Corrosion sous contrainte des alliages base nickel en milieu primaire des REP
Dans cette partie, la morphologie et la nature des oxydes formés en surface de l’Alliage 600 sera d’abord traitée. Ensuite, les paramètres influençant la sensibilité à la CSC comme la température, la teneur en hydrogène dissous et la microstructure de l’alliage y seront abordés. Enfin, la nature et la morphologie des oxydes formés dans les pénétrations intergranulaires et les fissures de CSC seront présentées.
Morphologie, structure et nature des oxydes en surface
La couche d’oxyde se formant en surface des alliages à base nickel (Alliage 600 et Alliage 690) à des températures comprises entre 280°C et 360°C, en milieu primaire REP, est décrite comme étant duplex ([Soustelle, 1998], [Delabrouille, 2004], [Marchetti, 2007]) et composée :
a. d’une couche externe discontinue et non protectrice vis-à-vis de l’oxydation,
b. d’une couche interne riche en chrome, continue et protectrice.
La couche externe est constituée de spinelles de type ferrite de nickel sous la forme de cristallites essentiellement [Carrette, 2002], [Carette, 2012], [Delabrouille, 2004] [Gardey, 1998], [Panter, 2002], [Panter, 2006], [Ter-Ovanessian, 2013]. Les dimensions de ces cristallites varient de 50 nm à quelques µm en fonction de la teneur en chrome de l’alliage, de l’état de surface ou de la température. Une augmentation de la teneur en chrome entraîne une diminution de la taille de ces cristallites [Delabrouille, 2004]. La présence de cristallites de ferrite de nickel au sein de la couche externe est également associée à un milieu saturé en fer et nickel, ces cations provenant aussi bien de l’échantillon que du matériau constituant l’autoclave. Des oxydes sous forme de filaments très fins ont été observés par [Machet, 2004], [Panter, 2006], [Marchetti, 2007] et [Sennour, 2010] et ont été identifiés comme étant de l’hydroxyde de nickel Ni(OH)2. Selon [Sennour, 2010], la présence de Ni(OH)2 au sein de la couche externe est due à un phénomène de précipitation lorsque le milieu est saturé en cations de Ni, alors que Delabrouille et Machet proposent que Ni(OH)2 se forme lors du refroidissement de l’autoclave.
La couche interne est décrite par plusieurs auteurs ([Legras, 2007], [Marchetti, 2007], [Ziemniak, 2006], [Peng, 2011]) comme étant riche en chrome et constituée de chromites mixtes de nickel et de fer (Ni(1-x)FexCr2O4). Des nodules de sesquioxydes de chrome (Cr2O3), uniformément dispersés à l’interface chromite mixte/alliage sont mis en évidence par [Marchetti, 2007]. Toutefois, Peng [Peng, 2011] montre grâce à des analyses par Microscopie Electronique en Transmission (MET) l’existence d’une couche interne continue de Cr2O3 avec une faible épaisseur, de l’ordre de quelques nm.
L’épaisseur de la couche d’oxyde interne mesurée sur des échantillons en Alliage 600 et Alliage 690 est d’environ 20 nm après 858 heures d’exposition à 325°C en milieu REP [Marchetti, 2007]. Selon ces observations, la teneur en chrome dans l’alliage n’a pas d’influence sur la cinétique de croissance de la couche d’oxyde interne. Toutefois, elle a un effet sur la composition chimique et les propriétés mécaniques de l’oxyde interne. Plus la teneur en chrome augmente, plus la couche interne est stable [Rosecrans, 2001], [Rosecrans, 2002], [Figueiredo, 2011]. En effet, [Rosecrans, 2002] a étudié l’oxydation d’alliages base nickel avec une teneur en chrome comprise entre 5% et 39% en eau hydrogénée pour des températures comprises entre 288°C et 360°C. Il montre par des analyses de Spectroscopie d’électrons Auger que, pour les alliages avec une teneur massique en chrome comprise entre 16% et 39%, la couche d’oxyde interne est constituée d’oxydes plus riches en chrome que pour les alliages contenant moins de 15 % de chrome. L’oxyde de chrome (Cr2O3) se forme plus rapidement à l’interface oxyde/métal. La couche d’oxyde interne est alors plus stable thermodynamiquement que l’oxyde formé en surface d’alliages présentant une teneur massique en chrome inférieure à 15%. De plus, [Figueiredo, 2011] montre par des analyses de Spectrométrie d’Impédance Électrochimique (SIE) que l’oxyde interne formé sur les alliages avec une teneur massique en chrome d’environ 15 % (Alliage 600 et Alliage 182) contient plus de défauts ponctuels et est moins protecteur que l’oxyde interne formé en surface d’un alliage avec une teneur massique en chrome de 28% (l’Alliage 52). En ce qui concerne les propriétés mécaniques de l’oxyde interne, [Rosecrans, 2001] montre sur des alliages dont la teneur massique de Cr augmente de 5% à 39% que l’allongement à rupture de l’oxyde augmente de 0,08% à 0,2%. De plus, cet auteur suggère que l’augmentation de la teneur en chrome dans l’alliage aura un effet bénéfique plutôt sur l’amorçage que sur la propagation de fissures.
L’existence d’une zone déchromée dans l’alliage sous-jacent a été mise en évidence par plusieurs auteurs : [Carrette, 2002], [Delabrouille, 2004], [Panter, 2006] et [Combrade, 2005]. Cette zone appauvrie en chrome a une épaisseur de l’ordre de 100 nm (Figure 2.2). La teneur en chrome dans cette zone peut atteindre une concentration massique de 5% pour une teneur nominale de 15% (teneur représentative pour l’Alliage 600). D’après [Delabrouille, 2004], la zone appauvrie en chrome a une épaisseur de l’ordre de 60 nm pour un alliage présentant une teneur en chrome de 30% massique alors que pour l’alliage présentant une teneur en chrome de 5 à 20% massique, l’épaisseur de la zone appauvrie en chrome est de l’ordre de 100 nm. L’étude a été réalisée à 360°C en milieu primaire pendant 1000 heures. Les mêmes observations ont été faites par Carrette [Carrette, 2002]. Ses observations mettent en évidence un appauvrissement en chrome sur une épaisseur de l’ordre de 15-25 nm sous l’interface oxyde/métal après 144 heures à 325°C et une zone appauvrie en chrome de l’ordre de 70 nm après 2160 heures d’exposition à la même température. Ces observations mettent en évidence que l’épaisseur de la zone appauvrie en chrome dépend de la température et de la durée d’exposition. La formation de la zone appauvrie en chrome peut être attribuée à une modification de la cinétique de diffusion du chrome en raison de l’injection massive de lacunes pendant la croissance de la couche d’oxyde [Combrade, 2005]. [Carrette, 2002] attribue cet appauvrissement à la présence d’une couche écrouie dans l’alliage sous-jacent. En effet, Carrette a travaillé sur des matériaux bruts de réception et a observé l’existence d’une zone écrouie. Carrette fait l’hypothèse que cette zone écrouie contient de grandes quantités de défauts qui favorisent la diffusion. Cependant Combrade [Combrade, 2005] ne mentionne pas la présence de cette couche écrouie sous-jacente.
Toutefois, cette zone appauvrie en chrome n’a pas été mise en évidence par tous les auteurs [Marchetti, 2010] bien que les mêmes techniques d’observation aient été utilisées.
Paramètres influençant la sensibilité à la corrosion sous contrainte de l’Alliage 600
L’objet des paragraphes suivants est de discuter l’influence de plusieurs paramètres sur la corrosion sous contrainte des alliages base nickel en milieu primaire des REP.
Influence du milieu
Dans le cas de l’Alliage 600, la sensibilité à la propagation de fissures de corrosion sous contrainte est plus importante autour de l’équilibre Alliage 600/NiO ([Bandy, 1985], [Economy, 1987]). Cet équilibre dépend de deux paramètres : la température et la concentration en H2. Des études réalisées entre 280°C et 360°C ([Bandy, 1985], [Economy, 1987]) ont permis d’identifier la relation liant la sensibilité à l’amorçage de la fissuration et la température.
Le bilan des résultats expérimentaux donne une valeur moyenne de 180 kJ/mol pour l’énergie d’activation apparente pour l’amorçage. Par conséquent, une augmentation de 10°C conduit à diviser par un facteur 2 le temps à l’amorçage. Dans le cas de la propagation des fissures, l’énergie d’activation est estimée à environ 130 kJ/mol [Vaillant, 2002]. De plus, des études ont été menées afin de mettre en évidence la sensibilité à la CSC de l’Alliage 600 en fonction de la teneur en hydrogène dissous. Caron [Caron, 2000] a montré qu’une augmentation de la teneur en hydrogène dissous de 2 à 30 ml(TPN).kg-1 H2O entraîne une augmentation de la vitesse de propagation des fissures. [Totsuka, 2000] et [Nakagawa, 2003] ont également observé ce phénomène. D’ailleurs, Nakagawa a mis en évidence un maximum de sensibilité à la corrosion sous contrainte de l’Alliage 600 pour une valeur de 11 ml(TPN).kg-1 H2O d’hydrogène dissous à la température de 320°C. Au contraire, lorsque la teneur en hydrogène dissous passe de 30 à 260 ml (TPN).kg-1 .H2O, une diminution de la vitesse de propagation des fissures est observée. Caron a conclu qu’il existait un domaine de concentrations en hydrogène pour lequel la vitesse de propagation des fissures de CSC est maximale. Ce domaine correspond au domaine d’équilibre thermodynamique Ni/NiO.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. Contexte industriel
1.2. Corrosion sous contrainte des alliages base nickel en milieu primaire REP
1.3. Objectif et démarche
2. ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
2. 1. Corrosion sous contrainte des alliages base nickel en milieu primaire des REP
2.1.1. Morphologie, structure et nature des oxydes en surface
2.1.2. Paramètres influençant la sensibilité à la corrosion sous contrainte de l’Alliage 600
2.1.2.1. Influence du milieu
2.1.2.2. Influence du matériau
2.1.3. Nature et morphologie des oxydes dans les pénétrations intergranulaires et les fissures de CSC
2.1.4. Diffusion et transport de l’oxygène dans les oxydes de surface et les fissures de CSC
2.2. Mécanismes de la corrosion sous contrainte
2.2.1. Mécanisme d’oxydation interne
2.2.2. Mécanisme d’oxydation sélective contrôlée par le taux de défauts local
2.2.3. Mécanismes impliquant les interactions H2 /matériau/ plasticité
2.2.4. Synthèse des mécanismes de CSC
2.3. Diffusion du chrome dans les alliages base nickel
2.3.1. Diagramme de phases Ni-Cr-Fe et chemins de diffusion à 500°C
2.3.2. Généralités sur la diffusion
2.3.3. Diffusion dans les matériaux polycristallins
2.3.4. Méthodes expérimentales permettant de mesurer un coefficient de diffusion
2.3.5. Diffusion du chrome dans les alliages base nickel
2.3.5.1. Bilan des résultats de la littérature
2.3.5.2. Influence de la teneur en chrome
2.3.5.3. Influence de la teneur en carbone
2.3.6. Influence de la plasticité sur la diffusion
2.3.6.1. Méthodologie de calcul des coefficients de diffusion dans un réseau de dislocations
2.3.6.2. Influence des dislocations sur la diffusion
2.3.7. Bilan
2.4. Conclusions
3. MATERIAUX ET TECHNIQUES EXPERIMENTALES
3.1. Mise au point de la méthodologie utilisée pour mesurer les coefficients de diffusion
3.1.1. Présentation générale de la démarche adoptée
3.1.2. Matériaux
3.1.2.1. Nickel pur monocristallin
3.1.2.2. Nickel pur polycristallin
3.1.2.3. Alliage 600 monocristallin
3.1.2.4. Alliage 600 polycristallin
3.2. Mise au point des conditions de dépôt du chrome
3.2.1. Choix de l’épaisseur du dépôt
3.2.2. Préparation des échantillons
3.2.3. Dépôt de chrome par évaporation sous vide
3.2.4. Optimisation des conditions de dépôt du chrome
3.2.4.1. Analyse paramétrique
3.2.4.2. Caractérisation du dépôt de chrome
3.2.4.3. Choix des conditions expérimentales
3.3. Obtention des profils de diffusion
3.3.1. Choix des techniques expérimentales
3.3.2. Spectrométrie de masse d’ions secondaires (SIMS)
3.3.2.1. Principe
3.3.2.2. Optimisation des conditions expérimentales pour les analyses SIMS
3.3.2.2.1. Abrasion ionique par des ions primaires Cs+
3.3.2.2.2. Abrasion ionique par des ions primaires O2+
3.3.2.2.3. Abrasion ionique par des ions primaire O2+ avec une pression partielle d’O2
3.3.3. Spectrométrie à décharge luminescente (SDL)
3.3.3.1. Spectrométrie optique d’émission à décharge luminescente (GDOES)
3.3.3.2. Spectroscopie massique à décharge luminescente (GD-MS)
3.3.3.2.1. Mise au point des conditions expérimentales pour l’analyse par PP-TOFMS
3.3.4. Comparaison des profils obtenus par SIMS et par SDL
3.4. Méthode de calcul du coefficient de diffusion à partir des profils de diffusion
3.4.1. Méthode de calcul du coefficient de diffusion du chrome en volume
3.4.2. Méthode de calcul du coefficient de diffusion du chrome aux joints de grains
3.4.3. Calcul d’incertitude sur la mesure du coefficient de diffusion en volume et aux joints de grains
4. RESULTATS CONCERNANT LA DIFFUSION DU CHROME DANS LE NICKEL PUR ET DANS L’ALLIAGE 600
4.1. Diffusion du chrome dans le nickel pur
4.1.1. Diffusion du chrome en volume
4.1.1.1. Diffusion dans un monocristal de nickel orienté <101>
4.1.1.2. Influence de l’orientation cristallographique
4.1.2. Diffusion du chrome aux joints de grains dans le nickel pur
4.1.3. Bilan des résultats concernant la diffusion du chrome dans le nickel pur
4.2. Diffusion du chrome dans l’Alliage 600
4.2.1. Méthodologie de dépouillement des profils de diffusion du 54Cr dans l’Alliage 600
4.2.2 Diffusion en volume dans un monocristal d’Alliage 600 orienté <001>
4.2.2.1. Résultats expérimentaux
4.2.2.2. Bilan sur la diffusion du Cr en volume dans l’Alliage 600
4.2.3. Diffusion du chrome aux joints de grains dans l’Alliage 600
4.2.4. Bilan des résultats sur la diffusion du chrome dans l’Alliage 600
4.3. Synthèse des mesures des coefficients de diffusion du chrome dans le nickel pur / Alliage 600
4.4. Comparaison avec les cinétiques de diffusion estimées en CSC
4.5. Effet de la déformation sur le coefficient de diffusion en volume
4.5.1. Effet d’un pré-écrouissage sur la diffusion du chrome
4.5.1.1. Description des essais réalisés
4.5.1.2. Nickel pur
4.5.1.2.1. Mesure du coefficient de diffusion du chrome après déformation de 4% sur éprouvettes de nickel pur monocristallines d’orientation <101>
4.5.1.2.2. Mesure du coefficient de diffusion du chrome après déformation de 18 % sur une éprouvette de nickel pur monocristallin d’orientation <101>
4.5.1.2.3. Bilan des résultats sur les éprouvettes pré-écrouies
4.5.2. Effet de la plasticité sur le coefficient de diffusion
4.5.2.1. Description des essais
4.5.2.2. Résultats
4.5.3. Bilan des résultats sur la diffusion du chrome en volume
5. CONCLUSION