Le contexte de fondation du monastรจre de Cormery ร la fin du 8e siรจcle par SaintMartin de Tours, lโanalyse architecturale, topographique et fonctionnelle des รฉlรฉments constitutifs de lโรฉtablissement monastique ainsi que leur transformation dans le temps long constituent la problรฉmatique principale de ce travail de thรจse. De maniรจre gรฉnรฉrale, cette recherche sโappuie sur les nombreux travaux universitaires rรฉalisรฉs ces derniรจres annรฉes dans un contexte de renouveau des รฉtudes sur le milieu monastique. Des programmes de recherche tels que ยซ La morphogenรจse de lโespace ecclรฉsial au Moyen รge ยป (Lyon, UMR 5138) ou les cycles de confรฉrences de la Sociรฉtรฉ Franรงaise dโArchรฉologie (en 1999 et 2000) sur le thรจme ยซ Architecture et liturgie au Moyen รge ยป ont dรฉveloppรฉ des lectures complexes de lโorganisation des lieux monastiques ร travers les amรฉnagements architecturaux et la liturgie. En parallรจle, de nombreux รฉtablissements monastiques bรฉnรฉdictins ont fait lโobjet de nouvelles investigations archรฉologiques souvent menรฉes de maniรจre pluridisciplinaire comme par exemple ร Cluny (BAUD 2014), Aniane (SCHNEIDER 2016), Lagrasse (CAUCANAS et POUSTHOMIS 2013), Saint-Gilles du Gard (HARTMANN-VIRNICH et HANSEN 2013), Savigny (PUEL 2013) ou encore Marmoutier qui constitue particuliรจrement un site de rรฉfรฉrence pour des comparaisons directes sur les pratiques constructives ou les usages liturgiques (CREISSEN et LORANS 2014, LORANS 2014a). Ce dynamisme scientifique sโest traduit par lโorganisation de colloques orientรฉs sur les transformations de lโespace monastique comme celui de Nantua en 2006 (BAUD 2010) et de Cluny/Romainmรดtier en 2010 (IOGNA-PRAT et al. 2013) ainsi que par la publication dโouvrages collectifs majeurs (LAUWERS 2014).
Lโabbaye de Cormery et son environnement au haut Moyen รge
Occupation de la basse vallรฉe de lโIndre durant lโAntiquitรฉ
Jean-Claude Yvard dรฉcrit la champeigne tourangelle comme un paysage rural ร ยซ champs ouverts ยป et ยซ bois rรฉsiduels ยป avant le haut Moyen รge (YVARD 1995 : 554 555). Une approche confirmรฉe par les รฉtudes carpologiques rรฉalisรฉes par Bรฉnรฉdicte Pradat pour la fouille des ยซ Grandes Maisons ยป sur la commune de Truyes (JOLY 2014 : 1-2). Son รฉtude dรฉmontre lโexistence dโun paysage ouvert avec ยซ la prรฉsence de prairies destinรฉes au pรขturage et de champs cultivรฉs ยป. La couverture des massifs boisรฉs sur le site aurait รฉvoluรฉ au haut Moyen รge avec la mise en place de la forรชt de Brechenay (JACQUET 2003 : 133-134) qui fut exploitรฉe jusquโau 16e siรจcle et qui a aujourdโhui quasiment disparu (JACQUET-CAVALLI 2005 : 112).
Les agglomรฉrations secondaires antiques de la vallรฉeย
Les deux pรดles dโoccupation majeurs dans la partie basse de la vallรฉe durant lโAntiquitรฉ sont les deux agglomรฉrations secondaires prรฉsumรฉes dโEsvres-sur-Indre et de Loches (Ill. 1.1). Esvres est mentionnรฉe comme ยซ Evena vicus ยป par Sulpice Sรฉvรจre au dรฉbut du 5 e siรจcle et Grรฉgoire de Tours au 6e siรจcle et Loches comme ยซ Lucas vicus ยป et ยซ Loccis castrum ยป (CRIBELLIER 2016 : 30, ZADORA-RIO 2014b). Grรฉgoire de Tours รฉvoque รฉgalement le ยซ brixis vicus ยป de Brayes (Reignac-sur Indre), situรฉ ร une dizaine de kilomรจtres au sud-est de Comery, au croisement de deux voies antiques. Une ยซ ecclesia ยป y aurait รฉtรฉ fondรฉe par lโรฉvรชque Eustoche, au 5e siรจcle (H, X, 31 V) mais les donnรฉes archรฉologiques sont cependant trop lacunaires pour que le site soit retenu dans la liste des agglomรฉrations secondaires antiques de la rรฉgion Centre (BELLET et al. 1999 : 13). La surreprรฉsentation de mentions concernant lโIndre-et-Loire dans lโลuvre de Grรฉgoire de Tours est connue, ce qui a mรชme fait supposer un temps une surรฉvaluation artificielle du nombre dโagglomรฉrations de lโAntiquitรฉ tardive . Mais ce chiffre รฉlevรฉ serait plutรดt ร voir comme un effet de source : le reflet de la bonne connaissance de lโauteur du diocรจse de Tours oรน il fut รฉvรชque (HERVE 2012b : 145). Les travaux archรฉologiques rรฉcents menรฉs sur les sites qualifiรฉs de ยซ vicus ยป par Grรฉgoire confirment lโexistence matรฉrielle dโune occupation antique (CRIBELLIER 2016 : 23). Cโest notamment le cas de Esvres-sur-Indre qui a fait lโobjet entre 2011 et 2016 dโun programme de recherche pluridisciplinaire portรฉ par le Laboratoire Archรฉologie et Territoires et centrรฉ sur lโรฉvaluation archรฉologique de lโagglomรฉration et de son environnement sur la longue durรฉe. Les sondages exploratoires menรฉs dans le village actuel dโEsvres sur-Indre nโont pas permis de dรฉcouvrir une forme dโhabitat bien dรฉfini. Lโexistence dโune agglomรฉration antique dโorigine protohistorique reste cependant probable, en lien avec lโexistence de plusieurs nรฉcropoles situรฉes sur les coteaux au lieu-dit ยซ la Haute-Cour ยป et utilisรฉes du 2e siรจcle avant notre รจre jusquโau 2e siรจcle aprรจs J.C. La carte archรฉologique du territoire communal est aujourdโhui solidement รฉtablie, dรฉmontrant lโimportance des occupations protohistoriques (28 occupations sur 69 rรฉpertoriรฉes) et inversement la faiblesse des installations antiques, potentiellement liรฉes ร des mutations dans la gestion des terres agricoles (CHIMIER et al. 2014).
Le cas de Loches est sensiblement diffรฉrent puisque lโoccupation sโest dรฉveloppรฉe sur un promontoire et de maniรจre plus importante quโร Esvres durant le haut Moyen รge. Le passรฉ mรฉdiรฉval trรจs riche de la citรฉ lochoise rend dรฉlicate la caractรฉrisation de lโoccupation antique. Les fouilles menรฉes par le Service Archรฉologique Dรฉpartemental dโIndre-et-Loire sur la forteresse ont permis de mettre au jour en 2017 les vestiges du castrum qui รฉtait mentionnรฉ au 5e siรจcle par Grรฉgoire de Tours. Jusquโร cette dรฉcouverte, les seuls tรฉmoignages dโune occupation gallo-romaine รฉtaient le bรฉnitier de lโancienne collรฉgiale Notre-Dame, taillรฉ dans un tronรงon de colonne historiรฉe ornรฉe de douze bas-reliefs (PROVOST 1988 : 38) et la prรฉsence de blocs antiques, dont un fragment de colonne sculptรฉe, dans les fondations du mur gouttereau nord de lโรฉglise paroissiale Saint-Pierre-et-Saint-Ours, รฉdifiรฉe sur le flanc nord du promontoire et quasiment dรฉtruite aujourdโhui (LELONG 1974b : 193).
Christelle Hervรฉ a pu souligner les difficultรฉs pour dรฉterminer les critรจres dโimplantation des agglomรฉrations secondaires qui sont une combinaison de plusieurs facteurs (HERVE 2012a : 45). Mais les zones dโinstallation des agglomรฉrations secondaires des Turons sont assez bien dรฉlimitรฉes : les vallรฉes de la Loire, de la Vienne et du Cher. La vallรฉe de lโIndre ne semble pas avoir fait lโobjet dโune implantation aussi dรฉveloppรฉe (Ill. 1.1). Des lacunes dans la documentation sont tout ร fait envisageables, notamment pour le cas de Brayes-Reignac qui sera peut-รชtre requalifiรฉ en tant quโagglomรฉration secondaire dans le futur. Mais ces changements dโinterprรฉtation ne viendraient finalement que minorer une tendance dรฉjร forte. Une des pistes de recherche permettant dโexpliquer cette diffรฉrence serait en lien avec la structuration du territoire. Les dynamiques dโoccupation sur les plateaux bas des Champeignes et de Sainte-Maure, de part et dโautre de lโIndre, รฉtaient principalement liรฉes ร lโexploitation agricole des sols. Lโimportance de cette mise en valeur a peut-รชtre limitรฉ le developpement de lโhabitat groupรฉ au sein de cette espace.
Les voies antiques et les franchissements de riviรจres
Plusieurs voies antiques passeraient dans la vallรฉe de lโIndre et sur le plateau au sud de Cormery. Une carte du rรฉseau viaire a รฉtรฉ rรฉalisรฉe ร partir des donnรฉes du projet collectif de recherche (PCR) Agglomรฉrations secondaires antiques en Rรฉgion Centre (Ill. 1.2). La voie Tours-Limoges traverserait lโIndre au niveau dโEsvres, ร quelques kilomรจtres ร lโouest de Cormery et passerait par Manthelan au sud pour aller jusquโร Limoges (CHIMIER et DUBOIS 2016 : 274). Une deuxiรจme voie relierait Tours et Argenton-sur-Creuse en longeant la rive droite de lโIndre en passant par Truyes, Reignac et Loches (DUBOIS 1976, AUDIN 1983 : 133- 134, CHIMIER et DUBOIS 2016 : 274). Cette voie ancienne serait lโaxe de circulation le plus proche de Cormery, bien quโil soit situรฉ sur la rive opposรฉe de lโIndre et impliquerait lโexistence dโun guรฉ ou dโun pont pour traverser la riviรจre. Une ancienne voie connue sous lโappellation de ยซ vieux chemin de Loches ยป partirait de Tours en direction de Loches en passant par Cormery et Dolus-le-Sec. Jacques Dubois avait pu repรฉrer par photographie aรฉrienne des sites de part et dโautre de la voie qui a รฉtรฉ qualifiรฉe de romaine par le passรฉ, sans rรฉelles preuves cependant (DUBOIS 1976 : 102). Cette voie est nรฉanmoins considรฉrรฉe comme antique par les membres du PCR Agglomรฉrations secondaires qui ont cartographiรฉ son tracรฉ dans les publications du programme (HERVE, RIQUIER et TROUBADY 2012 : 69). Une autre voie supposรฉment antique y est รฉgalement documentรฉe, elle irait dโAmboise jusquโร Port dePiles en passant par Blรฉrรฉ, Reignac et Manthelan (CRIBELLIER 2016 : 37). Enfin, deux autres tracรฉs sont beaucoup moins certains : une voie allant de Truyes ร Blรฉrรฉ par le plateau au nord de Cormery (MAURICE 1998 : 28) et une voie allant de Ligniรจres-de-Touraine ร Cormery qui est mentionnรฉe dans les deux รฉditions de la carte archรฉologique de la Gaule mais qui nโest probablement pas aussi ancienne. Sa qualification gallo-romaine sโappuie pour beaucoup sur lโexistence du pont dit Pont Girault ou Pont-Romain sur lโEchandon ร Saint-Branchs, qui est en rรฉalitรฉ un pont mรฉdiรฉval. Lโhรฉritage historiographique des 19e et 20e siรจcles tendant ร qualifier dโorigine antique lโensemble des chemins ยซ anciens ยป est ici nettement perceptible (MONTEIL et TRANOY 2008 : 27). Aucune des voies mentionnรฉes ci-dessus nโest cartographiรฉe sur la Table de Peutinger qui dรฉcrit une citรฉ Turone traversรฉe par cinq grands axes dont les deux plus importants รฉtaient la voie Tours-Bourges (Avaricum), qui ouvrait par la vallรฉe du Cher vers lโaxe Rhin-Rhรดne et la mรฉditerranรฉe, et la voie conduisant ร Poitiers (Limonum) qui longeait la vallรฉe de la Vienne vers lโAquitaine (HERVE 2012a : 30). En opposition ร ces ยซ voies romaines ยป publiques qui รฉtaient jalonnรฉes par des bornes , le rรฉseau de routes secondaires formait la base du rรฉseau viaire gallo-romain, complรฉtรฉ par la circulation sur les axes fluviaux (SEIGNE 2014).
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Table des matiรจres
Introduction
Premiรจre partie Lโabbaye de Cormery et son environnement au haut Moyen รge
Chapitre 1 – Dynamiques et morphologies de lโoccupation de la vallรฉe de lโIndre ร proximitรฉ de Cormery de lโAntiquitรฉ au haut Moyen รge
1.1 Occupation de la basse vallรฉe de lโIndre durant lโAntiquitรฉ
1.2 Occupation de la vallรฉe durant le haut Moyen รge
Chapitre 2 – Une implantation monastique en Touraine au haut Moyen รge : genรจse du monastรจre de Cormery
2.1 Les fondations monastiques du haut Moyen รge en Touraine
2.2 Aux origines de Cormery : une fondation martinienne
2.3 La construction dโune identitรฉ monastique au 9e siรจcle
2.4 Lโimpact des raids scandinaves au 9e siรจcle
Chapitre 3 – La riviรจre et le monastรจre : naviguer ou produire ?
3.1 Le transport fluvial et la navigabilitรฉ de lโIndre au 9e siรจcle
3.2 La place des moulins sur lโIndre au haut Moyen รge
3.3 Les amรฉnagements halieutiques : pรชche et pรชcheries monastiques
3.4 Production, รฉchanges et circulation
Deuxiรจme partie Lโรฉglise abbatiale de Cormery : analyse architecturale entre le 8e et le 18e siรจcle
Chapitre 4 – Lโรฉglise abbatiale ร lโรฉpoque carolingienne (8e -10e siรจcles)
4.1. Les informations architecturales contenues dans les sources รฉcrites
4.2 Les vestiges archรฉologiques dโun premier bรขtiment
4.3 La faรงade carolingienne
4.4 Morphologie du premier รฉdifice ecclรฉsial
Chapitre 5 – La tour Saint-Paul
5.1 Analyse architecturale de la tour : les niveaux et les faรงades
5.2 Analyse architecturale de la tour : sculpture, techniques de construction et datation
5.3 Le phasage de la tour-porche
5.4 Les fonctions de la tour-porche : un espace dรฉdiรฉ ร la liturgie ?
Chapitre 6 – Lโรฉglise abbatiale du 11e au 18e siรจcle
6.1 La faรงade occidentale et la nef
6.2 Le transept
6.3 Le chevet ร chapelles รฉchelonnรฉes
Troisiรจme partie Organisation de lโespace monastique et de sa pรฉriphรฉrie du 11e au 18e siรจcle
Chapitre 7 – Lโespace claustral et ses abords immรฉdiats
7.1 Lโorientation de lโespace claustral ร lโรฉpoque mรฉdiรฉvale
7.2 Le prรฉau et les galeries du cloรฎtre
7.3 Les espaces de vie commune
7.4 Les espaces dโaccueil
7.5 Alimentation et stockage
7.6 Les espaces des dignitaires
Chapitre 8 – Aux marges du monastรจre
8.1 En pรฉriphรฉrie : transformation et production
8.2 Lโenceinte monastique
8.3 Espaces funรฉraires et processions liturgiques
8.4 Le bourg monastique
Conclusion gรฉnรฉrale
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