Cosmologie et réionisation
Un peu d’histoire
J’aimerais commencer ce manuscrit par une chronologie des différentes représentations du monde qu’ont eues les civilsations passées. Je n’entrerai pas dans les détails, ce serait bien trop long et ce n’est pas l’objet de cette thèse. Il existe une multitude de livres ainsi que de nombreux sites que le lecteur pourra aller consulter si le sujet l’intéresse par ailleurs, se trouvent parmi eux quelques exemples en notes de bas de page dont je me suis inspiré. Je ne parlerai pas non plus des cosmogonies, ces légendes qui racontent la création du monde avec tous les outils de la mythologie largement usités depuis des millénaires avant l’époque chrétienne. Je vais donc couvrir l’histoire de la cosmologie depuis ses débuts, mais en ne sélectionnant que les étapes les plus importantes qui nous ont menés jusqu’à la cosmologie contemporaine.
Sans prétention aucune, j’essaie d’inscrire cette démarche dans une pensée métaphysique. Il n’est pas difficile de se convaincre que l’astronomie, la cosmologie et l’astrophysique sont intimement liées à la métaphysique, dans le sens où l’on cherche dans le cadre des premières à comprendre le monde dans lequel nous vivons, tandis que nous essayons de savoir à travers la dernière d’où l’on vient. C’est d’ailleurs ce lien étroit qui m’a donné l’envie de poursuivre des études en astrophysique et qui me pousse aujourd’hui à écrire ces lignes.
Je trouve donc très intéressant et somme toute plutôt logique de parcourir les différentes cosmologies que nous avons connues par le passé, d’une part pour se rendre compte des avancées prodigieuses que nous avons atteintes aujourd’hui, et d’autre part pour prendre un maximum de recul sur ce que nous sommes, ce que nous connaissons du monde à l’heure actuelle et sur tout ce qu’il reste à découvrir, en se disant que finalement, pour les civilisations des millénaires qui suivent, nous ne savions que peu de choses. Restons donc modestes, restons humbles, et surtout restons prudents quant aux affirmations et théories en tout genre que l’on prend peut-être trop souvent comme des vérités prématurément.
La cosmologie à ses débuts
La Terre fut plate dans l’esprit collectif jusqu’aux environs du VIe-Ve siècle av. J.-C. Effectivement, il n’est pas aisé de prime abord de se dire que la Terre est ronde lorsque l’on regarde autour de soi et que l’on voit un sol parfaitement plat. Bien sûr, cela est dû au facteur d’échelle qui fait que ce que l’on observe est une toute petite partie de la sphère terrestre. En ce qui concerne l’horizon, il est certes dû à la courbure de la planète, mais intuitivement on pourrait croire qu’il correspond à la limite de ce que l’on peut voir au loin. Il n’est pas inutile de relever que, puisqu’il n’existe aucun instrument d’observation en ces temps-là, seuls les objets visibles à l’œil nu permettent d’élaborer des hypothèses sur le monde qui nous entoure.
On pense que c’est à cette époque que l’idée d’une Terre ronde est apparue, idée qui a pu germer aussi bien chez ceux qui remarquaient que le Soleil est rond pour commencer, que la Lune l’est également quand elle est pleine, et lorsqu’elle ne l’est pas elle présente des ombres à forme arrondie, ou bien dans l’esprit des navigateurs qui s’apercevaient qu’ils voyaient d’abord le mât puis la coque du bateau qui venait au loin. Et puis vînt une réflexion assez jolie des grecs qui se sont aperçus que l’étoile Canopus était visible d’Alexandrie mais pas d’Athènes ; ils en ont déduit que la surface était courbe et que la Terre était donc sphérique. On retrouve par ailleurs dans le Timée de Platon, premier livre entier qui soit parvenu jusqu’à nous et écrit vers -360 av. J.-C., que Socrate pensait également que la Terre était ronde.
C’est donc la première révolution dans notre représentation du monde, à savoir que notre planète n’est pas plate mais ronde.
De l’Antiquité jusqu’au début du Moyen-Âge, la Terre était au centre de l’Univers, les autres planètes lui tournaient autour ainsi que le Soleil : c’est le géocentrisme. Cette façon de représenter le monde vient essentiellement d’Aristote (384 – 322 av. J.-C.) et restera le paradigme pendant quasiment deux millénaires ! Grand philosophe grec en son temps, Aristote avait une très grande influence et sa pensée est restée incontestée durant toute cette période ; on lui doit aussi l’idée des quatre éléments vitaux qui composent la nature que sont le feu, l’eau, la terre et l’air, et aussi de l’éther, substance divine dans laquelle baignent tous les astres et toutes les planètes. Ptolémée a dessiné une carte du monde en suivant les idées d’Aristote que l’on peut voir sur la Fig. 1.1, où l’on peut s’apercevoir d’ailleurs que le Soleil est situé entre Vénus et Mars.
La révolution copernicienne
Il aura fallu attendre jusqu’au XVIe siècle pour passer du géocentrisme à l’héliocentrisme, et ce grâce à Nicolas Copernic qui proposa un modèle nouveau où le Soleil devient le centre de l’Univers autour duquel gravitent les planètes, la Terre comprise. C’est une vraie révolution (appelée à juste titre « révolution copernicienne») car cela sous-entend que l’Homme n’est plus au centre de l’Univers. Cela entre en contradiction avec les écrits religieux, l’Eglise catholique le fait savoir sous le joug de l’Inquisition en amenant Giordano Bruno sur le bûcher quelques décennies plus tard, car ce dernier avait repris et consolidé ce modèle héliocentrique et ne voulait pas revenir sur ses propos. D’autres physiciens ont permis au modèle héliocentrique de remplacer le modèle géocentrique, parmi lesquels Galilée, Kepler et Newton. Galilée mit au point la lunette astronomique en 1609 et observa notamment quelques lunes de Jupiter, ce qui allait dans le sens de Copernic en ce que la Terre n’est pas l’objet central autour duquel gravitent tous les autres objets célestes. Durant la même période, Kepler établit les trois lois homonymes grâce aux observations de Tycho Brahé, lois qui confortent et parachèvent le modèle héliocentrique.
Entre l’idée révolutionnaire de Copernic en 1510 et le changement définitif du géocentrisme à l’héliocentrisme, il s’est écoulé plus de deux siècles. Il faut dire qu’en plus d’une certaine inertie au changement de paradigme plutôt compréhensible dans une société, le refus total de la religion catholique à abandonner sa place égocentrique n’a pas accéléré les choses. Mais lorsque Newton fait part de sa théorie de la gravitation dans son ouvrage Philosophiae Naturalis Principia Mathematica en 1687, repris par les philosophes des lumières dans les années 1730, l’héliocentrisme supplante le géocentrisme définitivement.
La loi de gravitation universelle de Newton
Le modèle de Copernic et les lois de Kepler ont posé la première pierre à l’édifice de l’héliocentrisme, et Newton l’a achevé avec sa loi de la gravitation ou d’attraction universelle. Ce ne sont plus des lois empiriques qui reposent sur des observations mais des lois physiques qui s’expriment par des équations. La gravitation est une force que tout objet de masse non nulle exerce sur tout autre corps, une force centrale qui fait que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse (même si la Terre exerce elle aussi une force sur le Soleil et fait bouger très légèrement son centre). Autrement dit, la gravitation de Newton généralise en quelque sorte le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme : non seulement la Terre n’est pas au centre du système solaire et tourne autour du Soleil, mais chaque objet attire les autres moins massifs que lui, c’est-à-dire que les planètes tournent autour de leur étoile, les lunes autour de leur planète etc. Le système de Ptolémée et les sphères célestes d’Aristote sont définitivement enterrés. La notion de galaxie n’existe pas encore cependant, on ne parle que du système solaire, même si Thomas Wright proposa au milieu du XVIIIe l’idée que le Soleil n’est qu’une étoile parmi tant d’autres. Pour résumer, la seconde révolution apportée par Copernic a bousculé totalement notre façon de penser l’ordre des choses, le cosmos pour le dire selon son sens étymologique, et la troisième révolution qu’offre Newton pose les bases d’une nouvelle physique qui traduit à travers le langage mathématique d’une part les idées coperniciennes, et d’autre part la généralisation de celles-ci avec ce que l’on observe autour de nous, la fameuse pomme qui tombe de son pommier.
La relativité générale d’Einstein
La quatrième révolution se passe au début du XXe siècle lorsqu’Albert Einstein propose sa théorie de la relativité générale dans un article publié en 1915. Celle-ci découle de son travail sur la relativité restreinte qu’il rendit public en 1905, dans laquelle il fait entrer en jeu les effets relativistes dans les équations de mouvement, ce que ne faisait pas la gravitation de Newton. Il lui aura donc fallu une dizaine d’années pour aboutir à sa théorie de la relativité générale, sachant qu’il se fit aider notamment par le mathématicien Marcel Grossmann qui lui donna les outils mathématiques nécessaires à l’élaboration de sa théorie, en lui proposant par exemple le tenseur différentiel qu’il finira finalement par adopter, ayant voulu utiliser en premier lieu son propre tenseur qui le mena dans une impasse. Au-delà du fait de prendre en compte les effets relativistes dans la loi de la dynamique, ce qui change fondamentalement avec la relativité générale par rapport à la gravitation newtonienne vient du fait qu’on ne considère plus la gravitation comme une force mais comme une déformation de l’espace-temps lui-même, un effet de géométrie pour ainsi dire. Plus précisément, cela sous-entend qu’un objet massif courbe l’espace-temps autour de lui ; les lignes droites restent intrinsèquement droites, mais placées dans un espace courbé elles apparaissent courbées à leur tour. Ce qui change aussi avec cette théorie et qui apporte un autre aspect révolutionnaire provient du fait que l’Univers n’est plus considéré comme une sorte d’enveloppe indépendante dans laquelle se trouvent les corps astrophysiques, un peu comme l’était l’éther d’Aristote, mais celui-ci devient lui-même un objet physique qui peut être désormais étudié, qui a un contenu, des propriétés et une histoire. Jusqu’à ce jour, cette théorie n’a jamais été infirmée, aucune observation n’est entrée en contradiction avec les prédictions qu’elle apporte. Mieux encore : la majorité des conséquences théoriques sous-jacentes a été confirmée par l’observation ou par l’expérience ! C’est déjà une première chose de ne pas avoir été invalidée durant plus d’un siècle, c’en est une autre peut-être encore plus impressionante de voir ses prédictions être confirmées par l’observation, parfois plus d’un siècle plus tard. Le fond diffus cosmologique, l’effet de lentille gravitationnelle, l’existence des trous noirs, la dilatation du temps et la contraction des longueurs pour un objet relativiste : toutes ces prédictions ont été observées au fur et à mesure, et sont devenues pour certaines d’entre elles des outils que l’on utilise au quotidien, comme le GPS par exemple dont le système corrige le décalage temporel qu’il existe entre l’horloge au sol et celle du satellite qui orbite autour de la Terre. La dernière découverte en date qui rend compte de la solidité de la relativité générale est la mesure d’ondes gravitationnelles, qui émanent de la fusion de deux trous noirs dans l’étude menée par Abbott et al. 2016, le signal détecté correspondant à la toute fin de cette fusion. Mais il reste tout de même des prédictions qui n’ont pas encore été observées, comme l’existence des trous de ver, sorte de ponts spatio-temporels qui relieraient deux endroits strictement distincts de l’Univers.
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Table des matières
1 Introduction
cosmologie et réionisation
1.1 Un peu d’histoire
1.1.1 La cosmologie à ses débuts
1.1.2 La révolution copernicienne
1.1.3 La loi de gravitation universelle de Newton
1.1.4 La relativité générale d’Einstein
1.1.5 La cosmologie moderne
1.2 Notions de cosmologie
1.2.1 La loi de Hubble
1.2.2 Le redshift
1.2.3 Les distances cosmologiques
1.2.4 La lentille gravitationnelle
1.3 La réionisation cosmique
1.3.1 Description et caractéristiques
1.3.2 Les toutes premières galaxies
1.3.3 Les « Lyman-Break Galaxies »
1.3.4 Les émetteurs Lyman-alpha
1.3.5 Contraintes actuelles sur les sources de la réionisation
2 Observations avec MUSE et méthodologie
2.1 L’instrument MUSE
2.1.1 À propos du projet
2.1.2 Caractéristiques techniques
2.1.3 La réduction de données
2.2 Détections des sources Lyman-alpha
2.2.1 Comparaison avec la méthode classique des images en bande étroite
2.2.2 Les programmes de détection automatique
2.2.3 L’échantillon d’amas de galaxies
3 Un exemple type : l’amas de galaxies Abell 1689 vu par MUSE
3.1 Les caractéristiques de l’amas
3.2 Les observations avec MUSE
3.3 Amplification gravitationnelle et covolume exploré par MUSE
3.4 Méthode de détection
3.5 Les sources détectées
3.6 Détermination de la complétude
3.6.1 Construction d’un catalogue d’objets artificiels
3.6.2 Lancement du programme de détection automatique
3.6.3 Obtention de la complétude
3.7 Une première contrainte sur la fonction de luminosité
3.8 Conclusions
4 Résultats : les émetteurs Lyman-alpha derrière les amas de galaxies
4.1 Modèles de distribution de masse
4.2 Échantillon des émetteurs Lyman-alpha
4.3 Volumes comobiles effectifs
4.4 Calcul de la fonction de luminosité des émetteurs Lyman-alpha
4.4.1 Calcul du flux
4.4.2 Calcul de φ(L)
4.4.3 Calcul de l’erreur Δφ(L)
4.4.4 Courbes d’ajustement de nos points
4.4.5 La fonction de luminosité de nos émetteurs Lyman-alpha
5 Discussions et perspectives
5.1 Implications sur la réionisation
5.2 Aspects techniques
6 Conclusion