Convergence évolutive entre les plantes et les insectes des voies métaboliques des glucosides cyanogènes

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Heliconiini et Passifloraceae : partenaires d’interactions évolutives

Grâce aux prospections naturalistes et scientifiques, une quantité importante d’observations et de données existent sur les interactions entre les Heliconiini et leurs plantes hôtes de la famille des Passifloraceae (Benson, 1978; Brown, 1981; Gilbert, 1982). Ils sont autant connus pour patrons de coloration chatoyants et contrastés que pour leur association très étroite avec les Passifloraceae ayant pourtant évolué plusieurs traits physiques et physiologiques avantageux contre la plupart des herbivores.

Heliconiini (Nymphalidae : Heliconiinae), une diversité fascinante

Les Heliconiini constituent la famille des Heliconiinae avec trois autres tribus : Acraeini (régions tropicales d’Amérique et Afrique), Argynniini (régions tempérées, alpines et arctiques), Vagrantini (distribués en Asie) (Penz & Peggie, 2003). Les Heliconiini sont des papillons américains dont la répartition s’étend des Etats-Unis à l’Argentine en passant par les Galapagos, les Bermudes, les Caraïbes, les Antilles et Hawaii (où ils ont été introduit comme prédateurs naturels pour lutter contre les passiflores invasives) (Brown, 1981; Waage et al., 1981; Rosser et al., 2012). La diversité des espèces atteint son paroxysme dans le bassin amazonien supérieur ou les aires de répartitions des espèces andéennes et de basse-Amazonie se chevauchent (Fig. 2) (Rosser et al., 2012). Les relations d’apparentements entre les espèces des Heliconiini ont récemment été mises à jour grâce aux techniques de la phylogénie moléculaire, en se basant sur 22 marqueurs mitochondriaux et nucléaires et en prenant en compte 92% des espèces de la tribu (Fig. 3) (Kozak et al., 2015). Cette tribu de papillons compte 77 espèces et 8 genres : Agraulis, Dione, Dryadula, Dryas, Eueides, Heliconius, Philaethria et Podotricha (Kozak et al., 2015).

Adaptation des Heliconiini aux défenses des passiflores

Les interactions Heliconius – plantes sont donc opportunistes lorsque les papillons adultes participent à la pollinisation lors de leur collecte de pollen. En revanche au stade larvaire ces papillons font des ravages et impactent négativement la survie de la passiflore qu’ils attaquent, les chenilles très voraces étant les principales consommatrices des passiflores (Benson et al., 1975). Les passiflores –et les plantes de façon général– sont des organismes sessiles ne pouvant pas physiquement fuir les attaques. Certains traits de défenses ont évolué chez les passiflores sous la pression des herbivores et en particulier des chenilles Heliconiini, tel que des trichomes acérés perforant les jeunes chenilles (Gilbert, 1971).

Identifier une plante hôte et dépasser les barrières physiques pré-oviposition

Uns fois accouplée, les femelles Heliconiini arpentent la forêt à la recherche des plantes les plus convenables pour y pondre leurs œufs. La première étape étant de repérer les feuilles de la meilleure espèce de plante hôte parmi la végétation foisonnante et diversifiée. Les feuilles de passiflore ont des morphologies très variées ; limbe simple ou composée, poilue ou non, plus ou moins lobée ou dentée, de forme elliptique, falciforme, hastée, lancéolée, oblongue, ovale, palmée… (Fig. 8) (Wosch et al., 2015). Les feuilles des passiflores peuvent aussi être extrêmement similaires à celles d’espèces éloignées des genres Philodendron et Rubus qui partagent le même habitat (Gilbert, 1982). Ainsi, les espèces de passiflores tirent parfois leur nom en fonction des genres avec lesquels elles partagent des ressemblances morphologiques, tel que Passiflora laurifolia (pour le genre Laurus), P. morifolia (Morus) ou P. vitifolia (Vitis) (Killip, 1938). Sur le terrain il est possible d’observer que les passiflores d’une même localité ont tendance à avoir des morphologies très différentes, et que des variations inter-individuelles et intra-individuelles existent puisque la forme des feuilles peut varier selon le stade développemental (Gilbert, 1982). Les femelles choisissent préférentiellement des passiflores non endommagées avec leurs bourgeons et jeunes tissus intact (Mugrabi-Oliveira & Moreira, 1996a). Chez les passiflores en bonne santé, des variations et nuances de couleurs, souvent blanche ou vert pâle, contrôlées génétiquement peuvent s’exprimer (Fig. 8) (Braglia et al., 2014). Ces variations de couleurs donne l’apparence d’une infection ou d’une attaque par des herbivores (Reeves, 2011; Lev-Yadun, 2018). Chez certaines plantes comme Caladium steudneriifolium (Araceae), il a été montré que ce phénotype bigarré entraine une diminution de l’oviposition des papillons de nuit associés à cette plante (Soltau et al., 2009). Les bigarrures de certaines variétés de P. trifasciata ne rebutent pas les femelles H. erato à pondre (observation personnelle). Bien que de nombreuses espèces de passiflores puissent exhiber un phénotype bigarré, aucune étude n’a testé si cela influence ou diminue le comportement de ponte des femelles Heliconiini. Il a été également proposé que les points de colorations noirs des fleurs de certaines passiflores, puissent évoquer des fourmis, principales prédatrices des chenilles Heliconiini (Fig. 8) (Lev-Yadun, 2009). Bien que les papillons ne pondent pas sur les fleurs et que les chenilles ne les consomment pas, la présence supposée de fourmis décourage les femelles à pondre (Labeyrie et al., 2001).
Les œufs et jeunes chenilles sont vulnérables et la plupart des chenilles d’Heliconiini sont agressives et cannibales (Benson et al., 1975). Les femelles choisissent une plante hôte dépourvue de toute concurrence, améliorant la survie de sa progéniture. Plus de 30 espèces de passiflores présentent des feuilles, pétioles, stipules ou tendrilles modifiés en structures ovoïdes jaunes ressemblant à des œufs des Heliconiini (Fig. 8) (Brown, 1981; Gilbert, 1982). Ces structures ressemblant aux œufs de congénères, sont efficaces dans la diminution de l’oviposition. Une ablation artificielle de ces faux œufs rend les P. cyanea 60% plus attractives et vulnérables vis-à-vis des femelles H. cydno (Williams & Gilbert, 1981). Les espèces, comme H. numata ou H. erato, pondant des œufs solitaires sont susceptibles de se désintéresser des plantes avec de telles structures. En revanche, les espèces dont les chenilles sont grégaires et dont les femelles pondent en groupe comme H. charithonia ou H. doris pourraient être attirées par les plantes exprimant ces éléments jaunes (Benson et al., 1975).
L’efficacité des femelles Heliconiini à sélectionner une plante hôte fait probablement partie des pressions de sélection qui pourrait expliquer l’émergence de tant de diversité morphologique chez les passiflores (Gilbert, 1975, 1982, 1991). Les Heliconiini adultes ont une très bonne vision, de grands yeux avec plus de familles de pigments que les autres papillons et peuvent voir un large spectre lumineux ; des ultraviolets au rouge (440 – 640 nm) (Briscoe & Chittka, 2001; Briscoe et al., 2010; Yuan et al., 2010). Bien que la capacité de voir dans un spectre lumineux étendu semble avoir été sélectionnée en réponse à la communication interspécifique, il ne peut être exclu que cela puisse entrer en jeu lors de l’identification des plantes hôtes (Briscoe et al., 2010; Bybee et al., 2012). Ces papillons peuvent non seulement apprendre et mémoriser les morphologies des feuilles de leurs plantes hôtes, mais également se souvenir de leur localisation et les revisiter (Ehrlich & Gilbert, 1973; Mallet et al., 1987; Dell’Aglio et al., 2016).
Les femelles Heliconiini survolent donc la végétation pour trouver la meilleure plante hôte mais les indices visuels seuls ne suffisent pas à déclencher l’oviposition (Brown, 1981; Gilbert, 1982; Dell’Aglio et al., 2016). Une fois une plante candidate trouvée, les femelles inspectent les feuilles avec leurs antennes, trompe, et leur première paire de pattes avant (chez les Nymphalidae la première paire de pattes est atrophiée et n’a pas de fonction locomotrice) où sont exprimés des chémorécepteurs pour identifier et évaluer la qualité de la plante (Benson et al., 1975; Silva et al., 2018). Chez les insectes les chémorécepteurs sont l’ensemble des récepteurs olfactifs (détection des molécules odorantes), des récepteurs ionotropiques (détection des molécules odorantes et gustatives) et des récepteurs gustatifs (détection des molécules gustatives et du dioxyde de carbone CO2) (Slifer, 1970; Rimal & Lee, 2018). A ce jour, 73 gènes candidats de récepteurs gustatifs, dont 21 spécifiques au genre Heliconius ont été révélé grâce au séquençage du génome d’H. melpomene, mettant ainsi en lumière la prépondérance de ce sens (The Heliconius Genome Consortium et al., 2012; Briscoe et al., 2013). De plus, les femelles expriment une plus grande diversité et abondance de ces récepteurs sur leurs pattes avant par rapport aux mâles (Briscoe et al., 2013).

Adaptations post-oviposition des Heliconiini aux défenses physiques des passiflores

Les feuilles de certaines espèces de passiflores sont couvertes de petites excroissances épidermiques appelées trichomes. Les trichomes sont de tailles variables et peuvent être unicellulaires ou pluricellulaires, glandulaire ou non (Payne, 1978). Les trichomes glandulaires ont des glandes pouvant synthétiser, stocker voire sécréter des métabolites secondaires (Tissier, 2012). Ce type de trichomes est peu fréquent chez les passiflores et n’a à ce jour été décrit que chez 4 espèces : P. clathrata, P. foetida, P. lepidota et P. villosa (Dhawan et al., 2004). La nature des sécrétions de ces trichomes glandulaires reste encore à explorer. P. foetida a des trichomes glandulaires au niveau de ses bractées très ramifiées qui englobent et protègent les fleurs puis fruits. Cette passiflore est la seule connue pour produire des résines (Durkee et al., 1984).

Défenses chimiques des passiflores ; production des médiateurs d’une guerre silencieuse

Les passiflores synthétisent pléthore de métabolites secondaires : des molécules de petit poids moléculaire en générale et qui n’assurent pas les fonctions vitales de la plante. Parmi les familles chimiques synthétisées il y a notamment : des alcaloïdes β–carbolines (Cavin & Bradley, 1988), des flavonoïdes (Echeverri et al., 1991), des saponines (Reginatto et al., 2004), des composés phénoliques (Bennett & Wallsgrove, 1994) et des glucosides cyanogènes qui seront décrits plus en détail (Olafsdottir, Andersen, et al., 1989; Andersen et al., 1998). Bien que ces molécules aient des propriétés anti-herbivores, les chenilles Heliconiini consomment bien souvent les passiflores indépendamment de leur teneur en défense chimique, indice qu’elles peuvent gérer ces métabolites et/ou leurs dérivés (Smiley & Wisdom, 1985).
Les saponines ne sont pas très répandues chez les passiflores et sont décrites dans quelques espèces ; P. alata, P. edulis et P. quadrangulari (Yoshikawa et al., 2000; Reginatto et al., 2001, 2004). La plus abondante, semble être la quadranguloside d’abord isolée chez P. quadrangularis, puis P. alata. Cette molécule pourrait être efficace contre la prédation des Heliconiini puisque une étude montre que Dione juno ne survit pas à la consommation de P. alata et qu’H. erato et H. charithonia refusent de s’alimenter sur P. quadrangularis (Smiley, 1982; Boiça Júnior et al., 2008). Ces résultats sont à nuancer puisque P. alata et P. quadrangularis synthétisent d’autres molécules de défenses et sont au contraire répertoriées comme une plante hôte de D. juno et H. charithonia respectivement (Jiggins, 2016).
Il est probable que la plupart des flavonoïdes n’aient pas d’effet sur les Heliconiini. Jusqu’à présent seule l’ermanine, extrait et purifié des sécrétions résineuses de P. foetida, puis appliqué sur P. quadrangularis et P. molissima est responsable d’une baisse de la prédation par Dione juno (Echeverri et al., 1991).
Les tanins, acide caféique et acide chlorogénique sont des composés phénoliques métabolisés à partir d’acides aminés aromatiques et ayant des propriétés anti-herbivores (Barbehenn et al., 2003). Ils sont décrit chez plusieurs espèces de passiflores (Smiley & Wisdom, 1985; Saravanan et al., 2014). Les tanins –polyphénols hydroxylés– forment des liaisons hydrogènes avec les enzymes digestives ce qui réduit l’absorption des nutriments, mais contrairement aux premières théories formulées, ceci s’observe à forte concentration et chez des mammifères 17 et non chez les insectes (Karowe, 1989; McSweeney et al., 2001). Le pH basique du tube digestif des insectes inhibe la formation de complexe tanin-protéines et le pH a tendance à être plus élevé chez les insectes consommateurs de plantes riches en tanins (Berenbaum, 1980; Barbehenn & Constabel, 2011). Les effets délétères des tanins sont plutôt dus à leur oxydation et la formation d’espèces réactives de l’oxygène responsables d’un stress oxydatif (Halliwell & Gutteridge, 2015)
Chez les passiflores, les alcaloïdes β–carbolines dérivant de l’acide aminé tryptophane sont les plus communs. Une étude sur 91 espèces de passiflores a révélé que plus de la moitié expriment ces alcaloïdes β–carbolines (Abourashed et al., 2003). L’harmalol, harmaline, harman et l’harmine ont des propriétés anti-herbivores contre certaines chenilles de papillons (Cavin & Rodriguez, 1988; Rizwan-ul-Haq et al., 2009). Elevées sur P. biflora ou P. quadrangularis, les chenilles Heliconiini ingèrent les alcaloïdes β–carbolines qui sont soit rapidement excrétés dans les fèces, soit séquestrés jusqu’au stade adulte, et potentiellement transmis aux descendants puisque ces molécules sont également détectées dans les œufs (Cavin & Bradley, 1988). Les papillons des tribus sœurs Heliconiini et Acraeini peuvent séquestrer l’harmine et l’harmane (Cavin & Bradley, 1988). Il n’y a pas d’autre étude sur l’interaction alcaloïdes β–carbolines – Heliconiini et des recherches plus poussées sont nécessaires afin de mieux la comprendre. Les alcaloïdes β–carbolines ne sont pas les seuls phyto-composants séquestrés au stade larvaires par les Heliconiini qui stockent également des glucosides cyanogènes à partir des passiflores (Engler et al., 2000; de Castro, Zagrobelny, et al., 2019).

Convergence évolutive entre herbivores et plantes dans l’acquisition des glucosides cyanogènes en tant que défense chimique

Les glucosides cyanogènes produits par les plantes constituent des défenses chimiques efficaces contre les organismes incapables d’empêcher la cyanogénèse ou d’en gérer les produits. Les glucosides cyanogènes ne sont pas restreint aux plantes, cependant parmi les animaux ils n’ont été répertoriés que chez les arthropodes (Arthropoda), en particulier les myriapodes (Myriapoda), les arachnides (Chelicerata), et chez les insectes coléoptères (Coleoptera) et papillons (Lepidoptera) (Fig. 10) (Bond, 1961; Davis & Nahrstedt, 1982; Brückner et al., 2017). Les arthropodes peuvent séquestrer les métabolites secondaires de leur plante nourricière y compris les glucosides cyanogènes. Alors que la majorité, arachnides, myriapodes et coléoptères ne présentent que des glucosides cyanogènes aromatiques, les papillons possèdent eux des glucosides cyanogènes aliphatiques et cyclopentenoïques (Zagrobelny et al., 2004; de Castro, Zagrobelny, et al., 2019). Certaines punaises (Hemiptera) peuvent séquestrer des cyanolipides à partir des plantes de la famille des Sapindaceae, mais aucun glucoside cyanogène n’a été reporté à ce jour chez ces insectes (Aldrich et al., 1990). Alors que certains myriapodes et papillons peuvent produire des glucosides cyanogènes endogènes, la capacité d’à la fois séquestrer et produire ces molécules semble restreinte aux papillons (Zagrobelny, de Castro, et al., 2018). Les zygènes (Zygaenidae) et Heliconiini sont des exemples majeurs de papillons combinant des colorations vives et aposématiques avec des défenses chimiques (Davis & Nahrstedt, 1982; Zagrobelny, Bak, Thorn Ekstrøm, et al., 2007; Fürstenberg-Hägg et al., 2014). Même s’il manque des données pour de nombreux taxons animaux et végétaux, la distribution éparse des glucosides cyanogènes suggère que leur capacité de biosynthèse a évolué plusieurs fois indépendamment (Jensen et al., 2011; Zagrobelny, de Castro, et al., 2018).
Certaines espèces de mollusques ou d’insectes, comme le papillon Sodptera littoralis ou le criquet Schistocerca gregaria, évitent de s’alimenter sur des plantes cyanogènes (Cooper-Driver & Swain, 1976; Schwarz et al., 1996). D’autres espèces sont indifférentes aux glucosides cyanogènes qui n’influent ni sur leur alimentation ni sur leur comportement reproducteur. C’est le cas du charançon Sitona lepidus (Coleoptera) qui s’alimente aussi bien sur les phénotypes cyanogéniques et non cyanogéniques du trèfle Trifolium repens dont il se nourrit exclusivement des racines à l’état larvaire (Mowat & Clawson, 1996). Si pour certaines espèces d’insectes les glucosides cyanogènes sont des molécules répulsives, pour d’autres ce sont des phagostimulants. En laboratoire, de faibles doses de cyanure stimulent l’alimentation des chenilles de Spodoptera eridania (Brattsten et al., 1983). Le bon déroulement de la croissance et du développement des larves de la zygène de le filipendule dépendent fortement de la présence de glucosides cyanogènes dans leurs plantes hôtes du genre Lotus, et en particulier Lotus corniculatus (Fabaceae) (Zagrobelny, Bak, Thorn Ekstrøm, et al., 2007). Ces expériences révèlent l’étroite interaction et dépendance de certaines espèces hautement spécialisées à leur plante hôte.

Les glucosides cyanogènes sont des phyto-composés cosmopolites et anciens

Plus de 75 glucosides cyanogènes différents ont été catalogués au sein de 130 familles de plantes dans plus de 2650 espèces parmi les filicophytes, les gymnospermes et les angiospermes (Araceae, Asteraceae, Compositae, Convolvulaceae, Euphorbiaceae, Fabaceae, Leguminosae, Linaceae, Passifloraceae, Poaceae, Rosaceae…) (Robinson, 1930; Nahrstedt et al., 1990; Bolarinwa et al., 2016). Cette large distribution parmi les plantes trachéophytes suggère que la capacité de produire de tel composé a été sélectionné il y a au moins 300 millions d’années (Zagrobelny et al., 2004; Bak et al., 2006). Les passiflores peuvent produire une trentaine de glucosides cyanogènes différents des trois classes structurales : aliphatique, aromatique et cyclopenténoïque (Spencer & Seigler, 1987; Jaroszewski et al., 2002; de Castro, Zagrobelny, et al., 2019). Une hypothèse est que les pressions de prédation exercées par les herbivores ont favorisé la diversification des glucosides cyanogènes chez les passiflores (Spencer, 1988). Dans la littérature, il apparaît que les glucosides cyanogènes aliphatiques comme la linamarine et la lotaustraline sont les plus répandus (Zagrobelny, de Castro, et al., 2018). Cette vision peut être biaisée car beaucoup d’études se concentrent sur ces deux composés qui sont très bien caractérisés, dont l’extraction et quantification sont relativement faciles. Linamarine et lotaustraline sont souvent concomitantes car une même enzyme permet d’achever la biosynthèse des deux (Hahlbrock & Conn, 1971; Nahrstedt & Davis, 1983). Au contraire, les glucosides cyanogènes cyclopentenoïques sont restreints à peu quelques familles de plantes proches incluant Achariceae, Malesherbiaceae, Passifloraceae, Salicaceae, Turneraceae et Violaceae, capables de métaboliser le précurseur L-2-cyclopentenyl-glycine (Bjarnholt & Møller, 2008; Zagrobelny, de Castro, et al., 2018).

Les glucosides cyanogènes sont des métabolites secondaires multifonctions

Depuis environ deux siècles les recherches scientifiques ont considérablement amélioré les connaissances sur les métabolites secondaires. Autant chez les plantes que chez les animaux, les glucosides cyanogènes sont impliqués dans différentes voies métaboliques et ne sont plus considérés comme des molécules exclusivement défensives. Les produits de l’hydrolyse du mandelonitrile et prunasine (des glucosides cyanogènes aromatiques) entrent en jeu dans la communication intraspécifique des diplopodes (Myriapoda) (Shear, 2015). Chez les Heliconiini et les Zygaenidae, le mâle transfert à la femelle des glucosides cyanogènes par le biais de son spermatophore en guise de « cadeau nuptial » lors de l’accouplement (Zagrobelny et al., 2014). Des recherches très approfondies sur le papillon zygène de la filipendule, Zygena filipendulae (Zygaenidae), ont montré que le cyanure d’hydrogène, l’acétone et le 2-butanone, qui sont les composés volatiles respectivement issus de la dégradation de la linamarine et lotaustraline, interviennent dans la composition des bouquets phéromonaux des mâles et des femelles (Zagrobelny et al., 2015). Les glucosides cyanogènes sont aussi un critère de sélection dans le choix d’un partenaire sexuel, les femelles Z. filipendulae préférant les mâles avec de fortes teneurs (Zagrobelny, Bak, Olsen, et al., 2007). La production de métabolites secondaires est énergétiquement couteuse. Ainsi, la quantité d’émission de ces composés volatiles est potentiellement un signal honnête de la teneur en glucosides cyanogènes des individus. Audelà de la défense chimique, les glucosides cyanogènes servent également de molécule de stockage et de transport d’azote et sucre aussi bien chez les plantes que les zygènes (Selmar et al., 1988; Sánchez-Pérez et al., 2008; Zagrobelny & Møller, 2011). Par exemple lors du développement des graines de l’arbre à caoutchouc Hevea brasiliensis, la linamarine et lotaustraline sont catabolisées en composés non cyanogènes sans libération de cyanure d’hydrogène hautement toxique (HCN) (Lieberei et al., 1985). Le mandelonitrile un glucoside cyanogène aromatique est métabolisé en acide salicylique chez le pécher Prunus persica (Diaz-Vivancos et al., 2017). Les voies de synthèse des métabolites primaires et secondaires –dont des glucosides cyanogènes– s’entremêlent et sont partagées. Il a été montré que cette innovation évolutive permet de réduire les coûts énergétiques de production de métabolites (Neilson et al., 2013).
Le niveau de production des glucosides cyanogènes est instable et varie au cours du temps, selon l’ontogénèse et la phénologie comme cela a été démontré chez les passiflores (Hay-Roe & Nation, 2007; Gleadow & Møller, 2014). Le métabolisme des glucosides cyanogènes est en fait un trait plastique influencé par les conditions biotiques et abiotiques auxquels fait face chaque plante. Chez le trèfle blanc Trifolium repens, la teneur en linamarine est plus forte le matin qu’en fin de journée, et la quantité de prunasine du toyon de Californie Heteromeles arhutifolia est plus importante au printemps qu’en automne (Dement & Mooney, 1974; Conn, 1978). Chez les rosacées et les espèces des mangroves du genre Pangium (Achariaceae), la quantité totale de glucoside cyanogène diminue progressivement dans les feuilles matures et sont éliminés lors de la sénescence des feuilles (Robinson, 1930). Si les cassaves Manihot sp., font face à de fortes sécheresses, la concentration de linamarine et lotaustraline augmentent dans les tubercules (McKey et al., 2010). Souvent, la présence de glucosides cyanogènes est renforcée dans les graines et les jeunes tissus fragiles comme les méristèmes (Frehner et al., 1990; Forslund et al., 2004; Hay-Roe & Nation, 2007). Les tissus sensibles reproducteurs et de croissance sont exposés et vulnérables aux attaques des herbivores, une allocation des glucosides cyanogènes dans de tels tissus sensibles pourrait être une conséquence de la sélection naturelle filtrant les individus les mieux défendus.

Convergence évolutive entre les plantes et les insectes des voies métaboliques des glucosides cyanogènes

Biosynthèse des glucosides cyanogènes

Les voies de biosynthèse des glucosides cyanogènes aliphatiques ont d’abord été bien étudiée chez les plantes tel que le millet à balai (Sorghum bicolor, Poaceae) (Kahn et al., 1997; Bak et al., 1998; Thorsøe et al., 2005). Les intermédiaires en jeu sont les mêmes chez les plantes et les papillons (Fig. 11A) (Bak et al., 2006; Zagrobelny et al., 2008). Chez les Heliconiini et les zygènes ces voies métaboliques sont supposées orthologues (Chauhan et al., 2013). Les premières étapes, de l’acide aminé à la formation d’une cyanohydrine (ou α-hydroxynitrile) sont catalysées par des enzymes de la famille des P450 (Bak et al., 2006). Les gènes identifiés dans cette conversion sont les cytochromes CYP4505A2 et CYP332A3 chez les zygènes et CYP79 et CYP71 chez les plantes (Bak et al., 1998; Jensen et al., 2011). La cyanohydrine formée est stabilisée par l’ajout d’un sucre, ce qui forme le glucoside cyanogène final. Cette réaction est catalysée par une enzyme de la classe des UDP-glucuronosyltransferase (UDP-Glucose dépendant) ; l’UGT85B chez les plantes et UGT33A1 chez les zygènes. Grâce au séquençage et à l’analyse du génome d’Heliconius melpomene, des gènes candidats impliqués dans cette voie de biosynthèse ont été identifiés (The Heliconius Genome Consortium et al., 2012; Chauhan et al., 2013). Trois cytochromes très proches, de 85 à 88% de similarité de séquence codante, sont susceptibles de catalyser les premières étapes de conversion de l’acide aminé en aldoxime : les CYP4505A4, CYP4505A5 et CYP4505A6. Les réactions de passage de l’aldoxime à la cyanohydrine sont catalysées par le CYP332A1. En revanche aucun gène candidat UDP-G n’a pu être identifié (Zagrobelny, Jensen, et al., 2018).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PROBLEMATIQUE
Chapitre I : Evolution of conspicuousness in defended species involved in Müllerian mimicry
Chapitre II : Variation of chemical compounds in wild Heliconiini reveals ecological factors involved in the evolution of chemical defences in mimetic butterflies
Chapitre III : Environmental and genetic factors shaping chemical defences in aposematic butterflies.
Chapitre IV : Peut-on explorer qualitativement le panel des défenses chimiques des Heliconiini et déterminer leur allocation ?
Chapitre V : Quelles sont les défenses chimiques des papillons mimétiques des Heliconiini ? Diversité des alcaloïdes pyrrolizidiniques des Ithomiini.
DISCUSSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES…

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