L’hyperacousie
L’hyperacousie est un phénomène à la fois intriguant, méconnu, qui toutefois semble de plus en plus fréquemment diagnostiqué. Elle est définie comme une croissance disproportionnée de l’intensité subjective sonore. Ainsi, un son perçu comme doux ou confortable pour une personne normo-entendante, peut être vécu comme gênant, voire douloureux pour une personne hyperacousique. Cette hypersensibilité aux sons, nommée « hyperacousie », se caractérise par une remontée du seuil d’inconfort et donc d’une réduction de la dynamique auditive.
Définitions Le terme d’« hyperacousie » remonte à 1938 et a été instauré par Perlman. Du fait de la méconnaissance de ce symptôme, on en retrouve encore aujourd’hui des définitions variables :
« tolérance inhabituelle aux sons environnementaux ordinaires » Vernon – 1987 [1],
« plaintes à des sons qui ne sont ni intrinsèquement menaçants ou forts pour une personne normale » Klein – 1990 [2],
« sensations d’inconfort induites par des sons modérés, parfaitement tolérés habituellement » Anari & al. – 1999 [3],
« activité, dans les voies auditives, anormalement amplifiée par les sons » Margaret & al. – 2001 [4],
« impressions acoustiques générées par les sources extérieures du son qui sont évaluées comme trop fortes, déplaisantes ou menaçantes » Nelting – 2002 [5],
« réaction forte et violente au son engendrant un inconfort physique qui varie en fonction des caractéristiques physiques du son » Jastreboff – 2002 [5]. De façon générale, il ressort de ces différentes définitions que l’hyperacousie constitue une augmentation généralisée de la sonie qui se traduit par une intolérance aux sons que d’autres personnes supportent ou encore que la personne elle-même supportait au préalable. Toutes ces définitions sont très générales et ne parlent aucunement de l’épidémiologie, des mécanismes ou causes impliqués dans la genèse de l’hyperacousie. La prochaine partie de ce travail se consacre donc à l’épidémiologie, c’est-à-dire à la répartition et à la fréquence de l’hyperacousie au niveau de la population mondiale.
Epidémiologie The American Tinnitus Association évalue le nombre de personnes souffrant d’hyperacousie à 2% de la population en 2000 [6]. De plus, on constate que 40 % des personnes ayant des acouphènes souffrent également d’hyperacousie (Jastreboff – 1999) [7] et que 86 % de la population hyperacousique ont un acouphène (Jastreboff & al. – 1999) [7]. De ce fait, des recherches ont été menées et ont permis de mettre en évidence la relation entre hyperacousie et acouphènes. En effet, certains chercheurs (Hazell & Sheldrake en 1992, Jastreboff & Hazell en 1993) [8] considèrent que l’hyperacousie peut être un état préalable à l’apparition d’acouphènes, et que celle-ci va accroitre substantiellement une fois l’acouphène développé. On peut parler d’état « pré-acouphénique ». Bien que le pourcentage de personnes hyperacousiques semble faible (2% de la population), il est important de mesurer l’évolution possible de ce phénomène. En effet, ce chiffre est en augmentation constante, comme le révèlent les résultats publiés par France Acouphènes. Chaque année, en France, environ 200 000 nouveaux cas sont recensés. Un nombre croissant de la population est soumise à des bruits de forte intensité, souvent sans aucune protection (discothèque, concert, bruits de la vie citadine, …) ou alors avec une protection insuffisante dans la vie du travail. L’ensemble de ces éléments peut entraîner un traumatisme sonore et donc l’apparition d’une hyperacousie. Nous vivons en effet dans une société où le bruit est omniprésent. De ce fait l’hyperacousie devient un problème de santé publique préoccupant, dont les risques se doivent d’être évalués et auxquels il y a lieu de rester ou de devenir vigilant.
Hyperacousie liée à des dysfonctionnements du système nerveux central
La sclérose en plaque La sclérose en plaque touche le cerveau et la moelle épinière, elle est due à une altération de la myéline du système nerveux central [9]. La myéline permettant d’isoler et protéger les fibres nerveuses, elle joue ainsi un rôle important dans la vitesse de propagation de l’influx nerveux transportant l’information le long des neurones. Or l’altération de la myéline perturbe voire empêche la circulation de l’information. Dans ce cas une hyperacousie se manifeste en l’absence de déficience auditive et est attribuée à des lésions démyélinisantes au niveau de la voie auditive centrale. Des recherches menées par Maciaszczyk K., Waszczykowska E. et Pajor A. ont mis en évidence le lien entre l’hyperacousie et l’altération de la myéline [10]. Leur étude menée sur 20 patients présentant une sclérose en plaque, a montré que 40 % d’entre eux rapportent une hyperacousie.
L’autisme La caractéristique la plus connue de cette maladie est l’incapacité à développer une quelconque sociabilité ou à établir une communication avec l’entourage. A cela s’ajoute des troubles du comportement et dans 70 % des cas, l’enfant présente un retard de développement mental. En ce qui concerne l’association entre autisme et hyperacousie, la prévalence est de 18 % [11]. S’il a été établi que la plupart des patients atteints d’autisme présentent un trouble au niveau du traitement auditif allant de la surdité à l’hyperacousie qui est à mettre en relation avec un dysfonctionnement au niveau du tronc cérébral, des études ont confirmé ce fait en mettant en évidence qu’il y avait beaucoup moins de neurones auditifs présents dans le tronc cérébral chez les personnes atteintes d’autisme [12]. En effectuant une recherche du reflexe stapédien, Lukose R., Brown K. et Barber CM., ont observé chez les autistes des seuils beaucoup plus bas et des temps de latence plus élevés au niveau du déclenchement du réflexe stapédien [12]. Une autre étude s’est intéressée aux réponses différentielles du cortex auditif primaire suite à des stimuli auditifs chez les personnes autistes et présentant une hyperacousie. Cette étude montre des latences de pointes M50 / M100 qui sont beaucoup plus retardées chez ces personnes [13]. L’hyperacousie résulterait donc d’après cette étude menée par Matsuzaki J., et Kagitani-Shimono K. de l’immaturité neurologique présente chez les personnes autistes. D’autres recherches ont permis de mettre en évidence le fait que ce ne sont pas forcément les sons forts qui apparaissent comme gênants, mais des spécificités de bruits bien particulières [14]. En effet, l’enfant autiste ne supporte pas les modifications sonores de son environnement. Ainsi de nouveaux bruits peuvent fortement le perturber et lui paraître comme insupportables malgré leur faible intensité. Pour expliquer ce phénomène, une équipe de recherche a réalisé l’étude suivante. Elle consiste à mesurer les changements de l’hémoglobine oxygénée dans le sang au niveau du cortex préfrontal et temporal. En présentant des stimuli connus, les chercheurs ont constaté que le taux d’hémoglobine oxygénée n’augmentait pas. Cela peut s’expliquer par le fait que les autistes ne prêtent pas attention à ce stimulus qui leur est connu. Au contraire en étant soumis à un bruit méconnu, on constate que le taux d’hémoglobine oxygénée dans le cortex auditif augmente du fait de l’attention portée à ce nouveau stimulus. L’hypersensibilité à certains sons résulterait donc de la méconnaissance et de l’attention particulière qu’y prête la personne atteinte d’autisme.
La paralysie faciale d’origine centrale La paralysie faciale centrale est plus rare que celle d’origine périphérique. Il s’agit d’une atteinte des afférences du noyau du nerf facial, où seule la partie inférieure de la face est touchée. Elle s’accompagne fréquemment d’autres troubles neurologiques comme une altération de la sensibilité (hypersensibilité aux sons et/ou à la lumière) [15]. En effet, le nerf facial est relié à plusieurs autres nerfs, dont le nerf du muscle de l’étrier, la paralysie de ce nerf est à l’origine d’une hyperacousie dite « douloureuse » en raison de l’apparition d’une douleur auriculaire lors d’une exposition à des intensités sonores fortes ou moyennes [13].
La fibromyalgie La fibromyalgie est un syndrome caractérisé par des douleurs diffuses dans tout le corps, souvent associées à une grande fatigue et à des troubles du sommeil. Les causes exactes de cette maladie demeurent, à l’heure actuelle, incertaines. Cependant, certains facteurs physiologiques (anomalies du système nerveux, perturbations hormonales, …) et génétiques pourraient en être la cause. L’hypersensibilité présente chez les personnes atteintes de fibromyalgie ne doit pas être considérée comme un trouble ou un syndrome mais comme une particularité. Elle conduit à une amplification des phénomènes et de leurs conséquences aussi bien positives que négatives. La forme la plus courante d’hypersensibilité dans cette maladie est l’hyperacousie [18]. Elle résulte d’une composante psychologique, où la personne développe un système d’hypervigilance. De ce fait, un stimulus perçu comme normal par la plupart des personnes, va être amplifié et vécu comme traumatisant pour une personne atteinte de fibromyalgie.
La migraine La migraine est une céphalée chronique, fréquente et invalidante qui toucherait plus de 10 % de la population française. La durée d’une migraine est variable et pendant le temps de cette crise peuvent apparaitre divers symptômes tels que des vomissements, une photophobie (hypersensibilité à la lumière) et une hyperacousie [19] et [20]. En ce qui concerne l’hypersensibilité aux sons, la prévalence peut être de 60 à 100 % durant la crise [4]. Le gris indique que l’influx nerveux est interrompu
Autres troubles du système nerveux central D’autres troubles du système nerveux central peuvent également s’accompagner d’une hyperacousie comme par exemple l’anévrisme cérébral (dilatation localisée de la paroi d’une artère), le syndrome de Landau et Kleffner (syndrome neurologique caractérisé par le développement d’une aphasie), l’algoneurodystrophie (syndrome douloureux caractérisé par un ensemble de symptômes touchant une extrémité d’un membre), ou encore le syndrome d’alcoolisme fœtal (consommation d’alcool par la mère durant la grossesse).
Le syndrome de Williams
Le syndrome de Williams touche environ une personne sur 7 500 (d’après Stromme et Ramstad). Ce syndrome touche principalement les enfants prématurés et se caractérise par une diminution de la croissance, une apparence faciale atypique, et d’autres anomalies significatives parmi lesquelles l’hypercalcémie, ou encore les malformations cardiaques. A cela s’ajoute un certain degré de retard mental [32]. Les personnes atteintes de ce syndrome sont également très sensibles au bruit. En effet, 95% des personnes présentent une hyperacousie [33] associée à la suppression d’un des gènes [34]. Sur la base des résultats obtenus par Matsumoto N, Kitani R. et Kalinec F., sur le rôle critique de la « LIM kinases » dans la régulation des réponses des cellules ciliées externes de la cochlée et l’amplification cochléaire, ces derniers proposent que l’expression réduite de LIM K1 dans les cellules ciliées externes serait la principale cause sous-jacente de l’hyperacousie chez les personnes atteintes du syndrome de Williams [34]. Une autre étude menée par Attias J., Raveh E., et Zarchi O. consiste à évaluer cette fois-ci le système auditif efférent et le déclenchement du réflexe stapédien chez les patients atteints du syndrome de Williams. Cette étude porte sur 21 personnes ayant le syndrome de Williams et une hyperacousie, et sur 21 sujets ayant un développement dit « normal ». Le complexe olivaire médian du système efférent a été testé pour ces deux groupes par stimulation de l’oreille controlatérale en augmentant progressivement l’intensité du bruit blanc, tandis que sur l’oreille ipsilatérale on enregistrait l’oto-émission acoustique évoquée transitoire (OEAET). Les résultats ont montré un effet de suppression plus élevé du reflexe du complexe olivaire médian chez les patients atteints du syndrome de Williams. De plus, au niveau de la recherche du déclenchement du reflexe stapédien ipsilatéral et controlatéral, les chercheurs ont pu constater que celui-ci était, malgré un niveau de stimulation élevé, absent dans 62 à 86 % des cas dans le groupe présentant le syndrome de Williams. De ce fait, ils ont conclu que l’hyperexcitabilité du système efférent couplée à l’absence du réflexe stapédien contribue à l’apparition d’une hyperacousie dans le syndrome de Williams [35].
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Table des matières
Introduction
I. L’hyperacousie
1. Définitions
2. Epidémiologie
3. Origine de l’hyperacousie
A. Comorbidité
a. Hyperacousie liée à des dysfonctionnements du système nerveux central
i. La sclérose en plaque
ii. L’autisme
iii. La paralysie faciale d’origine centrale
iiii. La fibromyalgie
iiiii. La migraine
iiiiii. Autres troubles du système nerveux central
b. Hyperacousie liée à des dysfonctionnements du système nerveux périphérique
i. La paralysie faciale périphérique
ii. Le neurinome de l’acoustique
B. Hyperacousie et maladies infectieuses
a. Le syndrome de Ramsay Hunt
C. Hyperacousie et maladies génétiques
a. Le syndrome de Williams
b. La maladie d’Ehlers-Danlos
D. Hyperacousie et consommation de médicaments
a. Les médicaments
4. Physiophatologie de l’hyperacousie
A. L’hyperacousie d’origine métabolique
a. Le métabolisme sérotoninergique
b. Hyperacousie et dysfonctionnement moléculaire au sein de la cochlée
c. Hyperacousie et dysfonctionnement de la synapse glutamatergique
B. L’hyperacousie de désafférentation
a. Le déclencheur de l’hyperacousie de désafférentation
i. Hyperactivité du noyau cochléaire
b. Corrélats de la sur-activation des noyaux cochléaires
i. Adaptation du gain
ii. Modification de l’intégration temporelle
iii. La disparation de la reconnaissance automatique et la mise en état
d’alerte
iiii. Dysfonctionnement vestibulaire
iiiii. Somato-acouphènes
5. Psychoacoustique de l’hyperacousie
6. L’impact de l’hyperacousie
II. Notion de recrutement, phonophobie, misophonie et softness imperception
1. Recrutement
2. La phonophobie
3. La misophonie
4. Softness imperception
III. L’évaluation de l’hyperacousie
1. L’anamnèse
2. Examen clinique
3. Evaluation audiométrique
4. Les questionnaires permettant de quantifier l’hyperacousie
A. Le questionnaire de sensibilité auditive de Khalfa (1999)
B. Le questionnaire d’évaluation de l’hyperacousie de Nelting (2001) ou Test d’HyperSensibilité (THS)
C. Le questionnaire Multiple Activity Scale of Hyperacusis (MASH) de Dauman & Bouscau – Faure (2005)
D. Les échelles visuelles analogiques
E. Le questionnaire BAHIA
5. Analyse critique de ces tests et de leur interprétation
A. Les limites de l’anamnèse et de l’audiométrie tonale
B. Les limites du quotient de Johnson (échelle JHQ)
D. Les limites des questionnaires de Khalfa et de Nelting
E. Les limites des EVA
IV. Création d’un nouveau test de mesure de l’hyperacousie (basée sur ) à partir d’une série de suggestions imagées destiné aux personnes présentant une sensibilité aux sons
1. Quelques rappels sur la notion de mesure
2. Conception et présentation du questionnaire et de ses objectifs
3. L’importance des images dans un test
4. Méthode de sélection des participants
A. Présentation des sujets hyperacousiques (groupe « test »)
B. Présentation du groupe « témoin »
5. Protocole et matériels utilisés
A. Audiométrie tonale liminaire
a. Recherche du seuil auditif
b. Le seuil d’inconfort
B. Réalisation d’un nouveau test de quantification de l’hyperacousie à partir d’une série de suggestions imagées
6. Résultats issus de l’audiométrie tonale
A. Le groupe « témoin »
a. Exploitation des résultats du seuil auditif
b. Exploitation des résultats du seuil d’inconfort
c. Exploitation des résultats du champ dynamique résiduel
B. Le groupe « test »
a. Exploitation des résultats du seuil auditif
b. Exploitation des résultats du seuil de « gêne »
c. Exploitation des résultats du champ dynamique résiduel
7. Résultats issus du questionnaire « hyperacousie »
A. Groupe « témoin »
B. Groupe « test »
C. Comparaison des résultats obtenus entre les deux groupes en prenant en compte le degré de surdité
Discussion
Conclusion
Bibliographie
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