L’activité conte : Représentation de l’histoire par le dessin
Ce temps est le dernier ou j’ai pu observer Éric durant mon stage. Cette séance s’est déroulée une dizaine de minutes après le dernier entretien individuel décrit dans la partie précédente. Ainsi, Éric garda fièrement la petite carte donnée par la psychologue dans ses mains pendant une grande partie de l’activité. Il posa cette dernière à un moment pour dessiner et l’oublia lorsqu’il dû repartir de la salle. Je lui ai rapporté avant que ce dernier ne quitte l’institution. À ce moment, il écarquilla les yeux, me remercia et s’excusa de son oubli avec un air désolé.
Durant la première partie de l’activité, les différents enfants sont venus à raconter la manière dont s’étaient déroulées leurs deux semaines de vacances. L’un d’eux avait alors évoqué qu’après avoir fait une « bêtise » ce dernier n’était jamais puni par des actes physiques. Il avait alors expliqué que son père prenait toujours le temps de lui expliquer ce qu’il avait fait, et pourquoi cela méritait, selon lui, une punition. Les autres enfants avaient alors réagi avec surprise en apprenant que certains parents n’utilisaient pas des punitions ou remontrance physique envers leurs descendants.
Les différents niveaux de conflictualités dépressives
Dans un premier temps, il me semble important de tenter d’expliquer en quoi il est possible d’observer, chez Éric, des manifestations se rapportant à des angoisses dépressives. Ces dernières sont centrales dans l’apparition et le dépassement de la position dépressive et schizo-paranoïde décrit par Mélanie Klein, comme le rappelle W. Barranger (1999) « la position fait référence à une organisation situationnelle qui se met en place en réponse à un type d’angoisse spécifique ». Cette organisation situationnelle décrit la situation objectale globale dans laquelle se situe l’individu, ce qui fait référence à l’ensemble des transactions réalisées entre-le-moi, le sur-moi et le ça afin de surmonter l’angoisse. Comme durant le développement sexuel de l’enfant, il existe des oscillations entre les deux positions au cours de la vie du sujet, ce qui peut se traduire par des alternances ou la présence simultanée des deux positions. Le danger provenant de l’angoisse peut alors être menaçant, agressif ou accusateur envers le sujet, de la même manière qu’il peut se retrouver réparable par l’individu si celui-ci éprouve de la culpabilité.
Ainsi, l’angoisse dépressive est décrite comme étant issue « du mal fait aux objets aimés internes et externes par les pulsions destructrices du sujet » (Klein, 1952, p264). De fait, selon la théorie kleinienne, cette angoisse suppose l’apparition antérieure de la position schizo-paranoïde et le vécu de l’angoisse persécutrice comme une angoisse « d’anéantissement du moi » (Klein, 1952, p264). C’est ce qui va pousser le moi à tenter d’intégrer les pulsions agressives et les pulsions libidinales s’exerçant sur les objets afin de les transformer en objets totaux (Palacio-Espasa, 2008). L’angoisse dépressive se rapporte donc aux objets et à leurs avenirs suite aux attaques. Elle est en étroite relation avec la culpabilité du sur-moi et le mécanisme de réparation à l’œuvre pour limiter cette angoisse.
Analité et surdétermination pulsionnelle de la voix
Pour commencer, il me semble pertinent d’aborder la question de la voix d’Éric et la nature de ses relations objectales. La diminution de ses nombreux questionnements en début de séances témoigne, à mon avis, de l’investissement de la psychologue comme objet digne d’amour, et d’une éventuelle projection de l’objet maternel. Les différentes questions qu’il pose peuvent revêtir la forme d’une tentative de contrôle de son environnement vis-à-vis de sa surdité. En effet, Éric se définit d’abord par son trouble sensoriel, monopolise la parole à de nombreux instants et oublie régulièrement ses appareils. De plus, il accepte, tout en les soulignant, les propos de sa mère sur ses troubles du comportement, mais aussi sur sa surdité, comme lorsqu’elle dit « il n’écoute pas tout ». Ces éléments, à mon avis, témoignent d’abord d’une certaine analité dans ses relations objectales par la tentative de maîtrise et de contrôle d’Éric sur sa voix et son échange avec l’extérieur. En effet, cette voix a fait l’objet de nombreuses prises en charge depuis sa naissance, qu’elles soient orthophoniques ou parentales. De ce fait, parler ou non est devenu synonyme d’enjeu fort dans ses relations interindividuelles. Ainsi, le voir dans une oralisation excessive face à l’adulte et à l’inconnu peut relever d’un « investissement infantile à l’origine d’une surdétermination pulsionnelle du côté de l’analité » (Bernard, 2007)
Angoisse de perte d’amour
Il me semble cohérent d’aborder l’angoisse de perte d’amour de l’objet étant donné sa place supposément importante dans l’organisation des relations interpersonnelles d’Éric. Chez ce dernier, le fait de rechercher la reconnaissance de l’adulte, tout en rejetant les avances de ses pairs, comme l’enfant T, peut être rapproché à la recherche de preuve d’amour ou d’expérience positive avec l’objet. En effet, comme lors de la dernière séance d’analyse, Éric est confronté à la frustration, à ce qu’il peut percevoir comme un manque d’estime de la part de l’objet aimé. Ceci se retrouve lorsque la psychologue a émis des reproches envers le manque d’attention d’Éric, soit ses difficultés d’écoute de la voix orale. Cette confrontation il l’a probablement déjà subi auprès de ses parents, comme lorsque sa mère avait dit « il n’écoute pas tout », ou auprès des professionnels de la surdité qu’il a déjà rencontrés. Fleur Michel (2009) explique que pour l’enfant handicapé, face au pouvoir destructeur du handicap sur les figures parentales, le sujet n’a le choix qu’entre deux options. La première consiste en « une identification au mauvais objet de mauvais parent » (Michel, 2009), c’est-à-dire s’identifier comme l’agresseur de ses parents que l’on a soit même détruit.
Culpabilité primaire et inconsciente face à la réprobation parentale
Les hypothèses précédentes concernant la relation entre Éric et ses parents, mais aussi son déplacement sur le cadre analytique, laissent penser qu’un des moyens pour Éric de préserver un lien parental reste une tentative de sortir de la surdité. Lorsque ce fantasme rencontre l’échec et la frustration dans la réalité suite à la réprobation, alors une culpabilité inconsciente et primaire peut surgir.
En effet, si Éric tente d’expérimenter le danger qui le ferait se ressentir comme mauvais, et si les propos de la psychologue concernant ses difficultés d’écoute l’ont touché, il serait peut-être possible d’envisager la présence de culpabilité inconsciente chez ce dernier, sentiment faisant suite à ses pulsions agressives envers la psychologue. En effet, c’est « le sentiment que le mal fait à l’objet aimé est causé par les pulsions agressives du sujet » (Klein, 1952, p267) qui désigne la culpabilité. De plus, c’est bien le sentiment que le sujet a fait le mal qui entraine son désir de le réparer.
Selon André Green (2003), la culpabilité primaire dépendrait de la réprobation parentale survenant avant la création du sur-moi de l’enfant, soit avant qu’il soit capable d’y attacher un sens. Ce serait alors la peur ressentie face à l’autorité, mais aussi la sensibilité de l’enfant par rapport à l’intimidation qui l’a caractérise et forme ainsi le berceau de l’angoisse.
L’auteur suppose que ce sont les identifications primaires de l’enfant qui le pousse à utiliser la «peur-soumission » afin de « provoquer la bienveillance » (Green, 2003) lorsqu’il sera confronté à cette culpabilité. En reprenant les propos de Freud au sujet de cette culpabilité, il précise les différents processus à l’œuvre dans sa création. L’enfant projetterait d’abord son monde interne sur l’adulte, soit sa destructivité puis sa « capacité de ressentir ce qu’impliquaient ses attaques antérieures » (Green, 2003). Il accéderait ensuite à l’introjection de son agression sur l’adulte qui serait en partie retourné et prise par une partie du Moi de l’enfant. Cette dernière, en lieu et place du sur-moi se mettra en tension avec le reste du Moi et c’est justement cette tension qui serait appelée sentiment de culpabilité. Celle-ci trouvera sa forme dans le besoin de punition de l’enfant et son enjeu restera la « survie de l’objet d’amour » (Green, 2003).
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Table des matières
Introduction
I – Contexte de la rencontre clinique
A – Présentation du lieu de stage
B – Rencontre clinique avec Éric
1- Le cadre
2 – Le choix du prénom de substitution
C – Éléments d’anamnèse
Synthèse
II- Présentation des données cliniques
A – L’admission
B – Première séance individuelle
C – Deuxième séance individuelle et début de l’activité conte
D – Dernière séance : Éric face à la réprobation
E – L’activité conte : Représentation de l’histoire par le dessin
Synthèse
III – Partie théorico-clinique
A – Les différents niveaux de conflictualités dépressives
B – Analité et surdétermination pulsionnelle de la voix
C – Angoisse de perte d’amour
D – Culpabilité primaire et inconsciente face à la réprobation parentale
Synthèse
Conclusion
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