Correction d’un problème de barrière hydrique
Situation générale des sols organiques drainés
Les sols organiques se retrouvent dans plusieurs parties du monde soit à l’état naturel, soit sous forme de tourbières ou de marécages, soit encore sous forme modifiée à plusieurs fins anthropiques. Les sols organiques, ou terres noires, sont caractérisés par un contenu en matière organique supérieur à 30% du volume total des solides sur une basse sèche (Biancalani & Avagyan, 2014). Ces derniers sont des accumulateurs naturels de carbone et contiennent 30% du carbone mondial du sol. Ils sont formés de résidus de plantes, de matières humiques, d’une part minérale, de carbonates, phosphates et hydroxydes et sont plus ou moins décomposés (Brandyk et al, 2002). Par rapport aux terres totales dans le monde, la proportion de sols dits organiques, comprenant les tourbières à l’état naturel et les sols drainés pour l’utilisation humaine, est d’environ 3% (Tapio-Biström et al, 2012). Les tourbières qui ont été drainées pour des usages anthropiques représentent 15% des sols organiques totaux (Tapio-Biström et al, 2012). Les formes d’utilisation des sols organiques pour des fins humaines sont multiples. En effet, ils sont utilisés en partie pour l’agriculture, donc pour la culture en champs ou encore pour l’extraction, afin de fournir des substrats à l’horticulture. Ils sont également utilisés pour la foresterie intensive, pour la production de carburant après extraction et pour plusieurs autres utilisations diverses (Biancalani & Avagyan, 2014). Selon la FAO, ce sont 28 millions d’hectares mondialement qui sont utilisés pour l’agriculture en champs, dont 18 millions d’hectares en cultures annuelles et 8 millions d’hectares en prairies et pâturages (Biancalani & Avagyan, 2014). La Figure 1 présente la proportion des sols organiques utilisés pour l’agriculture sur les différents continents pour les cultures annuelles et pour les prairies.
Les sols organiques utilisés en agriculture se retrouvent donc en majorité en Europe (124 490 km2), principalement en Russie, en Allemagne, au Belarus, en Pologne et en Ukraine, et très peu au Canada et aux États-Unis (3080 km2) (Ilnicki, 2003). Il n’en demeure pas moins que la production maraîchère issue de l’exploitation des terres noires est importante à l’échelle de l’agroalimentaire québécois. Effectivement, la production maraîchère est pratiquée au Québec à 35,4% sur des sols organiques et à 64,6% sur des sols minéraux (AGÉCO, 2007). Les principales cultures pratiquées sur les terres noires sont la laitue, l’oignon et l’échalote, la carotte, le radis et le céleri (AGÉCO, 2007). La région productrice de légumes frais la plus importante au Québec est la Montérégie, avec 57,4% de la production provinciale (MAPAQ, 2014). La production horticole de laitues en champ est pratiquée au Québec principalement dans le comté de Napierville, où se situe une bonne part des terres noires de la Montérégie. À cet endroit, des dépôts divers à travers le temps ont créé différents types de sols. Les sols organiques de cette région proviendraient de dépôts lacustres (Lamontagne et al, 2014) qui reposent sur des fonds minéraux d’argiles ou de sable.
Évolution des sols organiques Il existe deux manières de décrire l’évolution de la dégradation des sols organiques; l’état du matériel présent dans la matrice du sol ou encore le niveau de décomposition sur l’échelle Von Post (Lucas, 1982). Les deux méthodes sont toutefois très liées, puisque chacun des états de matériel se classe en termes de décomposition sur l’échelle Von Post, où le niveau 01 est la classe dans laquelle le matériel est le moins décomposé, et le niveau 10, le matériel le plus décomposé. Les catégories de l’échelle Von Post sont présentées au Tableau 1. Dans la classification canadienne, on retrouve trois catégories principales de matériaux qui composent les grands groupes de sols organiques formés de végétation hydrophile, soient le matériel fibrique, mésique et humique (GTCS, 2002). Le matériel fibrique est le moins décomposé des trois grandes catégories et se classe entre 01 et 04 sur l’échelle Von Post. Les fibres sont encore identifiables dans ce matériel. Le matériel mésique est un intermédiaire dans la décomposition entre les matériaux fibriques et humiques. Il est donc modérément décomposé et se classe à 05 ou 06 sur l’échelle Von Post. Le matériel humique est le plus décomposé des matériaux et se classe entre 07 et 10 sur l’échelle Von Post. En raison de son plus haut niveau de dégradation, on y distingue difficilement les fibres encore présentes (GTCS, 2002).
Séquence de dégradation des sols organiques
Le début de la décomposition et du «moorsh forming process» (Okruszko & Ilnicki, 2003), qu’on pourrait traduire comme étant «le processus de formation de terre noire», s’effectuent à la suite du drainage et de la mise en culture des tourbières. C’est le début de l’affaissement et de la dégradation. D’une part, on observe une perte importante du volume apparent de la matrice du sol par l’augmentation de la contrainte effective, causée en raison de la contraction des films d’eau à la suite de l’abaissement du niveau de la nappe phréatique. L’augmentation de la contrainte effective peut représenter des diminutions de volume de 53 à 70% (Ilnicki & Zeitz, 2002). D’autre part, il y a une perte de matière organique par minéralisation qui se produit graduellement. En effet, le drainage améliore l’aération et donc l’oxygénation du sol, ce qui favorise l’oxydation du carbone organique par l’activité microbienne aérobique (Dawson et al, 2010; Ilnicki & Zeitz, 2002). La minéralisation a lieu d’abord dans la partie supérieure du profil, au-dessus de la nappe, et s’effectue de plus en plus en profondeur, à mesure que la nappe descend.
Or, le matériel fibrique a tendance à s’oxyder plus rapidement que le matériel déjà humifié, en partie puisqu’il contient une plus grande proportion de carbone organique que le matériel décomposé (Dawson et al, 2010). La minéralisation se produit à partir de la phase de drainage, mais est plus importante au cours des premières années (Brandyk et al, 2002; Ilnicki, 2003) tel que montré à la Figure 2. Effectivement, au cours des 5 à 10 premières années, la perte de sol est plus importante et tend à se stabiliser graduellement par la suite. Les pertes de sol sont évaluées par plusieurs auteurs à 0,3 à 1,0 cm an-1 pour des sols en prairies et entre 1,0 et 5,0 cm an-1 pour des sols en culture (Ilnicki, 2003). La vitesse de dégradation est influencée par plusieurs facteurs, à savoir la hauteur de la nappe dans le profil, l’intensité du drainage, les cycles de mouillage et séchage, la compaction et le type de matériel originel (Brandyk et al, 2002; Dawson et al, 2010; Ilnicki, 2003; Ilnicki & Zeitz, 2002; Lucas, 1982; Okruszko & Ilnicki, 2003; Schwärzel et al, 2002).
La dégradation des sols se fait en plusieurs étapes qui ont été décrites en détail par Okruszko & Ilnicki (2003), à l’aide de plusieurs critères de modification qui sont utilisés en Pologne. En résumé, les auteurs décrivent que la dégradation se produit en trois grandes phases, qui sont présentées à la Figure 3. Au cours de la première phase (Mt1), la nappe d’eau est près du sol, le matériel est plus fibrique et la capacité de rétention en eau est élevée. À ce moment, on observe une couche de matériel granulaire, assise sur une très faible couche de matériel de décomposition plus avancée et sur le matériel originel fibrique. Graduellement, la nappe d’eau migre plus en profondeur dans le profil, laissant entrer l’air dans le matériel fibrique (Mt2). Il y a alors décomposition de ce type de matériel en raison de l’oxydation, ce qui tend à augmenter la proportion de matériel humique, et l’apparition d’un matériel de décomposition intermédiaire entre les matériaux humifié et fibrique. Au fil du temps, la nappe continue de descendre (Mt3). La capacité de rétention en eau est alors plus faible et la surface du sol plus sèche. Le matériel fibrique se retrouve plus en profondeur dans le profil. La proportion de matériel humifié et de matériel de transition est plus importante et on assiste à la formation d’une couche dense formée de matériel très dégradé et compact. Au fil du temps, la nappe continue à descendre et le sol à se dégrader continuellement (Mt3 dégradé).
Propriétés physiques des sols organiques drainés Les caractéristiques physiques changent en fonction du niveau de décomposition de la matière organique du sol. Les fractions organiques plus décomposées, en comparaison aux horizons moins décomposés, montrent notamment une masse volumique apparente plus élevée (Brandyk et al, 2002; Hallema et al, 2015a; Ilnicki & Zeitz, 2002; Okruszko & Ilnicki, 2003) qui s’accompagne d’une baisse de porosité (Boelter, 1969; Ilnicki & Zeitz, 2002; Okruszko & Ilnicki, 2003; Schwärzel et al, 2002) et, conséquemment, d’une diminution de la capacité de rétention en eau du sol (Okruszko & Ilnicki, 2003). On observe également des changements de conductivité hydraulique (Okruszko & Ilnicki, 2003; Schwärzel et al, 2002) et une baisse de capillarité (Okruszko & Ilnicki, 2003). Généralement, plus le niveau de décomposition du sol est avancé, plus le niveau de qualité du sol est faible (Okruszko & Ilnicki, 2003).
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Table des matières
Résumé
Abstract
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Avant-propos
Introduction générale
Chapitre 1 – Revue de littérature
Situation générale des sols organiques drainés
Évolution des sols organiques
Critères de dégradation
Séquence de dégradation des sols organiques
Propriétés physiques des sols organiques drainés
Problématique de formation d’une couche compacte
Solutions potentielles retrouvées dans la littérature
Limitation de la dégradation
Correction d’un problème de barrière hydrique
Hypothèses et objectifs
Hypothèses de recherche
Objectifs
Chapitre 2 – Short-term Improvement of Drainage Behavior in Cultivated Organic Soils through Rotations
Résumé
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Experimental Sites
Experimental Design
Measurements
Statistical Analysis
Results
Soil Penetration Resistance
Saturated Hydraulic Conductivity (Field and Lab Methods)
Soil Matric Potential
Water Table Levels
Extreme Rainfall Event
Discussion
Conclusion
Acknowledgments
Tables
Figures
Conclusion générale
Références
Annexe A : Dispositif expérimental, Fibrisol Limnique (site faiblement dégradé)
Annexe B : Dispositif expérimental, Humisol Mésique Terrique (site moyennement dégradé)
Annexe C : Présentation des dates et taux de semis
Annexe D : Présentation des résultats du scénario vivaces
Annexe E : Données de conductivité hydraulique saturée de l’expérience annuelle (mesures prises in situ)
Annexe F : Modélisation des paramètres hydraulique et du drainage
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