Concept de participation
Introduction
« Notre objectif devrait être d’instaurer une culture plus réceptive et plus respectueuse des opinions des enfants. Mais malheureusement, beaucoup d’adultes semblent voir dans cette idée une menace» (Hammarberg, 2007). Cette déclaration de l’ancien Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe fonde le sujet de ce travail.
L’adoption de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 établit la base du droit constitutionnel moderne et proclame les droits de l’homme : les citoyens devenant sujets de droits ont la possibilité de prendre part aux affaires publiques. 200 ans plus tard précisément, à travers les droits-libertés et le principe de participation, la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) s’inscrit dans la tradition démocratique chère à l’Europe et octroie à l’enfant une nouvelle position sociale.
Pourtant, malgré l’arsenal législatif existant, la voix des enfants reste encore aujourd’hui, peu audible. Les instruments juridiques, entre autre, la CDE et la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la participation des enfants et des jeunes de moins de 18 ans de 2012 (CM/Rec/2012/2) ont pour intention de permettre davantage d’équité et de respect dans les relations entre adultes et enfants et visent l’évolution des pratiques culturelles, caractérisées par une perspective adulto-centrée prépondérante. Bien que la société reconnaisse aux enfants leur nouveau statut, leur capacité d’engagement, leur clairvoyance et leur énergie, l’idée subsiste que, quel que soit leur âge, ces derniers ne peuvent défendre leurs intérêts seuls. Les pays occidentaux ont développé une conscience importante de la complexité de la société ; cela a créé une perception généralisée du risque, entravant à la fois la participation des enfants et plus largement toutes les relations sociales (Baraldi & Iervese, 2012). Ainsi la vision de l’enfant fragile qui doit être protégé évolue peu.
Critiques et questionnements
Au fil des ans, de nombreux projets participatifs ont vu le jour dans toutes les régions du monde, la plupart du temps sous l’égide d’ONG’s ; ils ont permis aux enfants de s’exprimer sur les sujets qui les intéressent et/ou les concernent et de tenter d’agir pour un changement. Cependant, l’impact des projets participatifs incluant des enfants demeure insignifiant sur la société. Cairns (2006) observe que la capacité des enfants à influencer l’agenda politique a peu évolué malgré l’intérêt soulevé par les droits politiques des enfants. La question de « savoir si les personnes ou organisations qui interviennent en faveur des enfants représentent de manière appropriée, les vues, les intérêts et les demandes de ceux qu’ils disent représenter » est récurrente (Stammers, cité par Hanson, 2011). Shier affirme que le droit donné aux enfants de pouvoir s’exprimer sur les sujets qui les concernent compte tenu de leur capacité de discernement fait son chemin, mais il « est moins clairement établi qu’ils puissent s’asseoir à la table des délibérations des décideurs » (2010, p. 36). Certains protagonistes postulent que la participation des enfants vise surtout à en faire des futurs citoyens responsables. Lister, cité par Tisdall, confirme cette idée en affirmant que « le modèle d’investissement humain est construit sur la croyance que les enfants sont des humains en devenir : investir dans les enfants maintenant assure leur future contribution à la société en tant qu’adultes, autant économiquement que socialement. » (2014, p. 14).
Problème et question de recherche
Nous avons mis en évidence que
la participation des enfants est un droit qui leur est dû, et qu’aujourd’hui, elle requiert le soutien des adultes qui portent la responsabilité de créer des opportunités.
les droits participatifs ne font pas l’objet d’un consensus parmi les spécialistes quant à leur interprétation et l’importance à leur accorder.
le principe de l’article 12 se heurte à une conception traditionnelle de la position de l’enfant dans la société, qui n’envisage pas le partage de pouvoir avec les plus jeunes de ses membres.
Comment les adultes engagés dans l’opérationnalisation de la participation perçoivent leurs fonctions et leurs rôles pour relever le défi de libérer la voix des enfants ?
L’objectif premier de ce travail est d’interroger la réalité vécue par des animateurs européens engagés dans des processus participatifs ; en deuxième intention, il s’agit d’interroger la représentation qu’ils ont de leurs rôles, leur compréhension du concept de participation, et la gestion du pouvoir avec leur public. Dans l’analyse, nous nous attacherons à faire émerger les points de convergence et de tension entre la vision des enfants et celle des adultes.
Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE)
Depuis 1989, les enfants bénéficient de droits, répertoriés dans un traité contraignant, composé de 54 articles dont 4 principes généraux, ainsi que de trois protocoles facultatifs. La CDE abrite les droits civils, économiques, sociaux et culturels. La notion des « 3P » est couramment utilisée pour citer les droits de protection, de prestations et de participation. Au coeur des préoccupations de la Convention apparaît le développement de l’enfant au sens large. Les droits aux prestations et de protection prennent naissance en Europe « dans le sillage de l’idée développée au siècle des Lumières selon laquelle les enfants se distinguent des adultes par leurs besoins fondamentaux dont il faut tenir compte de manière particulière » (Liebel, 2010, p. 18).
Les droits politiques au sens strict, élire et être élu, ne font pas partie la CDE. Cependant, grâce à l’article 12 qui reconnaît à l’enfant le droit de s’exprimer sur tous les domaines qui le concernent et là où son intérêt supérieur doit être considéré, Zer-matten estime que l’ « on peut conclure que l’enfant (individuel et groupe collectif) a mis un pied à l’étrier de la participation effective et donc politique de la conduite de la Cité » (2010, p. 33).
Corrélation entre psychologie du développement et culture
Jusqu’à un passé récent, les théories classiques du développement de l’enfant prétendaient à l’universalité du processus et la passivité de l’enfant. Aujourd’hui, les psychologues du développement « appliquent un cadre théorique au sein duquel le développement de l’enfant est perçu comme un processus culturel et l’enfance, comme le produit de processus économiques, sociaux et culturels spécifiques » (Lansdown, 2005, p. 28). Pour l’auteure, « le cadre matériel et social, les habitudes culturelles et les pratiques d’éducation, et les convictions ou les ethnothéories des parents » sont trois éléments environnementaux influant le développement de l’enfant (2005, p. 28). Ainsi les enfants se développent de manière inégale, partout à travers le monde et la participation ne peut être confinée qu’à l’espace déterminé par les normes, les valeurs et les structures de la société dans laquelle ils évoluent. Liebel prétend que « pour obtenir que les enfants s’approprient les droits et les con-sidèrent comme utiles pour eux-mêmes, ceux-ci doivent être conçus d’une manière adaptée au contexte social de vie et permettre d’apporter une réponse en adé-quation au vécu des enfants (2010, p. 78).
La participation exécutive ou « child-led participation » reconnaît aux enfants leur capacité à définir eux-mêmes les problèmes envers lesquels ils souhaitent agir ; les enfants dirigent et contrôlent le processus ; la présence des adultes est requise pour conseiller, aider, administrer et récolter de l’argent, mais ils renoncent à « une partie de leur pouvoir de contrôle sur le processus et les résultats au profit de la collaboration avec les enfants » (2001, p. 26).
« Adultism »5 versus égalité des droits
La perspective des adultes est encore trop souvent la référence à laquelle les en-fants sont soumis. La construction de l’enfant, perçu comme un objet, provient de la tradition qui le considérait comme la propriété de ses parents et une source de main d’oeuvre bon marché.
L’ONG CESESMA6, accompagnée par Harry Shier, s’est intéressée à cette question et a défini l’« adultism » comme « une croyance basée sur l’idée que l’être humain adulte est dans un certain sens supérieur à l’enfant ou de plus grande valeur, et ainsi, l’enfant, par défaut, inférieur et de plus petite valeur. Ces croyances se fondent sur une pensée per sistante qui présente l’enfant comme un objet et pas comme un humain titu-laire des droits fondamentaux » (2012, p. 9).
Ecoles de pensées en droits de l’enfant
Hanson (2012) a établi une typologie des écoles de pensées en droits de l’enfant, basée sur quatre dimensions qui permettent d’évaluer le niveau d’ancrage à cer-tains types de croyances plus ou moins favorables à l’émergence du statut social de l’enfant dans la société. Il nuance et organise les arguments autour de quatre écoles de pensées véhiculant diverses conceptions de l’enfant. Les quatre dimensions pro-posées s’intéressent à :
L’image de l’enfant qui se partage entre deux positions : un être en devenir ou un être déjà présent. L’être en devenir est celui qui n’est « pas encore ». La sociologie de l’enfant a déconstruit l’image de l’enfant « pas encore » et démontré que l’enfant peut être un acteur social déjà présent qui peut agir.
La compétence de l’enfant se définit entre incompétence et compétence, l’une ou l’autre pouvant être admise si prouvé. La compétence des enfants est à con-sidérer selon trois aspects qui s’influent mutuellement. Hanson cite Piaget, considé-
rant que la compétence s’acquiert par le passage à certains stades de dévelop-pement, tout en admettant leur dépendance face au contexte de vie dans le-quel les enfants évoluent. L’auteur note encore que la détermination de la com-pétence repose à la foi sur les valeurs et les intérêts de la société et une préfé-rence idéologique. Le troisième aspect soulève la question de savoir à qui appar-tient le fardeau de la preuve de la compétence ou incompétence des enfants.
Conclusion
L’objectif de ce travail était d’interroger la réalité vécue par des animateurs enga-gés dans des processus participatifs, afin d’explorer leur interprétation de l’article 12, et la représentation qu’ils ont de leurs fonctions et rôles en regard des enjeux liés au pouvoir.
A l’issue de cette recherche, nous avons découvert des animateurs engagés dans la promotion de l’article 12 de la CDE, convaincus du bien-fondé de la mise-en-oeuvre de projets participatifs et des perspectives que ceux-ci offrent aux enfants. Ils espè-rent une promotion des projets, favorisant l’intégration du plus grand nombre d’enfants et si possible des plus vulnérables. L’école est perçue comme un puissant levier et terrain d’exercice à la participation dont on souhaiterait davantage d’engagement.
Nous avons découvert que le travail des animateurs requiert des compétences transversales qui ne se rattachent pas à une profession type. En plus d’une sensibilité et d’une intégration du concept participatif, le profil de l’animateur inclut une capacité à se distancier de ses croyances et de ses représentations, à faire confiance aux enfants, à positiver et à se laisser surprendre : selon nous, c’est dans cette posture que s’exprime le talent des animateurs.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Problématique et question de recherche
1.1. Un principe de droit humain et ses difficultés d’interprétation
1.2. Des ayant-droits à considérer
1.3. Critiques et questionnements
1.4. La question du contre-rôle
1.5. Etat de la recherche sur le rôle des adultes en contexte de participation
1.5.1. Constats des experts
1.5.2. Point de vue des enfants
1.6. Problème et question de recherche
Chapitre 2 : Concept de participation
2.1. Essai de définition
2.2. Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE)
2.2.1. Les droits participatifs
2.2.2. Corrélation entre psychologie du développement et culture
2.3. Fonction et rôle attendus des adultes en contexte de participation
2.3.1. Trois types de processus participatifs
2.3.2. Conditions définies par l’Observation Générale no.12
2.3.3. Dispositifs d’évaluation et de mesure d’implication des enfants
Chapitre 3 : Relations asymétriques adultes-enfants
3.1. Relations de dépendance naturelle
3.1.1. Evolution des relations adultes-enfants
3.2. L’âge, facteur de discrimination ?
3.3. « Adultism » versus égalité des droits
3.4. Ecoles de pensées en droits de l’enfant
3.5. Pouvoir, domination et autorité
3.5.1. Le pouvoir : répressif ou stratégique ?
3.5.2. La domination
3.5.3. L’autorité, une notion en mutation
3.6. Synthèse du cadre théorique
Chapitre 4 : Analyse de la perception du processus participatif et des pratiques des animateurs
4.1. Méthodologie
4.1.1. Déroulement des entretiens
4.1.2. Précautions éthiques
4.2. Analyse des entretiens
4.3. Résultats de l’enquête qualitative
4.3.1. Expérience de participation et perception du concept
4.3.2. Population touchée
4.3.3. Fonctionnement : buts, résultats et modalités d’évaluation
4.3.4. Fonctions, rôles, compétences professionnelles et personnelles, formation spécifique
4.3.5. Vision de l’enfant et de ses compétences
4.3.6. Quid du partenariat et du partage du pouvoir entre adultes et enfants
4.4. Discussion des résultats
4.4.1. Perception du processus participatif
4.4.2. Buts visés : devoir d’éducation en filigrane
4.4.3. Mode d’évaluation et suivi des projets
4.4.4. Formation des professionnels
4.4.5. Fonction et rôle des animateurs
4.4.6. Image de l’enfant et perception de ses compétences
4.4.7. Relations de pouvoir, de domination et d’autorité
4.4.8. Participation, protection et autorité
4.4.9. Conditions-phare du développement de la participation
Conclusion
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