Crise de la biodiversité
De nos jours, les différents acteurs des sociétés humaines (scientifiques, politiques, citoyens…) ne peuvent plus ignorer les problèmes écologiques mondiaux tant les moyens de diffusion les relatant se développent avec ampleur. La biodiversité, ou diversité biologique, est un concept relativement récent parmi les plus médiatisés dans les thématiques écologiques et de développement durable au même titre que bien d’autres sujets d’actualité (ex : emploi, logement, relations internationales…). Elle se définit comme la variabilité des organismes vivants terrestres et aquatiques et des complexes écologiques, et inclue par conséquent la diversité génétique au sein des espèces, la diversité spécifique entre espèces et la diversité des écosystèmes (Convention on Biological Diversity, 1992).
La perte de biodiversité actuelle est un sujet très préoccupant puisqu’elle atteint désormais un taux similaire, et même supérieur, sur un laps de temps beaucoup plus court, que les taux historiques des grandes crises d’extinctions (cf. Figure 1, Pimm et al., 1995, Brown & Lomolino, 1998). Cette perte est néanmoins impossible à estimer précisément en raison du manque de connaissance sur le nombre total d’espèces qui existent sur terre, notamment concernant les organismes de petite taille (Reid, 1992).
Les causes de perte de biodiversité sont multiples et relèvent pour beaucoup de l’intervention de l’homme sur les milieux naturels : pollutions, surexploitation, changements climatiques, perturbations des grands cycles biogéochimiques, invasions biologiques et surtout destruction des habitats naturels. Cette dernière cause est de nos jours considérée comme l’une des forces majeures de changement de biodiversité et certains modèles montrent que ce sera toujours le cas d’ici la fin du 21ème siècle (Sala et al., 2000). La destruction des habitats dérive en effet directement des transformations anthropiques du paysage à des fins agricoles, industrielles ou d’urbanisation. L’homme tire profit des habitats naturels pour se nourrir, se loger, se divertir, et la demande va continuer de croître pour les 30 ans à venir puisque d’ici 2030, il est probable que 8.2 milliards de personnes peupleront la Terre, soit 32% de plus qu’aujourd’hui (Novacek & Cleland, 2001). Or, la dégradation des habitats naturels s’accompagne d’une disparition de leur biodiversité et les effets sont d’autant plus pervers qu’ils n’apparaissent que tardivement, lorsque les multiples fragments de l’habitat initial ont subi des destructions successives et irréversibles (Tilman et al., 1994). Comme un habitat avec une biodiversité importante est plus productif, stable et résistant aux perturbations qu’un habitat avec un faible nombre d’espèces (Tilman, Wedin & Knops, 1996, Naeem et al., 1999, Jonsson & Malmqvist, 2000), l’homme conduit lui-même à une baisse de productivité des habitats naturels qu’il utilise pour subvenir à ses besoins. Une boucle rétroactive entre homme-habitatbiodiversité se forme et le système s’effondre. Chaque année par exemple, environ 13 millions d’hectares de forêts tropicales sont détruits causant la perte de 14000 à 40000 espèces faunistiques et floristiques, ce qui est associé à une baisse du stock de bois disponible et exploitable (Food and Agricultural Organization, 1999). Il est donc indispensable de protéger les habitats naturels et leur biodiversité, non seulement d’un point de vue éthique, mais surtout parce qu’ils apportent nombreux biens et services (ressources, régulation des processus écologiques, culture, Rapport et al., 1998, Millennium Ecosystem Assessment, 2005) dont l’homme est étroitement dépendant, comme par exemple le contrôle de l’érosion des sols ou la rétention d’eau soutenant l’agriculture et les populations humaines (Daily, 1997). La valeur des services écologiques est d’ailleurs estimée à environ 33 trillions de dollars par an (Costanza et al., 1997).
A travers la Convention sur la Diversité Biologique, adoptée au « Sommet de la Terre » de Rio de Janeiro en juin 1992 (en anglais Convention on Biological Diversity, abrégé CBD, 1992, http://www.biodiv.org), les gouvernements de nombreux pays se sont dès lors fixés comme objectif de réduire la perte de biodiversité actuelle d’ici 2010 par l’établissement de mesures de protection et de restauration. Les communautés scientifiques devront alors évaluer les progrès réalisés en rapport avec ces objectifs. L’une des premières idées a été de protéger en priorité les habitats naturels et la biodiversité des hot spots (Myers et al., 2000). Ces milieux constituent des aires avec une diversité en espèces exceptionnelle, un fort taux d’endémisme et ils sont exposés à des menaces de destruction des habitats (Myers, 1990). Cette démarche a été critiquée car elle se concentrait trop étroitement sur la diversité de certaines espèces emblématiques sans tenir compte de l’importance de la représentation écologique (Olson & Dinerstein, 1998), des fonctions écologiques ou des services rendus par les milieux naturels (Jepson & Canney, 2001, Kareiva & Marvier, 2003). A partir de 2003, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (en anglais International Union for Conservation of Nature, IUCN), les parties de la Convention sur la Diversité Biologique, ainsi que d’autres organismes privés de conservation, ont par conséquent étendu le réseau d’aires protégées afin d’obtenir une bonne représentation des milieux naturels dans le monde (Birdlife International et al., 2003, IUCN World Parks Congress, 2003, COP-7, 2004). Malgré cette progression, un constat a rapidement été établi quand à la préservation efficace des habitats naturels et de leur biodiversité. Les aires protégées n’occupant que de faibles surfaces, elles subissent inévitablement les pressions de la matrice d’habitats plus ou moins anthropisés qui les entourent (Franklin, 1993). Il convient donc de mettre en œuvre une gestion complexe et diversifiée de l’ensemble des habitats naturels, afin de préserver la capacité évolutive des processus écologiques et des espèces qu’ils recèlent (Larrère & Larrère, 1997). La première étape est de dresser un état des lieux de ces habitats à large échelle, puis de mettre en place des mesures de gestion dans les habitats les plus menacés, et finalement de mesurer les progrès des nouvelles stratégies liées à l’effort de conservation par le biais de monitorings à deux échelles : régionale et globale, et à deux niveaux : espèces et habitats (Pereira & Cooper, 2006).
La Directive « Habitats, Faune, Flore »
Conservation de la Nature et genèse de la Directive « Habitats, Faune, Flore »
Cela fait longtemps que l’homme a conscience de la nécessité de conserver la nature. Protégée au 17ème siècle pour son côté utilitariste (ex : ressource en bois, gibier), la nature a été associée au 19ème siècle au sauvage et à l’esthétique, cette pensée ayant conduit à la création des premières associations, réserves (1350 km² à l’heure actuelle en France, Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du territoire, MEEDDAT, http://www.ecologie.gouv.fr) et parcs nationaux (54000 km² actuellement en France, source MEEDDAT), comme la Forêt de Fontainebleau en 1853 (Lefeuvre, 1990). C’est après la deuxième guerre mondiale et suite à la modernisation des moyens de production pour relancer l’économie européenne que l’action néfaste de l’homme sur son environnement a vraiment été mise en évidence. A partir des années 70, les scientifiques ont alors traité plus attentivement l’impact écologique des activités humaines. La biologie de la conservation a émergé sous forme de métadiscipline affichant un objectif clair de protection (Blondel, 2003, Fleury, 2005). Cette science récente a pour but d’analyser les facteurs d’origine anthropique à l’origine de la crise de la diversité et d’élaborer des solutions pour enrayer la crise (cf. Figure 2, Soule & Wilcox, 1980, Soule, 1986, Primack, 1993, Blondel, 1995, Barbault, 1997, Meffe & Carroll, 1997, Soule & Orians, 2001).
Toutefois, dans l’impossibilité de désigner des zones de Nature vierge et suite à la récession économique engendrée par la crise pétrolière puis agricole, il ne convenait plus seulement de préserver les milieux naturels, mais de les conserver en intégrant l’homme aux nouvelles stratégies développées (Lefeuvre, 1990, Picon, 1992). L’implication de l’homme et la mondialisation des problèmes environnementaux ont nécessité de trouver des solutions internationales. Conventions, stratégies, conférences mondiales se sont dès lors succédées (Ramsar, 1971 ; Vienne, 1973 ; Convention sur le commerce international d’espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, CITES, 1973 ; Bonn, 1979 ; Directive Oiseaux, 1979) (Acot, 1988). Ces procédures de protection étaient cependant essentiellement orientées vers les espèces. En 1980, l’IUCN et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) présente donc une Stratégie mondiale de la conservation pour une meilleure gestion des ressources vivantes afin de poursuivre leur exploitation dans le futur (http://www.ec.gc.ca). Cette stratégie a trois objectifs : le maintien des processus écologiques et des systèmes qui entretiennent la vie, la préservation de la diversité génétique, et l’utilisation raisonnée des espèces et des écosystèmes (Stratégie mondiale de la conservation, 1980). C’est au cours de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED, Rio de Janeiro, 1992) qu’un programme d’action est élaboré en vue de parvenir à ces objectifs, la CBD en fait partie intégrante. Au cours des travaux préparatoires à la CBD et à l’image du traité de Maastricht disposant que l’UE doit intégrer la protection de l’Environnement dans toutes ses politiques (Commission Européenne, 1992), la Directive « Habitats, Faune, Flore » (92/43/CEE) est signée le 21 mai 1992. Elle complète l’arsenal juridique communautaire, reposant jusqu’alors presque exclusivement sur la Directive Oiseaux, en élargissant l’approche aux autres groupes faunistiques et floristiques de même qu’aux habitats.
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Table des matières
Introduction
1. Crise de la biodiversité
2. La Directive « Habitats, Faune, Flore »
2.1. Conservation de la Nature et genèse de la Directive « Habitats, Faune, Flore »
2.2. Les grandes lignes de la Directive « Habitats, Faune, Flore »
2.3. La notion d’habitat
2.4. Vers une évaluation de l’état de conservation de l’habitat
2.5. Les structures et fonctions de l’habitat
3. L’exemple des habitats aquatiques d’eaux douces
3.1. Importance, fonctionnement et menaces
3.2. La Directive Cadre sur l’Eau
4. Etat de conservation et Etat écologique
4.1. Quelques définitions
4.2. Monitoring et indicateurs
5. Objectifs et Chapitres de la thèse
Chapitre I : Habitat UE 3260 et Méthodologie
1. Présentation de l’habitat UE 3260 – « Rivières des étages planitiaire à montagnard avec végétation du Ranunculion fluitantis et du Callitricho-Batrachion »
2. La chenalisation comme menace principale
3. Sites d’étude
3.1. Le Bassin versant Seine-Normandie
3.2. Les rivières d’étude
4. Les échelles spatiales et communautés étudiées
4.1. Les échelles spatiales
4.2. Les communautés
5. Acquisition des données mésologiques, floristiques et faunistiques
5.1. Caractérisation des stations d’étude
5.2. Caractéristiques Physiques et Chimiques
5.3. Communautés biologiques
5.4. Résumé de la méthodologie
Chapitre II : Une approche multicommunauté
Introduction
MANUSCRIPT: Impact of channelization on multiple communities
Synthèse
Chapitre III : Performances des indices biologiques
Introduction
Description des indices biologiques français utilisés
Le CSI
L’IBMR
L’IBGN
L’Indice EPT
NOTE: The need of multiple communities monitoring in stream’s conservation status assessment
Synthèse
Chapitre IV : Les macrophytes et la chenalisation
Introduction
MANUSCRIPT: Relationships between channelization structures, environmental characteristics, and plant communities, between four French streams of the SeineNormandy’s catchment
Synthèse
Chapitre V : Dynamiques spatiales et temporelles de l’habitat physique et des macrophytes face à la chenalisation
Introduction
MANUSCRIPT: Does channelization alter spatial and temporal dynamics of macrophyte
communities and their physical habitat?
Synthèse
Vers un concept des altérations intermédiaires ?
Conclusion générale
1. Méthodologie
2. Echelles
3. Caractéristiques environnementales
4. Communautés biologiques
5. Applications
Bibliographie
Annexes
Lexique