Création du club et reconnaissance de la race

Signification du mot « épagneul »

Pendant longtemps l’origine des épagneuls était sujette à controverse. En 1387, dans Le livre de la chasse, Gaston Phoebus, seigneur de Béarn et comte de Foix, les disait venir d’Espagne : « Il y a une autre espèce de chiens qu’on appelle chiens d’oiseau et épagneuls, parce que cette espèce vient d’Espagne, bien qu’il y en ait en d’autres pays. ». Peu de temps après, en 1393, on peut lire dans le Ménasgier de Paris : « Que l’espreveteur (le chasseur à l’épervier) se garnisse d’espaignols. ». En 1576, dans son oeuvre Of English Dogs, le britannique Johannes Caïus ajoute : « Les gens du peuple les appelant par un seul nom, les Spaniels. Car cette sorte de chien vient originellement et avant tout d’Espagne. » (COLLIN, 2003). Cependant, les preuves historiques d’un berceau dans la péninsule ibérique font défaut. De plus, cette race se fait rare de nos jours en Espagne où on les appelle par ailleurs « perro inglese » (chien anglais). Face à de telles constatations, il est difficile de prêter foi à cette théorie (DECHAMBRE, 1921). La traduction du mot « épagneul » en « espagnol » serait donc une traduction maladroite et hâtive. Il semblerait en effet que le mot « épagneul » soit, en réalité, la déformation du verbe « s’espaigner » qui, en vieux français, signifie « se coucher » ; « s’abaisser sur le sol », rappelant la fonction première de ce chien d’arrêt par excellence (COLLIN, 2003 ; LE LOUARN, 1983).

Epagneuls français, oui, mais avec du sang arabe ! Toujours dans son ouvrage de 1387, Gaston Phoebus affirme : « Et comme on le dit Lévrier de Bretagne, les chiens d’oiseaux viennent d’Espagne, et leur nature est déterminée par leur mauvaise origine. » (COLLIN, 2003). Citation pour le moins amusante à relever car, partisan d’une origine espagnole, l’auteur y évoque paradoxalement les fondements d’une nouvelle théorie. En effet, la plupart des auteurs s’accordent aujourd’hui à dire que les origines de l’épagneul sont à rechercher, non pas dans la péninsule ibérique, mais à l’époque des croisades au XIIème siècle. Devant chasser pour se nourrir tout au long du voyage vers la terre sainte, les chevaliers auraient amené avec eux des braques et des griffons pour leur faciliter la tâche. Une fois sur place, ces chiens se seraient reproduits avec des lévriers chargés de suivre les caravanes et de garder les dromadaires (Figure 1). Ce sang arabe aurait conféré à l’épagneul de la vitesse et de la finesse, deux qualités indispensables à son rôle de chien d’arrêt (LEBOURG 1994 ; LE LOUARN, 1983). Cette origine est cependant, pour le moins, sujette à caution.

Le spectre de la consanguinité

En 1947, la situation des Epagneuls de Saint-Usuge est dramatique. Leur population n’est réduite qu’à une dizaine d’individus, pour la plupart abâtardis ou trop âgés pour reproduire. C’est avec difficulté que l’abbé fait l’acquisition de Dick, Poupette et Top qui seront ses trois seuls reproducteurs dans les premiers temps. Déjà à son époque, l’abbé Billard était sensibilisé aux problématiques concernant la consanguinité. On peut d’ailleurs relever certaines remarques sur le sujet dans son propre cahier d’élevage. En 1949, il produit une portée entre Poupette, et son frère Top. De ce croisement naîtront 4 chiots : Xafal, Xicka, Stop et Top. Au bas de la page sont inscrites les annotations suivantes : « Top, le mâle, étant le frère de la mère, la consanguinité a peut-être joué. Stop, de M. Roger Mourreau, a été malade, méchant, n’a fait que roder. Xicka est restée anormale, n’a pas eu ses règles en 1953. ».

C’est pourquoi, il introduira régulièrement du sang neuf dans ses croisements. Tout d’abord, en effectuant des croisements entre ses propres reproducteurs et d’autres Saint-Usuge, plus ou moins abâtardis : Mirette à partir de 1954, Bobby et Gyp en 1958, Gyka en 1960, Grace et Igor en 1961, Rosa en 1963, Mina, Miss et Irac en 1967, Mickey en 1968 et Dolly en 1978. Constatant que le standard de l’Epagneul de Saint-Usuge, définit en 1936 par le Dr Longin, était pratiquement identique à celui du petit Münsterländer, l’abbé Billard se rendit en 1962 en Allemagne pour y faire l’acquisition de Bianca Von der Rumerburg (Figure 13), lui permettant une fois de plus de réduire drastiquement la consanguinité dans son élevage, tout en conservant des chiots fidèles au standard.

De la même façon, en 1976, il introduit dans ses croisements Jeff, un Epagneul Bleu de Picardie. La figure 14 est un arbre généalogique produit à partir du carnet d’élevage de l’abbé Billard. Il représente l’ensemble des croisements effectués dans l’élevage de Savigny-en-Revermont. Seuls les noms des chiens ayant produit au moins une portée sont cités, dans le cas contraire, seul le nombre de chiots produits dans la totalité des croisements entre deux individus sont indiqués. Les chiens marqués d’un rond noir sont les reproducteurs étrangers à la lignée de l’abbé et qui ont permis de réduire et contrôler le taux de consanguinité au sein de l’élevage. Rappelons que deux d’entre eux, Bianca et Jeff, ne sont pas des Epagneul de Saint-Usuge mais respectivement de race Petit Münsterländer et Bleu de Picardie. Le tableau 2 présente le détail des portées produites chaque année en indiquant les reproducteurs utilisés, le nombre de chiots produits et si ces croisements ont permis d’acquérir un chien dont les qualités génétiques étaient suffisantes pour en faire un nouveau géniteur. En annexe 6 sont recensés les pedigrees des premiers reproducteurs de l’abbé et de tous ceux qu’il va lui-même produire et utiliser : Dick, Poupette, Top, Diane, Sta, Youka, Stop, Yako, Yoghi, Yoyo, Cador, Ceres, Frae, Foggie, Gina, Hiram, Heidi, Nouchka, Jimiss, Java, Briffault, Mick, Maga, Nina, Nadia, Ouka, Olaf Ouki, Ooma, Qualine et Urie.

Les premières portées entre 1947 et 1948 sont issues du croisement entre Poupette et Dick, que l’on considère de manière abusive comme ne faisant pas partie de la même lignée. Le taux de consanguinité des premiers chiots produits est donc nul. L’abbé tenta une fois de croiser Poupette et son frère Top, mais fut très déçu du résultat qu’il imputa en grande partie à la forte consanguinité engendrée par un accouplement entre un frère et une soeur. A la génération suivante, les problèmes de consanguinité furent beaucoup plus importants. Ne disposant que des chiots issus de l’accouplement entre Dick et Poupette ou Top et Poupette, l’abbé ne pouvait effectuer que des accouplements entre frère et soeurs ou entre parents et enfants. Ceci eu pour conséquence une explosion du taux de consanguinité à 25%. C’est pourquoi, à partir de 1953, l’abbé décida d’introduire dans sa génétique des Saint-Usuge non issu de son élevage.

En 1953, un croisement entre son chien Yoghi et deux chiennes étrangères à son élevage permirent de produire deux portées dont le taux de consanguinité est considéré comme quasi nul. Mais, satisfait de la génétique des enfants de Poupette, Dick et Top, il continue à effectuer des croisements entre frères et soeurs ou demi-frères et demi-soeur jusqu’en 1958, tout en introduisant de temps en temps d’autres Saint-Usuge dans les croisements afin de faire chuter drastiquement le taux de consanguinité (Chienne de M. Tricot en 1953, chienne de M. Buguet en 1953, Miss en 1953, Mirette en 1954, Bobby en Gyp en 1958). A partir de 1958, la grande majorité des croisements de l’abbé sont issus d’un de ses reproducteurs et d’un autre chien non issu de son élevage. Hormis en 1959 et en 1960 où il décide d’accoupler Cador et sa grand-mère Diane, en 1960 avec le croisement de Hiram et sa soeur Heidi, en 1965 avec Hiram et sa fille Maga et en 1980 avec Olaf et sa mère Nina.

Ces croisements d’individus très proches sur le plan de la généalogie expliquent les pics de consanguinité observés ces années là. Entre 1965 et 1968, Billard va aussi produire 6 portées issues uniquement de reproducteurs de son élevage mais suffisamment éloignés pour produire des chiots dont le taux de consanguinité ne dépasse 12.5%. Avec un taux de consanguinité très important dès la deuxième génération du fait du manque de géniteur, l’abbé Billard va très vite comprendre l’importance d’introduire dans ses croisements des chiens extérieurs à son élevage. Pour cela, il usera de Saint-Usuge des environs plus ou moins abâtardis mais aussi de chiens appartenant à une autre race comme Bianca, le petit Münsterlandër et Jeff le Bleu de Picardie.

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Table des matières

LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION
PREMIER CHAPITRE Ce que l’on connait de l’Epagneul de Saint-Usuge avant l’abbé Billard .
1.1. Histoire des épagneuls
1.1.1. Signification du mot « épagneul »
1.1.2. Epagneuls français, oui, mais avec du sang arabe !
1.1.3. L’épagneul au Moyen-âge
1.1.4. Le XIXème siècle : naissance des races d’épagneul
1.2. Témoignages permettant de dire qu’une population originale existe dans la …… région : l’Epagneul de Saint-Usuge
1.2.1. 1936, la naissance d’un nom : Epagneul de Saint-Usuge
1.2.2. Les preuves d’une existence dès le XVIème siècle
1.2.3. Théories sur l’origine du Saint-Usuge
1.3. Etat de la population après la seconde guerre mondiale
1.3.1. Un déclin entamé dès le début du XXème siècle
1.3.2. 1945, l’amorce d’un ultime sauvetage
DEUXIEME CHAPITRE L’oeuvre de l’abbé Billard
2.1. Les géniteurs à la base de la reconstruction
2.2. Les pratiques à la lumière des carnets d’élevage
2.2.1. Le spectre de la consanguinité
2.2.2. Techniques d’élevage et sélection des reproducteurs
2.2.2.1. Surreprésentation de certains reproducteurs
2.2.2.2. Sélection des reproducteurs
2.2.2.3. Une main mise sur l’ensemble de la population
2.3. Evolution de la population sous l’abbé
TROISIEME CHAPITRE Création du club et reconnaissance de la race
3.1. 1980-1990 : Succession de l’abbé et création de l’association de l’Epagneul de …… Saint-Usuge
3.1.1. La traque des non conformités
3.1.2. La foire de Mervans de 1989
3.1.3. Création de l’association « Club de l’Epagneul de Saint-Usuge »
3.2. 1990-2003 : Vers une reconnaissance de la race
3.2.1. Le Fichier Chiens
3.2.2. Parution du premier bulletin annuel
3.2.3. Constitution du dossier d’affiliation à la Société Centrale Canine
3.2.4. Rédaction d’un standard de la race officiel et définitif
3.2.5. La Commission Zootechnique
3.2.6. Expertise du cheptel à Savigny-en-Revermont
3.2.7. 2003 : la consécration de treize années d’efforts
QUATRIEME CHAPITRE Activités du club, évolution de la population, perspectives d’avenir
4.1. Organisation et vie du club
4.1.1. Nouveaux objectifs et devoirs du club
4.1.2. Organisation et financements du club
3.3.2.3. Les adhérents au club
3.3.2.4. Bulletin annuel du club
4.2. Evolution de la population des Epagneuls de Saint-Usuge depuis 1990
4.2.1. Naissances et inscriptions au LOF depuis 13 ans
4.2.2. Reproduction des chiens
4.2.3. Confirmation des chiens
4.3. Aptitudes et utilisations de la race
4.3.1. L’Epagneul de Saint-Usuge chien de chasse : les concours de travail
4.3.1.1. Test d’Aptitude Naturelle (TAN)
4.3.1.2. Field-Trial
4.3.1.3. Autres concours de travail
4.3.2. L’Epagneul de Saint-Usuge chien de beauté
4.3.2.1. Les différents types d’exposition
4.3.2.2. Le jugement
4.3.2.3. Classements, qualificatifs et récompenses
4.3.3. Cotation des chiens
4.3.4. Un chien de compagnie fidèle et affectueux
4.4. Comparaison avec les autres races d’Epagneuls
4.4.1. En nombre de naissances
4.4.2. Sur le physique
4.4.3. Sur le caractère
4.5. Perspectives d’avenir : vers une reconnaissance internationale
4.6. Enquête auprès des propriétaires d’Epagneuls de Saint-Usuge
4.6.1. Présentation du questionnaire
4.6.2. Distribution du questionnaire
4.6.3. Analyse des réponses obtenues
4.6.3.1. Acquisition de la race
4.6.3.2. Reproduction
4.6.3.3. Concours de chasse et de beauté
4.6.3.4. Qualités et défauts de la race
4.6.4. Conclusion du questionnaire
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES