Une très forte augmentation de la consommation énergétique mondiale est prévue d’ici quelques dizaines d’années, sous l’effet conjugué de la hausse de la population et de la croissance des pays émergents. Pour relever ce défi énergétique, l’industrie nucléaire dispose de sérieux atouts puisqu’elle permet la production d’importantes quantités d’électricité tout en émettant de faibles quantités de gaz à effet de serre. En 2014, le parc nucléaire mondial a fourni près de 10,8 % de l’électricité produite dans le monde. Cependant, de nombreux efforts sont encore à fournir pour une meilleure maîtrise technicoéconomique des problématiques de sûreté, de durabilité des ressources et de gestion responsable des déchets, et imposent de poursuivre sur la voie de l’innovation technologique.
Le dioxyde d’uranium est le combustible nucléaire le plus largement répandu dans le monde pour alimenter les centrales nucléaires, et plus particulièrement les réacteurs à eau pressurisée (REP). Il se présente sous forme de pastilles, empilées et maintenues dans une gaine en alliage de zirconium. L’ensemble est appelé « crayon » .
Création des défauts d’irradiation dans UO2
Le combustible nucléaire UO2 : structure et propriétés
Le combustible d’une centrale nucléaire contient des atomes fissiles, c’est-à-dire des atomes dont le noyau a la capacité de se casser sous l’action d’un neutron, et ce faisant, de libérer une quantité considérable d’énergie. Le combustible nucléaire des réacteurs à eau pressurisée (REP) est le dioxyde d’uranium faiblement enrichi : la proportion d’isotope 235 U fissile varie de 3 à 5 % selon les pays . L’UO2 est un matériau adapté aux conditions de vie en réacteur du fait de ses propriétés intrinsèques. En effet, il présente entre autres :
– un haut point de fusion : 2847 °C [1]
– une inertie chimique assez importante, vis-à-vis des alliages métalliques utilisés couramment comme matériaux de gainage et des fluides caloporteurs (eau sous pression)
– une structure cristalline de type fluorine ܨ݉3ത݉, stable sous l’effet des rayonnements émis dans un réacteur.
Ce réseau peut être décrit de deux manières :
– Les atomes d’uranium forment un réseau cubique faces centrées, dont les 8 sites tétraédriques sont occupés par les atomes d’oxygènes. Les sites octaédriques, le milieu des arrêtes et le centre du cube, sont vacants et peuvent être occupés par les produits de fission.
– Les atomes d’oxygène forment un réseau cubique simple ; les atomes d’uranium occupent dans ce réseau le centre d’un cube sur deux ne possédant pas de face commune.
Le paramètre de maille de l’UO2 stœchiométrique non irradié est de 5,471 Å [2] et sa masse volumique théorique est de 10,952 g.cm-3 [1]. Toutefois, l’UO2 présente une faible conductivité thermique, minimale à 1500 °C. Elle est de l’ordre de 4,5 W.m-1.K-1 à 450 °C, et de 3 W.m-1.K-1 à 1000 °C [3]. Cette faible conductivité thermique donne lieu à un fort gradient thermique en réacteur. Les températures typiques en surface de la pastille de combustible sont de l’ordre de 500 °C, tandis qu’au centre du combustible, les températures sont d’environ 1000 °C.
Généralités sur la réaction de fission
La fission d’un noyau lourd (235U, 241Pu ou 239Pu) produit en moyenne deux fragments de fission (ou produits de fissions, notés PF) ainsi que 2 ou 3 neutrons. Quelques centaines de types de nucléides peuvent être formés, en majorité radioactifs et à vies courtes. La fission est généralement dissymétrique : elle donne naissance à un fragment dit léger et un fragment dit lourd . La distribution de la masse de ses fragments dépend du noyau qui a subi la fission et de l’énergie du neutron incident [4]. Les neutrons produits peuvent, dans un milieu convenablement conçu, provoquer de nouvelles fissions.
Dans les gammes de températures atteintes en fonctionnement nominal, variant entre 500 °C pour la périphérie et 1000 °C pour le centre des pastilles, 30 % des produits de fission sont sous forme gazeuse ou volatile ; et les 70 % restants sont sous forme solide [6]. Les produits de fission sont donc classés en trois groupes :
– Les produits de fission gazeux : ce sont les gaz rares (xénon, krypton et hélium) ; l’ensemble des gaz stables créés par fission en REP est de l’ordre de 0,31 at./fission (~ 0,28 Xe + ~ 0,03 Kr).
– Les produits de fission volatiles : césium, iode, tellure, rubidium.
– Les produits de fission solides : éléments métalliques (palladium, technétium, ruthénium, rhodium et molybdène), les éléments formant des oxydes insolubles dans la matrice d’UO2 (baryum, strontium, zirconium), et ceux formant des oxydes dissous dans le réseau d’UO2 (yttrium) et les lanthanides (lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhium, samarium).
Chaque fission dégage une énergie voisine de 200 MeV. Environ 80 % de cette énergie est transférée aux produits de fission sous forme d’énergie cinétique (en moyenne 65 MeV pour le produit de fission lourd et 95 MeV pour le PF léger) ; le reste est en grande partie contenu dans les rayonnements β (émission d’un électron ou d’un positron) et γ (rayonnements issus de l’annihilation d’une paire électron-positron). Les produits de fission vont ensuite dissiper leur énergie cinétique sous forme de chaleur lors de leur parcours en créant des collisions avec les atomes constituants le combustible.
Actuellement le combustible reste en réacteur pendant 3 ou 4 cycles d’environ 300 jours chacun. L’avancement du cycle d’irradiation est évalué par le taux de combustion, qui correspond à l’énergie générée par une tonne de combustible métal en une journée, et traduit l’état d’usure du combustible. Pour un cycle de fonctionnement en régime nominal, le taux de combustion est d’environ 10,5 GW.j.tU-1 (GigaWatt jour par tonne d’uranium).
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Table des matières
Introduction générale
I. Bibliographie
I.1. Introduction
I.2. Création des défauts d’irradiation dans UO2
I.2.1. Le combustible nucléaire UO2 : structure et propriétés
I.2.2. Généralités sur la réaction de fission
I.2.3. Pertes d’énergie des produits de fission
I.2.3.a. Pertes d’énergie par interaction électronique
I.2.3.b. Pertes d’énergie par interaction nucléaire
I.3. Evolution de la microstructure du combustible UO2 sous irradiation
I.3.1. Evolution des bulles/cavités sous irradiation : interaction avec les défauts étendus
I.3.1.a. Evolution des bulles/cavités induites par des irradiations aux ions
I.3.1.b. Interaction entre les bulles/cavités et les défauts étendus
I.3.2. Evolution des défauts étendus sous irradiation
I.3.2.a. Evolution de la microstructure
I.3.2.b. Evolution de la densité et de la taille des boucles avec la dose d’irradiation
I.3.2.c. Mécanismes d’évolution proposés
I.3.2.d. Effets des différents paramètres d’irradiation
I.3.3. Comportement macroscopique de l’UO2 sous irradiation aux ions
I.3.3.a. Evolution de la structure UO2 sous implantation ionique à température ambiante
I.3.3.b. Evolution sous recuit thermique de la structure UO2 implantée
I.4. Caractéristiques des défauts étendus induits par irradiation dans le combustible UO2
I.4.1. Généralités sur les dislocations
I.4.1.a. Définition des caractéristiques des dislocations
I.4.1.b. Présentation des principaux mouvements des dislocations
I.4.2. Structure des défauts étendus dans UO2
I.4.2.a. Structure des lignes de dislocation dans UO2
I.4.2.b. Structure des boucles prismatiques dans UO2
I.4.3. Défauts étendus induits par contrainte mécanique dans UO2
I.4.4. Défauts étendus induits par irradiation dans UO2
I.4.4.a. Irradiations aux ions ou aux neutrons
I.4.4.b. Irradiations aux électrons
I.4.4.c. Bilan
I.5. Conclusion
II. Techniques expérimentales
II.1. Introduction
II.2. Préparation des échantillons d’UO2
II.2.1. Préparation des disques massifs
II.2.1.a. Protocole de polissage
II.2.1.b. Caractérisation de la microstructure et de la taille de grain
II.2.2. Fabrication de lames minces par Tripode : vue plane
II.2.2.a. Dispositif
II.2.2.b. Protocole de fabrication
II.2.2.c. Principe de la vue plane
II.2.3. Obtention des lames minces par FIB : vue transverse
II.2.3.a. Principe de fabrication
II.2.3.b. Principe de la vue transverse
II.2.4. Préparation de lames minces par broyage : cas des échantillons irradiés en pile
II.3. Réalisation des irradiations/implantations aux ions dans UO2
II.3.1. Présentation des paramètres d’irradiation/d’implantation
II.3.2. Dispositifs utilisés
II.3.3. Eléments constituant un implanteur
II.4. Caractérisations à l’échelle nanoscopique – La Microscopie Electronique en Transmission
II.4.1. Principe de fonctionnement et introduction de l’écart à l’angle de Bragg
II.4.1.a. Principe de fonctionnement
II.4.1.a. Introduction du paramètre s : l’écart à l’angle de Bragg
II.4.2. Contraste des images et des défauts
II.4.2.a. Contraste des images
II.4.2.b. Contraste des défauts étendus
II.4.2.c. Contraste des bulles/cavités
II.4.3. Mesure d’épaisseur
II.4.3.a. Franges d’égale épaisseur
II.4.3.b. Spectroscopie de perte d’énergie (EELS)
II.4.4. Mesure de la densité des défauts étendus et de la taille des boucles
II.5. Caractérisations à l’échelle microscopique
II.5.1. La Diffraction des rayons X
II.5.1.a. Indexation des diffractogrammes
II.5.1.b. Présentation du montage de Bragg-Brentano en configuration θ-θ
II.5.1.c. Diffractogramme de l’UO2 implanté
II.5.1.d. Obtention de la déformation élastique et du gonflement libre
II.5.1.e. Calcul de la micro-distorsion ε
II.5.2. La spectroscopie Raman
II.5.2.a. Obtention des spectres Raman
II.5.2.b. Spectre Raman de l’UO2 vierge
II.5.2.c. Spectre Raman de l’UO2 irradié
II.6. Conclusion
III. Caractéristiques des défauts étendus induits par irradiation dans UO2
III.1. Introduction
III.2. Méthodologie
III.2.1. Orientation du grain étudié
III.2.2. Détermination des vecteurs de Burgers
III.2.2.a. Boucle 1
III.2.2.b. Boucle 2
III.2.2.c. Ligne 3
III.2.3. Détermination des plans d’habitat et de glissement
III.2.3.a. Plan d’habitat des boucles
III.2.3.b. Plans de glissement des lignes
III.2.4. Détermination de la nature des boucles
III.3. Caractéristiques des boucles induites par irradiation aux ions
III.3.1. Cas des petites boucles (< 10 nm)
III.3.2. Cas des boucles de taille moyenne (entre 10 et 80 nm)
III.3.2.a. Implantation de Xe à 25 °C
III.3.2.b. Implantation de Xe à 800 °C
III.3.3. Discussion
III.4. Caractéristiques des lignes induites par irradiation aux ions
III.4.1. Implantation à température ambiante
III.4.2. Implantations en température
III.4.2.a. Implantations/irradiations à 500 – 600 °C
III.4.2.b. Implantation à 800 °C
III.4.3. Discussion
III.5. Comparaison entre irradiations aux ions et irradiation en pile
III.5.1. Conditions expérimentales
III.5.2. Etude des boucles de dislocation
III.5.3. Etude des lignes de dislocation
III.5.4. Discussion
III.6. Conclusion
IV. Evolution des défauts étendus sous irradiation
IV.1. Introduction
IV.2. Etude des mécanismes d’évolution sous irradiation : en fonction de la fluence
IV.2.1. Etude à l’échelle nanoscopique par MET
IV.2.1.a. Conditions expérimentales
IV.2.1.b. Résultats
IV.2.2. Etude à l’échelle microscopique par spectroscopie Raman
IV.2.2.a. Conditions expérimentales
IV.2.2.b. Résultats
IV.2.3. Discussion
IV.3. Etude des paramètres impactant la cinétique d’évolution des défauts étendus
IV.3.1. Effet de la température au cours de l’irradiation
IV.3.1.a. Irradiation à 600 °C
IV.3.1.b. Irradiation à température ambiante
IV.3.1.c. Discussion : Comparaison entre les irradiations hautes et basses températures
IV.3.2. Effet de la présence d’atomes exogènes dans la matrice UO2 : implantation de Xe
IV.3.2.a. Conditions expérimentales
IV.3.2.b. Implantation de Xe à -180 °C
IV.3.2.c. Implantation de Xe à 25 °C
IV.3.2.d. Implantation de Xe à 600 °C
IV.3.2.e. Discussion
IV.3.3. Comparaison entre les implantations dans des disques massifs et dans des lames minces
IV.3.3.a. Etude par MET
IV.3.3.b. Etude par DRX
IV.3.4. Effet de l’énergie et des pertes d’énergie par interaction électronique
IV.3.4.a. Effet de l’énergie
IV.3.4.b. Effet des pertes d’énergie par interaction électronique
IV.4. Comparaison avec le combustible UO2 irradié en réacteur
IV.4.1. Comparaison à l’échelle microscopique
IV.4.2. Comparaison à l’échelle nanoscopique
IV.4.2.a. Comparaison des défauts étendus
IV.4.2.b. Comparaison des bulles/cavités
IV.5. Conclusion
V. Evolution des défauts étendus sous recuit thermique
V.1. Introduction
V.2. Recuits de 25 à 1100 °C
V.2.1. Caractérisations DRX
V.2.1.a. Conditions initiales d’implantation
V.2.1.b. Recuits isothermes
V.2.1.c. Recuits isochrones
V.2.1.d. Discussion
V.2.2. Observations MET
V.2.2.a. Cas des faibles fluences : présence de boucles de dislocation
V.2.2.b. Cas des fortes fluences : présence de lignes et de boucles de dislocation
V.2.2.c. Effets des surfaces : comparaison avec le recuit d’un échantillon massif
V.2.2.d. Discussion
V.2.3. Caractérisations Raman
V.2.3.a. Condition expérimentales
V.2.3.b. Résultats
V.2.4. Comparaison des résultats obtenus avec les différentes techniques
V.3. Recuits de 1100 à 1500 °C
V.3.1. Recuit isotherme à 1300 °C
V.3.2. Recuits isochrones
V.3.2.a. Cas des faibles fluences : présence de boucles de dislocation
V.3.2.b. Cas des fortes fluences : présence de lignes et de boucles de dislocation
V.3.3. Recuit à 1500 °C sur un échantillon massif
V.3.3.a. Caractérisation MET
V.3.3.b. Caractérisation DRX
V.3.4. Discussion
V.4. Conclusion
Conclusion générale