Crimes contre l‘humanité

Crimes contre l‘humanité

Une méthode d’analyse appropriée

Comme nous l‘avons expliqué en introduction à cette section, l‘analyse du lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque est souvent occultée. Il ne devrait pas en être ainsi. Les statuts des tribunaux ad hoc et le Statut de Rome prescrivent que les jugements de première instance doivent être motivés.Cette exigence, l‘un des corollaires du droit d‘un accusé à un procès équitable, permet à l‘instance d‘appel d‘être en position de comprendre et d‘évaluer les conclusions auxquelles est parvenue la chambre de première instance. L‘obligation de motivation prend une dimension particulière devant la Cour pénale internationale, où les conclusions d‘une chambre de première instance relativement à la responsabilité de l‘accusé sont cruciales en vue de déterminer la réparation qui pourra être accordée aux victimes des crimes qui en font la demande en vertu de l‘article 75 du Statut de Rome. Si elle n‘est pas tenue d‘énoncer tous les éléments factuels qui soutiennent ses conclusions.la chambre de première instance doit à tout le moins indiquer « de manière suffisamment détaillée les éléments qui ont été acceptés comme établissant tous les éléments constitutifs.
L‘obligation de motivation ne s‘applique évidemment pas pour les arrêts de la chambre d‘appel, le rôle de cette dernière n‘étant pas de même nature qu‘une chambre de première instance. De fait, la chambre d‘appel jouit de la discrétion de décider des moyens qui méritent une analyse détaillée : Le Procureur des crimes reprochés ». L‘obligation d‘expliciter le raisonnement à l‘appui des conclusions juridiques et factuelles s‘applique sans l‘ombre d‘un doute à la preuve du lien entre l‘acte incriminé en tant que crime contre l‘humanité et l‘attaque, l‘un des éléments constitutifs du crime contre l‘humanité. Il nous semble aller de soi qu‘un accusé doit pouvoir s‘assurer que le crime contre l‘humanité dont il est reconnu coupable relève effectivement du droit international. Dans cette sous-section, nous analyserons deux aspects de l‘examen de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque qui nous semblent être négligés par la jurisprudence, à savoir la suffisance de la description de l‘attaque (paragraphe 2.2.1) et le caractère détaillé de l‘analyse du lien (paragraphe 2.2.2). Nous conclurons cette sous-section en nous intéressant à la difficulté que pose, pour l‘analyse du lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque, la nature des situations de criminalité dont sont saisies les instances pénales internationales (paragraphe 2.2.3).
1 L’exigence de décrire adéquatement l’attaque
Dans les affaires dont sont saisies les instances pénales internationales, l‘existence d‘une attaque généralisée ou systématique est rarement contestable – les cas où il est conclu qu‘une attaque n‘a pas été établie constituent, en fait, l‘exception.. Peut-être parce qu‘il leur apparaît acquis qu‘une attaque a bel et bien eu lieu, plusieurs chambres de première instance ne prennent pas la peine de décrire les contours de cette attaque, se limitant à simplement constater qu‘une population civile a fait l‘objet d‘une attaque. L‘exigence que les crimes participent de l‘attaque implique, à notre avis, une description préalable suffisante de l‘attaque par les chambres de première instance.
Nous avons identifié un peu plus haut le critère que la jurisprudence des instances pénales internationales applique pour déterminer si un crime fait partie d‘une attaque ou non.. Ce critère consiste en un exercice de comparaison entre les attributs du crime et les paramètres de l‘attaque. À notre sens, cette analyse ne peut être concluante que si le cadre d‘analyse – en l‘occurrence, l‘attaque – est défini avec suffisamment de précision. Comment peut-on déterminer qu‘un crime, de par ses caractéristiques, son objectif, sa nature ou ses effets, s‘inscrit dans le cadre d‘une attaque si les contours de celle-ci sont tracés dans des termes vagues ? Certes, contrairement aux conflits armés, dont la définition a été maintes fois interprétée et qui présentent des balises permettant de décrire la durée et l‘étendue204, la notion d‘« attaque » renvoie à une réalité à géométrie variable, de telle sorte qu‘il peut être difficile d‘identifier les caractéristiques, les objectifs, la nature et les effets de l‘attaque à l‘étude205. Toutefois, comme le mentionne à juste titre le professeur Göran Sluiter, il n‘en demeure pas moins que la description suffisante du contexte créé par l‘attaque est une tâche préalable nécessaire à l‘examen du lien. Il s‘agit, en quelque sorte, de mettre la table pour analyser adéquatement le lien entre les actes incriminés et le contexte de l‘attaque. Dans cette optique, une chambre de première instance devrait, au moment de se prononcer sur l‘existence de l‘attaque, répondre aux questions suivantes : (a) comment l‘attaque se
population on ethnic grounds. ». Dans la même veine, voir : Jugement Ndindiliyimana, supra note 118, au paragr. 2089. 203 supra, chapitre I, sous-section 2.1, à partir de la p. 41. 204 Arrêt Tadić relatif à la compétence, supra note 31, au paragr. 70 : « Sur la base de ce qui précède, nous estimons qu’un conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d’un État. Le droit international humanitaire s’applique dès l’ouverture de ces conflits armés et s’étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu’à la conclusion générale de la paix ; ou, dans le cas de conflits internes, jusqu’à ce qu’un règlement pacifique soit atteint. Jusqu’alors, le droit international humanitaire continue de s’appliquer sur l’ensemble du territoire des États belligérants ou, dans le cas de conflits internes, sur l’ensemble du territoire sous le contrôle d’une Partie, que des combats effectifs s’y déroulent ou non. ». Cette définition s‘applique également devant la Cour pénale internationale : Jugement Lubanga, supra note 20, au paragr. 533. L‘article 8-2-f du Statut de Rome définit le conflit armé ne présentant pas un caractère international comme étant le conflit armé qui oppose de manière prolongée sur le territoire d‘un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes organisés entre eux.

caractérise-t-elle ? (b) quel en est l‘objectif ? (c) quels sont les crimes qui la composent ? (d) comment l‘attaque pèse-t-elle sur la population civile visée ? Pour ce faire, les incidents qui n‘étaient pas couverts par un chef d‘accusation mais qui ont néanmoins été prouvés par l‘Accusation peuvent servir à étayer l‘existence d‘une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile207.
Compte tenu des remarques qui précèdent, il y a lieu de s‘interroger sur une pratique adoptée par certaines chambres des tribunaux ad hoc, particulièrement celles du TPIR, relativement à la preuve de l‘attaque. Les règlements de procédure et de preuve de ces tribunaux obligent les chambres de première instance à dresser un constat judiciaire de ce qui est de « notoriété publique »208. Dans leurs premières décisions interlocutoires, les chambres de première instance du TPIR se sont montrées divisées sur la possibilité de constater ainsi le déroulement d‘une attaque209. La chambre d‘appel du TPIR a tranché la question dans l‘arrêt Semanza en concluant qu‘il était notoire et incontestable que des attaques généralisées ou systématiques dirigées contre une population civile ont eu lieu au Rwanda entre le mois d‘avril et le mois de juillet 1994210, pavant ainsi la voie à une reconnaissance judiciaire de l‘« attaque » dans les affaires à être instruites subséquemment. La chambre d‘appel a expliqué que ce constat judiciaire ne déchargeait pas l‘Accusation de son fardeau de preuve ; il s‘agissait simplement d‘une autre manière dont elle pouvait s‘en acquitter211. Dans une décision interlocutoire rendue un an plus tard, la même chambre 207 Jugement BrĎanin, supra note 115, au paragr. 397 ; Jugement Haradinaj, supra note 201 ; Jugement Lukić, supra note 10, au paragr. 890. 208 Article 94-A du Règlement de procédure  d‘appel a opéré une subtile distinction entre le concept juridique de l‘« attaque » et la situation factuelle qu‘il cerne : Dans la foulée de l‘arrêt Semanza, au moins une chambre de première instance du TPIR s‘est autorisée à conclure à l‘existence d‘une « attaque » au sens de l‘article 3 du Statut du TPIR sur la seule base du constat judiciaire qu‘elle avait dressé à l‘ouverture du procès213. D‘autres chambres ont rappelé avoir noté un tel état de fait en début de procès, mais ont ajouté que la preuve qui avait été présentée devant elles les satisfaisait également que l‘élément contextuel de l‘attaque avait été établi214. Du côté du TPIY, aucun jugement de première instance ne s‘est autorisé de l‘arrêt Semanza pour conclure à l‘existence d‘une attaque au moyen d‘un constat judiciaire.
Il n‘est pas dans notre propos de déterminer s‘il est possible, en droit, de constater judiciairement une « attaque ».. Nous tenons néanmoins à souligner que cette façon d‘aborder l‘attaque nous apparaît critiquable du point de vue de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque. Le constat judiciaire soustrait la chambre de première instance au devoir auquel elle devrait être tenue de décrire les tenants et aboutissants de l‘attaque, et ce, même si l‘existence d‘une attaque ne fait aucun doute. Comme nous l‘avons expliqué plus haut dans ce paragraphe, se borner à conclure au déroulement d‘une attaque sans la décrire davantage handicape irrémédiablement l‘analyse du lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque.

L’analyse détaillée du lien entre l’acte incriminé et l’attaque, crime par crime

Le deuxième problème d‘analyse concerne la façon dont le lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque est examiné par la jurisprudence des instances pénales internationales. Dans plusieurs jugements du TPIY, les raisons pour lesquelles il est estimé qu‘un acte incriminé présente un lien avec l‘attaque sont exposées de façon plutôt succincte, les chambres de première instance semblant souvent tenir pour acquise l‘existence d‘un lien entre les actes incriminés et l‘attaque dans le cadre de laquelle ils ont été commis. Par exemple, dans le dossier Perišić, la chambre de première instance I se contente de constater que « […] the crimes committed by the VRS and/or MUP were part of that attack, and that the perpetrators knew of the attack and that their acts formed part of it », sans se référer davantage aux éléments de preuve qui l‘ont conduite à cette conclusion. Du côté du TPIR, de nombreux jugements analysent le lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque à travers la connaissance qu‘ont l‘accusé et/ou les auteurs matériels du fait que leurs actes font partie de cette attaque. Cette façon d‘analyser l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque s‘observe également dans certaines décisions préliminaires rendues par la Cour pénale internationale.

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Table des matières

Résumé
Abstract
Remerciements
Introduction
Chapitre liminaire – L‘attaque, l‘élément contextuel des crimes contre l‘humanité
Section 1 – Les origines de l‘attaque en tant qu‘élément contextuel : un changement de paradigme
Section 2 – La notion d‘attaque
2.1 Les caractéristiques de l‘attaque
2.2 La population civile en tant que cible de l‘attaque
2.3 La conduite de l‘attaque en application d‘une politique
Chapitre I – L‘aspect matériel de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque
Section 1 – La portée de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque : la persistante confusion entre l‘infraction sous-jacente et les actes de l‘accusé
Section 2 – La détermination du lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque : une étape occultée, mais nécessaire
2.1 Le critère applicable
2.2 Une méthode d‘analyse appropriée
Chapitre II – L‘aspect mental de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque
Section 1 – La possession de l‘élément mental propre aux crimes contre l‘humanité
1.1 La confusion entre l‘état d‘esprit de l‘auteur matériel et celui de l‘accusé avant le jugement Milutinović
1.2 La clarification apportée par le jugement Milutinović
1.3 La confusion persistante dans la jurisprudence des tribunaux ad hoc postMilutinović
1.4 Le flou de la jurisprudence de la Cour pénale internationale
1.5 La possession de l‘élément mental, une analyse souple
Section 2 – La nature de l‘élément mental propre aux crimes contre l‘humanité
2.1 La connaissance de l‘attaque
2.2 La connaissance du lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque
2.3 Une méthode d‘analyse appropriée
Chapitre III – La prise en compte de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque dans la preuve de la responsabilité pénale individuelle
Section 1 – La responsabilité pénale individuelle en droit international pénal
1.1 La participation à titre d‘auteur principal : deux théories
1.2 La participation à titre d‘auteur secondaire
1.3 Le supérieur hiérarchique
1.4 Conclusion sur la section 1
Section 2 – La prise en compte de la spécificité du crime de génocide et des crimes de guerre dans l‘analyse de la responsabilité pénale individuelle
2.1 Le crime de génocide et la preuve de l‘intention génocidaire comme fondement de la responsabilité pénale : une application à géométrie variable
2.2 Les crimes de guerre et la connaissance du conflit armé comme fondement de la responsabilité pénale : une exigence commune à tous les modes de participation 140 2.3 Conclusion sur la section 2
Section 3 – La nécessaire prise en compte de l‘exigence relative au lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque dans l‘analyse de la responsabilité pénale individuelle
3.1 Un lien matériel entre le comportement de l‘accusé et l‘attaque
3.2 Une connaissance de l‘attaque et du lien entre l‘acte incriminé et l‘attaque, d‘une part, et le lien entre les actes de l‘accusé et l‘attaque, d‘autre part
Conclusion
Bibliographie
I. TEXTES
Instruments de droit international
Textes nationaux
II. JURISPRUDENCE
Jugements des tribunaux post-Seconde Guerre mondiale
Actes de procédure, décisions, jugements et arrêts des instances pénales internationales contemporaines
Jurisprudence nationale
III. DOCTRINE ET AUTRES DOCUMENTS
Monographies
Articles publiés dans des ouvrages collectifs
Articles de périodiques
Billets de blogues scientifiques
Rapports et projets de code
Conférence
Article de journal

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