Création d’une plateforme d’échange de pratiques entre les coopératives sociales uruguayennes

Le contexte économique uruguayen

Selon le FMI le PIB de l’Uruguay en 2015 était de 57,970 milliards de dollars, soit un PIB par habitant de 16 091 dollars, ce qui en fait un des plus élevés de la région Amérique du Sud.
Néanmoins, sa croissance de 2,5 % en 2015 est en baisse par rapport aux années précédentes et notamment la période 2004-2008 ou la croissance était en moyenne de 6%. Selon les prévisions du FMI, la croissance pour 2016 devrait avoisiner les 2,2%. Le pays a subi un taux d’inflation élevé, avec une moyenne de 8% sur les cinq dernières années, notamment dû à une balance des échanges commerciaux déficitaire et une monnaie (le peso uruguayen) peu constante. De plus, le budget de l’État est déficitaire (3,9% en 2015) ce qui a tendance à accroitre la dette nationale. Ce qui caractérise l’économie uruguayenne c’est sa forte dépendance envers ses deux voisins argentin et brésilien, même si on note ces dernières années une volonté de varier les partenaires commerciaux comme les États-Unis . Selon le FMI encore, il est fort possible que l’Uruguay subisse une forte décélération de sa croissance économique étant donné les conjonctures négatives de deux géants sud-américains.
Concernant la typologie de ses activités, l’Uruguay est un pays avec une économie traditionnellement tournée vers l’exploitation agricole. Il dispose de terres riches pour l’agriculture et près de 90 % sont dédiés à l’élevage ovin, bovin et porcin. Les 10% restant sont dédié à la culture du riz, du blé, du maïs et de la canne à sucre. Mais si ce secteur ne représente que 6% du PIB en 2015, il reste le principal secteur d’exportation du pays, avec notamment la viande bovine, réputé dans le monde entier. D’ailleurs, la plupart des vieilles fortunes uruguayennes sont issues de ce secteur. Le secteur industriel représente quant à lui 21,3% du PIB en 2015 et emploie environ 21% de la population active. Son activité et très lié au secteur agricole puisque la moitié des activités sont liées au traitement de produits agricoles et animaliers. Les autres types d’activité sont liés à la chimie, aux textiles, aux matériaux de construction et plus récemment à la pâte à papier ou cellulose. Enfin, les services contribuent à 72% du PIB et emploient 70% de la population active avec deux secteurs dominants, les services financiers et le tourisme.
Une autre particularité de l’Uruguay, c’est la place importante qu’ont les coopératives dans la vie économique et sociale du pays. Nous allons nous intéresser maintenant au mouvement coopératif uruguayen.

Le mouvement coopératif en Uruguay

Né en Europe au milieu du XIXe siècle, le mouvement coopératif fut importé en Uruguay à la fin de ce même siècle par les vagues d’immigrations espagnoles, italiennes et françaises. Et pendant plus d’un siècle, il se développa dans les différentes sphères économiques, sociales et culturelles de la société uruguayenne. Aujourd’hui il tient une place importante dans le pays, c’est un modèle référent lorsqu’il s’agit de s’organiser de manière collective autour d’un projet commun.
Dans cette partie, nous définirons dans un premier temps ce qu’est une coopérative et sur quels valeurs et principes elle repose. Nous nous intéresserons ensuite à l’historique de ce mouvement en Uruguay. Enfin, nous ferons un inventaire des différentes formes coopératives existantes et mettrons en avant les caractéristiques du coopérativisme en Uruguay.

Définition des valeurs et principes

Selon la loi générale des coopératives uruguayennes de 2008, les coopératives sont « une association de personnes qui s’unissent de manière volontaire sur les bases de l’effort et de l’entraide mutuelle, afin de répondre à leurs besoins économiques, sociaux et culturels communs, grâce à une entreprise commune gérée de manière démocratique ».
Ce qui différencie une entreprise coopérative d’une entreprise classique, c’est le fait que l’entreprise appartient à tous les coopérateurs, et qu’ils ont un pouvoir de décision égal lors des décisions stratégiques de l’organisation, notamment en assemblé générale. D’autre part, les bénéfices ou les déficits générés par la coopérative sont distribués ou supportés de manière collective et équitable entre les différents membres. L’objectif de la coopérative est de favoriser le bien-être de ses membres, en leur offrant un bénéfice monétaire ou non monétaire.
Ces bénéfices peuvent être un travail digne et stable dans une coopérative de travail, des prix plus avantageux dans une coopérative de consommation, un accès plus facile à un logement dans une coopérative d’habitat ou encore des dividendes dans une coopérative de production. Depuis leur fondation, les coopératives uruguayennes revendiquent des valeurs et des principes inspirés de celles portées par l’ICA . Ces valeurs et principes que nous détaillerons par la suite ont été mis en place pour la première fois en 1844 dans une entreprise par les ouvriers tisserands de « The Rochdale Society of Equitable Pioneers » près de Manchester. Les règles qui régissent le fonctionnement de cette organisation deviendront par la suite un modèle pour le monde coopératif, qui s’en inspire toujours à l’heure actuelle. Les valeurs prônées par le coopérativisme sont l’entraide, la responsabilité, les démocraties participatives, l’égalité et la solidarité. De plus, les membres de ces organisations doivent faire preuve d’honnêteté, de transparence, de responsabilité sociale et se préoccuper du sort des autres membres.
Afin de mettre en pratique ces valeurs, le mouvement coopératif s’appuie sur sept principes fondamentaux.

Historique du mouvement coopératif en Uruguay

« Pour un pays qui à moins de deux cent ans d’existence, compter plus de cent ans de coopérativisme n’est pas un fait anodin » Même si les premières définitions légales du coopérativisme apparaissent en 1941 avec la première loi sur les coopératives agricoles, loi sur laquelle nous reviendrons par la suite, les prémices du coopérativisme en Uruguay datent de la fin du XIXe siècle. C’est surtout à travers ses valeurs que le coopérativisme apparait à cette époque. En effet, à ce moment les valeurs coopératives se confondent avec celle du mutualisme amené par les vagues d’immigrations européennes et la culture ouvrière de solidarité collective qui l’accompagne. D’après INACOOP, c’est en 1870 qu’est créé la première « Sociedad de Socorros Mutuos» par des ouvriers du secteur de la typographie, d’autres organisations du même type naîtront dans les années qui suivent. Mais ce n’est qu’en 1889 qu’est créée la première coopérative, c’est une coopérative de consommation pour les habitants du quartier Ciudad Vieja de Montevideo. Dans la même année, les ouvriers du secteur typographique créent la « Sociedad Typografica Uruguaya ». Même si cette organisation ne porte pas le nom de coopérative, les valeurs de travail et de solidarité qu’elle propose sont totalement en accord avec les principes coopératifs, c’est pourquoi elle est considérée comme la première coopérative de production de l’Uruguay. Il faudra attendre 1920 pour voir apparaitre les premières organisations où le terme coopératif est mentionné directement dans les documents relatifs à la création de ces structures. Les secteurs où l’on retrouve ces organisations sont les chemins de fers, l’industrie de congélation de la viande , l’industrie graphique et l’industrie textile. Se manifestent aussi à cette période les premières tentatives d’institutionnalisation du mouvement coopératif. Il est intéressant de noter que cette période coïncide avec la construction institutionnelle du pays ,impulsée par les mandats présidentiels de Batlle Ordonez . (Voir annexe2 : Les principales tentatives de formalisation du secteur coopératif uruguayen).
En 2008, près plus de cents ans d’évolution et sous l’impulsion du gouvernement du Frente Amplio au pouvoir depuis trois ans, fut promulguée le 24 octobre la loi n°18.407 , plus communément appelée loi générale des coopératives. À travers ses 224 articles, cette loi a pour finalité de réguler la constitution, l’organisation et le fonctionnement de tous les types de coopératives en Uruguay, et de les regrouper sous un seul texte. Néanmoins, elle s’appuie en grande partie sur les textes de loi antérieurs. Elle permit de faire émerger de nouveaux types de coopératives, comme les coopératives sociales.
Cette loi générale montre la volonté de la part de tous les acteurs coopératifs et de l’État de fortifier le secteur en lui donnant un cadre légal clair, mais aussi renforcer la cohésion entre les différentes typologies de coopératives.
En 2011, suite à cette loi, le président uruguayen José Mujica mit en place un outil financier parfaitement calibré pour les organisations coopératives, le FONDES . José Mujica a toujours affiché un soutien très marqué au projet coopératif et d’auto gestion, et fit quasiment une affaire personnelle de la création de ce fonds. C’est par décret présidentiel n°341/011 qu’il fit passer la loi de création du FONDES le 27 septembre 2011. C’est un fonds alimenté par les profits générés par le Banco de la República Oriental del Uruguay (BROU), il peut ponctionner jusqu’à 30% de ses profits pour le financement des projets qui rentrent dans son cadre. D’après la chambre de commerce uruguayenne, la dotation de ce fond était en 2011 de 40 Millions de U$S, de 70 millions de U$S en 2012, de 39 millions de U$S en 2013 et de 42 millions de U$S en 2014, soit un total avoisinant les 190 millions de U$S sur la période.
Actuellement, le rôle du FONDES est en questionnement, en effet la totalité n’a pas été utilisée dans les dernières années et le président actuel, Tabare Vasquez, a ouvert les dotations à des projets entrepreneuriaux classiques.

Cadre théorique

Les coopératives sociales

Genèse et principaux fondements

La coopérative sociale est une typologie de coopérative créée en 2008, à travers la nouvelle loi générale sur les coopératives n°18.407, qui permit d’uniformiser les différentes législations des formes coopératives existantes en Uruguay. C’est sous l’impulsion du gouvernement du Frente Amplio et dans la continuité de son programme « Uruguay Trabaja » que les coopératives sociales virent le jour.
L’objectif était de pouvoir fournir des emplois aux personnes issues du dispositif « Uruguay Trabaja » (cf. focus), tout en les  incitant à se grouper sous statut coopératif pour qu’ils puissent ainsi gouter et expérimenter les principes de l’auto gestion, être leur propre patron et renforcer leur empowerment. C’est le MIDES , crée lui aussi en 2005, qui gère la création, l’accompagnement et le contrôle des coopératives sociales. Ces coopératives sociales entretiennent un lien étroit avec l’État uruguayen : 95 % des clients de ces coopératives sont des services publics, des entreprises publiques ou des collectivités locales, qui émettent des appels d’offres auxquels les coopératives sociales répondent. D’une certaine manière lorsque l’État uruguayen incite des personnes en situation de vulnérabilité à se grouper en tant que coopératives sociales et à s’auto gérer, elle leur garantit aussi de pouvoir accéder à une partie des marchés publics, et donc à un emploi, ce qui s’apparente fortement à une politique sociale d’emploi. Ont peu aussi parler d’une forme d’externalisation d’une partie des employés publics de la part de l’État, notamment sur les métiers peu qualifiés (entretien, nettoyages, espace vert, etc..).

Quelle composition et quel fonctionnement démocratique pour les coopératives sociales

Les coopératives sociales sont des coopératives de travail soumises à certaines exigences.
Tout d’abord pour former une coopérative il faut au minimum cinq membres, 75% de ses membres doivent être en situation de vulnérabilité, et chacun doit apporter une part du capital de manière égalitaire. Suite à son installation, différents organes permettent le fonctionnement de la coopérative.

Quelles sont les particularités des coopératives sociales

Les coopératives sociales issues de la loi n n°18.407 de 2008 ont certaines exigences par rapport aux autres coopératives qu’il est intéressant de mettre en avant pour comprendre leur fonctionnement. Ces particularités ont un impact sur leur fonctionnement comme on a pu le voir dans la partie précédente, mais elles induisent aussi certains comportements plus subjectifs que analyserons dans les parties suivantes.
Tout d’abord, une particularité des coopératives sociales ce sont leurs membres et la façon dont elles sont composées et créées. Comme vu précédemment, lors de leur création les coopératives sociales ont été pensées plus comme une politique sociale de l’emploi que comme des entreprises à part entière. Ce qui signifie que leur but était surtout de favoriser l’insertion de personnes en situation de vulnérabilité sur le marché du travail. Lors de leur mise en place le ministère de tutelle choisi est le MIDES, ce qui marque bien cette volonté.
Or, cette volonté de favoriser l’insertion de personnes en situation de vulnérabilité amène parfois le MIDES à encourager « fortement » des personnes qui ne se connaissent pas à se grouper en tant que coopérative sociale, même s’ils ne montrent pas un grand intérêt pour le modèle coopératif ou bien encore que les métiers qu’ils exercent n’ont aucun rapport avec ceux proposés. Par ailleurs, de par leur situation de vulnérabilité certains membres ont des besoins urgents (payer l’électricité, leur loyer ou habiller leurs enfants), ce qui n’est pas compatible avec le projet de coopérative sociale qui commence à générer des revenus à moyen et long terme. Aussi, la plupart des personnes qui se lancent dans l’aventure des coopératives sociales n’ont quasiment jamais eu à gérer une entreprise par le passé. Ils n’ont que très peu d’idée sur comment gérer une coopérative et ce que cela implique, une période d’apprentissage est nécessaire, et prise en charge par des ONG locales.
Une autre particularité est l’impossibilité de faire évoluer le statut des coopératives sociales en coopérative de travail classique ou en coopérative de production. En effet, ce projet est pensé comme une politique sociale d’emploi et devrait être un tremplin pour évoluer vers des statuts coopératifs de droit commun. Or ce n’est pas le cas, et les coopérateurs se trouvent enfermés dans ce cadre. S’ils souhaitent évoluer vers un statut plus adapté lorsque la coopérative se développe, ils sont obligés de fermer la coopérative et l’ouvrir sous un autre statut, ce qui entraine de grosses complications administratives et un flou pour les partenaires (fournisseurs, clients, banques, etc..).
Enfin, ce qui caractérise le plus les coopératives sociales vis-à-vis des autres types de coopératives, c’est la relation étroite qu’elles entretiennent avec l’État uruguayen, en 2015 95% des clients des coopératives sociales d’après le MIDES. Car, afin de garantir des débouchés commerciaux aux coopératives, certains appels d’offres ont été spécialement calibrés pour elles. Tous les services de l’État ou les entreprises publiques peuvent faire appel à elles pour des services complémentaires à leurs activités principales (entretien, ménages, construction, etc..). Effectivement, cette politique sociale permet de fournir un emploi à des personnes qui en sont éloignées, mais d’un autre côté permet aussi à l’État d’externaliser les emplois périphériques dans les hôpitaux, les écoles, les mairies et tous les autres types de services de l’État. Ce contexte induit un risque fort, les coopératives sociales sont littéralement liées à l’État au niveau économique et social. Si la couleur politique du pays, actuellement à gauche, venait à changer, l’avenir des coopératives sociales comme elles existent aujourd’hui serait fortement compromis. D’ailleurs, cette situation génère un fort rapport de pouvoir entre les coopératives sociales et l’État, puisqu’elles en sont extrêmement dépendantes. Les membres des coopératives ont parfois l’impression d’être des salariés de l’État plutôt que de leur propre coopérative, ce qui peut nuire au processus d’auto organisation et d’auto gestion des membres au sein de leurs coopératives.

La gouvernance du bien commun et les dynamiques collectives

Qu’est-ce que la gouvernance du bien commun pour une coopérative ?

Afin de tenter de répondre à la problématique posée précédemment « Comment favoriser une gestion durable et responsable du bien commun au sein des coopératives sociales uruguayennes » nous nous appuierons sur différentes théories qui traitent des dynamiques d’actions collectives et de gestion du bien commun.
Avant de rentrer dans l’étude de ces théories, nous allons répondre aux deux questions suivantes. Pourquoi s’intéresser à la dynamique d’action collective pour analyser les coopératives sociales? Et de quoi parle-t-on lorsque l’on parle du bien commun pour ces mêmes coopératives ?
Traiter la première question nous amène à nous intéresser à l’essence même des coopératives sociales, le projet collectif autour d’une activité de travail rémunératrice. Statutairement pour former une coopérative sociale, ses membres doivent être au moins cinq, il est donc impossible de mener une étude sur ces organisations sans prendre en compte son aspect collectif. Et ce projet collectif est lui-même une action collective, puisque la coopérative et son projet évoluent avec le temps, ce qui lui donne son caractère dynamique. Encore, les coopératives ont bien une dynamique collective puisqu’elles engagent la coordination de ses différents membres au sein d’une entité collective. Cette dynamique collective entraîne des comportements de coopération et des engagements plus ou moins forts de la part de ceux qui en font partie, et son bon fonctionnement dépend de la volonté de l’ensemble de ses membres de participer à l’action collective. C’est notamment sur cette « volonté de participer », que l’on considère centrale pour favoriser une bonne gouvernance des coopératives sociales , que s’articule notre réflexion tout au long de ce mémoire.
Le deuxième concept théorique que nous développerons sera lié à la gestion des biens communs au sein des coopératives. Mais au préalable, il est important de définir ce que l’on considère comme bien commun au sein de ces organisations. D’un point de vue général, le bien commun est lié à la nature sociale même de l’homme, au fait que certains besoins ne peuvent être satisfait par lui seul et qu’il a besoin de s’associer à d’autres pour parvenir à ses fins. Cette logique de bien commun a très souvent été utilisée, notamment sur tout ce qui concerne la gestion des ressources naturelles, et est de plus en plus élargie à d’autres domaines, comme la connaissance. Dans notre cas, on s’intéressera surtout à sa place dans l’entreprise et plus particulièrement dans les entreprises coopératives. On considère que le bien commun au sein d’une coopérative sociale, c’est la capacité à concevoir et à faire vivre la ressource qu’ils représentent collectivement. Car c’est cette ressource collective qu’ils représentent qui leur permet d’atteindre des objectifs plus tangibles, à savoir: avoir un travail stable et digne qui leur permet de subvenir à leurs besoins de manière individuelle.
Sur les bases que nous venons d’énoncer, lorsque l’on parle d’un collectif de personnes qui souhaite atteindre un but, dans notre cas les coopératives, la notion de bien commun trouve sa place aisément. Et cette notion est indissociable de la logique d’action collective.
L’objectif de l’analyse théorique que nous proposons ci-dessous est de pouvoir identifier des variables d’analyse qui nous permettront de mettre en avant les bonnes pratiques ou les conditions nécessaires d’une bonne gouvernance du bien commun au sein des coopératives.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la dynamique d’action collective puis aux différents concepts liés au bien commun. Et nous tenterons pour conclure de proposer des variables d’analyse sur lesquelles nous nous appuierons lors de notre étude de terrain.

L’individu au sein d’un collectif, un être rationnel

Les principales théories sur les dynamiques d’action collective et la gestion des biens communs développées dans la deuxième partie du XXe siècle se centrent pour la plupart sur les comportements individuels au sein d’un collectif, en partant du postulat que l’homme est un être rationnel et qu’il recherche en priorité son intérêt personnel plutôt que celui du collectif. Notamment, car il a du mal à comprendre l’objectif collectif et l’intérêt de la coopération pour son intérêt personnel. C’est Gareth Hardim qui posa les bases de ces théories avec la « tragédie des communs ».

« La tragédie des communs » selon Gareth Hardim.

En 1968, Gareth Hardim publie un article dans Science qui se base sur la gestion d’un pâturage communal où les bergers font paître leurs vaches. Son analyse est la suivante. Chaque nouvelle vache que possède un berger lui rapporte beaucoup alors qu’elle lui coûte très peu en nourriture puisque les frais sont collectivisés (le pâturage communal) avec les autres bergers. Il a donc tout intérêt à maximiser son nombre de vaches pour accroître ses revenus. Néanmoins, dû à un manque d’information et un manque de communication, les bergers ne se rendent pas compte qu’à force d’avoir cette attitude de maximisation des profits de manière individuelle, c’est collectivement qu’ils détruisent leur bien commun, puisque bientôt plus une vache n’aura de l’herbe à brouter, dû à la surexploitation. Ce que souhaitait démontrer Hardim dans son article, c’est que même dans une logique collective lorsque des individus sont poussés à des accumulations sans limites, ils ne prendront pas en compte le caractère limitatif de leur bien commun. Il l’illustre avec cette phrase : « La ruine est la destination vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun poursuivant son meilleur intérêt dans une société qui croit en la liberté des bien communs » (Hardim, 1968, p1244).
L’article de Hardim induit ainsi le besoin d’une gestion extérieure du champ communal, pour garantir la gestion durable du bien commun. Cette gestion peut être privé (marchandisation du pâturage) ou publique (nationalisation et gestion par l’État). Il part du principe que les bergers sont incapables de s’auto organiser et qu’ils ne favoriseront pas la durabilité de leur bien commun, mais plutôt leur intérêt personnel.
Cet article servira de base à de nombreux économistes et écologiste pour réfléchir au meilleur moyen de gérer des ressources naturelles, et à une réflexion plus générale sur les modes de gestion des biens communs.
Une autre théorie référence de l’époque est celle de Mancur Olson et la logique d’action collective – La logique d’action collective selon Mancur Olson et focus sur le principe du « passager clandestin » Dans son ouvrage, Mancur Olson s’intéresse au paradoxe de l’action collective, ceci en partant du postulat qu’il existe beaucoup de situations où il serait très avantageux pour des individus de se mobiliser ensemble sous forme d’action collective, néanmoins aucune action n’est engagée. Il développe donc une théorie qui se propose d’étudier l’amalgame fait entre la rationalité individuelle et la rationalité collective. Olson est attaché au principe de rationalité de l’individu qui agit selon le principe cout/avantages, et suppose que l’individu recherche essentiellement à servir ses intérêts, mais admet qu’il peut parfois avoir des motivations irrationnelles. Olson réfute l’idée communément admise qu’il existe une rationalité de groupe, pour lui la communauté d’intérêts, même lorsque c’est évident pour tous les membres, ne suffit pas à provoquer l’action commune : la logique de l’action collective n’est pas la même que la logique d’action individuelle. L’addition d’intérêts individuels ne conduit pas à l’action collective.

Ostrom, L’auto gestion au service du collectif

Au début des années 1990, Elinor Ostrom publie un ouvrage qui revisite les théories présentées précédemment. Ostrom ne remet pas en question ces théories qu’elle trouve scientifiquement viables dans le cadre de leurs études. Elle ne remet pas non plus en question les solutions proposées (privatisation ou gestion par l’État) qui fonctionnent dans certains cas.
Ce qu’elle remet en question c’est la croyance dans le fait que les théories proposées sont les seules solutions possibles.
Elle appuie ses réflexions sur une méthodologie empirique et l’étude d’une quarantaine de cas autour de la gestion des ressources naturelles de manière commune. Son objectif est de remettre en cause l’idée selon laquelle la propriété commune est naturellement mal gérée et doit être gérée par le marché et les autorités publiques. Elle a pu démontrer au fur et à mesure de son analyse que les copropriétés peuvent être gérées de manière efficace par des collectifs d’usagers. Son approche de la gouvernance des biens communs revêt son originalité dans sa capacité à démontrer que des collectifs peuvent s’auto organiser. Elle base son analyse sur le contexte de ce qu’elle appelle les dilemmes sociaux . Elle retient aussi pour son analyse une zone d’interaction entre les membres du collectif qu’elle conceptualise à travers ce qu’elle appelle les arènes d’action. Ces arènes d’action sont les lieux ou les moments où les acteurs, avec des préférences individuelles diverses, interagissent et sont engagées dans des relations d’échange obligé lié à la gestion de leur bien commun.
Ce qui ressort des travaux d’Ostrom pour conditionner une bonne gouvernance des biens communs, c’est que l’intérêt individuel ne suffit pas pour construire et comprendre l’action collective. Le groupe doit se doter de règles, et d’un projet défini en s’appuyant sur les règles énoncées. Elle met en avant aussi l’importance de la communication directe entre les membres, et leur capacité à régler eux-mêmes les conflits, mais dans un cadre régulé supérieur. Elle préconise aussi que ce sont eux qui doivent négocier les règles auxquelles ils sont assujettis.

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Table des matières

Partie 1 – Introduction 
1.1 Problématique
1.2 L’Uruguay, quel contexte socio-économique
1.2.1 Contexte politique de l’Uruguay
1.2.2 Le contexte économique uruguayen
1.3 Le mouvement coopératif en Uruguay
1.3.1 Définition des valeurs et principes
1.3.2 Historique du mouvement coopératif en Uruguay
1.3.3 Les différentes typologies de coopératives en Uruguay
Partie 2 – Cadre théorique
2.1 Les coopératives sociales
2.1.1 Genèse et principaux fondements
2.1.2 Quelles sont les particularités des coopératives sociales
2.2 La gouvernance du bien commun et les dynamiques collectives
2.2.1 Qu’est-ce que la gouvernance du bien commun pour une coopérative ?
2.2.2 La gouvernance du bien commun, principales théories
2.2.2.1 L’individu au sein d’un collectif, un être rationnel
2.2.2.2 Ostrom, L’auto gestion au service du collectif
2.2.3 Quels champs d’analyse pour les projets coopératifs.
Partie 3 – Méthodologie 
3.1 Définition du périmètre d’étude
3.2 Quelle méthode de recueil des informations
3.3 Étude de cas de cinq coopératives sociales
Partie 4 – Analyse
4.1 Des modes d’organisation et des méthodologies de travail différentes entre les coopératives
4.2 Comprendre que l’intérêt personnel passe par une bonne dynamique collective
4.3 La construction des règles et leur application, l’affaire de tous
4.4 La construction d’espaces de communication directe, une nécessité
Partie 5 – Projet – Création et mise en place d’une plateforme d’échange de pratiques entre les coopératives sociales uruguayennes
5.1 Le diagnostic
5.2 Présentation du projet et de ses objectifs
5.3 Les étapes du projet
5.4 Les Partenaires du projet
5.5 Les moyens nécessaires à la réalisation du projet
5.6 Financement et budget prévisionnel
Partie 6 – Conclusion 
Partie 7 – Bibliographie
Partie 8 – Annexes

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