Pour caractériser un matériau en mécanique des solides, des étapes de mesures sous sollicitation sont essentielles. Les méthodes conventionnelles s’appuient sur l’utilisation de jauges ou d’extensomètres pour mesurer des déformations locales ou moyennées. Ces techniques, aujourd’hui très fiables, peu coûteuses, et bien souvent normalisées, s’appliquent à l’identification des propriétés mécaniques, essentiellement pour des essais simples. Ces limites entraînent bien souvent la multiplication d’essais, où l’usage de nombreux capteurs ponctuels rendent l’essai plus coûteux et peuvent avoir un impact sur le comportement du matériau.
Avec l’arrivée des méthodes de mesures de champs, la caractérisation des matériaux s’ouvre à de nouvelles possibilités. L’obtention d’une telle mesure permet l’accès à une cartographie de la grandeur physique mesurée, au lieu de se limiter à une mesure ponctuelle ou moyennée. Il est possible d’exploiter des essais non-conventionnels avec des éprouvettes présentant des géométries particulières ou sous des sollicitations complexes de façon plus quantitatives. Une grande variété de techniques existe, et on peut par exemple distinguer les méthodes interférométriques des non-interférométriques (Grédiac et Hild, 2011). Parmi les premières, il est possible de reconnaître celles qui se basent sur la diffusion, sur la diffraction ou sur la réflexion (Surrel, 2005).
Formulation de la corrélation d’images numériques dans l’image
Conservation du niveau de gris
La CIN voit le jour au début des années 1980, avec le développement des capteurs de photographie numérique et grâce aux progrès réalisés dans le domaine de la vision par ordinateur. Les premiers travaux portent sur le flux optique (Lucas et Kanade, 1981) ; la CIN se développe ensuite rapidement dans le domaine de la mécanique des solides en permettant de mesurer un champ de déplacement en deux dimensions de la surface plane d’un objet à l’aide d’une caméra numérique fronto-parallèle (Sutton et al., 1983). L’image est par exemple capturée par un capteur CCD et peut être traitée comme une matrice de niveau de gris. Chaque coefficient de cette matrice représente un pixel dont sa valeur, un entier inclus dans un intervalle fermé, représente le niveau de gris de ce pixel. En disposant de deux images d’un même objet se trouvant dans des conditions de chargement différentes, la CIN consiste à retrouver le champ de déplacement ? à appliquer à chaque point de la première image afin de retrouver le point correspondant dans la seconde image . Cette méthode s’appuie sur la conservation du niveau de gris.
Le problème de conservation du niveau de gris s’écrit sous la forme forte (Horn et Schunck, 1981) :
∀? ∈ Ω, ?(?) = ?(︀? + ?(?))︀ (1.1)
Formulation faible
Le problème de CIN est mal posé au sens de Hadamard . Il s’agit d’un problème sousdéterminé pour deux raisons : d’une part car le champ vectoriel ? a deux composantes alors qu’il est recherché à partir de données scalaires (les niveaux de gris) ; et d’autre part car les données issues du capteur sont discrètes et quantifiées, alors que le champ cinématique est continu. Les conditions d’existence et d’unicité de Hadamard ne sont donc pas respectées. On peut aisément s’en convaincre en considérant, par exemple, le cas d’une image en noir et blanc de 5000 000 de pixels avec 256 niveaux de gris. D’une part, plusieurs pixels auront le même niveau de gris, ce qui contrevient à la condition d’unicité. D’autre part, il est possible qu’un niveau de gris dans l’image de référence n’existe pas dans l’image déformée, ce qui contrevient à la condition d’existance.
Initialisation : S’agissant d’une méthode de Newton, l’initialisation de ?(0) doit être réalisée avec soin. Sans indications supplémentaires sur la forme du champ cinématique final, une méthode simple serait de le considérer comme initialement nul, c’est-à-dire que ∀? ∈ Ω on suppose que ? (0)(?) = [︀ 0 0]︀? . Cependant si l’initialisation est trop loin du champ final, comme dans le cas de grandes transformations, l’algorithme risque de diverger, ou de converger vers un minimum local. Afin d’éviter cet écueil, une approche multi-niveaux est souvent envisagée, comme par exemple dans les travaux de Réthoré et al., 2007a. Les auteurs proposent de filtrer les images et de réduire la dimension de l’espace d’approximation. Pour cela, il est possible de réduire la qualité des images en effectuant une dégradation par regroupement de pixels . Dans le même temps, la taille du sous-espace d’approximation peut-être réduite en diminuant directement le nombre ?? de fonctions d’interpolation. La mesure CIN est alors réalisée en commençant par l’image la plus grossière dans le sous-espace le plus grossier, puis tour à tour aux niveaux de plus en plus raffinés. Cette approche nécessite de pouvoir passer facilement d’un espace d’approximation à un autre, et donc de choisir judicieusement les bases de fonctions d’interpolation. Une autre stratégie serait de régulariser le problème, et de diminuer l’impact de cette régularisation en passant des niveaux grossiers aux niveaux plus raffinés . Quoi qu’il en soit, une approche multi-niveau permet en outre de manipuler des images plus petites, ce qui permet d’accélérer la vitesse de résolution.
Dans le cas où l’on s’attend à un grand déplacement entre l’état de référence et l’état final, une approche temporelle pourrait-être envisagée (Passieux et al., 2018). Si l’on dispose de plusieurs images au cours du déplacement, il suffit de réaliser la mesure par CIN entre l’image de référence et la première image déformée. Puis d’utiliser ce champ pour initier la mesure entre l’image de référence et la deuxième image déformée.
Considérations pratiques pour la mesure du champ cinématique
Texture de l’objet
Aucune hypothèse n’a été réalisée sur la nature de la texture de l’objet. Cependant, la résolution de l’équation de CIN (1.11) nécessite que la matrice ???? ne soit pas singulière. Or on peut montrer que, lorsque le gradient ∇?(?) est suffisant, le système (1.11) est symétrique défini positif (Fedele et al., 2013) .
En pratique, pour avoir un gradient ∇?(?) suffisant, il faut que la RdI de l’image présente une texture aléatoire, contrastée et de dimensions adaptées au cas considéré (Dong et Pan, 2017). – le béton ou le bois présentent par exemple souvent ces caractéristiques –, ou d’une texture artificielle ajoutée sur l’objet. Ce second cas est le plus fréquent, a fortiori pour le cas de l’étude de métaux ou de matériaux composites dont la surface est rarement suffisamment contrastée de façon naturelle.
L’expérimentateur est alors contraint de déposer un mouchetis sur la surface de l’objet. Il peut s’agir du dépôt de gouttelettes de peinture à l’aide d’une bombe aérosol (cas le plus fréquent en CIN) . D’autres techniques sont parfois mises en place, on pourra à titre d’exemple citer l’impression d’une texture mouchetée directement sur l’objet ; l’impression indirecte par transfert sur une surface développée (Piro et Grediac, 2004) ; la peinture sur un pochoir (Luong et al., 2019); un marquage au feutre (Pan et al., 2010) ; l’application d’un tampon (David, 2014) ; ou des approches plus originales, comme un dépôt par hydrographie .
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Table des matières
Introduction générale
Partie I Corrélation d’images numériques : état de l’art
1 Mesure de champ par CIN
1.1 Formulation de la CIN dans l’image
1.1.1 Conservation du niveau de gris
1.1.2 Formulation faible
1.1.3 Résolution avec un algorithme itératif
1.1.4 Formulation variationnelle
1.1.5 Discrétisation du problème
1.2 Choix d’une base de fonctions d’interpolation
1.2.1 Méthodes dites « locales »
1.2.2 Méthodes dites « globales »
1.2.2.1 Analyse spectrale
1.2.2.2 Analyse isogéométrique
1.2.2.3 Solutions analytiques
1.2.2.4 Solutions numériques
1.2.2.5 Méthode de séparation de variables (PGD)
1.2.2.6 Méthode des éléments finis
1.2.2.7 Méthode des éléments finis étendus
Conclusion sur les méthodes globales
1.3 Considérations pratiques pour la mesure du champ cinématique
1.3.1 Texture de l’objet
1.3.2 Méthode de quadrature éléments finis
1.3.3 Interpolation du niveau de gris
1.3.4 Estimation de l’incertitude de mesure
1.3.5 Mouvement physique de l’objet dans l’espace
2 Modélisation d’une caméra
2.1 Construction d’un modèle de caméra simple : le modèle sténopé
2.1.1 Système de coordonnées homogènes et repère
2.1.2 Passage du repère de l’objet au repère de la caméra
2.1.3 Projection dans le plan rétinien
2.1.4 Passage du repère rétinien au repère de l’image
2.1.5 Ré-écriture du modèle sténopé
2.2 Prise en compte des défauts de la caméra
2.2.1 Défauts géométriques du capteur
2.2.2 Défauts du système optique : les distorsions
2.3 Étalonnage photogrammétrique du modèle de caméra
2.3.1 Méthode d’étalonnage photogrammétrique d’une caméra
2.3.2 Cas de la stéréovision : position relative des caméras
3 Mesure 3D avec la Stéréo-CIN
3.1 Mesure classique d’un déplacement par S-CIN
3.2 Mesure par S-CIN-EF
3.2.1 Étalonnage et mesure de forme
3.2.2 Mesure de déplacement
3.2.3 Dégradation en CIN-2D
3.3 Implémentation dans un programme informatique
Partie II Apprentissage du dispositif de mesure
4 Principes généraux sur l’apprentissage
4.1 Définition de l’apprentissage du dispositif de mesure
4.1.1 Contexte
4.1.2 Formulation continue du problème d’apprentissage
4.2 Point fixe d’étalonnage des paramètres extrinsèques
4.3 Point fixe de correction de la forme
4.3.1 Discrétisation du problème d’apprentissage
4.3.2 Résolution du problème de mesure de la forme
4.3.3 Projection de la forme dans la direction normale
4.4 Implémentation de l’apprentissage dans un programme informatique
4.4.1 Reformulation de l’étalonnage sous forme matricielle
4.4.2 Déploiement de l’étalonnage dans un module Python
5 Résolution de l’apprentissage dans un cas expérimental
5.1 Présentation d’un essai de traction
5.2 Initialisation du problème d’étalonnage
5.2.1 À partir de quelques points : pré-initialisation
5.2.2 À partir d’amers : initialisation
5.2.3 Comparaison des résidus
5.2.4 Association des amers et des niveaux de gris
5.2.5 Modification du programme informatique pour utiliser les amers
5.3 Résolution de l’apprentissage par points fixes
5.4 Masque de pixels sur les bords
5.5 Ajustement de la luminosité et du contraste
5.5.1 Ajuster l’éclairage en S-CIN
5.5.2 Influence de l’ajustement de la luminosité et du contraste
5.5.3 Implémentation de l’ajustement de la luminosité et du contraste dans un programme informatique
5.6 Accélération de l’apprentissage avec la position relative des caméras
6 Régularisation géométrique non-invasive et multi-échelle de la correction de forme
6.1 Régularisation de Tikhonov
6.1.1 Mise en place d’une régularisation de type Tikhonov
6.1.2 Correction de forme avec une régularisation de Tikhonov
6.2 Régularisation géométrique non-invasive et multi-échelle
6.2.1 Introduction à l’analyse isogéométrique
6.2.2 Raffinement du maillage
6.2.3 Pont entre l’AIG et la MEF
6.2.4 Méthodologie de régularisation proposée
6.3 Robustesse de la régularisation géométrique
6.3.1 Construction du modèle IG et du maillage EF
6.3.2 Régularisation géométrique de l’apprentissage
6.3.3 Exemple avec une mesure bilatérale
Partie III Dialogue essais-simulation dans une stratégie d’identification
7 Identification des propriétés matériaux par mesure de champ
7.1 Différentes approches pour l’identification
7.1.1 Essais simples
7.1.2 Identification à partir de mesures de champs
7.1.2.1 Méthode de l’écart à l’équilibre (EG)
7.1.2.2 Méthode des champs virtuels (VFM)
7.1.2.3 Méthode de l’écart à la réciprocité (RGM)
7.1.2.4 Méthode de l’erreur en relation de comportement (CEG)
7.1.2.5 Méthode de recalage de modèle éléments finis (FEMU)
7.1.2.6 Méthode intégrée (CIN-I)
7.1.3 Unification des identifications par mesure de champ
7.2 Extension de la S-CIN-EF à l’identification
7.2.1 Cas général
7.2.2 Cas temporel
7.2.3 Prise en compte du chargement
7.2.4 Estimation de l’incertitude
7.3 Mise en place d’un essai de traction
8 Identification d’un cas expérimental
8.1 Identification des paramètres constitutifs
8.1.1 Identification unilatérale
8.1.2 Identification bilatérale
8.1.3 Identification bilatérale avec un algorithme de Levenberg-Marquardt
8.1.4 Identification à partir de données en deux dimensions
Conclusion sur l’identification des paramètres constitutifs
8.2 Identification des conditions initiales
8.3 Implémentation de l’identification dans un programme informatique
9 Identification sur un espace réduit
9.1 Présentation de la méthode de réduction de modèle
9.1.1 Construction d’une matrice des snapshots
9.1.2 Décomposition en valeurs singulières
9.1.3 Construction d’une surface de réponse
9.1.4 Identification FEMU sur la base réduite
9.2 Mise en place sur un cas expérimental
9.2.1 FEMU-réduit en élasticité
9.2.2 Extension pour une loi elasto-plastique
Conclusion générale