Le concept de la créativité
La créativité est un concept complexe. Récemment, il est devenu un terme à la mode que nous entendons partout et qui est utilisé souvent à tort, ce qui en fait un concept vide de sens. Par conséquent, le but de cette section est de démystifier le concept de créativité en présentant son évolution et les différentes perspectives de son étude.
Définition de la créativité
La définition de la créativité est l’une des difficultés majeures liées à son étude car elle a été définie de différentes façons dans la littérature. Il y a autant de définition de la créativité que d’auteurs. Au point que Lubart et al., (2003) estiment que la définition de la créativité peut faire à elle seule un objet de recherche.
Par ailleurs, nous avons noté l’association de la créativité à d’autres notions voisines, à savoir l’imagination, l’intuition et la création. En prenant appui sur les définitions élaborées par Timbal-Duclaux, (1991), l’imagination est la capacité à former des images mentales, l’intuition représente l’ensemble des connaissances soudaines, spontanées et indépendantes de toute démonstration, la création est l’œuvre déjà créée et la créativité, comme le processus de création, est la qualité ou le talent qui aboutissent à un résultat nouveau, utile et compréhensible. En plus, Amabile, (1998) explique que l’imagination combinée avec l’intuition forment ce qu’elle appelle la compétence à la créativité. Celle-ci représente l’un des antécédents de la créativité individuelle que nous développerons avec davantage de détails plus loin.
Malgré la diversité des définitions de la créativité, Parkhurst, (1999) a élaboré une synthèse de ses principales définitions en termes des traits:
– un trait mental qui peut être quantifié et mesuré,
– un trait physiologique qui peut être examiné par l’analyse des changements physiologiques ayant lieu pendant l’activité créative,
– un processus cognitif qui peut être étudié lorsque des individus s’engagent dans la résolution de problèmes nécessitant de la créativité ou dans une pensée créative,
– une activité liée à son contexte social qui ne peut être étudiée qu’au sein du contexte dans lequel elle s’insère (culture, organisation).
Compte tenu de cette synthèse, nous constatons que la créativité est un phénomène multidimensionnel. Elle est liée, d’une part, aux facteurs personnels représentés par les capacités mentales, physiologiques, cognitives et d’apprentissage, et d’autre part, auxfacteurs sociaux relatifs à l’environnement social dans lequel agissent les individus.
En outre, nous soulignons la divergence des chercheurs concernant la perspective d’examiner la créativité. Ainsi, nous distinguons ceux qui la définissent en terme de produit final et ceux qui la considèrent comme inhérente au processus. Contrairement aux partisans de la vision « produit final » de la créativité (e.g., Amabile et al., 1984; Oldham et Cummings, 1996; Scott et Bruce, 1994) pour qui la créativité est définie comme étant la production ou la génération des idées nouvelles et utiles, les partisans l’approche processus de la créativité la définissent comme « the process of engagement in creative acts, regardless of whether the resulting outcomes are novel or useful ». Selon Kazanjian et al., (2000, p. 276), le processus de créativité est une séquence de pensées et d’actions de certains acteurs qui mènent à des résultats qui seront considérés créatifs par d’autres. Lubart, (2001, p. 295), définit la créativité comme une séquence de pensées et d’actions qui conduisent à une production nouvelle et adaptative.
Selon la vision « produit final », la créativité dans les organisations, contrairement à la créativité dans le domaine artistique, est intrinsèquement liée à deux caractéristiques, la nouveauté et l’utilité. Amabile, (1997), appuie ce constat en soulignant que la créativité est une production d’idées nouvelles qui doivent être utiles et répondre à un besoin. De même, récemment, Gruys, et al., (2011), distinguent la nouveauté de l’utilité ou la pertinence de l’idée – les idées nouvelles ne sont pas toutes des idées utiles et l’inverse est aussi vrai- et soulignent la nécessité de les considérer de manière indépendante.
Approche sociologique de la créativité
Dans la littérature en sociologie, un nombre important de travaux portent sur l’action humaine et les logiques sous-jacentes de son émergence. Ces travaux ont donné lieu à des théories et des modèles dits d’actions. Joas, dans son ouvrage « la créativité de l’agir », a mené une analyse critique des théories d’action et a introduit une nouvelle dimension de l’action humaine qu’il nomme l’agir créatif. En effet, en se basant sur le courant des pragmatistes en particulier, Joas (1999) explique que la créativité est le résultat des expériences antérieures et des possibilités offertes par le monde extérieur. Selon Dewey : « Dans le moi, des éléments provenant d’expériences antérieures sont réinvestis dans des aspirations, des impulsions et des représentations nouvelles. Celles-ci surgissent du subconscient – non pas comme des corps étrangers, ni comme des formes dans lesquelles nous pourrions reconnaître des détails issus du passé, comme des fragments ou des miettes, mais fondues ensemble au feu d’un mouvement intérieur. Elles ne semblent pas provenir du moi, parce qu’elles prennent leur source dans un Soi qui n’a pas conscience de lui-même. » Dewey cit. Joas, 1999, p. 151).
Ainsi, la conception de l’agir créatif est basée sur deux concepts-clés : l’action et la situation.
Contrairement au modèle rationnel à visée utilitariste ou normative où l’action est précédée par la connaissance, l’action, ici, est le résultat de la réflexion sur les tendances et les orientations préréflexives qui sont déjà en œuvre dans notre agir. En d’autres termes, il y a une interaction entre la connaissance et l’action. Ce qui reflète une vision pragmatiste de la créativité. En fait, J. Dewey (1859-1952), l’un des fondateur du courant pragmatisme, définit ce dernier comme l’homme (ou la femme) « centré sur son action et son utilité ».
Dans ce sens, selon les pragmatistes, le philosophe ne pratique pas la philosophie pour la philosophie, mais « pour mieux comprendre la politique, la vie communautaire et les problèmes concrets » (Richard Rorty, 2003 cité p.36).
Dans le même sens, Freud (1908, 1959) pense que la créativité est le résultat d’une interaction entre la réalité consciente et les pulsions inconscientes. Pour le concept de situation, ou environnement, Joas pense que la situation ne détermine pas l’action mais n’est pas non plus juste un arrière-plan neutre.
En bref, selon cette approche, la créativité se joue aussi bien dans le fait que dans une situation, les moyens et les fins ne sont pas des données, ils sont le résultat de l’action quise déroule dans un dialogue avec la situation.
Approche institutionnelle de la créativité
Comme nous l’avons développé plus haut dans la perspective « produit final » de la créativité, l’idée créative est caractérisée par sa nouveauté et son utilité. Ces deux caractéristiques sont jugées subjectivement (Ford, 1996). Csikszentmihalyi, (1988, 1990) a élaboré une vision systémique de la créativité qui décrit le processus social à travers lequel le résultat des actions particulaires sont qualifiées de créatives. Et celui-ci présente cette vision par sous-systèmes interconnectés : la personne, le champ et le domaine. Ces soussystèmes contribuent à l’émergence d’une action créative. (Csikszentmihalyi, 1990b), (1990b) affirme que « la créativité est un processus qui peut être observé seulement à l’intersection où les individus, les domaines, et les champs se recoupent ». (p. 314)
Le champ est défini par des agrégats d’organisations constituant une zone reconnaissable de la vie institutionnelle. Et le domaine est défini par ses mythes de rationalisation (Meyer et Rowan, 1977). Le domaine mène les acteurs qui constituent le champ organisationnel à voir et à agir selon les mythes et les règles décrites par le-dit domaine (Powell et DiMaggio, 1983). Le courant institutionnel utilise le concept de champs et de domaine pour décrire les processus de sélection et de rétention liés à la variation organisationnelle. Ce modèle de variation, sélection et rétention fondé par (Campbell, 1965) a été utilisé pour comprendre le processus de création par (Simonton, 1999) et d’évaluation du degré de créativité des idées produites.
En outre, le champ et le domaine représentent la situation ou le contexte qui influence l’action individuelle. Les sociologues ont aussi utilisé la notion de champ et de domaine pour illustrer le contexte de l’action individuelle et organisationnelle. L’institutionnalisme insiste sur la reproduction et la créativité est soumise aux décisions politiques (normative, coercitive) ou bien en considérant l’entrepreneur institutionnel (DiMaggio, 1988) qui dispose des ressources et du pouvoir lui permettant d’influencer – voire rompre- avec les contextes institutionnel.
En outre, Bourdieu, (1993) met l’accent sur l’importance de la structure sociale dans la reconnaissance de la valeur du bien culturel. Une analyse des produits culturels doit tenir compte de leur importance dans le champ artistique, mais aussi dans le champ sociologique représenté par le pouvoir relationnel (Bourdieu, 1993). Les œuvres de création ne sont pas des objets isolés offrant une réflexion sur la « condition humaine », malgré qu’ils puissent fonctionner comme tel. Ils sont impliqués dans les structures de dominance et dans la reproduction de ces structures.
Management de projet
Afin de comprendre le lien créativité-organisation, nous avons vu l’évolution du concept de créativité. Dans cette section, nous développons le volet organisation. Nous n’avons la prétention ni l’intention de faire un tour d’horizon des théories de l’organisation.
Néanmoins, dans la mesure où la question de recherche porte sur la gestion des projets de création dans les agences de communication, nous jugeons incontournable de présenter succinctement les modes de gestion de projet les plus marquants dans la littérature. De plus, les agences de communication sont organisées en mode projet, d’où la raison de cette focalisation sur ce mode d’organisation.
Avec l’évolution de l’environnement marqué par le changement rapide et le raccourcissement des cycles de vie des produits, les entreprises prennent conscience de la nécessité de développer de nouveaux produits pour leur survie. Ce qui se traduit par l’importante croissance des nouveaux produits dans les chiffres d’affaires et par leur grande marge bénéficiaire (Takeuchi et Nonaka, 1986). Par exemple, les produits de moins de cinq ans de l’entreprise 3M représentent vingt-cinq pour cent de son chiffre d’affaires. Ainsi, la qualité, la minimisation des coûts, la différenciation ne permettent plus d’exceller, l’intégration de la rapidité et la flexibilité devient alors incontournable (Garel, 1999).
L’accent mis sur ces deux derniers critères – rapidité et flexibilité – a amené à l’émergence d’un considérable courant de recherche qui a mis en exergue l’importance du mode de management des projets dans la performance de conception des firmes (Clark et Fujimoto, 1991;Midler, 2004).
La notion de management de projet est à distinguer de celle de gestion de projet. En effet, selon la norme AFNOR (X50-115), le management de projet est considéré comme plus large que la gestion de projet. Cette dernière représente les aspects techniques et instrumentaux du déroulement d’un projet. Nous citons à titre d’illustration : l’optimisation des coûts, le respect des délais, la prise en compte et la gestion des risques etc. Tandis que le management de projet, en plus de l’aspect technique, inclut les aspects de la fonction de direction de spécifications techniques, des actions politiques, des aspects financiers, de l’organisation du projet. Nous utiliserons davantage la notion de management de projet car l’objet de recherche vise l’examen de la dimension organisationnelle et non uniquement les aspects techniques.
Définitions du terme « projet »
Le terme projet porte deux sens différents. Le premier représente quelque chose que l’on souhaite faire ou atteindre : un but, un objectif ou une intention. Le deuxième reflète la phase préliminaire d’un travail (e.g., un projet de recherche, un projet de livre, un projet de loi). Donc, il s’agit ici d’une esquisse.
Selon, la norme X50-105 de l’AFNOR, un projet est « une démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir » et ajoute « un projet est défini et mis en œuvre pour élaborer une réponse au besoin d’un utilisateur, d’un client ou d’une clientèle et il implique un objectif et des actions à entreprendre avec des ressources données ». Ainsi, le projet serait un processus ayant un but et mobilisant des moyens. Ecosip, (1993)définit le projet comme étant une « création collective, organisée dans le temps et l’espace, en vue d’une demande » (p.18). Declerck et al., (1983) opposent lesactivités d’un projet aux opérations routinières de l’entreprise.
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Abstract
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des annexes
Introduction générale
1. Construction de l’objectif de recherche et des questions de recherche
2. Cadre théorique
3. Positionnement épistémologique et choix méthodologique
4. Analyse et résultats de la recherche
5. Nomenclature de la recherche
PREMIÈRE PARTIE : CRÉATIVITÉ ET GESTION DES PROJETS DE CRÉATION DANS LES AGENCES DE COMMUNICATION
Introduction de la première partie
Chapitre 1 : revue de littérature
Introduction du chapitre 1
Section 1 Le concept de la créativité
1.1 Définition de la créativité
1.1.1 Approches d’étude de la créativité
1.1.1.1 Approche neuropsychologique
1.1.2 Approche sociologique de la créativité
1.1.3 Approche institutionnelle de la créativité
Section 2 Industries créatives et gestion de projet
2.1 Industries créatives
2.2 Management de projet
2.2.1 Définitions du terme « projet »
2.2.2 Modèles de gestion de projet
2.2.2.1 Modèle séquentiel (Occidental ou Taylorien)
2.2.2.2 Le modèle oriental : l’ingénierie concourante
Conclusion de chapitre 1
Chapitre 2 : Ancrages théoriques et cadre d’analyse
Introduction du chapitre 2
Section 1 approche interactionniste de la créativité
1.1 Créativité individuelle
1.2 Créativité du groupe
1.2.1 Communication
1.2.2 Collaboration
1.2.3 Diversité et multidisciplinarité
1.3 Créativité organisationnelle
1.3.1 Structure
1.3.2 Tâche : structurée vs complexe
1.3.3 Évaluation et récompense
1.4 Culture
1.5 Leadership
1.6 Ressources
Section 2 Cadre conceptuel et propositions de recherches
2.1 Cadre conceptuel
2.1.1 Modèle interactionniste
2.2 Propositions de recherche
Conclusion du chapitre 2
Conclusion de la première partie
DEUXIÈME PARTIE : DISPOSITIFS MÉTHODOLOGIQUES ET EMPIRIQUES
Introduction de la deuxième partie
Chapitre 3 : Positionnement épistémologique et méthodologique
Introduction du chapitre 3
Section 1 Assises épistémologiques
1.1 Epistémologie : définition et paradigmes
1.2 Positionnement épistémologique de la thèse
1.2.1 Le statut accordé aux données
1.2.2 Le mode de collecte des données .
1.2.3 La relation entre la théorie et les observations empiriques
1.2.4 Les critères de scientificité de la recherche
Section 2 Stratégie de recherche
2.1 L’étude de cas comme stratégie de recherche
2.2 Le choix des cas étudiés
2.3 La collecte des données
2.4 La méthode d’analyse des données
Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4 : Étude empirique descriptive des cas
Introduction du chapitre 4
Section 1 Agence de communication
1.1 Organisation d’agences de communication
1.1.1 Service conseil (gestion de compte client)
1.1.2 Service planification stratégique
1.1.3 Service création
1.1.4 Service média et production
1.2 Activité d’agences de communication
1.2.1 La publicité
1.2.2 La gestion de la marque
Section 2 Présentation des cas étudiés
2.1 La première catégorie
2.2 La deuxième catégorie
2.3 La troisième catégorie
Conclusion du chapitre 4
Conclusion de la deuxième partie
TROISIÈME PARTIE : ÉTUDE EMPIRIQUE
Introduction de la troisième partie
Chapitre 5 : Analyse des résultats
Introduction du chapitre 5
Section 1 Gestion des projets de création
1.1 Processus standard de gestion d’un projet de création
1.1.1 Brief client
1.1.2 Brief création
1.1.3 Création
1.1.4 Présentation interne
1.1.5 Présentation au client
1.1.6 Réalisation
1.2 Projet de création ordinaire versus créatif
1.2.1 Projet de création ordinaire
1.2.2 Projet de création créatif
Section 2 : Relation entre créativité et organisation
2.1 La dimension individuelle de la créativité dans les projets de création
2.1.1 Compétence
2.1.2 Expérience
2.1.3 Domaine d’intérêt
2.2 La dimension groupe de la créativité dans les projets de création
2.2.1 Communication
2.2.2 Collaboration
2.2.3 Diversité
2.3 La dimension organisationnelle de la créativité dans les projets de création
2.3.1 Structure
2.3.1.1 Tâche du travail
2.3.1.2 Autonomie
2.3.1.3 Pratique RH // Procédure
2.3.2 Culture
2.3.3 Leadership
2.3.4 Ressources
2.3.4.1 Temps
2.3.4.2 Moyens financiers
2.3.4.3 Lieu
2.4 Relation créativité et organisation
2.4.1 Créativité et projets de création ordinaires (exploitation)
2.4.3 Créativité et projet de création créatif (exploration)
2.4.4 Interaction en la créativité et l’organisation
Conclusion du chapitre 5
Chapitre 6 : Discussion des résultats
Introduction du chapitre 6
Section 1 Créativité et organisationnel dans les projets de création
1.1 Influence des facteurs organisationnels sur la créativité
1.1.1 Structure
1.1.2 Culture
1.1.3 Leadership
1.1.4 Ressources
1.1 Projet de création ordinaire vs créatif
Section 2 Vers une approche structurelle de la créativité
2.1 L’influence de la créativité sur l’organisationnel
2.1.1 Processus
2.1.2 Rôles
2.2 Approche structurelle de la créativité
Conclusion du chapitre 6
Conclusion de la partie troisième partie
CONCLUSION GÉNÉRALE
Bibliographie
ANNEXES
Annexe 1 : Six paradigmes épistémologiques
Annexe 2 : Exemples d’espaces de création
Annexe 3 : Matrice du codage des données
Annexe 4 : Verbatims