Curriculum du post-obligatoire et compétences de base en langue première: pour qui, pourquoi, par qui ?
Alors que le taux d’alphabétisation mondial ne cesse de croître (Jahan 2015), certaines voix continuent de déplorer la diminution généralisée du niveau en langue première dans la population francophone, y compris chez les bacheliers appelés à fréquenter les universités (planche 2012, p.5). À ce titre, les prises de positions alarmistes s’expriment régulièrement dans les médias français et romands (Rochat 2016, Musset 2016). Afin de vérifier la validité de ces opinions, une enquête fédérale menée par Franz Eberle, professeur à l’Institut des sciences de l’éducation de l’université de Zurich intitulée « Compétences de base en mathématiques et en langue première constitutives de l’aptitude générale aux études supérieures » (dans sa version française) s’est penchée sur la question. Dans le rapport découlant de cette recherche (Eberle 2015), il ressort qu’une portion significative des élèves ayant obtenu une Maturité fédérale au terme de leurs études gymnasiales présente de graves lacunes en mathématiques et en langue de scolarisation, lesquelles péjorent la qualité de leurs travaux dans les différents domaines de spécialisation universitaires et constituent un obstacle à la réussite dans les premiers cycles académiques. L’administration scolaire ayant pris acte de ce problème, il est maintenant question d’envisager la possibilité de modifier les plans d’études de manière à palier à ce déficit. Par suite, le chef de file de français du canton de Vaud a ouvert la question aux maîtres de gymnase, et lancé un tour de consultation auprès des différents établissements.
Les études EVAMAR
L’étude initiale du professeur Eberle fut nommée EVAMAR I et conduite entre 2002 et 2004 sur la base de questionnaires adressés aux différents acteurs du secteur éducatif. Elle avait été conçue afin d’évaluer l’impact de la réforme de la maturité gymnasiale lancée en 1995. Les résultats se révélèrent plutôt positifs. Quelques années plus tard, l’étude l’EVAMAR II visait une évaluation qualitative de la formation gymnasiale, et en particulier des acquis des bacheliers suisses ayant obtenu leur diplôme en 2007. Il s’agissait de quantifier leurs performances afin de vérifier si, conformément au Règlement de reconnaissance de la maturité de 1995 (RRM1995), la formation gymnasiale conférait bien « aux élèves la maturité requise pour les études supérieures » (Eberle 2015, p.2). Les compétences ciblées dans cette étude étaient la langue première de scolarisation, les mathématiques et la biologie. Les résultats, publiés en 2008, furent dans l’ensemble positifs, mais présentèrent de grandes différences » dans les performances individuelles et d’une classe à l’autre » (Site Internet de la CDIP). En effet, parmi les élèves du bas de l’échelle ayant obtenu leur maturité, une grande partie présentaient des lacunes dans l’une des compétences de base. De fait, « en 2007, 4,7% des bacheliers avaient une note insuffisante en langue première, 24,4% en mathématiques. Si l’on ne considère que les examens écrits de maturité, le pourcentage de notes insuffisantes s’élevait à 19,6% en langue première et 41,4% en mathématiques. » (Le Temps 17.09.2012). Il faut également noter que sous l’appellation compétences de bases, le rapport entend les acquis fondamentaux nécessaires à la réussite dans les premières années des universités et des hautes écoles. De fait, celles-ci incluent des d’une part compétences techniques et de structuration relativement basiques telles que l’orthographe, la conjugaison et la grammaire, mais aussi des compétences plus avancées en compréhension et production de textes scientifiques.
En réaction à la publication de ce rapport, la CDIP et les autorités politiques en charge de l’éducation ont lancé une série de consultations en vue de glaner auprès des différents organes concernés des recommandations pour que dans le futur, les possesseurs de maturités gymnasiales conservent un accès garanti aux hautes écoles et aux universités sans examen d’entrée.
Analyse du corpus
Source 1
Professeur Franz Eberle, chef de projet des enquêtes EVAMAR
Il s’agit d’un article publié dans le Temps le 17 septembre 2012, lequel contient un entretien avec le professeur Franz Eberle, de l’Université de Zurich. Voici le compte rendu des prises de positions du professeur Eberle : Diagnostique : Le responsable du projet EVAMAR nous indique qu’« un bon niveau en langue première est central pour réussir n’importe quelles études » (Le temps, 17.09.2012). De plus, il nous fait savoir qu’une grande disparité de niveau a été mesurée entre les différents bacheliers, la meilleure classe ayant obtenu un résultat deux fois supérieur à la moins bonne en langue première. Il ajoute qu’« un motif d’inquiétude est le niveau très faible dans les domaines testés du segment réunissant les bacheliers les moins performants (20% de l’échantillon). » (ibid..)
Source 2
L’hebdomadaire en ligne indépendant Horizons et débats (Zeit-frangen dans sa version allemande) revendique un journalisme « opposé à toute propagande », « sans attaches politiques ou financières » (Site Internet de l’hebdomadaire). Dans sa version française qui paraît six fois par année, il prétend être lu en Suisse romande, en France, en Belgique et en Afrique principalement. (Ibid.)
Source 3
Le point de vue d’EconomieSuisse relayé dans un article du quotidien 24 heures daté du 7 juillet 2015. Diagnostique : 34% des étudiants abandonnent leur formation en cours de route et les hautes écoles déclarent que le niveau général des bacheliers est insuffisant. Cette prise de position reprend le constat du professeur Eberle au sujet des compétences de base, et appuie ce résultat en ajoutant des données issues des formations tertiaires, en particulier des hautes écoles. Nous pouvons constater qu’ici également, c’est la dimension préoccupante des résultats de l’étude EVAMAR qui a été retenue.
Source 4
Le corps professionnel du personnel enseignant a également été sollicité pour prendre position au sujet de la question des compétences de base garanties par l’obtention d’une maturité gymnasiale. Dans cette optique, la Société Suisse des Professeurs de l’enseignement secondaire (SSPES) a émis une réponse officielle à la CDIP dans les suites de l’étude EVAMAR II.
Source 5
Rapport de consultation du canton de Vaud :
Suite aux recherches du professeur Eberle sur la question des compétences de base en mathématiques et en langue première, le canton de Vaud a ouvert un tour de consultation auprès de la Conférence des directeurs de gymnase vaudois, de la Conférence cantonale des chefs de file de mathématiques et la Conférence cantonale des chefs de file de français.
Source 6
Les politiques
Le dernier texte de notre corpus est un article du quotidien 24 heures daté du 16 février 2015. Il peut apparaître quelque peu polyphonique, en ce qu’il relaye les points de vue parfois divergents de plusieurs personnalités politiques siégeant au conseil national et au conseil d’Etat vaudois. Par mesure d’économie, nous retiendrons ici les deux plus importantes, à savoir le point de vue de la conseillère nationale Cathy Riklin et la réaction d’AnneCatherine Lyon, conseillère d’Etat vaudoise et présidente de la Conférence Intercantonale de l’Instruction Publique de la Suisse romande et du Tessin.
Résultats
Essayons de synthétiser les observations effectuées ci-dessus. Premièrement, il ressort de notre analyse que chacune des différentes parties prenantes reprend la discussion selon au moins une partie des termes qui ont été posés initialement par la première prise de position, les résultats de l’étude EVAMAR. Par exemple, la question de la compensation est un sujet de discussion récurrent, qui avait été évoqué dès le rapport initial. A ce propos, les points de vue divergent entre les différents intervenants. Si certains pensent qu’il ne devrait pas y avoir de possibilité de compenser les branches dans lesquelles les compétences fondamentales ont été identifiées (langue première et mathématiques), d’autres, y compris la Conseillère d’Etat en charge de l’instruction publique, considèrent que la double compensation actuellement en vigueur est suffisamment exigeante pour garantir une formation gymnasiale de qualité. Rappelons qu’il faut actuellement être deux fois meilleur dans une branche forte qu’on est faible dans une autre pour achever avec succès ses études gymnasiales.
Remarques conclusives
Le présent travail a porté l’attention sur un moment spécifique de la formation intellectuelle des élèves, à savoir la certification obtenue au terme des études secondaires supérieures, dont l’appellation régionale est « études gymnasiales ». Il convient toutefois de rappeler que, si les différentes étapes de la scolarité sont clairement distinguées dans la séquence linéaire et numéroté des années d’études (auxquelles sont associés des passages symboliques tels que relocalisations dans de nouveaux bâtiments, changement d’enseignants et éventuelles répartitions en classes de niveaux), il serait artificiel d’appréhender l’apprentissage de la langue de scolarisation sans tenir compte de la continuité de son enseignement tout au long du curriculum. Pour cette raison, s’interroger sur l’apprentissage du français au gymnase implique nécessairement de poser un regard holistique sur la formation intellectuelle des élèves et de prendre en compte l’opinion d’autres groupes d’acteurs du tissu social liés à cette problématique tels que les enseignants des autres degrés, les parents d’élèves et les écoliers eux-mêmes. De fait, dans la perspective d’un potentiel élargissement de ce travail, il aurait été intéressant de faire entendre leurs voix.
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Table des matières
Introduction
Contexte
Les études EVAMAR
Question de recherche et méthodologie
Présentation du corpus
Limites de la présente recherche
Analyse du corpus
Source 1 : Franz Eberle, chef de projet des enquêtes EVAMAR
Source 2 : Horizons et Débats
Source 3 : EconomieSuisse
Source 4 : Société Suisse des Professeurs de l’enseignement secondaire
Source 5 : Rapport de consultation du canton de Vaud
Source 6 : les politiques
Résultats
Remarques conclusives
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