Correspondances entre musique et littérature: tout un monde lointain 

Les œuvres : son rapport à la peinture et à la littérature

Dutilleux n’a pas ou peu écrit de musique spécifiquement en lien avec un autre art. Son corpus ne comprend pas d’opéra, un seul ballet figure, et c’est une pièce de jeunesse, ainsi que quelques mélodies. Et pourtant, même parmi ses œuvres purement instrumentales, se trouve une forte attache à la peinture et à la littérature. Nous nous proposons de citer les plus importantes.
Écrite en 1959, la Symphonie n° 2 «Le Double», pour grand orchestre et orchestre de chambre a été rapprochée ultérieurement à la toile D’où venons-nous ? Que sommes nous ? Où allons-nous ? de Paul Gauguin.
Au départ, cette œuvre n’a pas été pensée d’après un élément extérieur. Dutilleux s’est fait la réflexion d’une dualité, d’un double musical dans lequel deux groupes distincts, un gros et un petit, dialogueraient à la manière d’un concerto grosso. Ce n’est qu’après avoir composé qu’il s’est aperçu des similarités que comportait son œuvre avec celle de Paul Gauguin, notamment concernant les questionnements existentiels qu’elle soulevait : « Dutilleux refuse l’idée de la musique à programmeou douée d’un  »message », et ainsi le titre de la symphonie doit être entendu dans un sens général :  »Deux personnages en un seul, l’un étant comme le reflet de l’autre, son double ». (…)On peut trouver une clef à la compréhension de l’œuvre dans une affirmation d’une dame qui dit un jour à Dutilleux que l’écoute de sa symphonie lui avait fait penser à la toile de Gauguin intitulée  »D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ». Après avoir réfléchi, Dutilleux avoua qu’elle avait compris l’essence de sa musique. »
Le concerto pour violoncelle et orchestre, Tout un monde lointain… , composé en 1970, tire son inspiration de Charles Baudelaire. Cette œuvre est purement orchestrale,mais l’univers du poète y est omniprésent. Chaque mouvement porte en épigramme quelques vers de poèmes tirés des Fleurs du Mal . La volonté de Dutilleux est d’exprimer par la musique ce qu’il perçoit dans les textes. Sa démarche relève davantage de la suggestion que de la description.
En 1976, suite à la commande de Rostropovitch pour les soixante-dix ans de Paul Sacher, Henri Dutilleux compose Trois strophes sur le nom de Sacher (œuvre complétée en 1982). « Le titre adopté pour cette courte pièce – un peu plus de huit minutes –, Hommage à Paul Sacher, se réfère à une idée de retour, sinon de  »rimes ». Trois mouvements :  »Un poco indeciso » ,  »Andante sostenuto »,  »Vivace ». Le lien entre les trois strophes est établi par l’énoncé des six lettres du nom SACHER. Six lettres selon lanotation germanique, soit Mi-bémol, La, Do ; Si, Mi, Ré. »
Le rapport à la poésie se fait ici par le jeu musical des lettres. Pour cela Dutilleux utilise des miroirs, faisant entendre des séries composées de ces six notes dans tous les sens possibles : droit, inverse, rétrograde et rétrograde de l’inverse. Le terme « Strophes » présent dans le titre montre aussi une analogie à la poésie.
L’année d’après, 1977, suit l’œuvre orchestrale Timbres, Espace, Mouvement ou « La Nuit étoilée » qui est directement influencée par La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh. Cette pièce a été composée suite au choc émotionnel éprouvé par Dutilleux à la découverte de ce tableau. Là encore, il ne s’agit pas d’illustrer de façon descriptive la toile, mais plutôt de faire entendre musicalement ce que signifie cette peinture pour le compositeur.
The Shadows of Time , composé en 1997, fait allusion à l’histoire d’Anne Franck et au peintre Kandinsky. Le troisième mouvement, « Mémoire des ombres », est ponctué de ces paroles « Pourquoi nous ? Pourquoi l’étoile ? » en référence à la Shoah, notamment en souvenir d’Anne Franck et des enfants d’Yzieux déportés. Le cinquième mouvement « Dominante bleue ? » évoque Kandinsky

Henri Dutilleux et la peinture

Comme nous avons pu le voir dans l’introduction, l’héritage familial d’Henri Dutilleux l’a conduit, dès son enfance, à côtoyer l’art pictural et à l’apprécier. Il n’est, bien entendu, pas le seul à s’être questionné sur l’idée d’une correspondance entre musique et peinture. Ce chapitre nous montrera quels sont les liens entre ces deux arts, du regard des artistes, et comment Dutilleux est arrivé à l’idée de la composition de Timbres, Espace, Mouvement .

Correspondances entre musique et peinture

Si Dutilleux est fasciné par les impressionnistes et par Van Gogh, il a également porté de l’intérêt à Kandinsky. Ce dernier s’est beaucoup questionné sur les portées de son art dans son essai Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en par ticulier , dans lequel il décrit l’artiste comme un médiateur entre les hommes et un monde parallèle supérieur qu’est celui de l’esprit. À travers cette pensée, l’objectif du peintre, selon lui, n’est pas de proposer une illustration du réel, mais d’exprimer ses sentiments vis-à-vis de la nature de façon non descriptive. La musique, par son caractère naturellement abstrait, lui semble être un modèle à suivre pour cela :
« …Les comparaisons avec la musique sont les plus riches d’enseignement. Depuis des siècles, et à quelques exceptions et déviations près, la musique est l’art qui utilise ses moyens, non pour représenter les phénomènes de la nature, mais pour exprimer la vie spirituelle de l’artiste et créer une vie propre des sons musicaux.
Un artiste qui ne voit pas, pour lui-même, un but dans l’imitation, même artistique, des phénomènes naturels et qui est créateur, et veut etdoit exprimer son monde intérieur, voit avec envie avec quel naturel et quelle facilité ces butssont atteints dans l’art le plus immatériel à l’heure actuelle : la musique. Il est compréhensible qu’il se tourne vers elle et cherche à trouver dans son art les mêmes moyens. De là découle la recherche actuelle de la peinture dans le domaine du rythme, des mathématiques et des constructions abstraites, la valeur que l’on accorde maintenant à la répétition du ton coloré, la manière dont la peinture est mise en mouvement, etc.
Cette comparaison des moyens des différents arts etcet enseignement réciproque entre les différentes branches de l’art ne peuvent être fructueuses que si cet enseignement dépasse l’extérieur et porte sur les principes. Cela veut dire qu’un art doit apprendre d’un autre comment il utilise sesmoyens afin d’utiliser ensuite ses propres moyens selon les mêmes principes, c’està dire selon le principe qui lui est propre . Lors de cet apprentissage, l’artiste ne doit pas oublier que chaque moyen implique un mode d’utilisation particulier et que c’est cemode qui est à découvrir. »
L’idée importante à retirer de ces paroles est l’appropriation, par un artiste, d’un autre art avec les procédés du sien. Copier musicalement la peinture n’aurait aucun sens, mais se servir de certaines caractéristiques et les transposer pour pouvoir les utiliser autrement apporte une richesse supplémentaire. Kandinsky analyse quelques différences entre ces deux domaines qui pourraient être employées : « Dans l’emploi de la forme, la musique peut obtenir des résultats dont est incapable la peinture. À l’inverse, par certaines de ses propriétés, la peinture dépasse la musique. Ainsi la musique a pour elle le temps, la durée. Privée de cette possibilité la peinture peut en revanche imprimer d’un seul coup l’essence même d’une œuvre dans la conscience du spectateur, ce que ne peut faire la musique. La musique, échappant à la « nature », est libérée de la nécessité de puiser dans le monde extérieur les formes extérieures de son langage. (Le langage de la nature reste son langage. Si la musique veut exprimer précisément ce que la nature dit à l’homme avec son propre langage, elle doit emprunter uniquement la signification intérieure de ce langage de la nature et la reproduire dans une forme extérieure propre à la musique, c’est-à-dire dans un langage musical.) Aujourd’hui la peinture se limiteencore presque exclusivement à des formes empruntées à la nature. Son problème actuel est de mettre à l’essai, d’évaluer ses possibilités et ses moyens, de les analyser comme le fait la musique depuis des temps immémoriaux (il y a des exceptions – la musique à programme ne fait effectivement que confirmer la règle), d’essayer d’utiliser ses possibilités et ses moyensde façon purement picturale. »
Nous retrouvons le souci d’éviter la description, et Kandinsky remarque également un rapport au temps différent entre les deux esthétiques. Ce point étant une des préoccupations majeures d’Henri Dutilleux, nous pouvons penser qu’il a pu s’intéresser au statisme et à l’immédiat pictural comme une nouvelle approche du temps musical. Kandinsky, dans ses considérations pour la musique,a dressé des analogies entre les couleurs et les timbres. Il précise que ces correspondances ne sont pas absolues, les teintes des deux parties étant infinies : « La correspondance des tons colorés et musicaux est, bien entendu, simplement relative. De même qu’un violon peut produire des sons très différents, qui peuvent répondre à des couleurs tout aussi diverses, le jaune, dans ses différentes nuances, peut être exprimé par différents instruments. Dans les parallèles que l’on établit ici, on pense surtout au ton moyen (sans variation) de la couleur pure et, en musique, au ton moyen, sans variation par vibration, sourdine, etc. »

Analyse de l’œuvre

Le terme « correspondance » définit bien les liens qui unissent la toile de Van Gogh à la musique d’Henri Dutilleux, évitant la simple illustration. Par l’analyse de l’œuvre, nous verrons comment Dutilleux transpose musicalement des procédés picturaux pour évoquer ses impressions vis-à-vis du tableau. Il reprend par là les idées de Kandinsky abordées dans le précédent chapitre.

Les timbres comme des touches de couleur

Henri Dutilleux est connu pour être un fin orchestrateur. Il a une prédilection pour les œuvres destinées à de gros effectifs, mais sait manipuler ces derniers pour avoir des sonorités riches et variées, allant du tutti orchestral au cisaillement le plus précis qui permet à chaque timbre de s’exprimer sans couvrir les autres. C’est d’ailleurs une qualité qu’ont eu d’autres compositeurs et que Van Gogh admire : « Quand on intensifie toutes les couleurs, on parvient de nouveau à la paix et à l’harmonie. Il se passe quelque chose comme dans la musique wagnérienne – elle est jouée par un grand orchestre et n’en est pas pour autant moins intimiste. »
La musique de Wagner et celle de Dutilleux sont bien différentes, nous ne cherchons aucune comparaison par là. Mais l’idée qu’un orchestre de gros effectif permet une multitude de possibilités nous semble intéressante pour ce que Dutilleux propose dans Timbres, Espace, Mouvement.

Une multitude de combinaison de timbres

Nous avons évoqué la volonté du compositeur de supprimer les violons et altos de l’orchestre pour permettre une opposition entre les graves des autres instruments à cordes et les aigus des bois. Mais, pour symboliser les couleurs, Dutilleux propose également de nombreuses combinaisons de timbres qui apportent chaque fois une teinte différente. Dès le début de l’œuvre, au chiffre 5, une succession d’associations se fait entendre.

L’espace sonore pour symboliser l’immensité

L’espace est un terme qui s’emploie à la fois chez les musiciens et chez les peintres. Pour ces derniers, il a un rôle essentiel dans la construction d’une toile, surtout lorsqu’il s’agit de représenter le monde réel. Dans la musique, cette notion n’est pas aussi évidente. Si la question de la spatialisation du son est prise en compte depuis longtemps, les nouvelles technologies du XXe siècle ont permis d’élargir considérablement le champ des possibilités acoustiques, permettant à des compositeurs de réfléchir à une nouvelle conception de l’espace sonore et donnant à la musique une nouvelle dimension. Henri Dutilleux n’a jamais cherché à développer ses œuvres dans ce sens-là ; il n’a écrit que pour instruments sans dispositif ajouté. Il n’en est pas moins intrigué par la question, aussi il choisit de la traiter musicalement avec pour seul matériau l’orchestre symphonique.

L’opposition entre grave et aigu pour exprimer le vide

Nous avons vu précédemment qu’un des éléments qui afasciné Dutilleux dans la toile de Van Gogh est l’immense espace qui sépare le ciel et la terre, provoquant une sensation de vertige. Il a donc créé un vide au sein de l’orchestre pour le symboliser. Le placement des instrumentistes s’en trouve complètement changé.

Henri Dutilleux, musicien symboliste ?

Le père d’Henri Dutilleux tenait une imprimerie à Douai, atelier dans lequel le compositeur s’est souvent trouvé le dimanche et y appréciait le silence contrastant avec le bruit des machines.
Peut-être est-ce de ce lieu particulier qu’il tient son goût pour la littérature. Nous étudierons, dans cette partie, quelle place elle prend dans sa vie, et comment elle a généré Tout un monde lointain…

Un attrait pour Baudelaire et pour le symbolisme

Si Dutilleux a lu beaucoup de choses et se montre intéressé par Shakespeare et Proust, entre autres, il éprouve une fascination bien plus grande pour Baudelaire. « Il y a un poète du XIXème siècle, parmi beaucoup d’autres, qui m’a tellement obsédé par sa modernité, qui est Baudelaire, mais c’est vrai que je n’ai pas été épris, comme j’aurais pu l’être, de la poésie de René Char, par exemple, ou d’autres. Si, j’aimais Yves Bonnefoy mais c’est une poésie abstraite qui est très difficile à traiter musicalement. J’ai un peu connu Georges Schehadé, au Liban, sa poésie me touchait. J’ai eu des relations avec les poètes contemporains grâce à ce que j’ai fait à la radio avec certains d’entre eux mais c’était plutôt au niveau de la recherche d’une formule d’opéra de chambre radiophonique, comme François Billedoux, ou encore Obaldia.»
La poésie de Baudelaire est considérée comme l’élément déclencheur du mouvement symboliste, notamment par la notion de correspondances qui a intéressé d’autres écrivains. Voilà une définition de ce courant : “Mouvement littéraire de la fin du XIXème siècle, représenté principalement par Verlaine, Rimbaud et Mallarmé, qui s’efforça, en opposition au naturalisme et au Parnasse, de développer un art poétique nouveau devant évoquer les objets à travers les sensations et les impressions qu’ils suscitent, dévoiler les réalités cachées derrière le réel conçu comme une allégorie, en exploitant toutes les ressources musicales et poétiques de la langue. Ce qui fut baptisé le Symbolisme se résume très simplement dan s l’intention commune à plusieurs familles de poètes de reprendre à la musique leur b ien(Valéry, Variété II, 1929, p. 153)
− P. ext., dans le domaine des autres arts : le symbolisme est l’art de traduire e t de provoquer des états d’âme, au moyen de rapports de couleurs e t de formes (…). L’artiste doit chercher, selon le mot de Cézanne, non pas à reproduire la nature, mais à la représenter par des équivalents, des équivalents plastiques. C’est le moyen d’expression (figures, formes, volumes, couleurs), et non l’objet représenté qui doit lui-m ême être expressif(M. Denis, Nouv. théories, 1922, pp. 175-176 ds Foulq.-St-Jean 1962).”
La citation de Valéry, dans la première définition, indique une fois de plus le privilège de la musique d’être un art abstrait, envié par les peintres comme par les écrivains pour sa capacité à ne pas décrire le réel. Le deuxième paragraphe rappelle les mots de Kandinsky à l’égard de l’artiste qui doit exprimer les éléments selon son ressenti personnel pour créer un lien entre les hommes et le monde céleste. Toute musique pourrait donc être, par définition, un art symbolique. Il semblerait pourtant que Dutilleux ait un rapport privilégié à ce courant. Sans le ranger dans une case fermée, ses œuvres montrent un certain attachement à ce mouvement, même s’il l’exploite à sa façon et avec les moyens artistiques dont il dispose. « Dutilleux a expliqué que sa musique ne traduit pas le tableau ou le poème mais le sentiment que l’œuvre en question lui inspire, rappelant Mallarmé qui écrivait : « Peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit.» Or cette démarche fait autant de lui un symboliste qu’elle témoigne de sa réflexion profonde sur la fonction qu’il souhaite attribuer à la musique. Le compositeur rejoindrait alors les préoccupations d’un Kandinsky, présentées dans Du spirituel dans l’art (1910), qui, dans sa vision spirituelle de l’art, pensait l’œuvre à partir de l’expérience de la vie intérieure par l’artiste jusqu’à ce que lui-même en vienne à s’interroger sur son propre rôle. »

Genèse de l’œuvre

Au début des années 1960, Henri Dutilleux est contacté par la compagnie RolandPetit pour écrire un ballet sur Les fleurs du Malafin de commémorer le centenaire de la mort de Charles Baudelaire. Le compositeur se plonge alors passionnément dans la littérature du poète : non seulement ses poésies, mais aussi ses textes en prose et critiques d’art – dont faisaient partie des écrits sur Delacroix qui ont fortement intéressé Dutilleux du fait de son attachement familial à ce peintre. Le projet est malheureusement abandonné.
Aussi, quand Mstislav Rostropovitch rencontre le musicien pour lui commander un concerto pour violoncelle, ce dernier, encore tout imprégné des vers de Baudelaire, reporte ses recherches sur cette nouvelle œuvre.

L’évocation du poison

Le mot « poison » désigne, la plupart du temps, une substance destructrice à ne pas consommer. En littérature, ce terme a un sens un peu différent : « Littéraire. Ce qui est capable d’exercer une influence malfaisante, pernicieuse. »
Il nous semble intéressant de souligner, dans cette définition, le mot « influence », qui sous-entend un caractère vicieux, maléfique. Le poème de Baudelaire paraît évoquer davantage cette signification, puisque le poison est présenté comme un élément mauvais et en même temps attractif et séduisant. La musique d’Henri Dutilleux, dans « Regard », contient également cette contradiction à certains moments. C’est le cas à la fin de l’œuvre, juste avant la coda, au chiffre 40.
L’arrivée au chiffre 40 fait entendre un court passage d’ambiance féerique. En effet, le violoncelle atteint, par une montée progressive finissant par la gamme par tons, un ré suraigu tenu sur plus de huit temps. La hauteur etla nuance decrescendo produisent un son aérien et délicat. Le climat enchanteur est également donné par l’entrée du célesta sur cette note aiguë. Ce dernier propose des arabesques vives et élégantes sur le petit chromatisme do #, ré, mi b. Les quadruples croches, la nuance pianissimo et le timbre cristallin de cet instrument accompagnent le caractère magique suggéré par le soliste. Nous retrouvons, aux altos, un accord en notes piquées répétées rapidement semblable à ceux que nous avons décrits dans « Énigme », comme un appel à la mémoire des auditeurs. Le côté mystérieux qu’apportent ces sons est le même ici et dans le premier mouvement : un bruissement léger qui correspond bien à l’atmosphère générale.
Cette douce rêverie ne dure pas longtemps puisque, dès la mesure suivante, les cordes entraînent le son dans le grave par des chutes de septième majeure ou de neuvième mineure, conduisant à un do # profond à l’unisson. Le changement de tessiture par ces grands sauts et le crescendo jusqu’au forte produisent une couleur plus dramatique et poignante. Le côté féerique est néanmoins toujours présent par le ré suraigu tenu au violoncelle solo. Henri Dutilleux propose donc une superposition d’éléments contradictoires à la manière des oxymores poétiques.
Ce sentiment paradoxal se poursuit juste après, une mesure avant 41. Sur le do # tenu des contrebasses, les cordes divisées posent un accord ppp morendore groupant les douze notes du total chromatique. La richesse de cette harmonie pourrait donner l’impression d’un cluster , mais les dissonances sont adoucies par la nuance et par l’étagement des sons sur plus de six octaves, ouvrant l’ambitus au maximum des possibilités des instruments. Le résultat produit un mélange de douceur et de tension, ce que nous pouvons voir comme une analogie avec la vision du poison du poème de Baudelaire.
Le morceau aurait pu se terminer sur cet agrégat sonore s’éteignant doucement, mais Dutilleux propose une coda qui reprend la cadence soliste du début d’ « Énigme ». Ce retour, tel un souvenir, trouve sa correspondance dans le titre du mouvement, comme un regard vers l’arrière, un reflet de ce qui s’est passé au commencement de l’œuvre. Le compositeur tisse donc des liens entre les textes de Baudelaire et sa pièce musicale, mais également à l’intérieur d’elle-même.

« Houles », la puissance orchestrale pour évoquer la force d e la mer

Ce troisième mouvement contient un caractère plus affirmé que les deux précédents. Henri Dutilleux a choisi le fameux poème « La Chevelure » comme point de départ. C’est d’ailleurs du même texte qu’est tiré le titre de l’œuvre.

Les textes

Henri Dutilleux a puisé son œuvre dans cinq textes venant de quatre auteurs différents. Nous nous proposons de les présenter. Prithwindra Mukherjee (1936-), chercheur indien, ethnomusicologue, est poète et traducteur. Le compositeur a choisi un de ses poèmes, une invocation au Dieu Shiva, pour « Danse cosmique ».
« Je voulais me limiter à des lettres, mais au même moment, j’ai retrouvé un recueil de poèmes d’un auteur indien vivant à Paris : Prithwindra Mukherjee. Il m’avait donné ce livre, il y a longtemps. J’ai commencé l’œuvre par son texte. Ce n’est pas une vraie lettre. Disons qu’il s’agit d’une  »adresse » à Shiva, un peu comme une interpellation. Mukherjee est bouddhiste, il s’adresse à Shiva. »
L’hindouisme partage la divinité en trois dieux qui forment la Trimurti : Brahma représente la création de l’univers, Vishnou sa préservation et Shiva sa destruction. À eux trois, ils forment un équilibre, un cycle recommençant perpétuellement. La figure de Shiva est néanmoins bien plus complexe, les différentes traditions hindouistes lui ajoutent beaucoup d’autres fonctions que nous ne détaillerons pas ici. Il est tout de même à noter que ce dieu se situe à un point charnière : la destruction vient en effet pour engendrer un renouveau, une création d’un monde meilleur. Ces deux idées contradictoires sont bien présentes dans le poème. L’effondrement est souligné par ces mots : « tremblent », « déluge », « foudres », « éclairs », « gouffres souterrains », « squelettes ». La renaissance se décrit en ces termes : « bourgeons de tournesol ouvrent leurs pétales », « création nouvelle », « avenir ». Chacune des quatre strophes commence par l’anaphore « Des flammes, des flammes ». Le feu est symbole de destruction, mais également de purification, ce qui explique probablement sa redondance, son refrain.

 

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Table des matières

PARTIE1: ANALOGIES ENTRE PEINTURE ET MUSIQUE: TIMBRES , ESPACE , M OUVEMENT 
CHAPITRE 1 : HENRIDUTILLEUX ET LA PEINTURE
1) Correspondances entre musique et peinture
2) Genèse de l’œuvre
CHAPITRE 2 : ANALYSE DE L’ŒUVRE
1) Les timbres comme des touches de couleur
a) Combinaisons de timbres
b) La couleur orchestrale pour suggérer une ambiance
c) Association d’un timbre à un thème
2) L’espace sonore pour symboliser l’immensité
a) Opposition entre grave et aigu pour exprimer le vide
b) Comparaison des deux débuts : opposition entre ciel et terre
c) Le silence, acteur de la dimension sonore
3) Le mouvement pour exprimer la vie qui habite La nuit étoilée
a) Le mouvement donné par les modes de jeu
b) Le mouvement donné par l’harmonie
c) Le mouvement dans la structure : des changements brusques de caractère
4) Symbolisme de quelques éléments spécifiques
a) Évocation de la grande nébuleuse
b) Les notes pôles pour symboliser la fascination
PARTIE 2:CORRESPONDANCES ENTRE MUSIQUE ET LITTÉRATURE: T OUT UN MONDE LOINTAIN 
CHAPITRE3 – HENRIDUTILLEUX, MUSICIEN SYMBOLISTE?
1) Un attrait pour Baudelaire et pour le symbolisme
2) Genèse de l’œuvre
CHAPITRE4 – ANALYSE DE L’ŒUVRE
1) « Énigme », ou comment suggérer le mystère
a) Les modes de jeu pour exprimer le caractère énigmatique
b) Une fin qui conduit au mystère
2) « Regard », une vision introspective
a) Les miroirs pour symboliser le reflet
b) L’évocation du poison
3) « Houles », la puissance orchestrale pour évoquer la puissance de la mer
a) Le discours houleux du violoncelle soliste
b) Évocation de la mer par l’orchestre
4) « Miroirs », ou comment traduire le reflet en musique
a) Une couleur homogène par l’accord de six sons
b) Des miroirs jusque dans les moindres détails
5) « Hymne », une fin en apothéose pour symboliser la folie
a) Un début qui manifeste le délire
b) Un ostinato-pédale pour évoquer l’omniprésence de la voix
c) La fin : une ouverture vers l’imaginaire
6) Des correspondances à l’intérieur de l’œuvre
PARTIE3:QUAND PEINTURE ET LITTÉRATURE SONT MÊLÉES: CORRESPONDANCES 
CHAPITRE5 – GENÈSE DE L’ŒUVRE
CHAPITRE6 – LES TEXTES
CHAPITRE7 – ANALYSE DE L’ŒUVRE
1) La musique pour aller au-delà des mots : « DanseCosmique » et « À Slava et Galina… »
« Danse Cosmique »
a) Une danse obsédante
b) L’anaphore « Des flammes, des flammes »
c) Appui de certains mots par la musique
« À Slava et Galina… »
a) La souffrance, le désespoir
b) La gratitude
c) Des changements vifs d’atmosphère
2) La musique pour peindre les couleurs : « De Vincent à Théo »
a) Les couleurs
b) La sérénité, la spiritualité
c) La souffrance, le Diable
3) La musique pour illustrer la musique : « Gong » (1) et (2)
a) « Gong » (1) : le timbre
b) « Gong » (2) : le bourdonnement

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