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Les défis du statonationalisme
Créer l’Etat : emprunts et syncrétismes
L’indépendance octroyée bien que suscitant les espoirs souffre néanmoins du fait qu’elle ne puisse incarner la rupture avec l’ancien système colonial. L’Etat construit sur ces bases porte cependant en lui l’espoir pour la société malgache d’une recomposition d’une société plus juste et non moins promise par les discours égalitaristes du Socialisme de Tsiranana. La question de la dichotomie réelle ou instrumentalisée Merina /côtier est tue par les fréquents appels à l’unité ainsi que le caractère unitaire de l’Etat. « Il existe un Etat quand un pouvoir juridique organisé monopolise la contrainte légitime sur un territoire au sein d’une population »51. Les trois éléments développés par Carré de Malberg : un territoire, un peuple, un gouvernement, s’y croisent. Nous insisterons cependant sur la question du gouvernement. Nous nous pencherons sur l’Etat comme « forme d’organisation politique caractérisée par une forte spécialisation des rôles de gouvernement et par l’existence d’une bureaucratie »52.
L’entreprise d’ « importation de l’Etat53 » aura lieu tout au long de la première république. Mais qu’il soit considéré comme importé ou transmis, la confrontation du modèle universel au contexte malgache constitue la difficulté d’un Etat devant à la fois se construire et construire la société. S’il est vrai que Madagascar, avant la colonisation avait une « société à Etat centralisé54 » sous la monarchie Merina, une restauration était impossible mais prêtait cependant à quelques emprunts. Bien que l’Etat soit sécularisé et perd donc « les attributs symboliques traditionnels de sécurité et de fécondité55 » du pouvoir, il aura, pour se légitimer, à faire appel au passé pour y trouver le consensus56 nécessaire à son institutionnalisation et le « minimum de consensus »57 nécessaire à sa survie. Portant sur le système politique défini comme « appareil de régulation qui caractérise le fondement, la finalité et les modalités d’exercice du pouvoir qui régit la collectivité 58», il est sensé établir sur la base du « marimaritra iraisana59 » les limites de ce qui est public, relevant de l’Etat de ce qui est privé, relevant de la société. Les dirigeants voient leurs « volontés subjectives » subordonnées à un statut60 définissant leur « compétence ». Le consensus est mis en scène lors d’évènements généralement organisés par le pouvoir, colloques, forums ou toutes autres formes traduisant le « loabary an-dasy » mais le « teny miakatra » n’est souvent qu’illusoire. D’ailleurs, le sens du consensus est gauchi et devient synonyme d’ « unanimité » ne supportant aucun discours contradictoire émanant de l’opposition politique.
La malgachisation et le développement de l’administration répondent à l’impératif de construire l’Etat ainsi qu’à l’objectif moderne de développement. Les institutions nées de la Loi Cadre en constituent les bases consensuelles, du moins dans la classe politique. La mise en œuvre du développement lui permettra de légitimer ses décisions. Elle n’offre cependant aucune rupture avec la période coloniale en milieu rural. Les voies autoritaires du « commandement » y sont reprises, s’agissant d’un style de rapport entre l’administration émettant l’ordre et les individus supposés obéir sans discuter sous peine de sanctions. «Apprendre à la masse autochtone à aimer le travail 61», se traduit en 1965 par une circulaire de lutte contre l’oisiveté. La fiscalité, notamment en milieu rural, est subie comme une violence surtout symbolique quant au « minimum fiscal » et l’ « impôt sur le bétail » réclamés avec vigueur par les autorités locales notamment en temps de disette. La fiscalité figurait au rang des causes de l’insurrection paysanne du Sud en 1971, évènement prélude au renversement de Philibert Tsiranana.
Nation, citoyenneté et « fihavanana »
L’Etat, comme « entreprise de nationalisation 62», aura à faire émerger une conscience nationale dans le but de former une citoyenneté. Elle se définit comme « le lien juridique et politique entre un individu et une communauté politique : les droits civils et politiques l’intégrant dans la communauté politique ».63 La notion de citoyenneté se pose comme fondement de la modernité politique, et est beaucoup plus concrète que celle de « nation ». Se pose alors la question de savoir s’il existe ou non une identité malgache capable de transcender les particularités, une identité qui résulterait d’un « processus historique » permettant de réaliser l’idéal d’égalitarisme intrinsèque à la citoyenneté.
Concrètement, cette entreprise se fera en deux phases, la première consiste à fonder une identité nationale et la seconde consiste à rallier les individualités. La citoyenneté ne peut cependant exister sans un certain degré de solidarité, sans la « conformité à un ensemble de rôles sociaux spécifiques » et l’observance de règles de civisme. Les obstacles à dépasser sont ceux de l’ « ethnicité » qui constitue une réalité qu’elle soit jugée authentique ou produit d’une construction 64lors de la période coloniale ainsi que le « caractère hiérarchisé de la société malgache », mention spéciale est faite à la « division en caste chez les Merina ». Ces identités particulières résultent de déterminantes sociales renforcées par la sécurité fournie par ces relations. Le « fihavanana » reconnu par les constitutions comme élément de l’Identité Nationale est mis à profit pour fonder la citoyenneté65. La notion, épurée par le pouvoir se voit comme le lien assurant la solidarité et la cohésion entre les membres d’une même communauté, une définition faisant l’économie du particularisme de la notion pour l’étendre au territoire national qui devient le « tanindrazana » du citoyen. Conduire les malgaches à considérer le concitoyen comme un « havana » relève d’une utopie, bref d’une construction fragile.
Si le fihavanana (ou filongoa), notion partagée dans toutes l’Ile constitue l’élément de solidarité de la citoyenneté, légitime les éléments de l’Identité Nationale, il ne peut suffire à rallier les individus par sa seule exhortation. L’Etat doit entreprendre dès lors un effort permanent de socialisation, se définissant comme « les divers processus que chaque groupe met en œuvre pour faire intérioriser c’est-à-dire admettre et assimiler par les individus qui la composent les normes, sentiments, croyances, attitudes, conduite qui sont les siens66 ». Les buts de toute socialisation étant d’assurer la reproduction du « malgache » dans ses attentes, rôles et attitudes, mais surtout dans le but d’intégrer les individus dans la nation. L’Etat sera ainsi amené à faire appel à une symbolique de la Nation dont les manifestations sont généralement les fêtes nationales, la Carte d’Identité Nationale, et les lieux de mémoire. Symbolique qui s’ajoute à la diversité des moyens de socialisation déployés : medias, éducation civique, langage…
Revêtant la forme d’un contrat67, la citoyenneté ne peut faire l’économie d’une « volonté de dépassement » pour l’individu de son identité ethnique ainsi que de la sécurité offerte par les rapports de parenté et de prendre conscience de son « essence »68malgache.
La sédimentation de la modernité
Le refus de la sécularisation du pouvoir, renforcé par les syncrétismes opérés conduira à donner au pouvoir deux visages. Le premier marque une conformité aux exigences de l’Etat moderne : référence aux droits de l’homme, à la démocratie et à l’Etat de droit. Le second obéit à un corpus de normes « néo-traditionnelles » souvent en conflit avec le modèle. La rétrospective des différentes républiques permet de remarquer la constitution progressive et la reproduction d’un modèle malgache d’exercice du pouvoir (Section1). Un modèle qui aura cependant à prendre en compte un certain nombre de données dans le but de s’adapter (section 2).
la modèle malgache
Des idéologies et des hommes
Idéologie peut s’entendre comme un « moyen d’action en tant qu’ensemble d’idées, de mythes, de représentations…qui gouvernent la conduite des individus ou des groupes humains en structurant leurs imaginaires »69. Il s’agit donc d’une vision du monde allant dans le sens d’une simplification facilitant le positionnement des individus mais permettant aussi de distinguer les amis des ennemis politiques.
Les idéologies importées, par un souci de communicabilité et d’adaptation culturelle ne se définissent pour la masse que par le discours de celui qui s’en prévaut. L’idéologie fournit au politicien une symbolique qui le distingue dans l’offre politique. Idéologies et projets de changement social ne sont pas forcément corollaires. Les orientations libérales du socialisme « moramora » du président Tsiranana trouvent leur cohérence dans les explications de ce dernier : « nationaliser c’est voler. Le gouvernement ne vous volera jamais »70.
La parenthèse militaire de 72-75 se réclamera d’un apolitisme des hommes en treillis. En 1972, « pour le bien du pays, la vie politique sera mise en sommeil »71. Les 96% de votes au référendum72 du 8 octobre 1972 légitiment par la démocratie directe un homme ainsi qu’une mission des plus vagues. En l’absence d’une idéologie mobilisatrice, le gouvernement tentent au moins de donner « l’impression du changement 73» par de nouvelles institutions, par des mesures comme la suppression de l’Impôt minimum fiscal et le coût d’éclat de l’abrogation des Accords de Coopération ainsi que la sortie de la Zone Franc, ayant rendu populaire le ministre des affaires étrangères de l’époque, un certain Didier Ratsiraka.
Chasser le politique du pouvoir ne dispense pas l’armée des mêmes maux : le clivage merina-côtier latent depuis l’institutionnalisation des forces armées. On parle d’une armée ayant à sa tête des officiers merina et une gendarmerie non merina issue de castes inférieures donnant lieu à des revendications de promotion de militaires non-merina. Le principe d’équilibre traverse le gouvernement soucieux de représenter tous les courants de l’armée collaborant avec des techniciens civils. Le gouvernement est fragilisé par la lutte de trois ambitions : Richard Ratsimandrava, Didier Ratsiraka et Roland Rabetafika réduisant Ramanantsoa à une mission d’arbitrage. Mars 1973 marque la consécration du Colonel Richard Ratsimandrava avec sa conception révolutionnaire du Fokonolona marquant un virage à gauche.74La conception d’un fokonolona qui « relève de lui-même » et qui vise à terme la « destruction complète des structures étatiques parachutées dans les campagnes 75» constitue un « retour aux sources76 » légitimateur. Le coup d’Etat avorté d’officiers côtiers dirigés par le Colonel Bréchart Rajaonarison le 31 décembre 1974 ainsi que son extension à « l’affaire du GMP 77» conduira le Général Ramanantsoa à dissoudre son gouvernement le 25 janvier. Fort du soutien de l’AKFM et de Tsiranana, il tente de former un nouveau gouvernement mais le désaveu de Ratsimandrava et Ratsiraka78 le contraint à abandonner le pouvoir et à le transmettre79 au Colonel Richard Ratsimandrava le 5 février 1975. Ce dernier est assassiné le 11 février 1975 ce qui donnera lieu au « Procès du Siècle »n’arrivant pas cependant à établir la lumière sur l’affaire.
Le Directoire militaire est formé avec à sa tête le Chef d’Etat-Major Gilles Andriamahazo et gouverne en tandem avec le gouvernement Ratsimandrava. Les luttes de leadership au sein du directoire se terminent par la montée de Ratsiraka, élu par le directoire président du Conseil suprême de la Révolution (CSR), le 15 juin 1975, ce dernier remplaçant le directoire avec le Comité Militaire de Développement. S’assurant la sympathie des partis progressistes par des nationalisations ainsi que par l’établissement de la « Charte de la Révolution socialiste tous azimuts » en octobre 1975. Reconnue dans la Constitution du 31 décembre 1975 soumise à référendum, le « oui » légitima à la fois l’homme et l’idéologie traduite en actions. Les 117 pages du livre rouge font l’objet d’un respect quasi-biblique. l’ancrage social de l’idéologie « socialiste d’inspiration tiers-mondiste », bien qu’assurée par le Front National de défense de la Révolution80 à la tête de laquelle se trouve l’Avant-garde de la révolution malgache (AREMA), montrera ces limites. La libéralisation accompagnant l’ajustement structurel des années 1980 semble être acceptée sans rupture et la libéralisation du politique aura même lieu en 1989 ce qui ne parviendra pas à sauver le régime Ratsiraka.
Depuis, le libéralisme gagne le pays, bien que la ligne idéologique d’Albert Zafy fût moins marquée. Le retour de Ratsiraka en 1997 avec sa « république écologique et humaniste » laissera place, après la crise post-électorale de 2001-2002, à Marc Ravalomanana, un pur produit du libéralisme. On parle ainsi d’ « une politique de droite , la main sur la bible , menée dans un pays de croyants et de chrétiens[…]politique de bâtisseur teintée de messianisme a le mérite de la simplicité et de la clarté pour une population sociologiquement conservatrice »81. L’orientation à gauche du régime Rajoelina, où « politique spectacle » et démagogie ponctuent les difficultés politiques et économiques du régime de transition. L’actuel président, ainsi que son parti politique, le Hery Vaovao hoan’i Madagasikara, se réclament du social libéralisme. Quelles seront ses applications, attendre et voir.
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Table des matières
Introduction
PARTIE I: légitimité et modernité
TITRE I : la longue marche vers la modernité
CHAPITRE I : l’appropriation de l’Etat
Section 1 : la formation du « politique »
A- Elite et lutte pour l’indépendance
B- La consolidation du pouvoir
Section 2 : Les défis du statonationalisme
A- Créer l’Etat : emprunts et syncrétismes
B- Nation, citoyenneté et « fihavanana »
CHAPITRE II: la sédimentation de la modernité
Section 1 : la modèle malgache
A- Des idéologies et des hommes
B- Hégémonie et néo-patrimonialisme
Section 2 : Les données à prendre en compte
A- L’inculturation du religieux dans la politique
B- L’accroissement de la dépendance : ajustement structurel et ajustement politique
TITRE II : les voies de la légitimité
CHAPITRE II : Le modèle : la légitimité légale rationnelle
Section 1 : Le respect de l’Etat de droit
A- Le problème de l’applicabilité sociale du droit
B- L’illusion de la légalité
Section 2 : le vote comme légitimation démocratique
A- Le vote comme indice de la légitimité populaire
B- Quand être élu ne suffit plus
CHAPITRE II : les légitimités personnelles
Section 1: La légitimité à gouverner : origines ou qualifications
A- notabilité et notoriété
B- Imaginaire et réalités
Section 2 : les qualités requises pour se maintenir au pouvoir
A-incarner le « ray-aman-dreny » : initiatives et distribution
B- représentations et réactions sociales
PARTIE II: légitimité et pratiques politiques
TITRE I: Crise de légitimité et légitimité des crises
CHAPITRE I : la légitimation des mouvements
Section 1 : la capacité de mobilisation
A- Un argumentaire mobilisateur
Section 2 : les processus de légitimation
A- Le poids de la communication
B- La construction progressive d’un modèle
CHAPITRE II : la nécessité d’un bilan
Section 1 : l’ambiguïté des sorties de crise
A- Le choix des schémas
B- La mise en scène du changement
Section 2 : le coût des crises
A. Le rattrapage économique
B-Refaire l’unité nationale
CHAPITRE I : poser une alternative
Section 1 : recadrer les acteurs politiques
A. Réhabiliter les intermédiaires démocratiques
1- Les partis politiques
2- La société civile
B. Dépolitiser l’armée, démilitariser le politique
Section 2 : rendre les citoyens plus compétents
A- Dénouer la crise de citoyenneté
B. Multiplier les lieux de paroles autorisées
CHAPITRE 2 : démystifier le pouvoir
Section 1 : la réappropriation des valeurs
A- La saisissabilité des valeurs
B- la nécessité de faire le tri
Section 2 : saisir l’opportunité de la décentralisation
A- l’expérience locale du pouvoir
B- Le développement par le bas
CONCLUSION
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