Critères médico-légaux, enjeux cliniques et théoriques de l’indication d’injonction de soins

Si la mise en œuvre des relations entre justice et psychiatrie a été perceptible dès la fin du XVIIIème siècle, c’est bien au XXème siècle que l’organisation de ces rapports s’est concrétisée, grâce à l’adoption de différentes lois qui ont répondu à la volonté de dépasser le clivage longtemps établi entre ces disciplines. La loi n°98-468 du 17 juin 1998 « relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles et à la protection des mineurs » a été l’illustration manifeste de l’articulation nouvelle des relations santé-justice. En donnant naissance au suivi socio-judiciaire et à l’injonction de soins, elle a incité les professionnels des milieux sanitaires et judiciaires à collaborer, aux fins de renforcer la prévention de la récidive pénale. Dans l’Histoire, la question débattue a longtemps été celle de la prise en charge des sujets ayant commis un acte criminel et ceux souffrant d’un trouble mental, puis la réflexion s’est orientée autour de la question de la prise en charge de sujets délinquants souffrant de maladie mentale.(1)(2) Le développement de ces réflexions s’est inscrit dans des contextes politiques, sociaux, philosophiques particuliers qui ont participé à l’évolution des concepts de « folie », du « fait criminel » et de « dangerosité ». Bien que les instruments législatifs aient été multipliés pour tenter de répondre à ces questions, les problèmes qui s’y rattachent demeurent ; les enjeux suscités par le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soins en sont des exemples probants.

En faisant intervenir des professionnels des milieux judiciaires, sanitaires et sociaux, le suivi socio-judiciaire consiste en un suivi en milieu ouvert, qui implique pour le sujet condamné de se soumettre à certaines mesures « d’assistance » et « de surveillance » sous le contrôle du Juge d’Application des peines, dans le but de prévenir la commission d’une nouvelle infraction. (3) L’injonction de soins représente l’une des obligations possibles du suivi socio-judiciaire ; bien qu’elle soit le plus couramment prononcée dans ce cadre légal, elle n’y est plus exclusivement liée(4) et peut également être prononcée dans le cadre d’une surveillance judiciaire,(5) d’un sursis probatoire,(6) d’une libération conditionnelle(7) ou d’une surveillance de sûreté.

Approche historique des relations santé-justice

Les prémices de l’articulation des relations santé-justice

« A l’âge classique, l’asile surgit comme une nouvelle manière de voir et de faire les fous, manière très différente de celle du Moyen-Âge, de celle de la Renaissance ; et la médecine de son côté, mais aussi le droit, la réglementation, la littérature, inventent un régime d’énoncés qui concerne la déraison comme nouveau concept. Si les énoncés du XVIIème siècle inscrivent la folie comme l’extrême degré de la déraison, l’asile ou l’internement l’enveloppe dans un ensemble qui unit les fous aux vagabonds, aux pauvres, aux oisifs, à toutes sortes de dépravés : il y a une évidence, perception historique ou sensibilité, non moins qu’un régime discursif. » G. Deleuze – Foucault (11)

Michel Foucault dans sa thèse Folie et déraison. L’Histoire de la Folie à l’âge classique, publiée en 1961, va tenir le XVIIème siècle comme point de bascule, excluant la folie du champ de la Raison. C’est ce renversement qui fut, pour lui, fondateur de l’histoire de la folie telle que nous la connaissons aujourd’hui.(2) Alors qu’au XVIème siècle la folie était intégrée dans la société et exhalée par la culture, au XVIIème siècle au contraire les maladies mentales furent considérées sur le même plan que les conduites de mendicité ou que les conduites criminelles, si bien que tous ces « indésirables » se trouvèrent enfermés dans des institutions, aux fins notamment de protéger la société.

Ce n’est qu’à la fin du XVIIIème siècle, prenant inspiration dans une vision humaniste portée par les philosophes des Lumières, que les aliénistes comme Pinel, œuvreront vers une médicalisation de la folie qui aura pour conséquence la création d’établissements spécifiques nommés asiles. Dans ce contexte, plusieurs lois marqueront la distinction du crime et de la folie, introduisant dans ce clivage les relations de la justice et de la santé.

L’évolution des représentations de la folie entre la Renaissance et le XVIIème siècle

La place de la folie dans la culture et dans la société à la Renaissance

Dans une Europe occidentale marquée par les croyances religieuses et inquiétée par les famines et les guerres qui se profilent, la figure du fou devient au début de la Renaissance l’emblème du désordre universel, de la « colère de Dieu » contre le péché des hommes, l’allégorie « du monde à l’envers ». Le fou est un personnage symbolique, qui hante l’imaginaire du monde occidental par les images fantastiques qu’il fait naître.

Mais alors que le Moyen-Âge l’avait marginalisé, les humanistes de la Renaissance vont au contraire donner au « fou » une place importante dans la culture ; ils vont, pour Foucault, le laisser « circuler à l’état libre ». La figure du fou est reprise dans la littérature, à l’instar de l’ouvrage allemand La Nef des fous de Sebastian Brant paru en 1494, ou du célèbre Essai d’Érasme, L’éloge de la folie paru pour la première fois en 1509. Le fou est représenté dans la peinture, ou dans des pièces de théâtre, bref il reste en somme « présent à l’horizon ».(2) La folie dit Foucault « circule, elle fait partie du décor et du langage communs, elle est pour chacun une expérience quotidienne qu’on cherche plus à exalter qu’à maîtriser » (12).

Si une telle place est accordée à la folie c’est qu’elle permet notamment aux penseurs et artistes de la Renaissance de dénoncer les vices de la société et les abus les pouvoirs de l’époque. La folie va alors porter la voix des critiques envers le pouvoir et la société et revêtira sous cet aspect le masque de la sagesse.

Les propos de M. Foucault dans Maladie mentale et psychologie illustrent la place accordée à la folie à l’époque de la Renaissance : « La fin du XVème siècle est certainement une de ces époques où la folie renoue avec les pouvoirs essentiels du langage. (…) Il y a les réjouissances populaires autour des spectacles donnés par les « associations de fous » (…) ; il y a aussi les textes savants, les ouvrages de la philosophie ou de critique morale (…). Il y aura enfin, toute la littérature de la folie (…). Ce n’est pas dire que la Renaissance n’a pas soigné les fous. (…) On va les soumettre à un traitement pour une grande part sans doute inspiré de la médecine arabe. Mais ces pratiques sont localisées. La folie est pour l’essentiel éprouvée à l’état libre. (…) Il y a en France, au début du XVIIème siècle, des fous célèbres dont le public, et le public cultivé, aime à s’amuser. Jusqu’aux environs de 1650, la culture occidentale a été étrangement hospitalière à ces formes d’expérience ».

Mais pour Foucault, la folie va être « réduite au silence » à l’Age Classique par un « étrange coup de force » (2) qui est celui du Cogito.

L’importance du Cogito de Descartes

Au XVIIème siècle, la perception que la société aura de la folie va changer, influencée par des réflexions philosophiques nouvelles. Foucault, L’auteur du Grand Enfermement (1972) va reprendre le passage des Premières Méditations de Descartes (1641) pour en faire le point d’encrage d’une vision nouvelle de la figure du « fou » : « Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? Si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? Ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples ».(13) Ce passage des Méditations, représente pour Foucault la façon dont Descartes a mis à l’écart le fou du cogito c’est-à-dire du sujet-pensant, en le faisant entrer dans le domaine de la Déraison.

Même si la lecture faite par Foucault du texte de Descartes a été contestée par de nombreux philosophes et en particulier Jacques Derrida au sein de la fameuse « Querelle sur la folie »,(14) il n’en demeure pas moins que cette interprétation du Cogito ouvre la voie à la mise en question du rapport entre folie et Raison telle qu’elle a pu être posée par les penseurs à la suite de Descartes. Elle permet également de comprendre comment, pour Foucault, ce qu’il a appelé Déraison, a constitué le socle de ce qu’il nomma la période du « Grand Renfermement », en établissant un lien historique entre les Première Méditations de Descartes et la naissance de l’exclusion de la folie, au sein d’espaces où s’est par la suite constitué le savoir psychiatrique.

La naissance de nouveaux espaces d’exclusion

Au XVIIème siècle, dans une société où la norme sociale était basée sur le travail, la misère était assimilée à la vie libertine c’est-à-dire à l’oisiveté. La nécessité de punir tous les individus contestant l’ordre social basé sur le travail s’est alors imposée.(16) Tout individu montrant des signes de « dérangement » ou ne pouvant participer à la production et à la circulation des richesses fut exclu et envoyé dans de grandes maisons d’internement. Pauvres, invalides, vieillards, mendiants, chômeurs, libertins, criminels, insensés, ont été enfermés dans ces nouvelles institutions, créant ainsi un monde paradoxalement hétérogène et uniforme, celui de la Déraison.(16) Dans ces lieux se pratiquait d’ailleurs le travail forcé dans le but d’infliger aux individus un traitement moral et de les préparer à leur éventuel retour dans la société.

Michel Foucault voit dans la naissance de ces nouveaux espaces d’exclusion, le début d’une filiation entre folie et culpabilités morales et sociales, dont l’association entre crimes et folie telle qu’elle fut ensuite observée au XIXème siècle a été l’héritière.

L’oisiveté représentait donc une menace pour un l’ordre social et servait de prétexte à l’exclusion de tous ceux qui ne pouvait participer à l’effort de travail commun, mais la création de l’Hôpital Général en 1656 puis des grandes maisons d’enfermement répondirent également au désir de mettre à l’écart les individus représentant un danger pour la société. Aussi, « l’insensé » ayant commis un acte criminel pouvait être privé de sa liberté, mais il l’était alors, non à visée de condamnation, mais par mesure de protection sociale.

Bien qu’ayant un destin commun dans ces lieux d’exclusion, criminels et insensés étaient distingués sur le primat d’une folie qui « s’impose, incontournable, quand les rites qui assurent l’ordre de la communauté ne sont plus respectés ».(17) Marc Renneville souligne que cette distinction laissait imaginer que le fou y souffre moins que le criminel, « la société ne faisant que lui retirer en droit une liberté déjà perdue par son état de déraison » .

Là, il ne s’agissait pas de savoir si le criminel était ou non un être déchu de sa raison; le crime était considéré comme une « faute », un « péché » dont l’individu devrait rendre compte devant Dieu. De même, il n’était pas question de préciser si le fou ayant commis un crime devait être considéré comme malade ou coupable, il fallait d’abord protéger la société du danger qu’il représentait. Ces questions prirent forme en revanche avec l’émergence du courant « aliéniste » mené par Beccaria et Pinel à la fin du XVIIIème siècle.

L’influence aliéniste sur la distinction du crime et de la folie 

Les pratiques d’enfermement commun de tous les êtres de Déraison furent remises en question dès fin du XVIIIème siècle dans le contexte de la Révolution et de la contestation de tous les symboles de la Royauté. L’État, organisé au sein d’une République naissante, a alors été sommé de répondre au paradigme posé par la nécessité de protection de ses citoyens inquiétés par la figure du fou, et par une certaine retenue dans l’usage de son pouvoir qui impliquait de ne pas enfermer arbitrairement le sujet « insensé ». La naissance de la psychiatrie avec l’aliénisme à la fin du XVIIIème siècle a permis d’apporter un élément de réponse à ce dilemme « en soustrayant le fou à l’univers de la faute »(18) et en donnant à la folie un statut de la maladie pouvant être guérie.

Les pratiques d’enfermement commun de tous les êtres de Déraison furent remises en question dès fin du XVIIIème siècle dans le contexte de la Révolution et de la contestation de tous les symboles de la Royauté. L’État, organisé au sein d’une République naissante, a alors été sommé de répondre au paradigme posé par la nécessité de protection de ses citoyens inquiétés par la figure du fou, et par une certaine retenue dans l’usage de son pouvoir qui impliquait de ne pas enfermer arbitrairement le sujet « insensé ». La naissance de la psychiatrie avec l’aliénisme à la fin du XVIIIème siècle a permis d’apporter un élément de réponse à ce dilemme « en soustrayant le fou à l’univers de la faute »(18) et en donnant à la folie un statut de la maladie pouvant être guérie.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : APPROCHE HISTORIQUE DES RELATIONS SANTÉ-JUSTICE : DE LA FIN DU XVIIEME SIECLE A LA LOI DU 17 JUIN 1998
I. Les prémices de l’articulation des relations santé-justice
1. L’évolution des représentations de la folie entre la Renaissance et le XVIIème siècle
2. La naissance de nouveaux espaces d’exclusion
3. L’influence aliéniste sur la distinction du crime et de la folie
4. La distinction du sujet « criminel » et du « fou » à partir de la notion de libre-arbitre
II. La naissance des sciences humaines et l’avènement de la criminologie : une nouvelle confusion du crime et de la folie
1. L’essor de la phrénologie
2. L’assimilation du crime et de la folie impulsée par la théorie de la dégénérescence
III. L’organisation des relations santé-justice au XXème siècle
1. L’apport de la Circulaire Chaumié dans le principe d’individualisation des peines
2. Le mouvement de défense sociale Belge
3. De la « Défense Sociale Nouvelle » en France, au modèle intégratif santé-justice
PARTIE 2 : CADRE MÉDICO-LEGAL D’APPLICATION DES SOINS PÉNALEMENT ORDONNÉS
I. Principes de procédure et définition des soins pénalement ordonnés
1. L’obligation de soins
2. L’injonction thérapeutique
3. L’injonction de soins
II. Contexte de création et évolutions législatives du suivi socio-judiciaire et de l’injonction de soins
1. La création du suivi socio-judiciaire et de l’injonction de soins par la loi du 17 juin 1998
2. L’évolution législative des dispositifs
3. Les différents temps et acteurs de la mesure
PARTIE 3 : ENJEUX DE L’INJONCTION DE SOINS AUTOUR DES NOTIONS DE DANGEROSITÉ ET DE RISQUE DE RÉCIDIVE
I. Approche des concepts de dangerosités psychiatrique et criminologique
1. Tenir à une distinction entre dangerosité psychiatrique et dangerosité criminologique
2. De la dangerosité au risque de récidive
II. Enjeux cliniques et théoriques de l’évaluation de la dangerosité dans le cadre de l’expertise psychiatrique pénale
1. Enjeux conceptuels de l’expertise de dangerosité
2. Les moyens de l’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive
PARTIE 4 : ENQUETE COMPARATIVE NATIONALE AUPRÈS DES PSYCHIATRES EXPERTS JUDICIAIRES ET DES JUGES D’APPLICATION DES PEINES
I. Introduction
II. Matériel et méthode
1. Objectifs de l’étude
2. Type d’étude
3. Constitution des échantillons
4. Questionnaires
5. Analyse statistique
III. Résultats
1. Résultats obtenus auprès des experts psychiatres
2. Résultats obtenus auprès des juges d’application des peines
3. Comparaison des résultats obtenus auprès des experts psychiatres et des juges d’application des peines
IV. Discussion
1. Principaux résultats
2. Questions d’ordre général relatives à l’indication de l’injonction de soins
3. Critères ayant donné lieu à une différence significative entre experts psychiatres et magistrats
4. Les moyens de l’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive dans le cas de l’expertise psychiatrique pénale
5. Forces et limites de l’étude
6. Perspectives
CONCLUSION

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