L’électron a de nombreuses propriétés dont la charge et le spin. L’électricité puis l’électronique utilisent la charge de l’électron pour transporter une information, alimenter des appareils ou encore effectuer des opérations logiques. Le spin de l’électron est utilisé depuis des millénaires pour guider les hommes via ses propriétés macroscopiques : la boussole suit les lignes du champ magnétique terrestre et nous indique le nord. Le spin et la charge de l’électron ont été utilisés séparément jusqu’au vingtième siècle. Depuis quelques décennies, ils sont étudiés et utilisés conjointement dans un domaine en plein essor : la spintronique. Cette branche de la physique de la matière condensée étudie le stockage, la lecture et l’écriture des informations et a donné naissance à des technologies mémoire fiables, robustes et compactes.
Les premières applications spintroniques ont vu le jour au XXe siècle, bien que les études théoriques aient débutées dès le XIXe siècle avec les équations de Maxwell dans les milieux magnétiques. Le premier grand succès de la spintronique est la création du disque dur : c’est un disque magnétique sur lequel sont stockées les données des ordinateurs. Pour lire et écrire ces dernières, une tête de lecture et d’écriture survolent le disque en rotation qui s’immobilise à l’emplacement où se trouve l’information à lire ou à encoder. La grande capacité de stockage et la longue durée de rétention du disque dur, le destinent tout naturellement au stockage de masse de l’information. Les technologies utilisées pour la tête de lecture/écriture ont beaucoup évolué depuis leur création. Utilisant au départ l’induction électromagnétique, la découverte de la magnétorésistance géante (GMR) par Albert Fert et Peter Grünberg en 1988 (récompensée par le prix Nobel de physique en 2007) a permis une nette amélioration du signal de lecture et a suscité un engouement sans précédent pour la spintronique. Une autre découverte importante est celle du couple de transfert de spin (STT) qui correspond au mécanisme relatif à la GMR. Pour la GMR, l’aimantation modifie les propriétés de la conduction électrique alors que pour le STT un courant électrique est utilisé pour moduler l’aimantation.
Hiérarchie mémoire
La mémoire informatique est hiérarchisée pour pallier la différence entre la vitesse de traitement des données du processeur (rapide) et la vitesse de lecture ou d’écriture de la mémoire de masse (lente). Ainsi de nombreuses mémoires intermédiaires sont insérées entre ces deux systèmes pour passer graduellement d’une vitesse à une autre . Les mémoires les plus proches du processeur sont appelées les registres et sont insérées directement dans le processeur. Le second niveau de mémoire est l’antémémoire ou mémoire « cache » en anglais. Cette mémoire conserve certaines informations encodées dans la mémoire de masse et servent de mémoire « tampon » : si le processeur a besoin de ces informations, il va directement les chercher dans la mémoire cache attenante plutôt que dans les mémoires plus lointaines ce qui économise du temps. Par conséquent l’antémémoire doit être très rapide (lecture et écriture sub-nanoseconde) et ne nécessite pas une grande capacité de stockage , de l’ordre du kilo-octet.
Le troisième niveau correspond à la mémoire centrale qui traite énormément de données : la mémoire centrale nécessite donc une grande capacité de stockage (de l’ordre du mégaoctet) pour des durées de lecture et d’écriture inférieures à la centaine de nanosecondes. Enfin la mémoire de masse doit conserver un volume très important d’informations, et ce, que le système informatique soit allumé ou éteint : c’est donc une mémoire non volatile. Plusieurs technologies existent pour cette mémoire, notamment le disque dur et la mémoire Flash. Même si les ventes de disques durs diminuent depuis 2011 [3] et sont aujourd’hui en-dessous de 150 millions par an au niveau mondial, ceux-ci restent très utilisés pour les serveurs. La technologie Flash est aujourd’hui très employée pour les applications embarquées.
Technologies mémoire constituant ces blocs
Les mémoires à accès direct sont des mémoires omniprésentes dans tous les niveaux de mémoire. Elles s’opposent aux mémoires de type disque dur (ou bande magnétique) car leur accès se fait de manière « aléatoire » d’où le nom anglais de Random Access Memory (RAM) ou mémoire à accès direct en français. Elles se composent de pistes métalliques agencées dans une matrice en lignes et en colonnes à l’intersection desquelles se trouve la cellule mémoire . L’architecture pour toutes les mémoires à accès direct est la même, par contre elles se différencient par la technologie de leur cellule mémoire.
Pour sélectionner (par exemple pour la lecture) une cellule mémoire, le transistor d’adressage adjacent à celle-ci est utilisé spécifiquement de telle sorte qu’une seule cellule est adressée . Différentes technologies peuvent être utilisées dans ces cellules mémoire pour stocker physiquement l’information, d’où les différents types de technologies mémoire : Flash, la mémoire à accès direct statique (SRAM), la mémoire à accès direct dynamique (DRAM), la mémoire à accès direct magnétorésistive (MRAM)… Nous allons maintenant décrire succinctement ces mémoires, leurs avantages et leurs incovénients.
Flash
La cellule mémoire Flash se compose d’un transistor à grille flottante et l’information est codée grâce à la présence ou non d’électrons sur la grille flottante. Les électrons peuvent être placés dans cette grille flottante par effet tunnel si la tension de grille de contrôle (ou grille « normale ») est suffisante. Si des électrons sont placés dans la grille flottante on définit alors l’information comme étant un 0 et lorsqu’il n’y a pas d’électron l’information est un 1. Pour plus de détails sur le transistor à grille flottante le lecteur pourra se reporter à la référence [6].
Les fortes tensions appliquées sur la barrière tunnel peuvent endommager l’oxyde et ces mémoires ont une endurance limitée à environ 10⁵ cycles d’écriture [4]. De plus, leurs durées de lecture et d’écriture sont très supérieures à la microseconde d’où leur utilisation assez lointaine par rapport au processeur [2]. Il existe deux sortes de mémoires Flash : les NAND-Flash et les NOR-Flash. NAND correspond à la table logique NON-ET pour laquelle la sortie est NON seulement si toutes ses entrées sont OUI , NOR correspondant à NON-OU. L’architecture de ces deux types de mémoire Flash est différente : les transistors à grille flottante sont reliés différemment. Les NAND-Flash sont les plus répandues pour les applications non volatiles [4] car elles ont des meilleurs capacités, densités et possède un effaçage plus rapide donc nous nous concentrerons sur celles-ci. En plus d’une endurance limitée les NAND-Flash ont un temps d’accès pour la lecture long, de l’ordre de la dizaine de microsecondes [8]. Toutefois, elles ont l’avantage de posséder une grande densité, de l’ordre de la centaine de gigaoctets/cm² [2]. Ces mémoires qui possèdent une grande densité de stockage mais une endurance plutôt faible et des faibles vitesses d’accès sont donc de très bonnes candidates pour être utiliséesloin du processeur dans la mémoire de masse, par exemple en remplacement du disque dur [4].
La mémoire à accès direct statique (SRAM)
La mémoire SRAM (ou Static Random Access Memory) est présente en-dessous des registres. Elle se compose de 6 transistors agencés de telle sorte que la lecture et l’écriture de 0 et de 1 soient possibles grâce à des portes logiques (voir [7] pour des explications sur les portes logiques). Les principaux avantages de la mémoire statique SRAM sont son extrême rapidité pour la lecture et l’écriture, en dessous de la nanoseconde, et son extrême endurance supérieure à 10¹⁶ cycles. Ces deux propriétés sont indispensables pour l’antémémoire et justifient à elles seules l’omniprésence des SRAM à ce niveau de la mémoire informatique. L’agencement logique des transistors [7] permet de conserver l’information mémoire tant que les transistors sont alimentés et celle-ci n’a pas besoin d’être rafraîchie, d’où son appellation de statique par rapport à la mémoire dynamique . Comme les transistors utilisés dans la SRAM nécessitent une mise sous tension la SRAM est une mémoire volatile. Cependant l’utilisation des 6 transistors rend cette mémoire encombrante . La miniaturisation de la SRAM utile pour augmenter la densité de stockage nécessite une diminution de la taille des transistors qui engendre deux effets néfastes pour la consommation d’énergie électrique : la réduction des tailles des SRAM ne s’accompagne pas d’une diminution du « courant » dans le mode veille/statique qui devrait rester à 100 nA/µm pour les SRAM hautes performances [2] et les courants de fuite (statiques et dynamiques) dans les transistors augmentent et dépassent déjà la centaine de picoampère pour des tailles latérales de 90 nm [9].
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Table des matières
Introduction
I État de l’art
I.1 Motivations : mémoire système
I.1.1 Hiérarchie mémoire
I.1.2 Technologies mémoire constituant ces blocs
I.1.2.1 Flash
I.1.2.2 La mémoire à accès direct statique (SRAM)
I.1.2.3 La mémoire à accès direct dynamique (DRAM)
I.1.3 Technologies mémoire émergentes
I.1.4 Mémoires à accès direct magnétique (MRAM)
I.1.4.1 Mémoires à accès direct magnétique écrites par champ magnétique
I.1.4.2 Mémoires à accès direct magnétique écrites par couples de transfert de spin (STT-MRAM)
I.1.4.3 Mémoires à accès direct magnétique écrites par couples de spin-orbite (SOT-MRAM)
I.2 Formalisme utilisé et bases théoriques
I.2.1 Matériaux magnétiques
I.2.2 Énergies magnétiques
I.2.3 Spintronique
I.2.3.1 Conduction à deux canaux
I.2.3.2 Magnétorésistances géante et tunnel
I.3 Transfert de spin
I.3.1 Couples de transfert de spin (STT)
I.3.1.1 Dynamique de l’aimantation
I.3.1.2 Couple de Slonczewski
I.3.1.3 Couple de champ effectif
I.3.2 Couples de spin-orbite (SOT)
I.3.2.1 Couplage de spin-orbite
I.3.2.2 Origine physique
I.3.2.3 Confirmations expérimentales
I.3.2.4 Mécanismes de retournement de l’aimantation par couples de spin-orbite
I.4 Contrôle de l’aimantation via un champ électrique
I.4.1 Confirmations expérimentales
I.4.1.1 Expériences préliminaires dans les semi-conducteurs
I.4.1.2 Modulation du champ coercitif dans les métaux ferromagnétiques
I.4.2 Retournement de l’aimantation grâce à un champ électrique
I.4.2.1 Dynamique avec des impulsions courtes (ns)
I.4.2.2 Retournement de l’aimantation par STT assisté par un champ électrique
I.4.2.3 Nucléation et propagation de parois de domaines
I.4.3 Origine physique
I.4.3.1 Modification du remplissage des orbitales atomiques à l’interface
I.4.3.2 Migration d’oxygène
I.4.4 Prédictions théoriques pour un retournement par SOT assisté par un champ électrique
II Techniques expérimentales
II.1 Matériaux utilisés et fabrication des échantillons
II.1.1 Choix des matériaux
II.1.1.1 Jonction tunnel magnétique
II.1.1.2 Piégeage de l’aimantation de la couche ferromagnétique dure
II.1.1.3 Exemple de cycle d’hystérésis d’une jonction tunnel magnétique
II.1.1.4 Croix de Hall
II.1.2 Fabrication des échantillons
II.1.2.1 Dépôt des matériaux
II.1.2.2 Nano et micro-structuration
II.2 Mesures de magnéto-transport
II.2.1 Contacts électriques
II.2.2 Champ magnétique
II.2.3 Mesures de magnétorésistance tunnel (TMR)
II.2.4 Mesures d’Effet Hall Extraordinaire (EHE)
II.3 Injection de courant dans la piste de matériau lourd
II.3.1 Application d’impulsions de courant et mesure de l’état d’aimantation
II.3.2 Application d’impulsions de courant, d’un champ électrique et mesure de l’état d’aimantation
II.4 Conclusion
III Retournement de l’aimantation par couple de spin-orbite
III.1 Dépendance du courant critique avec le champ magnétique extérieur pour une tricouche Ta/CoFeB/MgO
III.1.1 Étude semi-quantitative
III.1.2 Comparaison avec la littérature
III.2 SOT-MRAM à écriture ultra-rapide
III.2.1 Écriture ultra-rapide d’une cellule SOT-MRAM
III.2.2 Dépendance avec la durée d’impulsion
III.2.3 Considérations énergétiques
III.3 Conclusion
IV Modulation de l’anisotropie magnétique par application d’un champ électrique
IV.1 Modulation de l’anisotropie magnétique et du champ coercitif par un champ électrique
IV.1.1 Modulation de l’anisotropie magnétocristalline avec le champ électrique
IV.1.1.1 Détermination de l’anisotropie magnétocristalline
IV.1.1.2 Effets d’un champ électrique sur l’anisotropie magnétocristalline
IV.1.1.3 Comparaison avec la littérature
IV.1.2 Conséquences de l’application d’un champ électrique sur le champ coercitif
IV.1.2.1 Cas d’une tricouche Ta/CoFeB/MgO
IV.1.2.2 Cas d’une jonction tunnel magnétique
IV.2 Écriture SOT assistée par un champ électrique
IV.2.1 Tricouche Ta/CoFeB/MgO
IV.2.2 SOT-MRAM
IV.3 Conclusion
Conclusion