Surveillance de la santé des ouvrages d’art
Les ouvrages d’art sont normalement exposés aux trois types de risques : (1) les risques naturels tels que les tremblements de terre, les mouvements de terrain, les cyclones, les tempêtes et les inondations, (2) les risques humains tels que les accidents industriels, les incidents nucléaires et les malveillances et (3) le vieillissement. Ils nécessitent donc une surveillance étroite pour optimiser leur gestion technique, améliorer leur maintenance et prolonger leur durée de vie. Au cours des dernières décennies, la surveillance de la santé des ouvrages d’art (SHM pour Structural Health Monitoring en anglais) devient un sujet de recherche de plus en plus important [26, 27]. Divers capteurs sont disponibles pour mesurer des modifications à long terme des paramètres qui déterminent l’état d’un ouvrage [28, 29], y compris des paramètres mécaniques (déformation, déplacement, vitesse …), des paramètres hygrométriques (humidité, pression de fluide, teneur en eau …) et des paramètres thermiques (température, corrosion, coefficient de dilatation …). On s’intéresse notamment aux mesures de déformation, de déplacement et de température. Le plus souvent, pour les applications qui nécessitent une sécurité maximale, on multiplie le nombre et le type de capteurs installés dans l’ouvrage à surveiller [30]. Les principaux capteurs utilisés dans le domaine de la surveillance des ouvrages d’art sont :
les capteurs de déplacement : transformateur différentiel variable linéaire (LVDT), transformateur à courants de Foucault …
les capteurs de déformation : extensomètre à corde vibrante, extensomètre àfibre optique, jauge de contrainte à résistance électrique …
les capteurs de température : thermocouples, sondes résistives … L’utilisation des capteurs à corde vibrante existe depuis longtemps dans le domaine du génie civil. De tels capteurs sont couramment utilisés pour la surveillance des ouvrages d’art dont ceux couvrant de grandes surfaces, par exemple les ponts, les barrages, les centrales nucléaires, les centrales thermiques et les immeubles [31, 32, 33].
Histoire des capteurs à corde vibrante
Le premier rapport de l’utilisation de capteurs à corde vibrante a été fait par l’ingénieur russe Davidenkoff en 1928 [34]. En 1931, le brevet du capteur à corde vibrante (Figure I.1), appelé aussi témoin sonore, a été déposé par André Coyne en France [35]. Les capteurs à corde vibrante ont été mis en pratique pour la première fois dans le barrage-voûte de la Bromme (1930-1932) construit sur la Truyère, avec 17 capteurs installés [36, 37]. Le premier grand programme de surveillance a été réalisé dans le barrage voûte de Marèges (1932-1935) construit sur la Haute Dordogne, avec 78 capteurs installés dans le corps de la voûte et 40 capteurs installés dans le renforcement des culées [38, 39]. Après les premiers essais réussis, de plus en plus de capteurs à corde vibrante ont été installés dans les barrages hydrauliques en France [40, 41], par exemple le barrage de Saint-Étienne-Cantalès (1940-1945) et le barrage de l’Aigle (1941-1945). Pendant une vingtaine d’années après l’invention de capteurs à corde vibrante, de nombreux essais sont effectués dans divers constructions telles que les ponts, les murs de quai, les conduites forcées en béton précontraint, les grands édifices et les tunnels [ 42, 43 , 44 , 45, 46 , 47 ]. Les résultats obtenus ont prouvé la faisabilité, la capacité et l’adaptabilité des capteurs à corde vibrante dans les conditions environnementales particulièrement difficiles du génie civil. Les capteurs à corde vibrante ont été produits commercialement depuis la fin des années 1930 [48]. La première société Maihak a été fondée en Allemagne en 1936. Par la suite, André Coyne a créé en France en 1947 la société Télémac pour exploiter son brevet du témoin sonore. Après la seconde guerre mondiale, divers instruments à corde vibrante ont été développés par plusieurs fabricants incluant la société Geonor fondée en Norvège en 1958, la société Gage Technique fondée en Angleterre en 1960. Pendant les années 1960-1970, les technologies traditionnelles pour la surveillance des ouvrages d’art, telles que les cellules à contre-pression, les cellules Carlson et les extensomètres à résistance tendue, ont été progressivement remplacées par la technologie des cordes vibrantes en Chine, au Japon, aux États-Unis et en Amérique du Sud. Les sociétés américaines telles que Irad Gage fondée en 1974 et Géokon fondée en 1979 ont apporté d’importantes contributions à la modernisation et l’expansion de la variété des capteurs à corde vibrante. À la fin des années 1970, l’utilisation et la fabrication commerciale des capteurs à corde vibrante se sont généralisés dans le monde entier. Après plusieurs décennies de développement, les capteurs à corde vibrante sont reconnus pour leur fiabilité et leur stabilité à long terme [49, 50, 51].
Développement de dispositif de lecture
L’amélioration de dispositif électronique de lecture est un autre axe de recherche. Balasubramanian [63] a présenté en 1994 un dispositif de lecture pour les capteurs de pression à corde vibrante. À l’aide d’un microprocesseur, la corde est périodiquement excitée par un électroaimant. La fréquence de résonance de la corde est mesurée à partir du signal obtenu par un photocoupleur. Vlad Bande [64] a proposé en 2009 une procédure de mesure entièrement automatique sous plateforme MATLAB qui permet d’acquérir des données en temps réel. En utilisant les signaux d’excitation à différentes fréquences, les parties réelle et imaginaire de l’impédance peuvent être correctement évaluées. La fréquence de résonance de la corde est déduite à partir de l’impédance à l’aide d’un algorithme. En 2012, Andrea Simonetti [65] a proposé une méthode de mesure basée sur la valeur RMS de la réponse harmonique des capteurs à corde vibrante. Cette méthode est particulièrement adaptée pour les réseaux de capteurs sans fil alimentés par récupération d’énergie. Septimiu Pop [66] a conçu en 2013 un dispositif de lecture de haute précision à base de microcontrôleur AVR. Le capteur est excité en utilisant un générateur de balayage et le signal de sortie du capteur est mesuré après avoir traversé un filtre passe-bande et un circuit à seuil. Après une analyse statistique des données acquises, la précision de la mesure peut atteindre 0.05%. Suoying Mao [67] a conçu en 2013 un dispositif de lecture à base de microcontrôleur STM32. Dans ce dispositif, le système d’excitation consiste à générer un signal PWM de rétroaction pour exciter la corde et le système de mesure consiste à amplifier, filtrer et normaliser le signal de sortie du capteur.
Rapport signal sur bruit
Le rapport signal sur bruit est un indicateur important de l’efficacité du capteur. Il est conditionné par deux facteurs : l’amplitude de l’excitation qui détermine l’amplitude du signal et la bande passante du système de mesure qui capte plus ou moins de bruit. En mode amorti, la fréquence de résonance de la corde est inconnue et l’excitation impulsionnelle sollicite donc de nombreuses fréquences pour avoir une chance d’exciter la corde. L’efficacité de l’excitation est donc extrêmement faible ce qui nécessite une grande amplitude (typiquement 90 V pour une impulsion pure ou 5 V pour une impulsion modulée), comme le schématise la Figure II.4a. Pour les mêmes raisons, l’amplificateur de mesure doit avoir une bande passante assez large, et il capte donc beaucoup de bruit. Enfin une seule bobine étant utilisée pour la sollicitation et la mesure, la superposition de l’excitation impulsionnelle avec la réponse libre du mode propre et des modes supérieurs est possible. Il est donc nécessaire de ne prendre en compte le signal qu’après un certain délai. Cela réduit la précision de la mesure en fréquence qui est limitée à environ l’inverse de la durée du signal restant. En mode entretenu, la corde est excitée à sa fréquence de résonance . Ainsi toute l’énergie de l’excitation est utile, ce qui permet de réduire l’amplitude de l’excitation à son minimum (typiquement 160 mV), comme le schématise la Figure II.4b. La mesure de la fréquence est également en bande étroite ce qui réduit les bruits parasites. Par ailleurs, la durée du signal non limitée dans le temps offre une grande précision de mesure optimale.
Couplages magnéto-mécaniques
La géométrie complexe des capteurs à corde vibrante rend quasiment impossible l’étude analytique des couplages magnéto-mécaniques. Le fonctionnement du capteur est donc modélisé par un circuit électrique équivalent comme suit : la bobine d’excitation est alimentée par un courant impulsionnel (en mode amorti) ou alternatif sinusoïdal (en mode entretenu). Ceci crée un flux magnétique dont une partie est concentrée dans la corde et dont une autre partie est captée par la bobine de mesure. La vibration de la corde est la conséquence des forces magnétiques d’interaction entre les bobines, la corde et le corps du capteur. Lorsque la corde se déplace, une variation d’aimantation est produite dans l’environnement du capteur, car d’une part la corde peut être aimantée, d’autre part la forte perméabilité de la corde déforme le champ magnétique environnant. Il est approprié d’assimiler la corde à un ensemble de dipôles magnétiques soit induits, soit permanents, comme illustré sur la Figure III.33. L’aimantation d’une pièce métallique est généralement dans le sens de sa plus grande dimension (donc ici la direction de la corde), alors que l’aimantation induite est dans le sens du champ magnétique. Le déplacement de la corde revient donc à modifier la position des dipôles magnétiques.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I État de l’art
I.1 Surveillance de la santé des ouvrages d’art
I.2 Histoire des capteurs à corde vibrante
I.3 Applications des capteurs à corde vibrante
I.3.1 Extensomètre à corde vibrante
I.3.2 Capteur de déplacement à corde vibrante
I.3.3 Piézomètre à corde vibrante
I.3.4 Capteur de température à corde vibrante
I.4 Développement des capteurs à corde vibrante
I.4.1 Développement de modélisation
I.4.2 Développement de dispositif de lecture
I.4.3 Développement de mode de fonctionnement
Chapitre II Principe de fonctionnement
II.1 Fonctionnement en mode amorti
II.2 Fonctionnement en mode entretenu
II.3 Comparaison des modes de fonctionnement
II.3.1 Rapport signal sur bruit
II.3.2 Fatigue de la corde
II.3.3 Défaillance du capteur
II.3.4 Retour d’expérience
II.3.5 Conclusion
II.4 Électronique de lecture
II.4.1 Fonctionnement en mode amorti
II.4.2 Fonctionnement en mode entretenu forcé
II.4.3 Fonctionnement en mode auto – entretenu
II.4.4 Mesure de la résistance des bobines
II.4.5 Industrialisation du dispositif de lecture
Chapitre III Modélisation physique
III.1 Modélisation par schéma-bloc
III.2 Excitation de la corde
III.2.1 Force magnétique d’excitation
III.2.1.1 Méthode du tenseur de Maxwell
III.2.1.2 Force magnétique sur la corde
III.2.2 Relation fondamentale de la dynamique
III.2.2.1 Modèle simple : extrémités-pivotantes (corde sans raideur)
III.2.2.1.1 Équation du mouvement (modèle simple)
III.2.2.1.2 Fréquences de résonance (modèle simple)
III.2.2.1.3 Fonction de Green (modèle simple)
III.2.2.2 Modèle complexe : extrémités-encastrées (corde avec raideur)
III.2.2.2.1 Équation du mouvement (modèle complexe)
III.2.2.2.2 Fréquences de résonance (modèle complexe)
III.2.2.2.3 Fonction de Green (modèle complexe)
III.2.2.3 Influence de la raideur de la corde
III.2.2.4 Influence de la géométrie de la bobine d’excitation
III.2.3 Validation expérimentale du système d’excitation
III.2.3.1 Dispositif expérimental
III.2.3.2 Influence de l’excitation continue
III.2.3.3 Influence de l’excitation pulsée
III.2.3.4 Comparaison des modes d’excitation
III.3 Système de mesure
III.3.1 Modélisation du capteur
III.3.1.1 Couplages magnéto-mécaniques
III.3.1.2 Schémas électriques équivalents
III.3.2 Sensibilité du capteur
III.3.2.1 Étude de champ magnétique résiduel
III.3.2.2 Étude de force magnétique moyenne
III.3.2.3 Étude du couplage entre bobines
III.3.3 Validation expérimentale du système de mesure
III.3.3.1 Dispositif expérimental
III.3.3.2 Résultats de fréquence de résonance
III.3.3.3 Effet de force magnétique moyenne
III.3.3.4 Effet de couplage entre bobines
III.3.3.5 Analyse des résultats expérimentaux
Chapitre IV Effet de la foudre
IV.1 Phénomène de la foudre
IV.2 Type de foudroiement
IV.2.1 Foudroiement directs
IV.2.2 Foudroiement indirects
IV.3 Étude expérimentale de l’effet de la foudre
IV.3.1 Dispositif expérimental
IV.3.2 Effet de la décharge électrostatique sur un capteur fermé
IV.3.2.1 Bruit électromagnétique produit par une décharge électrostatique
IV.3.2.2 Effet de la décharge électrostatique en mode amorti
IV.3.2.3 Effet de la décharge électrostatique en mode entretenu
IV.3.2.4 Modification de la réponse du capteur fermé
IV.3.3 Effet de la décharge électrostatique sur un capteur ouvert
Conclusion et perspectives
Bibliographie
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