Les cellules sont les unités de base qui composent les organismes multicellulaires que nous sommes. Elles sont constamment en contact avec leur environnement péricellulaire et échangent avec lui de sorte à adapter leur physiologie interne à toute perturbation ou changement. Ce faisant, elles maintiennent une bonne homéostasie cellulaire et empêchent l’apparition de processus biologiques inappropriés qui pourraient mener à des états cellulaires pathologiques.
Les cellules échangent avec l’environnement grâce à des récepteurs membranaires. Des ligands extracellulaires viennent s’y lier et déclenchent l’activation ou la répression de différentes voies de signalisations intracellulaires. La dynamique de ces voies peut se traduire par une cascade de modifications post-traductionnelles, qui aboutit à un changement du programme d’expression génique dans le noyau. Le terme « expression génique » regroupe en fait différents procédés finement régulés qui permettent à la cellule de maintenir son homéostasie. La transcription des gènes est l’un d’eux : c’est un processus essentiel pour la cellule qui permet la synthèse d’acides ribonucléiques (ARN) à partir d’une lecture de l’acide désoxyribonucléique (ADN).
Les gènes sont les unités basiques physiques et fonctionnelles de l’information génétique. Il y en a de différentes sortes en fonction du type de régulation dont ils bénéficient et du type d’ARN que leur transcription génère. Ces ARN sont différents en termes de structure et de fonction. La transcription des gènes codant pour les protéines produit des ARN messagers (ARNm) qui sont destinés à être traduits. A l’inverse, les gènes qui ne codent pas pour les protéines produisent des ARN dits «non codants ». On trouve dans cette catégorie des ARN de transfert et des ARN ribosomaux (les deux types sont utiles à la traduction des ARNm), des petits ARN interférents et des microARN impliqués dans le phénomène d’ARN interférence, des petits ARN nucléolaires qui régulent l’activité des autres ARN, des petits ARN nucléaires qui participent à la maturation des ARN pré-messagers, des longs ARN qui en regroupent différents types et qui sont capables de réguler d’autres ARN ainsi que des processus nucléaires.
La transcription implique un très grand nombre de protéines régulatrices. Premièrement, les facteurs de transcription (FT) : ils sont à la fin des cascades des voies de signalisation et permettent in fine de transmettre un message d’adaptation venant du milieu extracellulaire ou intracellulaire au noyau de la cellule. Ils transmettent notamment ce message au Médiateur, à RSC, et à d’autres corégulateurs protéiques afin qu’ils initient la transcription de gènes cibles. Le rôle particulier du Médiateur est de transmettre les signaux des FT à la machinerie transcriptionnelle, responsable de la transcription per se. Ainsi, la transcription de gènes spécifiques débute et amène à la production d’ARN qui seront utilisés pour le maintien de la physiologie cellulaire, dont les ARNm qui seront traduits plus tard en protéines, qui seront elles-mêmes maturées et exportées vers leur site d’action physiologique.
Durant la thèse, je me suis intéressé à un type de transcription en particulier qui est la transcription médiée par l’ARN polymérase II (Pol II). Ce complexe enzymatique gère notamment la transcription des gènes codants les protéines. Dans l’introduction, le processus transcriptionnel et ses régulateurs sont présentés en suivant une séquence biologique possible d’activation du gène, depuis l’activation du FT jusqu’à la production de l’ARNm.
On peut considérer que la transcription s’initie toujours par un FT. Il peut stationner dans le cytoplasme en attendant d’être activé par les protéines situées en amont de lui dans une cascade de signalisation, puis après son activation (qui peut se traduire par une modification post-traductionnelle), migrer dans le noyau pour transmettre le signal d’adaptation aux régulateurs transcriptionnels. Il peut aussi être lié directement par un ligand dans le cytoplasme pour que sa migration soit déclenchée, ou encore être activé directement dans le noyau. Quoi qu’il en soit, il est indispensable à l’initiation de la transcription, et c’est lui en premier lieu qui cible le gène à activer ou réprimer.
FACTEURS DE TRANSCRIPTION ET CONTEXTE CHROMATINIEN
Les facteurs de transcription
Les facteurs de transcription (FT) sont des protéines capables de lier l’ADN de manière spécifique, dont le rôle est de réguler les programmes d’expression génique cellulaire. Ils peuvent diriger la différentiation cellulaire, la dé-différentiation et même la transdifférentiation, et des mutations qui les touchent sont à la base de nombreuses maladies (Lambert et al., 2018). Environ 183 FT sont connus chez la levure Saccharomyces cerevisiae (Monteiro et al., 2020) et 1600 sont connus chez l’homme. La plupart de ces derniers sont conservés chez les eucaryotes (Morgan and Shilatifard, 2020). Ils peuvent être classés dans plusieurs familles selon le type des deux différents domaines principaux qui les composent : le domaine de liaison à l’ADN (100 types différents connus chez les eucaryotes) et le domaine d’activation (qui permet les interactions avec les autres régulateurs transcriptionnels). Chez les organismes pluricellulaires, certains FT sont ubiquitaires et actifs partout, certains sont ubiquitaires mais non actifs dans chaque cellule et d’autres sont spécifiques à un type cellulaire. C’est le cas par exemple de SOX2 qui n’est exprimé que dans le cerveau ou encore de GATA4 qui n’est exprimé que dans le cœur (Lambert et al., 2018).
Le rôle des FT est de réguler l’initiation de la transcription de gènes cibles en recrutant des corégulateurs spécifiques (Schier and Taatjes, 2020). Pour ce faire, ils lient des motifs spécifiques, uniques à chaque FT, qui peuvent se situer sur l’ADN nu ou sur l’ADN enroulé autour d’un nucléosome, dit alors « ADN nucléosomal ». Les FT qui lient l’ADN nucléosomal sont moins fréquents et sont nommés « facteurs pionniers ». Ils sont fréquemment impliqués dans l’amorçage d’un phénomène de remodelage de la chromatine. Il est à noter qu’un même FT peut avoir différentes fonctions selon le contexte et le type cellulaire. Les motifs des FT sont petits (environ 6 à 12 bases) et flexibles. Les FT peuvent les lier de différentes manières en fonction du contexte. En effet, l’état de la chromatine influence la liaison : c’est le cas par exemple de la méthylation de l’ADN et de l’obstruction du motif par un nucléosome, qui inhibent cette liaison. Les FT peuvent également coopérer les uns avec les autres : ils peuvent lier l’ADN en tant qu’homodimères, trimères ou même encore d’autres structures d’un ordre plus avancé. Ils peuvent notamment agir en synergie avec d’autres FT, surtout chez les humains. Par exemple, la liaison d’un FT sur son motif peut changer la forme de l’ADN ou la conformation du nucléosome associé. Elle peut aussi amorcer le déplacement d’un nucléosome par un remodeleur de la chromatine (les FT pionniers), ce qui permet la libération d’un second motif de fixation (Héberlé and Bardet, 2019).
Le recrutement des corégulateurs est le principal mode de régulation de la transcription par les FT. Cependant, ils peuvent aussi agir en obstruant des sites de liaisons d’autres protéines, les empêchant ainsi d’agir sur le gène (Lambert et al., 2018). Ils peuvent aussi interagir directement avec des facteurs de la machinerie transcriptionnelle et des facteurs d’élongation, sans passer par un corégulateur intermédiaire comme le Médiateur. C’est par exemple le cas des FT MYC et BRD4 chez l’homme : MYC peut interagir directement avec la Pol II et stimuler sa libération de l’ADN suite à un arrêt (Rahl et al., 2010), tandis que BRD4 peut recruter le facteur d’élongation P-TEFb pour stimuler la reprise de la Pol II suite à son arrêt à proximité du promoteur (Li et al., 2018). De la même manière, chez la levure, le FT Gcn4 interagit directement avec la Pol II et Gal4 interagit directement avec TBP, TFIIB et SAGA (Brandl and Struhl, 1989; Klein et al., 2003; Wu et al., 1996). Les FT n’agissent pas toujours comme des activateurs transcriptionnels. Ils peuvent en effet agir comme répresseurs et recruter des régulateurs négatifs (Lambert et al., 2018). Un même FT peut être à la fois activateur et répresseur selon le contexte. C’est le cas par exemple du FT Leu3 chez la levure qui est activateur ou répresseur en fonction du gène cible (Kohlhaw, 2003). Chez les mammifères, c’est le cas de MAX qui agit en activateur quand il est associé à MYC, et en répresseur quand il est associé à MNT ou MXD1 (Amati and Land, 1994). Les motifs cibles des FT sont répartis partout sur l’ADN dans le noyau, et sont noyés dans une masse d’autres informations. Heureusement, l’ADN est structurellement et fonctionnellement organisé, ce qui permet au FT de localiser plus efficacement sa cible.
Architecture de la chromatine
Dans le noyau, l’ADN est compacté de sorte que les cellules puissent contenir une énorme quantité d’information génétique. En effet, l’ADN est enroulé autour de protéines appelées « histones », et forme avec elles une structure qu’on appelle «nucléosome ». On parle de « chromatine » quand on fait référence à l’ADN plus toutes les protéines qui y sont liées. Le degré de compaction n’est pas homogène partout dans le noyau : certaines régions sont plus compactées que d’autres et vice versa. Les régions les plus compactées sont définies comme «hétérochromatine », à l’inverse des régions les moins compactées qui sont définies comme « euchromatine ». L’euchromatine est un état pénétrable de la chromatine qui contient des gènes actifs. A l’inverse, l’hétérochromatine était vue tout d’abord comme un moyen pour la cellule d’inactiver la transcription de certains gènes puisqu’on pensait que la compaction était telle qu’elle empêchait toutes les protéines régulatrices d’atteindre les gènes. Cependant, nous savons désormais qu’elle est requise pour l’expression de certains gènes, ce qui amène à penser qu’elle est plus un moyen pour la cellule d’organiser structurellement son génome qu’un moyen pour réprimer la transcription. Elle est notamment associée à l’expression de certains ARN non codants (ARNnc) (Grewal and Jia, 2007). Quand la chromatine est condensée de manière constitutive sur certaines régions, on parle « d’hétérochromatine constitutive ». C’est notamment le cas sur les télomères, les péricentromères, les éléments transposables et les séquences dérivées de virus (Morgan and Shilatifard, 2020). Plus précisément, les génomes de levure et de mammifères sont organisés en domaines qui s’associent entre eux nommés « domaines d’interactions chromosomiques » (CID, chromosomal interaction domains) chez la levure, et « domaines d’associations topologiques » (TAD, topologically associating domains) chez les mammifères (Dixon et al., 2012; Nora et al., 2012). Ces CID/TAD sont un moyen pour la cellule de compacter son génome et probablement de regrouper des gènes qui doivent être corégulés. Chez la levure, les CID comprennent un à cinq gènes dont la compaction est inversement corrélée avec le taux de transcription et les modifications d’histones activatrices (Hsieh et al., 2015). Les domaines sont séparés par des frontières qui sont qualifiées de fortes ou faibles selon le nombre d’interactions interdomaines qu’elles permettent entre deux domaines adjacents . Les frontières sont enrichies en promoteurs de gènes et sont par conséquent enrichies en nucléosomes qui flanquent les régions dépourvues de nucléosomes (dont sont constitués les promoteurs), et elles sont enrichies en marques épigénétiques liées à la transcription. De plus, de nombreux régulateurs transcriptionnels sont liés à la chromatine au niveau de ces frontières, comme c’est le cas pour le Médiateur et certains remodeleurs de la chromatine comme RSC (André et al., 2021; Hsieh et al., 2015).
|
Table des matières
Introduction
1 Table des matières
2 Table des illustrations
3 Abréviations
4 Avant propos
5 Introduction
5.1 Facteurs de transcription et contexte chromatinien
5.1.1 Les facteurs de transcription
5.1.2 Architecture de la chromatine
5.2 Transcription
5.2.1 Initiation
5.2.2 Élongation
5.2.3 Terminaison
5.3 Le Médiateur de la régulation transcriptionnelle
5.3.1 Découverte
5.3.2 Structure et organisation
5.3.3 Fonction dans l’initiation de la transcription
5.3.4 Autres fonctions
5.3.5 Implication dans les maladies
5.4 RSC/PBAF
5.4.1 RSC chez S. cerevisiae
5.4.2 PBAF chez les mammifères
5.4.3 Processus de remodelage
5.4.4 Fonction dans la transcription
5.4.5 Autres fonctions
5.4.6 Implication dans les maladies
6 Résultats
6.1 Contexte de travail
6.2 Article
6.3 Résultat supplémentaire – Interaction physique entre le Médiateur et les complexes BAF/PBAF dans les cellules humaines
7 Discussion et perspectives
7.1 Interaction physique entre le Médiateur et RSC
7.2 Effets des mutations du Médiateur sur l’occupation des complexes et l’organisation des promoteurs
7.3 Différences d’occupation entre Sth1 et Rsc8 dans les mutants du Médiateur
7.4 Nucleosomes fragiles
7.5 NDR larges et GRF
7.6 RSC et le Médiateur dans le positionnement stable du nucléosome +1
7.7 Le Médiateur et RSC dans l’organisation tridimensionnelle du génome
7.8 Fonctions au-delà de l’initiation de la transcription
7.9 Conservation dans les cellules humaines
7.10 Conclusion générale
Conclusion
8 Références
9 Annexe
9.1 Revue