaire, de l’aide aux devoirs, à la lecture, etc. tels que Pro Senectute, Caritas, etc. (ASSOCIATION NEUCHÂTELOISE DE SERVICES BÉNÉVOLES, 2014).

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Table des matières

1 Choix de la thématique
1.1 Introduction
1.2 Expérience sur le terrain
1.3 Motivations personnelles
1.4 Motivations socio-politiques
1.5 Liens avec le travail social
1.6 Question de départ
2 Question de recherche
2.1 Mon choix
2.2 Buts de ma recherche
3 Cadre théorique
3.1 Introduction
3.2 La personne âgée
3.2.1 Le vieillissement et la vieillesse
3.2.2 Troisième et quatrième âges
3.2.3 L’âgisme
3.2.4 Le vieillisme
3.2.5 Psychologie de la personne âgée
3.2.6 Les transitions et les nouveaux défis
3.2.7 Les représentations positives
3.2.8 Les besoins
3.3 La retraite
3.4 La prolongation de la vie active
3.5 2012 : Année du vieillissement actif
3.6 L’adolescence
3.6.1 La définition de la jeunesse et de l’adolescence
3.6.2 Aujourd’hui, une étape qui dure
3.6.3 L’idée de transition
3.6.4 L’idée de crise
3.6.5 L’idée de changement et de développement
3.7 L’adolescent et son entourage social
3.8 L’adolescent et son corps
3.9 Une période de conflit psychique
3.10 Les jeunes et les nouvelles technologies
3.11 L’adolescent et l’entrée dans le monde du travail
3.11.1 Les obstacles à la formation professionnelle
3.11.2 Les difficultés rencontrées à la fin de la scolarité obligatoire
3.12 Les liens intergénérationnels
3.12.1 Jeunes et vieux
3.12.2 Les générations
3.12.3 Les liens intergénérationnels en mutation ?
3.12.4 Les formes de solidarités dans les relations intergénérationnelles
3.12.5 Ce qui favorise les entraides intergénérationnelles
3.12.6 Ce qui les freine
3.13 L’individualisme
3.14 Les liens sociaux / le réseau social / les relations sociales
4 Méthodologie
4.1 Terrain
4.1.1 Le Semestre de Motivation (SEMO)
4.1.2 Pro Senectute
4.1.3 Le projet Cyberthé
4.2 Échantillon
4.3 Outils de récolte des données
4.3.1 L’entretien
4.3.2 L’observation
4.4 Biais et enjeux éthiques
4.4.1 Les limites et les biais des entretiens
4.4.2 Les limites et les biais de l’observation
4.4.3 Éthique
5 Mes hypothèses
5.1 Les jeunes du SEMO
5.2 Les personnes âgées
5.3 Le Cyberthé
6 L’analyse
6.1 Les raisons de la création du Cyberthé
6.2 Le déroulement d’une séance type
6.3 Entretiens avec les directeurs
6.3.1 Vécu professionnel du directeur de Pro Senectute
6.3.2 Vécu personnel du directeur de Pro Senectute
6.3.3 La mission du SEMO et du Cyberthé
6.4 Les défis relevés par les deux responsables du Cyberthé
6.4.1 La mobilité des seniors
6.4.2 La promotion du Cyberthé
6.4.3 Organisation et logistique des séances
6.4.4 Gestion de conflit ou problème de communication
6.4.5 Faire à la place ou avec le senior
6.4.6 Constat
6.5 Entretien avec une senior
6.5.1 Contexte de vie et situation personnelle
6.5.2 Son implication au Cyberthé
6.5.3 Vécu au sein du Cyberthé
6.5.4 Avantages du Cyberthé
6.5.5 Par rapport aux liens et échanges intergénérationnels
6.5.6 En dehors de l’atelier
6.6 Entretien avec un senior
6.6.1 Contexte de vie et situation personnelle
6.6.2 Son implication au Cyberthé
6.6.3 Vécu au sein du Cyberthé
6.6.4 Avantages du Cyberthé
6.6.5 Par rapport aux liens et échanges intergénérationnels
6.6.6 En dehors de l’atelier
6.7 Entretien avec une jeune
6.7.1 Contexte et situation personnels
6.7.2 Avantages
6.7.3 Désavantages
6.7.4 Par rapport aux liens et échanges intergénérationnels
6.7.5 En dehors de l’atelier
6.8 Entretien avec un jeune
6.8.1 Contexte et situation personnels
6.8.2 Avantages
6.8.3 Désavantages
6.8.4 Par rapport aux liens et échanges intergénérationnels
6.8.5 En dehors de l’atelier
6.9 Retours sur mes hypothèses
6.9.1 Une envie de rencontrer l’autre ?
6.9.2 Le Cyberthé, un outil indispensable ?
6.10 Les éléments-clés de ma recherche
6.10.1 La réponse à la demande
6.10.2 La motivation principale des responsables
6.10.3 La liberté de participation
6.10.4 Les bénéfices pour les jeunes et les seniors
6.10.5 Les échanges sociaux
6.10.6 Le regard des seniors sur les jeunes
6.10.7 Le regard des jeunes sur les seniors
6.10.8 La mode de l’intergénérationnel
6.10.9 L’avenir pour ces deux générations
7 Conclusion 
7.1 Les limites de la recherche
7.2 Bonnes pratiques et pistes d’amélioration du Cyberthé
7.3 Le bilan professionnel et processus d’apprentissage
7.4 Point de vue personnel
8 Sources bibliographiques
8.1 Livres et ouvrages
8.2 Articles
8.3 Cours HES
8.4 Cybergraphie
8.5 Illustrations
9 Annexes 
9.1 La société traditionnelle et la société moderne
9.2 Flyer du Cyberthé
9.3 Fiche de suivi du senior au Cyberthé
9.4 Les grilles d’entretien

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