Culture bretonne et production discographique dans l’après-guerre 

Collectage et production commerciale avant 1945

De la Villemarqué à Maurice Duhamel

C’est dans le grand mouvement de retour aux sources initié par le romantisme allemand de la première moitié du XIXe siècle que naît la volonté de sauvegarder les traces orales d’un passé en voie de disparition et qu’apparaissent les folkloristes. Si Théodore Hersart de la Villemarqué (1815-1895) fait figure de grand initiateur du collectage avec Barzaz Breiz, un recueil de chants bretons qui connut de nombreuses publications à partir de 183919, il eut des précurseurs : c’est le cas du chanoine Joseph Mahé (1760-1831) qui recueillit dans le Morbihan de nombreuses mélodies populaires et en fit paraître quarante dans son ouvrage de 1825, Essai sur les Antiquités du Morbihan20. Mais c’est bien la Villemarqué qui donna une dimension nationale voire européenne au répertoire populaire de Basse-Bretagne. Nombreux sont ceux qui vont le suivre dans cette démarche de collecte et de publication, comme son aîné Jean-Marie de Penguern (1807-1856) dont les collectes ne seront partiellement publiées que centcinquante ans plus tard21. Les principaux ethnographes de la fin du XIXe siècle seront François-Marie Luzel (1821-1895), Narcisse Quellien (1848-1902), puis Paul Sébillot (1843-1918) qui fonde en 1886 la Société des Traditions Populaires ainsi que sa revue mensuelle, la Revue des Traditions Populaires22.
Cette matière musicale monodique qui semble vierge de toute harmonisation intéressera très vite les compositeurs, et si l’usage et l’harmonisation de mélodies populaires dans la musique savante sont beaucoup plus anciens – comme en attestent de nombreuses pièces du répertoire Renaissance et Baroque français, de la chanson Une jeune fillette aux musettes de Marin Marais en passant par les gavottes de M. de Sainte Colombe – le milieu du XIXe siècle est bien le moment de la redécouverte du génie de la mélodie populaire des campagnes. Dès la parution du Barzaz Breiz, on voit éclore des propositions d’arrangements des chants collectés par la Villemarqué. En 1841, le compositeur allemand Friedrich Silcher fait paraître des accompagnements des mélodies du Barzaz Breiz dans la première édition allemande du recueil. En 1865, c’est cette fois-ci Laura Taylor qui harmonise certains chants collectés par la Villemarqué dans la traduction anglaise qu’en donne son mari24. D’autre part, l’organiste de la cathédrale de Saint-Brieuc Charles Collin s’intéresse lui aussi à arranger les mélodies traditionnelles et les cantiques et il est vraisemblable que ce fut le cas d’autres organistes en Bretagne.
Le premier compositeur à publier des mélodies bretonnes arrangées en France est le folkloriste Louis-Albert Bourgault-Ducoudray en 188526. Comme le note Gérome Guibert :
« Au Congrès de l’association bretonne de Châteaubriant de 1882, Bourgault-Ducoudray réaffirmait que le travail du musicien est d’abord de “noter à l’état de nature”. Mais le travail du musicien-folkloriste ne devait pas s’arrêter là. Après la notation, et avant la diffusion, il devait chercher à “corriger” la chanson, l’arranger pour la rendre conforme aux normes musicales classiques […] l’accompagnement pour le piano permettait de parachever la normalisation et donner à la chanson l’allure respectable d’un chant où étaient conservées, avec parcimonie, quelques “audaces”. » À sa suite, le collecteur Maurice Duhamel, également compositeur et militant politique breton, après avoir présenté dans les Annales de Bretagne de 1910 un article sur « les quinze modes de la musique bretonne »,28 fait paraître en 1913 Musiques bretonnes, un recueil de quatre-cent-trente-deux « airs et variantes mélodiques des “Chants et chansons populaires de la Basse-Bretagne” publiés par François-Marie Luzel et Anatole Le Braz » ainsi que les Chants populaires de Basse-Bretagne, harmonisés pour le piano30 ou encore des Mélodies kymriques en 192531. Puis Georges Arnoux, élève de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum de Paris, publie en 1933 un recueil de 20 chansons bretonnes harmonisées32. Nous voyons ainsi à travers cette brève rétrospective des publications de musique bretonne harmonisée que, si la tradition populaire de chant en Bretagne est essentiellement monodique, l’intérêt pour l’arrangement de cette matière musicale a commencé avant 1850.

Le collectage phonographique, du rouleau de cire au magnétophone

C’est au tout début du XXe siècle, accompagnant l’invention des appareils d’enregistrement sonore, qu’a débuté la collecte phonographique et son évolution s’est faite en parallèle de l’enregistrement commercial. En effet, l’arrivée du phonographe puis du gramophone entraîne le développement et la diffusion de la collecte enregistrée.
Certains chercheurs et folkloristes vont alors s’équiper afin de pouvoir prolonger efficacement leur travail. C’est ainsi que, lors de l’Exposition Universelle de 1900, le linguiste Léon Azoulay enregistre près de quatre cents rouleaux de cire des traditions du monde entier, dont les sonneurs Guéguen-Bodivit venus spécialement à Paris pour l’événement. La même année, le linguiste François Vallée (1860-1949) effectue un important collectage sur rouleaux de cire dans les Côtes-d’Armor, parmi lesquels on trouve de nombreuses chansons de Marc’harit Fulup (Marguerite Philippe à l’État civil)35. En 1908, l’ethnologue autrichien Rudolph Trebitsch (1876-1918) vient en Basse-Bretagne et enregistre pour le compte de l’Académie des sciences d’Autriche le couple de sonneurs Le Lain-Tanguy, enregistrements qui ont été publiés en 1994 dans une anthologie des sonneurs de couple en 1994.

Brève histoire de la production discographique en 78 tours

Nous nous baserons ici sur les listes de 78 tours que plusieurs chercheurs ont produites, mais il n’est malheureusement pas possible en l’état de la recherche d’établir une discographie exhaustive de cette production, de nombreuses références restant encore à retrouver. L’une des seules recensions de 78 tours à avoir été publiée est à notre connaissance celle de Marcel Roparz en 1959 dans un article dans la revue de la BAS* Ar Soner. Aujourd’hui, ce sont les passionnés Gilles Kermarc et Christian Morvan qui se sont attelés à la tâche et leurs recensions n’ont pas été publiées à ce jour. Au début du XXe siècle, les premières maisons de disques qui proposaient dans leur catalogue des enregistrements de musique traditionnelle bretonne étaient toutes parisiennes. Les deux principales étaient les grandes firmes Pathé et Gramophone dont les premiers enregistrements de musique bretonne paraissent avant 1914 et qui vont assurer la production musicale à partir des années 1920.
Les années 1930 vont voir apparaître des labels parisiens indépendants comme Odéon, Ideal, Lumen ou Le Soleil, qui semblent tous disparaître après guerre. En 1929, la maison de disque Pathé est rachetée par Columbia qui devient EMI en 1931. La firme allemande Parlophone, qui produit également quelques disques de musique bretonne, est elle aussi rachetée par EMI qui deviendra à son tour Pathé-Marconi en 1936. En 1932 un événement majeur se produit dans la production discographique d’avant guerre : une entreprise de collectage musical à but commercial est organisée par la Compagnie Française du Gramophone afin d’enregistrer toute la diversité musicale de Basse-Bretagne et de graver le résultat sur 78 tours. La promotion auprès du public breton en est assurée dans la revue An Oaled – Le Foyer Breton et indique : « Ainsi il nous a paru impératif de tenter l’exploit de capter une scène bretonne qui se renouvelle traditionnellement dans la ferveur sacrée d’un rite : le Pardon […] Nous présentons donc le résultat phonographique de ce voyage inoubliable dans la Bretagne, sûr de faire oeuvre utile de divulgation d’une des provinces les plus intéressantes, non seulement de la France, mais du monde entier. »
La prise de son et l’enregistrement sont alors effectués par des techniciens locaux dont le jeune Hermann Wolf, fils d’une famille de facteurs d’orgues alsaciens installée à Quimper. De cette tournée ethnographique sortiront vingt-sept disques représentant une grande diversité d’expressions populaires. Fort de cette expérience, Wolf fondera en 1950 la maison de disques quimpéroise Mouez Breiz, dont les premiers disques seront des 78 tours publiés sous l’égide de la maison Le Chant du Monde. Mais l’après-guerre est le moment d’un grand tournant technique avec l’arrivée sur le marché du disque vinyle et de la technique de gravure par microsillon, inventée par Columbia en 1948, qui permet un saut technique qualitatif et une plus grande diffusion du disque. La Seconde Guerre mondiale ayant entraîné une rupture d’approvisionnement en gomme-laque indispensable à la fabrication des disques 78 tours, l’industrie du disque développa alors le support vinyle, moins onéreux, plus résistant et capable d’être gravé par le nouveau procédé microsillon qui multipliait par cinq le temps d’enregistrement possible. Le microsillon se généralise en France entre 1952 et 1954 et l’arrivée des nouveaux formats 33 et 45 tours permet à la maison quimpéroise Mouez Breiz d’augmenter sa diffusion. Sur le plan national, la musique bretonne sera présente chez Ducretet-Thomson, mais aussi chez les deux principaux
labels indépendants français que sont Barclay et Vogue, qui vont se développer aprèsguerre jusqu’à leur absorption par les majors au début des années 1970.

Les chansons harmonisées des bardes

Dès les débuts de la commercialisation du disque en France, les firmes s’intéressent aux musiques traditionnelles de Bretagne, mais elles vont dans un premier temps privilégier les chanteurs accompagnés au piano ou par un petit orchestre, dont le répertoire est parfois éloigné de celui de la chanson populaire sur feuille volante44. En ce début du XXe siècle, les maisons de disque sont installées à Paris et le modèle du chanteur populaire breton est le « barde » Théodore Botrel (1868-1925), auteurcompositeur- interprète d’expression française qui se produit alors dans les café-concerts et music-halls parisiens, comme le feront d’autres bardes bretons jusque dans les années 1950. Ses grands succès – dont La Paimpolaise, Le Petit Mouchoir rouge de Cholet, Fleur de Blé Noir, La Cruelle Berceuse ou Kenavo – seront repris par de nombreux interprètes jusque dans les années 1970. Ces chanteurs qui viennent de Bretagne pour faire leur tour de chant sur la scène du music-hall, spectacle moderne où s’opère la « séparation des fonctions spectacles et consommation », portent généralement le titre de « barde ». Ils appartiennent en effet tous au Gorsedd de Bretagne, une association initiatique néo-druidique née en 1900, fondée sur le modèle de son aînée galloise et dont la Villemarqué était déjà membre au milieu du XIXe siècle. Dans le Gorsedd, les membres peuvent être initiés au grade de druide, barde ou ovate qui correspondent aux catégories des prêtres, orateurs et artistes, ou artisans et commerçants.
Ce sont les maisons de disque Pathé et Gramophone qui enregistrent les premiers disques de chanson et de musique bretonne en 78 tours. Les toutes premières matrices sont enregistrées avant 1914, mais la guerre interrompant la production musicale, ces disques ne seront commercialisés qu’au début des années 1920. À la suite de Théodore Botrel, qui enregistra des disques chez Pathé entre 1919 et 1925, deux bardes bretons font leur apparition dans le catalogue de la firme en 1926 : ce sont les chanteurs Loeiz Herrieu (1879-1953) et François « Taldir » Jaffrennou (1879-1956), tous deux également bardes. Loeiz Herrieu, de son vrai nom Louis Henrio, est un collecteur et écrivain bretonnant de la région de Lorient qui publie Dihunamb, une revue mensuelle en breton vannetais, ainsi que des recueils de chansons. Il enregistre pour Pathé des chansons du répertoire vannetais. Quant à Taldir, il est un personnage important de l’entre-deux-guerres : fils d’un notaire et druide installé à Carhaix, cet écrivain et militant breton, élève de François Vallée, est très influencé par la poésie galloise et compose de nombreuses chansons. Il fondera en 1929 la revue trimestrielle bilingue An Oaled – le Foyer Breton. Ses nombreuses compositions sont publiées sur feuilles volantes et dix chansons sont gravées sur des rouleaux de cire dès 1910. La plus connue d’entre elle est Bro Goz Ma Zadou, l’adaptation en breton de l’hymne gallois qui sera adopté comme hymne breton par les milieux nationalistes.
La Première Guerre mondiale interrompant la production discographique, les disques ne paraîtront qu’entre 1923 et 1925. En 1928 c’est Émile Cueff (1895-1952) barde baryton Martin considéré comme le successeur de Théodore Botrel – qui prend la relève de son maître et fait paraître cinq disques chez Gramophone et quelques autres aux labels Odéon et Lumen. Il est à l’époque l’un des seuls chanteurs professionnels.Dans la série de disques publiés par Gramophone fin 1932.
D’autres bardes chanteurs y sont également représentés comme François Stéphan (1904-1944) dit « Eostig Kreisker » et son ami Francis « Sissik » Moal (1897-1979), « Alc’houeder Leon » de son nom de barde. Ce dernier publie encore quatre disques au label Ideal en 1938. La figure du barde breton disparaît presque totalement aprèsguerre et – hormis le barde parisien Milbéo, qui chante le répertoire de Théodore Botrel – une nouvelle génération de chanteurs va apparaître avec la contralto Mona Kerys qui publie quelques 78 tours chez Pathé-Marconi entre 1947 et 1950.
La production discographique avant guerre contient également une curiosité : l’orchestre parisien d’Edouard Bervily enregistre chez Gramophone deux titres emblématiques du répertoire néo-breton, la berceuse Kousk Breiz-Izel et le Bro Goz Ma Zadou de Taldir. La qualité d’exécution de ces deux mélodies est bonne pour l’époque, car l’orchestre est professionnel : le compositeur et chef d’orchestre Edouard Bervily avait en effet enregistré des opérettes d’Offenbach (Le Voyage de Messieurs Dunanan Père et Fils) et de Chrisitiné (Phi-Phi) et travaillé avec des chanteurs d’opéra ou de music-hall comme César Vezzani, Max Bussy de l’Opéra-Comique, André Gordon ou encore la soprano Fanély Revoil. D’une manière générale, les petits orchestres accompagnant les bardes sur ces enregistrements sont de bons exécutants.

Couples de sonneurs et premiers bagadoù

C’est en 1925 que paraissent les premiers disques de couples de sonneurs bombarde-biniou54. Louis Guéguen et son compère Marcel le Bouc enregistrent du répertoire de l’Aven et du Pays Bigouden sur deux disques chez Pathé. Puis Jos Le Guennec grave quelques disques avec Marcel Le Bouc chez Gramophone en 1927, puis chez Odéon les années suivantes. En 1931, c’est également chez Odéon qu’Auguste « Gus » Salaun et son compère François « Fañch » Bodivit enregistrent quatre 78 tours.
La série d’enregistrements publiée par Gramophone en 1933 permet notamment de faire découvrir la diversité de jeu des sonneurs de Basse-Bretagne avec deux disques du couple Le Nouveau-Le Gal du pays Pourlet (Morbihan intérieur), trois disques des frères Sciallour de Pont-Aven et un disque des sonneurs de Carnac François Magadur et son fils Jean. Le label Le Soleil produit aussi deux 78 tours des sonneurs Benjamin Guiguéno et Louis le Blond.
En 1932 se produit un tournant avec la création de la K.A.V.* (Kenvreuriez Ar Viniaouerien ou Confrérie des Sonneurs de Biniou), tout premier bagad fondé à Paris par Hervé Le Menn (1899-1973) qui optera pour le biniou-braz*55. Cette adaptation de la cornemuse écossaise au répertoire breton avait été inventée par le luthier parisien Dorig le Voyer, également membre de la K.A.V. C’est donc dans les années 1940 que cette dernière enregistre trois disques pédagogiques dédiés à l’enseignement des danses sous le label Scoladisque Folklore. Après-guerre, c’est surtout Mouez Breiz qui produit à partir de 1950 des 78 tours des sonneurs Louis « Loeiz » Roparz et François Bodivit, quatre disques des sonneurs Louis Guéguen et Jean-Marie Hénaff, et deux des frères Louet. C’est à cette période que l’on voit le remplacement progressif du biniou-koz par le biniou-braz. Le sonneur et fondateur de la B.A.S. Polig Monjarret enregistre quelques 78 tours avec Youenn Gwernig ou Dorig le Voyer. En 1954, la maison parisienne Ducretet-Thomson produit encore quelques 78 tours des solistes de la Kevrenn de Rennes en couple avec biniou koz* et biniou braz*. À Paris, les sonneurs Marcel le Guevel et Marcel le Grumelec, issus du cercle celtique parisien Kornog Keltieck, enregistrent deux 45 tours et deux 33 tours chez Vogue, mais la production nationale sera alors anecdotique en comparaison de la production de Mouez Breiz.

Culture bretonne et production discographique dans l’après-guerre

Reconversion du mouvement politique breton

Il ne s’agit pas ici de s’appesantir sur les raisons qui ont poussé de nombreuses personnalités des milieux politico-culturels bretons, tentées par l’autonomie ou l’indépendance de la Bretagne, à collaborer avec l’occupant allemand, voire même dans le cas du Bezen Perrot* à oeuvrer directement contre les réseaux de résistance pour le soutenir. Rappelons que l’Allemagne avait promis aux dirigeants nationalistes du Parti National Breton une certaine autonomie de la Bretagne dans un grand Reich. De nombreux militants, parmi lesquels les chanteurs Taldir et Loeiz Herrieu écrivirent sous pseudonyme des articles dans la revue nationaliste L’Heure Bretonne. Nous renvoyons le lecteur aux nombreux ouvrages et thèses traitant du sujet pour tenter de se faire un avis sur cette question clivante et bien souvent partisane62. Toujours est-il que les conséquences de ces alliances et compromissions furent grandes en Bretagne. L’élite culturelle du mouvement breton fut frappée d’opprobre : onze militants nationalistes bretons furent condamnées à la peine capitale et sept d’entre eux furent exécutés.
Certaines personnalités comme le linguiste Roparz Hemon (1900-1978) trouvèrent refuge en Irlande, d’autres en Argentine comme Olivier Mordrelle (1901-1985) afin d’échapper à la peine capitale, tandis que de nombreux acteurs des milieux culturels furent déchus de leurs droits civiques et assignés à résidence dans la région parisienne.
Le fossé qui existait déjà entre les élites culturelles bretonnes et les milieux populaires se creusa pour des décennies. Les militants bretons – dont un grand nombre avaient appris le breton tardivement, le parlaient mal et portaient cette langue en étendard de leurs revendications politiques – étaient perçus comme des traîtres par une majorité de la population, qui se détourna alors des pratiques populaires et d’une langue bretonne peut-être entachée d’accointances nationalistes. Jouer dans une kevrenn*, danser dans un cercle celtique ou parler breton quand on n’était pas locuteur de naissance rendait quiconque suspect d’être un Breiz Atao. Ce sont pourtant ces circonstances dramatiques qui vont voir l’émergence d’une « nouvelle musique bretonne » dont l’une des personnalités les plus importantes fut sans conteste Polig Monjarret (1920-2003). Pendant la guerre, ce dernier formait avec le luthier Dorig Le Voyer le couple de sonneurs des Bagadou Stourm (troupes de combat), troupes de jeunesse du Parti National Breton. Sur le modèle de la K.A.V. parisienne dont ils étaient tous deux issus, ils créent en 1943 l’association Bodadeg Ar Sonerion (B.A.S., l’assemblée des sonneurs) dont la première prestation eut lieu dans la cour d’honneur du Parlement de Bretagne, puis fondent le premier camp musical à Gouézec en septembre 1943. Après-guerre, Polig Monjarret sera inquiété pour sa participation au mouvement nationaliste breton et pour avoir vendu sur les marchés le journal L’Heure Bretonne, journal du P.N.B, mais il sera finalement innocenté.

Une « nouvelle musique bretonne »

La musique traditionnelle bretonne est dominée à partir de la fin des années 1940 par la multiplication des bagadoù et des cercles celtiques, mais aussi par le renouveau du collectage et la naissance du fest-noz moderne, enfin par la sécularisation des chorales. La diffusion de ces musiques dans les foyers doit beaucoup à l’émission en breton de Pierre-Jakez Hélias et Pierre Trépos sur Radio Quimerc’h65, mais elle est aussi liée à l’arrivée du disque microsillon sur support vinyle qui va rendre accessible le disque au plus grand nombre. C’est sur ces bases que va se constituer durant les Trente Glorieuses une « nouvelle musique bretonne »66 qui supplantera progressivement la musique des chanteurs accompagnés, toujours très appréciée jusque dans les années 1960. La musique de Haute-Bretagne, chantée en français ou en gallo, reste le parent pauvre de la musique bretonne dans cette période de renouveau, car moins porteuse d’une spécificité culturelle, mais elle sera néanmoins défendue par des cercles celtiques de Haute-Bretagne.

La grande mode des chanteurs accompagnés

Dans l’immédiate après-guerre, c’est le chant accompagné qui a la faveur des auditeurs des postes de TSF, grâce à Radio Quimerc’h, décrochage régional de la radiodiffusion nationale pour tout l’ouest de la Bretagne. La plupart des chanteurs ont abandonné l’appellation de « barde », hormis le ténor Stanislas (ou Staniély) Milbéo qui se spécialise dans les chansons de Théodore Botrel, publiant des disques chez Vogue et un 45 tours chez Mouez Breiz. Cet abandon du nom est probablement dû à la collaboration avec l’Allemagne de certains d’entre eux, tels les bardes Taldir et Loeiz Herrieu, dont la réputation était ternie par leur participation à la rédaction de L’Heure Bretonne. Mais tous n’avaient pas choisi le même camp : le barde Francis Moal composait des chansons en l’honneur du Général de Gaulle et son ami François Stéphan, résistant membre du réseau Century, avait été fusillé par les allemands en 1944. Émile Cueff décédant brusquement en 1952, sa femme et ses trois filles continueront à maintenir les tournées et le répertoire du barde jusqu’à la fin des années 1960.
À l’instar des chanteurs d’avant-guerre, la plupart des chanteurs de la nouvelle génération ont une formation classique, ils sont solistes dans des chorales en Bretagne ou font carrière à Paris. En 1950, Mona Kerys, qui chantait sous le nom de Mona Pesker pendant l’occupation69, est la première à enregistrer après-guerre. À son répertoire, gravé sur six 78 tours par Pathé-Marconi entre 1947 et 1949, figurent Théodore Botrel mais aussi les désormais classiques Bro Goz ma zadou de Taldir, Kousk Breiz-Izel, An durzunell ou Me zo ganet e-kreiz ar mor, chanson de Yann-Ber Calloc’h sur une musique de Jef le Penven. Elle interprète également de la chanson française, accompagnée par l’orchestre de Louis Garzon. Les accompagnements d’orchestre ou de piano de Lucien Mérer sont alors très soignés, et les harmonisations sont l’oeuvre de compositeurs d’opérettes comme Théophile Hirlemann. Jef le Penven, qui était tout jeune directeur du Théâtre de Rennes pendant l’occupation, fut un compositeur dont les arrangements de mélodies populaires de Bretagne étaient influencés par Fauré et Debussy. Il accompagne encore Mona Kerys sur l’un de ses derniers disques, un 45 tours paru chez Mouez Breiz en 1956, tandis que Gérard Pondaven, titulaire de la chaire d’orgue de la cathédrale de Quimper, accompagne les deux autres70. Dans les années 1950, Mona Kerys donne également des cours de chant à Ker Vreiz, le local associatif des bretons de Paris, rue Saint Placide.

L’essor des bagadoù et leur enregistrement

Dans la lignée de la K.A.V. et du premier bagad créé à Rennes en 1943, c’est au travail opiniâtre de Polig Monjarret que l’on doit donc l’essor du phénomène du bagad dans l’après-guerre. À peine sorti de ses ennuis judiciaires, il dépose les statuts de l’association Bodadeg ar Sonerion en 1946. Avec la B.A.S., Polig crée le bulletin Ar Soner dont le premier numéro paraît en 1949, et publie entre autres régulièrement des partitions. Dans la toute jeune association, le luthier et sonneur Dorig Le Voyer fournit les musiciens en bombardes et cornemuses, Polig s’occupe de la revue et collecte un grand nombre de mélodies dans la campagne auprès des chanteurs et sonneurs de tradition. Le compositeur Jef le Penven s’occupe de choisir la musique qui sera jouée par les groupes, triant avec zèle les airs collectés par Polig Monjarret pour en ôter tout air suspect de ne pas être assez breton. Le résultat de cette grande collecte sera publié à partir de 1984 sous le titre Tonioù Breizh-Izel.
En 1947, Polig Monjarret s’installe à Carhaix où il crée l’année suivante la Kevrenn Paotred an Hent-Houarn, bagad des cheminots de Carhaix, avec des membres du cercle celtique local. Au même moment, d’autres initiatives voient le jour : à Brest, c’est au mouvement de solidarité qui suivit l’explosion du navire Ocean Liberty le 28 juillet 1947 que l’on doit la naissance de la Kevrenn Brest Saint-Marc. Elle publiera des disques à partir de 1959 chez Pathé-Marconi, Velia, Riviera et Mouez Breiz. La Kevrenn Brest ar Flamm, issue du patronage laïc La Flamme, naît d’une scission d’avec Saint-Marc et publie ses premiers enregistrements chez Barclay en 1958. À Paris, le Bagad Bleimor naît en 1949 dans le giron du jeune groupe des scouts Bleimor de Pierre Géraud. En 1951, c’est la création de la Kevrenn C’hlazig (le futur Bagad Quimper) avec Loeiz Ropars qui enregistre dans la même année un premier disque chez Mouez Breiz. L’année 1951 voit aussi la naissance de la Kevrenn Alre – bagad des cheminots d’Auray – et du Bagad Quic en Groigne de Saint Malo, puis du Bagad Melinerion à Vannes.
En 1953, la Kevrenn de Rennes sera créée par Christian Hudin et Patrick Coué, ses disques seront enregistrés par Ducretet-Thomson puis par Barclay. La création de tous ces bagadoù et leur mise en concurrence dans les concours ne passent pas inaperçue et c’est en 1953 qu’est créé la Fête des Cornemuses à Brest pour accueillir un concours des bagadoù. La fête déménagera à Lorient en 1971 et, pour se démarquer des Fêtes de Cornouaille, elle mettra l’accent sur l’interceltisme en se rebaptisant la Fête Interceltique des Cornemuses de Lorient en 1972. D’autres maisons de disques produisent des enregistrements de bagad, comme entre autres Decca pour le disque du Bagad Kastel Pol vers 1960.

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Table des matières

Introduction – Une nouvelle musique bretonne ? 
Première partie : Des bardes à la Nouvelle Musique Bretonne
Chapitre 1 : Collectage et production commerciale avant 1945
Chapitre 2 : Culture bretonne et production discographique dans l’après-guerre
Deuxième partie : Un nouvel orchestre pour la danse bretonne 
Chapitre 3 : Evit Koroll, les pionniers rennais
Chapitre 4 : Son Ha Koroll, « Orchestre Celtique »
Troisième partie : Nouvelles esthétiques du chant accompagné 
Chapitre 5 : Deux filles bien modernes
Chapitre 6 : Les Kabalerien, vers le quatuor accompagné
Quatrième partie : Retour à la danse – vers le fest-noz moderne 
Chapitre 7 : La grande vogue des ballets populaires
Chapitre 8 : Les Namnediz, vers le bal et le folk-song breton
Conclusion 
Glossaire 
Bibliographie – Discographie
Table des matières

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