ENJEUX IDEOLOGIQUES
Naissance des animations en bibliothèque
Si les bibliothèques ont, depuis le XIXème siècle, intégré à leurs missions la notion d’exposition, il s’agit notamment à l’époque d’objets du patrimoine, d’estampes ou médailles par exemple, il faut véritablement attendre le XXème siècle pour que les prémices de l’animation se mettent en place. C’est par le secteur jeunesse que tout commence : en s’inspirant du modèle britannique, les première “Heures du conte” sont expérimentées en France entre 1923 et 1924 dans quelques bibliothèques de l’Aisne et de Paris (avec, entre autres, la création de la bibliothèque “L’Heure Joyeuse”), dans un but pédagogique, comme le démontre Michèle Coulet . Les animations sont alors pensées en complémentarité au milieu scolaire.
Les années 1960 marquent cependant un tournant dans la manière de percevoir le public : la bibliothèque entre dans la Cité et s’empare de problématiques socia les. La nouvelle génération de bibliothécaires est alors influencée par les changements en cours : en 1959, le tout nouveau Ministère de la Culture véhicule avec lui l’idée de démocratisation culturelle, destinée à diffuser au plus grand nombre une culture désignée comme légitime, tandis que, dans le même temps, les événements de mai 68 questionnent la place des individus dans la société. Dans cette optique, Francis Jeanson définit, à travers le Manifeste de Villeurbanne, cette même année, le “non-public”, celui que l’on désigne comme « une immensité humaine composée de tous ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance d’accéder prochainement au phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à revêtir dans la presque totalité des cas » . Ces années 60 à 70 marquent donc une époque de remise en question de la place des individus dans la société et de leur rapport à la culture : ”ainsi faisions-nous d’emblée de l’action culturelle ”une entreprise de politisation” affirme Francis Jeanson en 1974. La lutte contre l’illettrisme ou la volonté de toucher les publics dits ”empêchés” naissent de ces réflexions.
La création en 1977 de la Bibliothèque Publique d’Information (BPI) traduit ce nouveau dynamisme. Son objectif principal n’est pas la conservation. Bien au contraire, le décret n°76-82 portant sur la création de la bibliothèque précise que “la Bibliothèque publique d’information participe aux activités de l’ensemble culturel du Centre George Pompidou” . Si la mention est discrète, elle est bien présente : désormais, il faut compter sur les bibliothèques pour mener des animations et participer activement à la vie culturelle de la Cité. La bibliothèque se montre, elle expose et s’expose en ouvrant davantage ses portes à des débats et rencontres.
Les années 80, quant à elles, marquent des changements politiques. La décentralisation dans le domaine culturel notamment transfère le pouvoir de l’Etat aux collectivités territoriales, lesquelles s’emparent de ce qui est appelé l’”action culturelle”. L’action culturelle fait jour et s’impose dans les discours.
L’action culturelle au cœur des missions des bibliothèques
UNE LEGITIMITE RECONNUE PAR LES PROFESSIONNELS
La légitimité de l’action culturelle en bibliothèque est aujourd’hui reconnue globalement par tous les professionnels, avec cependant des nuances qu’il convient de clarifier en précisant en quoi l’action culturelle mérite sa légitimité. “Le principe de l’action culturelle n’est donc plus discutée” pour Delphine Côme : presque toutes les bibliothèques aujourd‘hui mènent de façon plus ou moins régulière des actions culturelles.
De fait, cette activité correspond aux missions des bibliothèques inscrites, entre autres, dans le Manifeste de l‘UNESCO sur la Bibliothèque publique en 1994 : “Le bibliothécaire est un intermédiaire actif entre les usagers et les ressources offertes”. Mener des animations tout au long de l’année répond à cette exigence de médiation active. Ce texte insiste aussi sur la dimension culturelle qu‘ont en charge les bibliothèques, au-delà des documents. Ainsi, la bibliothèque doit “fournir à chaque personne les moyens d‘évoluer de manière créative “, “assurer l‘accès aux différentes formes d‘expression culturelle des arts du spectacle“ ou encore “soutenir la tradition orale“. Ces exigences impliquent de dépasser la cadre du prêt de documents et invitent les établissements à mener des actions à vocation artistique. Le Manifeste de l‘Association des bibliothécaires de France (ABF), souligne également cette dimension en mentionnant l‘organisation de “rencontres, […] débats, […] manifestations culturelles“ qui “contribuent à l‘animation de la vie citoyenne“. En outre, la Charte des bibliothèques de 1991 énonce clairement le rôle de l’action culturelle : ” Les bibliothèques municipales ou intercommunales doivent contribuer sur leur territoire au développement de la lecture et à l’action culturelle qui lui est liée ”. Cette mention est donc signe d’une reconnaissance de cette fonction. Ces textes insistent, par ailleurs, sur la dimension culturelle que doivent valoriser les bibliothèques.
Toutefois, quelques nuances peuvent être apportées, puisque “le doute est encore là” . En effet, si les actions culturelles sont présentes dans de nombreuses bibliothèques, elles restent les premières victimes des coupes budgétaires et sont parfois reléguées au second rang derrière les collections. En outre, dans une ”société de l’information et de la connaissance”, la figure du bibliothécaire en tant que médiateur actif est remise en question : à quoi servirait -il de médiatiser les connaissances au travers des animations, puisque précisément Internet a rendu possible l’avènement d’une information immédiate, c’est-à-dire sans intermédiaire ?
Pourtant, ce serait passer à côté du rôle de l’action culturelle que de se poser cette question.
Si l’action culturelle peut et doit être pleinement légitimée, c’est bien parce qu’elle n’a pas pour vocation principale de transmettre, sous une autre forme que l’écrit, une information. Elle n’est pas là pour seconder le livre, pour l’épauler. Bien au contraire, elle s’élève à ses côtés pour définir la bibliothèque et lui donner une identité. En d’autres termes, « l’action culturelle n’est pas, pour la bibliothèque, une fonction subsidiaire ou facultative, un supplément d’âme. C’est tout simplement la bibliothèque en action. La fonction d’animation n’y est pas occa sionnelle mais structurelle ».
L’action culturelle, définie comme telle, répond alors à des enjeux plus militants de la profession.
Affirmer son rôle c’est reconnaître cette dimension ”pluriactive” du lieu, qui ne se limite pas à ses ressources documentaires. De façon quelques peu provocante, Bernard Huchet va même jusq u’à souligner l’”uniformité” des collections dans leur volonté encyclopédique, par opposition aux animations et à l’action culturelle qui permettent de se distinguer des autres établissements beaucoup plus facilement que par les collections : ” Revendiquer au contraire une personnalité collective pour l’établissement, lui donner le moyen d’exprimer sa préférence et de jouer cartes sur table avec son public, telle devrait être la mission prioritaire de l’action culturelle dans l’éclairage qu’elle se donne pour objectif d’apporter aux collections” . Par ailleurs, reconnaître la légitimité de l’action culturelle c’est aussi reconnaître son utilité sociale et démocratique : en ouvrant des espaces de débats et en permettant les rencontres, l’action culturelle favorise en effet l’échange citoyen. Dès lors, l’action culturelle trouve une nouvelle légitimité dans le rapport particulier qu’elle entretient avec le public et dans la possibilité qu’elle laisse aux établissements d’affirmer leur identité propre. Elle contribue alors à l’advocacy de la bibliothèque ou, en d’autres termes, au plaidoyer en faveur de l’institution et de son rôle culturel.
J’affirme donc qu’il ne faut pas avoir peur de renforcer la légitimité de l’action culturelle en bibliothèque : elle est un mode d’être de la bibliothèque qui se distingue d’un usage de pure consommation du document. Elle participe de la sociabilité du lieu et de son insertion dans la cité, aux côtés des autres institutions culturelles.
L’ACTION CULTURELLE A LA MTRC
La médiathèque réalise de nombreuses animations au cours de l’année. Chaque médiathécaire, responsable d’un secteur, participe à la création et à l’organisation d’animations. Sur l’année, l’équipe dispose d’un budget de 10 000€ pour programmer l’action culturelle.
Variétés des animations
Les animations reflètent le dynamisme de la médiathèque. Certaines animations sont récurrentes, et parfois bien spécifiques à la médiathèque. Les « Café des sciences » d’abord, organisent des débats et conférences autour de questions d’actualité pour vulgariser des sujets scientifiques. Sur ce même principe, un « café BD » présente des bandes dessinées suivies d’un temps d’échange avec le public. Concernant l’audiovisuel, “Le temps d’un doc” diffuse des films documentaires lors de rendez-vous réguliers. Des ateliers numériques sont également proposés, pour adultes mais aussi pour adolescents vers 12-13 ans : ce sont les “ateliers de la bidouilles”. Pour les enfants, différents types d’animations existent aussi selon l’âge : les « Bébés M’ » proposent des lectures en musique pour les 0-3 ans, les « Petites Récrés » concernent les enfants en maternelle, entre 3 et 6ans, tandis que les « Grandes Récrés » sont à destination des enfants en élémentaires entre 5 et 8 ans. Par ailleurs, la médiathèque commence à travailler avec le collège depuis 2 ans, mais la Covid-19 n’a pas permis pour l’instant la réalisation d’actions concrètes. En revanche, il n’existe pas de lycée à Crolles. Le plus proche est situé à Villard-Bonnot, ce qui rend plus difficile le fait de penser une animation avec cet établissement.
Par ailleurs, la médiathèque réalise des actions “hors-les-murs », notamment avec le portage à domicile de documents, mais aussi en ce qui concerne les animations avec la participation à des cafés jeux, organisés à l’école maternelle des Ardillais. Il s’agit de rencontres avec la MJC et des associations pour mettre en place des jeux à destination des enfants. A cette occasion, la médiathèque présente des livres-jeux et des lectures.
Des animations sont également menées en direction de publics dits “empêchés” ou “spécifiques”. En coopération avec le service “Gens du voyage” de la Communauté de Communes du Grésivaudan, la médiathécaire en charge de ces publics mène une action de médiation à destination des gens du voyage. L’an dernier, un atelier d’écriture a été proposé aux enfants, avec la rédaction finale d’un conte réinventé par les gens du voyage, et cette année une émission radio a été enregistrée, en coopération avec Radio Grésivaudan. Des actions sont également pensées en partenariat avec l’IME de Crolles. Cet Institut Medico-Educatif a pour vocation d’accueillir des enfants et adolescents atteints de déficience intellectuelle et la médiathèque accueill e ces enfants et adolescents, notamment lors des “Bébés M’”. De la même manière, un temps d’accueil est prévu pour la MFR, Maison Familiale Rurale. A ces animations, il faut rajouter les participations aux manifestations nationales : Journées du patrimoine, Fête de la Science, Nuit de la lecture, Grande lessive, Arts du récit et Mois du film documentaire.
Certaines animations sont plus ponctuelles et créatives, comme avec l’organisation d’escape games, des jeux de rôle ou encore du retrogaming. Des expositions et kits peuvent être prêtés également au besoin par la Médiathèque Départementale. Il est ainsi prévu d’emprunter une malle jeux vidéo à la MDI pour le troisième semestre de la programmation 2021-2022. Enfin, j’aimerais souligner l’importance du jardin pour les animations. En effet, la médiathèque dispose d’un jardin de 2000m², qui pourrait être exploité pour les animations. Lors de mon entretien avec la médiathèque de Lille (voir annexe 10), nous avons abordé la question des extérieurs : à Lille, l’exploitation du jardin fait partie du projet d’établissement. Diverses possibilités ont été mentionnées pour cette exploitation : “On peut faire des ateliers avec des enfants, pour apprendre à jardiner, à découvrir les fruits, les légumes etc. Comment on cultive mais aussi pouvoir par exemple faire venir quelqu’un pour faire des rencontres/débats scientifiques sur la permaculture et après ça serait les personnes qui apprennent le français, que ce soit aussi bien les migrants ou des conjoints de personnes qui voudraient venir en France pour apprendre le français pendant un ou deux ans, de venir devant le potager et au cours d’activité comme ça d’apprendre la langue. Vraiment, il y a plein de possibilités.”. De fait, l’exploitation du jardin pourrait permettre d’aborder les thèmes de l’écologie et de l’environnement autour d’ateliers originaux, mêlant des rencontres familiales, scientifiques ou à vocation sociale. Il existe aussi une manifestation nationale, « rendez-vous aux jardins », qui est un événement organisé par le ministère de la culture et de la communication pour sensibiliser les publics à la gestion de ces espaces verts. Cette manifestation se déroule tous les ans le premier weekend du mois de juin.
Hors du public, point de salut ! “ : les publics au cœur de l’action culturelle
“Pourquoi une action culturelle ? “…Demandons-nous plutôt : pour QUOI ? Vers QUOI ? Et d’abord, avec QUI ?” Francis JEANSON
L’action culturelle n’est jamais pensée seule, hors du public à qui elle est destinée : sans public, l’animation n’a pas vocation d’être, contrairement aux collections qui peuvent aussi avoir une dimension patrimoniale et de conservation. Ainsi, penser l’action culturelle implique de souligner cette dimension participative des animations.
Pour cela, je présenterai l’enquête de fréquentation que j’ai menée à la médiathèque de Crolles et ses principaux résultats. Dans un deuxième temps, je reviendrai sur l’image de la médiathèque et la valorisation de l’action culturelle dans la communication , suite aux résultats du questionnaire. Enfin, j’apporterai des éléments de réflexion sur la possibilité de co-construire les animations avec les publics.
Evaluer les besoins
Afin de penser au mieux la programmation de l’action culturelle, ma tutrice de stage m’a demandé de réfléchir à un moyen de mesurer les besoins des publics, en sachant qu’un diagnostic de territoire est en cours et que je pouvais m’appuyer sur cette étude pour compléter mes analyses. Toutefois, mon objectif différait un peu de celui du diagnostic de territoire puisqu’il me fallait uniquement recueillir les avis des abonnés de la médiathèque de Crolles, et uniquement sur un sujet précis, c’est-à-dire les animations.
Afin d’évaluer au mieux les besoins des publics, j’ai décidé de réaliser une enquête de fréquentation des animations, grâce à un questionnaire auto-administré (voir annexe 3). Pour ce faire, je me suis principalement appuyée sur l‘ouvrage de Christophe Evans, Mener l‘enquête.
Guide des études de publics en bibliothèque , ouvrage très complet et sans lequel je n‘aurais pas pu réaliser ce questionnaire.
La réalisation d’enquêtes suppose certains postulats. De fait, il n’est pas évident que quelques cases cochées par une croix puissent renseigner efficacement sur les attentes des publics, sur leurs souhaits, leur vision des animations et de ce que devrait être la programmation. C’est d’ailleurs l’avis de Bernard Huchet, pour qui ce type d’enquête ne peut fournir que “des jugements individuels très sommaires qui certes fourniront des indications, des tendances, mais aucunes données significatives en soi.” J’ai conscience des limites de ce choix. C‘est pourquoi je souhaiterais expliciter ma démarche.
METHODOLOGIE
L’enquête de fréquentation : création, diffusion, exploitation
La première étape a été d’évaluer les attentes de ma tutrice sur ce questionnaire. Nous avons donc discuté ensemble des questions à ajouter, à modifier ou à supprimer, et des modalités de diffusion du questionnaire. Suite à ces échanges, il a été décidé que le questionnaire serait diffusé également à la médiathèque de Pontcharra, deuxième tête de réseau des bibliothèques du Grésivaudan. Pour obtenir plus de réponses et afin de garantir un égal accès du questionnaire à tous les usagers, nous avons décidé de diffuser le questionnaire à la fois sous forme papier et sous format numérique, grâce à l’outil Google Forms. Ce choix s’est fait par de pures considérations techniques : Google Forms est un outil gratuit et simple d’utilisation qui m’a permis de travailler efficacement sur les données recueillies. En outre, ces données ne présentent pas de caractère sensible et sont rendues anonymes. Ce choix n’engendre donc aucun risque au niveau de la protection des données, ce qui peut parfois être source d’inquiétude concernant les “Géants du Web” tels que Google.
Les limites et améliorations possibles
Celles-ci sont d’abord liées à des difficultés de conception du questionnaire lui-même.
Trouver les mots justes pour être concis tout en étant précis n’a pas été simple. Une question en particulier a posé problème et empêche une exploitation juste des résultats. Cette question avait pour but de mesurer la participation des publics à des manifestations nationales ou locales, telles que “Les Giboulivres”, la Nuit de la lecture ou encore les Journées du patrimoine. Elle était ainsi formulée.
Or, il s’est avéré que la formulation n’était pas assez explicite : plus de la moitié des personnes ont répondu par la négative à cette question, alors que le public est toujours nombreux lors des Giboulivres par exemple. L’expression à la question de “crise sanitaire”, utilisée à la question 12, manquait également de précision puisque la crise sanitaire recouvre des réalités diverses, allant du confinement strict à une ouverture restreinte de la médiathèque. Il s’agissait dans ce cas de désigner la période de confinement pendant laquelle la médiathèque était fermée au public, mais une minorité de personnes a compris cette expression au sens large, en prenant en compte la situation d’ouverture de la médiathèque malgré quelques restrictions. De fait, les services proposés ne sont pas les mêmes et certaines personnes n’ont pas répondu ou ont laisser un commentaire en marge de la question.
La partie sur le profil des répondants aurait également mérité d’être modifiée, puisque des remarques d’usagers ont souligné l’absence de case “famille”, dans le cas où la fréquentation de la médiathèque se fait uniquement pour et avec les enfants. Demander la profession aurait aussi permis d’avoir un profil plus précis des répondants. J’ai fait le choix de simplifier autant que possible les questions, d’une part pour éviter que le questionnaire ne soit trop long, et d’autres part, pour faciliter la tâche de dépouillement des résultats. Mais avec du recul, établir un profil plus précis des répondants aurait été intéressant pour une analyse plus poussée, afin de croiser certains résultats, comme la catégorie socio-professionnelle avec le type d’animation demandée ou fréquentée. D’autres limites sont davantage liées au comportement du public. En effet, un effet de “désirabilité sociale” existe , dans la mesure ou les personnes peuvent répondre selon des normes sociales, pour se valoriser notamment. Ce mécanisme, souvent inconscient, n’est pas à exclure, bien qu’il soit difficilement démontrable. Par ailleurs, il a été très difficile de toucher un public jeune, et en particulier adolescent. Les résultats sont donc en partie biaisés par l’échantillonnage, qui manque d’une plus grande diversité.
Je voudrais enfin rappeler que les résultats du questionnaire ne représentent que des données chiffrées, soit du quantitatif plus que du qualitatif. L’idéal aurait été de compléter cette enquête par des entretiens menés auprès des usagers, pour recueillir des avis plus développés et personnels sur cette question de la programmation des animations. Cependant, n’ayant pas le temps de mener ces entretiens dans le cadre du stage, j’ai préféré opter pour le questionnaire, qui donne tout de mêm e des tendances générales.
PRINCIPAUX RESULTATS
L’enquête de fréquentation a permis de montrer certaines tendances globales, à défaut de recueillir plus précisément les avis des publics. Au total, 302 réponses ont été recueillies, dont 178 sur internet. Pour Crolles, le mailing a permis de diffuser le questionnaire auprès de 1899 abonnés.
Etant donné que 85,6% des répondants sur Google Forms ont déclaré fréquenter la médiathèque de Crolles, on peut estimer que le taux de réponse des usagers crollois est de 8% sur internet. Pour le questionnaire papier, le taux de retour est plus élevé : j’ai recueilli 80 questionnaires pour 180 effectivement distribués, ce qui donne un taux de retour de 44%. Au total, le taux de retour du questionnaire, internet et papier compris (soit les 180 distribués, plus les 1899 par internet, sur 232 répondants venants de Crolles) s’élève ainsi à près de 11%. Pour Pontcharra le nombre de questionnaires retournés est moindre : 43 questionnaires papiers et 14,4% des retours numériques, soit environ 25 questionnaires.
POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU PUBLIC : COCONSTRUCTION LES ANIMATIONS
Les résultats de l’enquête de fréquentation montrent aussi une proportion relativement importante des répondants déclarant être prêts à participer à l’organisation d’une animation avec les médiathécaires : cela concerne 15% des réponses. Ce taux monte à 20% pour la constitution des collections. Actuellement, la médiathèque de Crolles ne réalise pas ce genre de démarche s, mais elle suscite l’intérêt de sa directrice, Valérie Valenza : “pour l’instant nous ne sommes pas engagés dans des démarches de co-construction avec les usagers. On y réfléchit. Je l’ai suggéré aux collègues de la musique pour certains projets mais pour l’instant c’est simplement en cours de réflexion.”. Je voudrais donc apporter à cette réflexion quelques éléments recueillis lors des entretiens semi-directifs menés avec les établissements de Lille, Annemasse et Paris (avec la bibliothèque Louise Michel).
J’ai mené ces entretiens par téléphone, selon une grille d’entretien que j’ai créée. Chacun de ces entretiens a duré entre une demi-heure et une heure et m’ont permis d’avoir des points de comparaison par rapport à la médiathèque de Crolles. Le choix de ces établissements s’est fait de la même manière que pour les entretiens sur la page Facebook : j’ai choisi Lille pour le dynamisme du réseau, de même que la bibliothèque Louise Michel à Paris, fréquemment citée dans la littérature professionnelle pour ses actions à destination des publics. La bibliothèque d‘Annemasse m’a été conseillée par mes professeurs. Mon objectif en choisissant ces bibliothèques était aussi de diversifier les profils des bibliothèques, pour obtenir des réponses plus pertinentes. J’ai ensuite retranscrit ces entretiens, en choisissant de corriger légèrement les retranscriptions pour éviter les marques du langage oral, puisque l’objectif n’est pas de faire une étude sociologique mais de simplement recueillir des informations venant de professionnels.
Bibliothèque Pierre Goy, Annemasse
Pour la co-construction des animations, les bibliothèques Pierre Goy d’Annemasse et Louise Michel à Paris ont été les plus intéressantes à interroger. Le cas de la bibliothèque Louise Michel est un peu particulier, c’est pourquoi je commencerai d’abord par développer la situation de la bibliothèque d’Annemasse, où les agents travaillent “en lien étroit avec les usagers”. La bibliothèque réalise en effet quelques actions de co-construction qui concernent directement les animations : “on est amenés à faire de la co-construction directement avec les usagers soit sous forme d’une demande de leur part d’une animation qu’ils aimeraient bien avoir directement sur le site, soit d’une création de réunion sur un sujet donné et auquel les usagers sont chargés de réfléchir et de faire les propositions”. Deux formes de co-construction sont donc possibles : en recueillant directement les demandes des usagers ou en les faisant réfléchir sur un sujet défini par les bibliothécaires. Ces initiatives ont donné lui au “jeudi évasion”, qui est une animation co-construite autour d’un thème décidé par les usagers. Il existe aussi un prix littéraire “Lettre frontière” qui initialement était construit autour de propositions des bibliothécaires. Mais cette animation n’a jamais réellement eu de succès et la bibliothèque s’est interrogée sur son rôle de “prescripteur”. Elle a finalement décidé de confier ce prix à trois bénévoles, qui sont avant tout des usagers. Ainsi, ce prix littéraire a connu un meilleur succès.
Bibliothèque Louise Michel, Paris 20ème : vers une bibliothèque troisième lieu
La bibliothèque Louise Michel, quant à elle, est dès l’origine construite grâce à une consultation des habitants : “On a ouvert vraiment en co-construction avec les habitants. Il y avait plusieurs choix de bâtiments entre piscine et plusieurs autres équipements culturels et ils ont choisi la bibliothèque.”. Ainsi, ce principe de co-construction est un principe fondateur pour la bibliothèque, tant dans le rapport que les bibliothécaires entretiennent avec le public, que dans l’équipe elle-même : “C’est un système de gouvernance horizontale.”.
Concernant la co-construction avec le public, la bibliothèque organise plusieurs animations pour faire participer les usagers. Deux actions de co-construction sont particulièrement représentatives de la bibliothèque. Il y a d’abord le “biblio remix”, organisé pour les adultes mais aussi pour les enfants : il s’agit d’ateliers destinés à recueillir les idées des publics sur un projet de la bibliothèque. Pour les enfants, ce type d’animation trouve tout son sens : “ On l’a fait plusieurs fois à la bibliothèque avec des enfants qui sont sur place et qui viennent souvent et c’était vraiment très intéressant parce que c’est assez difficile de vraiment savoir ce que veulent les enfants, ce dont ils ont envie, ce qui se passe dans leur tête.”. Dans tous les cas, que cela soit pour les adultes ou pour les enfants, les biblioremix permettent d’être au plus près des attentes des publics et de saisir pleinement leurs besoins. Cela leur permet également de s’approprier davantage la bibliothèque et de s’impliquer dans la vie de l’établissement. Le biblioremix junior, par exemple, a ainsi permis la création d’un rendez-vous mensuel, “Ramène tes miches”. L’autre action menée à la bibliothèque Louise Michel est le “Ciné des habitants” qui touche un public plus large. Il s’agit d’une présentation de films, réalisée non pas par les bibliothécaires mais par les usagers eux-mêmes : “Ce sont les habitants qui choisissent un film tous les mois et qui le présentent à tour de rôle et après il y a un petit débat.”. Sur le même modèle, la bibliothèque a aussi créé un club de lecture. De fait, ce lien privilégié avec les publics fait partie intégrante de l’établissement qui se positionne comme “lieu de vie” et revendique le modèle du troisième lieu. Cela implique une vision du métier moins centrée sur les collections : “C’est vrai que, par exemple, quand on recrute les personnes à la bibliothèque on leur explique d’emblée que l’accueil et les animations doivent prendre 60% du temps”.
Cette organisation s’étend en toute cohérence au travail de l’équipe de bibliothécaires. Pour ce faire, un système de pôle a été mis en place : “nous fonctionnons par pôle. Nous avons un pôle « action culturelle et communication », un pôle « territoire et habitants », un pôle « politique documentaire » et enfin un pôle « accueil »”. De fait, “ce système de pôles, on est à peu près deux à trois par pôle voire quatre, permet à chacun d’avoir de vraies responsabilités et de travailler en commun aussi, quelques soit son grade. Cela permet de gommer un peu ces histoires de hiérarchie”. La mise en commun est donc importante : tout le monde est impliqué dans l’organisation globale de la bibliothèque et échange avec ses collègues. Cela se remarque particulièrement dans les réunions régulières organisées pour que l’équipe puisse s’autoformer selon les compétences de chacun. Ces échanges permettent de créer une dynamique d’ensemble propice à la cohésion et à la création.
INCLURE LES PUBLICS DES ANIMATIONS A CROLLES : PISTES POSSIBLES ET LIMITES
Inclure les publics à la MTRC
La médiathèque Gilbert Dalet dispose déjà d’une charte d’accueil commune aux deux médiathèques tête de réseau. Cette charte énonce quelques principes, avec notamment le fait de mettre en avant le programme des animations et leur gratuité, tout en recueillant les suggestions des publics. Ces règles sont nécessaires à mon sens pour assurer la promotion des animations mais non suffisantes pour pleinement impliquer les publics dans une démarche de participation plus globale.
Une des premières étapes pour penser des pratiques de co-construction à la médiathèque est donc de penser les choix qui motivent la participation : qu’est-ce qui suscite l’intérêt chez les usagers ? Pourquoi venir participer aux animations de la médiathèque ? Au cours des discussions que j’ai pu avoir avec les agents, un terme en particulier a retenu mon attention, celui de ”proximité”. En effet, pour que les personnes se déplacent en bibliothèque, et encore plus aux animations de la médiathèque, il faut qu’elles puissent se sentir proche de ce lieu. Cette proximité est bien sûr physique : se rendre en peu de temps à la médiathèque est une condition nécessaire à la participation.
Mais elle est aussi de l’ordre des représentations : c’est une proximité qui induit l’inscription de l’action culturelle dans un territoire, lequel comporte ses spécificités. Ainsi, penser la participation des publics, c’est penser leurs pratiques au sein d’un territoire donné, comme le rappelle le guide pratique des animations culturelles en bibliothèque, produit par la direction départementale du livre et de la lecture de l‘Herault : ”Les caractéristiques géographiques et historiques du bassin sont également à considérer. La facilité de déplacement des habitants des autres communes, la diffusion de l’information sur la zone, la connaissance du passé et de la culture locale peuvent infléchir une programmation ou sa mise en œuvre, et nécessitent parfois des dispositions particulières”. Nulle bibliothèque n’existe ”hors sol” : sa conception suppose d’inclure des représentations propres aux populations en place. Marine Peotta écrit d‘ailleurs avec justesse dans son mémoire sur la participation des publics : ”C’est alors à la bibliothèque d’adapter ses collections et de penser des actions culturelles en adéquation avec les populations et non pas aux populations de se conformer aux représentations culturelles de la bibliothèque. . La bibliothèque doit donc parvenir à s’adapter à son public, et à créer un lien particulier avec lui, un lien d’affinité qui est de l’ordre d’une ressemblance et d’une reconnaissance : puisque le public se reconnait dans les représentations véhiculées par la bibliothèque, et dans les animations proposées en l’occurrence, alors il sera plus enclin à fréquenter le lieu et à participer.
Parvenir à créer un tel lien suppose un travail sur le temps long et mobilise des actions qui peuvent paraître parfois difficilement définissables et quantifiables, tant elles relèvent de gestes du quotidien : un accueil attentif aux usagers, une préoccupation quant à leurs habitudes de vie et à leur fréquentation, une écoute de leurs envies et désirs. Cependant, pour tenter de clarifier le rôle de la bibliothèque dans cette fonction de participation, j’aimerais reprendre la proposition de Marine Peotta d’un guide de la participation. Ce guide, tel que défini dans son mémoire a vocation à encadrer les pratiques en donnant de la visibilité à la participation des publics : “Il serait propre à chaque établissement et inclurait toutes les activités participatives que la bibliothèque met en place ou envisage de mettre en place.” . Ourtre cette communication avec les publics, ce document permettrait de communiquer avec la tutelle et de valoriser ce type particulier d’action culturelle.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE – DEFINIR L’ACTION CULTURELLE EN BIBLIOTHEQUE : LEGITIMITE ET CADRE D’ACTION
I. Définitions et enjeux idéologiques
II. L’action culturelle au cœur des missions des bibliothèques
III. L’action culturelle à la médiathèque Gilbert Dalet
DEUXIEME PARTIE – “HORS DU PUBLIC, POINT DE SALUT” : LES PUBLICS AU COEUR DE L’ACTION CULTURELLE
I. Evaluer les besoins
II. Déconstruire les stéréotypes : repenser l’image de la médiathèque
III. Inclure les publics : vers une co-construction des animations ?
TROISIEME PARTIE – CREER UNE DYNAMIQUE D’ENSEMBLE ET STRUCTURER L’ACTION CULTURELLE
I. Des animations à l’action culturelle : formaliser, structurer, programmer
II. Tisser des liens : organiser l’action culturelle sur le territoire
III. L’action culturelle et la figure du bibliothécaire
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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