Genèse de la robotique
Les robots peuvent se définir techniquement comme des ensembles mécatroniques physiques, capables de percevoir leur environnement au moyen de capteurs, et de prendre des décisions avec différents niveaux d’autonomie grâce à des algorithmes et outils de l’automatique pour enfin agir à travers des actionneurs. On remarquera que si cette manière large de qualifier les robots permet à la fois d’inclure des véhicules, des bras articulés, des automates, des exosquelettes, des androïdes et même les répliquants de P. K. Dick (1968), elle ne prend pas en compte les simulations et robots virtuels tant qu’ils n’opèrent pas sur le monde physique – contrairement à Skynet (The Terminator 1984). Suivant cette définition, on peut trouver des traces de proto-robots dès l’antiquité à travers les mythes du golem, créature d’argile du folklore hébraïque, et dans la mythologie grecque avec l’histoire de Galatée, statue d’ivoire devenant femme, transcrite au Ier siècle dans les Métamorphoses d’Ovide. Si dans ces deux exemples, c’est une divinité qui insuffle la vie, au XIXème siècle, dans le roman épistolaire de M. Shelley (1818), c’est bien un homme, Victor Frankenstein qui apporte l’étincelle à sa création. Si on s’éloigne de la littérature, les premiers enjeux techniques liés à la robotique ont été principalement dirigés vers la mécanique, comme on peut le voir avec les automates créés par des inventeurs du XIIème siècle comme Al-Jazari (M. Ceccarelli 2009) puis en France au XVIIIème siècle par Jacques de Vaucanson. Il faudra toutefois attendre la seconde moitié du XXème siècle, pour voir apparaître les premiers robots dans des contextes industriels, avec Unimation, la première compagnie à concevoir et proposer des robots articulés motorisés (J. G. C. Devol 1961). Ces machines autonomes s’avèrent effectivement très performantes pour les tâches répétitives qui parsèment les lignes de production, autrefois occupées par des humains, dépeintes avec un humour satirique dans Modern Times (1936) de C. Chaplin. C’est ainsi que les années 1970 voient l’installation de bras articulés émerger dans le monde, notamment pour l’industrie automobile (N. Lazaric 1992). Ces robots se démocratisent ensuite à d’autres secteurs où leur rapidité et précision permettent, dans des environnements contrôlés, d’automatiser entièrement ou partiellement la production de produits manufacturés. Les installations annuelles de robots industriels passent ainsi de 97 000 à 373 000 unités de 2004 à 2019 dans le monde, comme le montre la figure 1.1. Ces robots industriels qui évoluent dans des cellules fermées pour protéger les opérateurs humains, peuvent s’avérer dangereux (B. S. Dhillon 1991, Chapitre 4). Une recherche sur la base de données de l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA1), avec le mot clé « robot », informe de 13 cas de fatalités humaines entre 2003 et 2019, dont huit cas où le robot semble explicitement responsable du décès (OSHA 2021). Ces accidents bien que préoccupants sont à relativiser par rapport à l’ensemble des accidents du travail. Ainsi, (R. Gihleb et al. 2020) indiquent que les robots industriels entraînent une chute significative des accidents professionnels. Une réduction de 28 % des blessures dans les entreprises manufacturières entre 2005 et 2011, aux Etats-Unis d’Amérique et en Allemagne, serait ainsi liée à l’augmentation des équipements robotisés.
Vers une collaboration humain-robot
C’est notamment pour répondre à cette problématique que le concept de robot collaboratif, raccourci en cobot, s’est dégagé. Défini par M. Peshkin et J. E. Colgate (1999), les cobots sont des robots conçus pour réaliser des interactions directes avec des opérateurs humains, avec des charges partagées, ou dans des espaces de travail partagés. C’est donc l’application qui permet d’affirmer qu’il s’agit d’un cobot, or pour atteindre cette collaboration le robot devra répondre à plusieurs enjeux. En effet, pour éviter des dommages collatéraux et éviter de transformer le robot en Roy Batty de P. K. Dick (1968) ou Ava de A. Garland (Ex Machina 2015), la conception du robot doit être pensée pour la sécurité des opérateurs. Cette compatibilité à évoluer à proximité d’humains peut être prévue d’une part dès la conception du robot, à travers : i) des actionneurs spécifiques, comme ceux à impédance variable qui sont présentés plus loin, ii) des capteurs dédiés, permettant par exemple de détecter des contacts sur des zones spécifiques (qu’ils soient embarqués ou non sur le robot) ; ou d’autre part lors de sa programmation grâce à des stratégies de commandes particulières, prenant en compte la présence d’un humain dans la boucle de contrôle, transformant ainsi un robot classique en un robot collaboratif. C’est la combinaison de ces méthodes qui permet de maximiser la fiabilité des interactions. Un robot collaboratif peut alors apporter de l’assistance lors de tâches sur des objets à géométries variables nécessitant la manipulation d’équipements lourds, pouvant entraîner des troubles musculosquelettiques. Comme on peut le constater sur la figure 1.3, un opérateur humain guide un bras robotisé équipé d’un effecteur dédié. Ainsi pendant le meulage de pièces à morphologies variées, l’opérateur apporte son savoir-faire de meuleur difficile à programmer pour un robot autonome. Toutefois, il est important de noter que dans le cas de ce cobot utilisé par la fonderie Ferry Capitain, le but n’est pas d’améliorer les performances des meuleurs, mais de les soulager de la charge des meules qui pèsent jusqu’à 5kg (C. Ravallec 2015). Dans un champ d’application aux antipodes d’un contexte industriel, le Dr. P. Gorphe de l’institut Gustave Roussy a coordonné le projet TORS pour l’évaluation de la faisabilité d’interventions peu invasives pour les opérations Oto-Rhino-Laryngologiques (ORL). Ainsi, en couplant l’utilisation du robot chirurgical, le Da Vinci Xi et une endoscopie, les chirurgiens de l’institut ont pu enlever une tumeur logée dans le rhinopharynx d’un jeune patient (C. Parisel 2018). Cette opération qui est une première européenne en 2018, évite de conduire une intervention risquée aux séquelles lourdes pour le patient (ouverture du palais pour accéder au pharynx). Durant l’opération le médecin téléopère le robot à l’aide d’une interface qui permet de manipuler le robot chirurgien avec une assistance filtrant les vibrations, pouvant démultiplier la précision des mouvements grâce à des facteurs d’échelle, et permettant d’accéder, comme dans cet exemple, à des zones presque inatteignables précédemment. Il est important de noter toutefois, que malgré les récents développements (A. Abiri et al. 2019), aucun retour d’effort et donc aucune sensation haptique n’est permise avec le robot actuel.
Le Complexe Musculo-Squelettique
Le complexe musculo-squelettique (CMS) est un système complexe regroupant les différents organes permettant le maintien de postures ainsi que l’exécution de mouvements. Il se compose donc de l’ensemble des os qui forment le squelette, des articulations et cartilages, des muscles, tendons et ligaments et d’autres tissus permettant notamment le maintien des organes. La dénomination de muscle désigne ici spécifiquement une sous-catégorie de muscles, appelés muscles squelettiques qui permettent la réalisation de mouvements volontaires, par opposition aux muscles lisses que l’on trouve typiquement sur des organes comme l’estomac ou les intestins, qui ne sont pas contrôlés volontairement. Ces muscles représentent généralement 75 % de la masse de l’ensemble des muscles, soit 40 % de la masse molle non grasse du corps humain, c’est-à-dire moins de 30 % de la masse totale (F. Buckinx et al. 2018). Les muscles se composent notamment de longues cellules regroupées en faiseaux, les fibres musculaires ou myocytes, qui sont capables de contractions lorsqu’elles sont stimulées. Ces fibres enveloppées dans une membrane, l’epimysium, sont fixées aux os grâce à des tissus d’insertion comme les tendons, permettant des points d’ancrage sur les os. Comme le montre la figure 1.8, lorsque les fibres musculaires d’un muscle se contractent, elles exercent une force sur les points d’ancrage qui permet aux articulations de se mouvoir grâce au couple généré. Pour une description plus exhaustive des muscles squelettiques, on pourra se référer à T. A. McMahon (1984, Chapitre 1), J. Tresilian (2013, Chapitre 2) ou K. Nishikawa et al. (2007) pour ne citer que trois exemples.
Modulation des propriétés visco-élastiques articulaires
Les cocontractions Si l’on considère l’articulation d’un membre, une même trajectoire peut être décrite avec des cocontractions variées – c’est-à-dire aussi bien la contraction des muscles générant le mouvement (agonistes), que ceux s’y opposant (antagonistes) -, que ce soit dans le cas de trajectoires statiques et donc isométriques (J. M. Dolan et al. 1993 ; D. J. Newham et S. F. Hsiao 2001), ou en mouvement (Y. Yamazaki et al. 1994 ; T. E. Milner et C. Cloutier 1998 ; P. L. Gribble et al. 2003). Ainsi, P. L. Gribble et al. (2003) ont montré que les cocontractions du membre supérieur augmentaient lorsque la précision requise pour une tâche de pointage augmentait. Des mesures de l’activité musculaire étaient effectuées à l’aide de capteurs électromygraphiques (EMG) pendant la tâche, ainsi que sur une durée de 200 ms après l’arrêt du mouvement. Lorsque la taille de la cible diminuait, les cocontractions augmentaient et les erreurs de mouvement diminuaient. Ces résultats suggèrent selon les auteurs, que le SNC peut adapter les cocontractions pour améliorer la précision d’un mouvement, et aussi son rejet des perturbations externes. Comme en témoignent plusieurs travaux, les cocontractions musculaires ont notamment pour effet d’augmenter la « stabilité » vis-à-vis de perturbations6 (K. P. Granata et W. S. Marras 2000 ; T. E. Milner 2002 ; P. L. Gribble et al. 2003 ; M. Darainy et D. J. Ostry 2008). En effet, comme montré par L. E. Ford et al. (1977) et G. I. Zahalak et S. J. Heyman (1979), la contraction d’un muscle entraîne une augmentation de sa raideur et aussi du gain des signaux électriques des réflexes spinaux liés à cette contraction. T. E. Milner (2002) a conduit une expérience sur l’articulation du poignet d’une dizaine de participants à l’aide d’un manipulandum. Pendant des mouvements angulaires rapides (3.14 rad s−1) et lents (0.57 rad s−1) de 20◦ , avec des charges variables destabilisantes : i) dépendantes de la position, ii) puis de la vitesse, iii) et des vibrations à 5.5 Hz et 10 Hz, les participants devaient réaliser une tâche de pointage uni-articulaire. Des mesures EMGs étaient enregistrées à partir de 250 ms avant et jusqu’à 1500 ms après le déclenchement du mouvement, sur six muscles responsables des flexions et extensions du poignet. Le critère de stabilité était évalué par rapport au décrément des oscillations en position une fois la cible atteinte. Ainsi, après avoir demandé aux participants de réduire au plus vite ces oscillations, si des mouvements en dehors d’une cible de 3◦ étaient observés après 800 ms, alors le mouvement était considéré non conforme au critère de stabilité. Les résultats de l’étude indiquent que les cocontrations étaient impliquées à différents degrés pour stabiliser le poignet en présence d’environnements déstabilisants. Des résultats similaires sont observés pour d’autres parties du corps par les cocontractions contribuent à améliorer le rejet de perturbations auxquelles une articulation peut être soumise. Il est toutefois important de souligner qu’il ne s’agit que d’un seul des mécanismes existants permettant d’assurer la stabilité d’un mouvement ou du maintien d’une posture. Les travaux de D. Ludvig et al. (2007) ont notamment permis de montrer que le réflexe d’extension pouvait être modulé volontairement à des niveaux variants entre 9 % et 43 % du couple articulaire total pour la cheville. Comme l’expliquent J. M. Finley et al. (2012), dans le cadre d’une expérience où des participants essaient de stabiliser un pendule inversé (modèle ultra simpliste du corps humain) à l’aide de mouvements de leurs chevilles, la raideur générée par les cocontractions seules ne permet pas d’assurer la stabilité. Ainsi pour les auteurs, les propriétés mécaniques intrinsèques de la cheville ne sont pas suffisantes et des modulations actives et donc volontaires des muscles sont nécessaires. De plus, ils ont observé une contribution du réflexe de flexion variable en fonction des propriétés de l’environnement. En effet, plus l’environnement était raide, plus la réponse du réflexe était importante, à l’inverse, des environnements moins stables avaient des réponses plus faibles. La figure 1.12 reprend le schéma expérimental présenté par les auteurs dans leur publication.
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Table des matières
Introduction
1 Contexte
1.1 Vers une robotique collaborative
1.1.1 L’émergence de la robotique collaborative et ses enjeux
1.1.2 Vers quels types de collaboration ?
1.1.3 Les lois de commande robotique lors d’interactions physiques
1.2 Modéliser le comportement humain
1.2.1 Rappels sur la biologie du corps humain
1.2.2 Modéliser le comportement humain en interaction physique grâce à l’impédance mécanique
1.3 Problématiques et contributions
1.3.1 Complexité de l’estimation d’impédance lors de tâches dynamiques
1.3.2 Influence de l’impédance sur une tâche hybride
1.3.3 Stabilité des interactions physiques humain-robot
2 Structures de commande pour les interactions physiques humain-robot
2.1 Les commandes collaboratives
2.1.1 Commandes en impédance
2.2 Contrôle en admittance proposé
2.2.1 Contrôle cartésien en admittance
2.2.2 Réglage des correcteurs
3 Méthodologie d’estimation d’impédance mécanique humaine
3.1 État de l’art
3.1.1 Méthodes de perturbation
3.1.2 Méthodes d’identification
3.2 Méthode proposée
3.2.1 Injection des perturbations
3.2.2 Reconstruction de la trajectoire virtuelle
3.2.3 Identification
4 Résultats des expériences sur participants humains
4.1 Mise en place expérimentale
4.1.1 Objectifs et hypothèses
4.1.2 Matériel
4.1.3 Protocole
4.2 Résultats
4.2.1 Étude des performances
4.2.2 Résultats des identifications d’impédance
4.3 Discussions
4.3.1 Performances à la tâche de jonglerie
4.3.2 Comportement en impédance cartésienne
5 Analyse de stabilité
5.1 Outils de l’étude de stabilité
5.1.1 Passivité
5.1.2 Approche robuste
5.2 Modélisation du robot et de l’interaction humaine
5.2.1 Modèle dynamique du robot
5.2.2 Linéarisation du modèle du robot
5.2.3 Couplage avec un modèle en impédance
5.3 Étude de la stabilité
5.3.1 Effets de l’environnement
5.3.2 Effets de la loi de commande en admittance
5.3.3 Conclusions
Conclusions et perspectives
5.4 Conclusions
5.5 Perspectives
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