La découverte des rayons X par W. Röntgen à la fin du 19ème siècle représente un véritable événement pour le monde de la médecine. Leurs applications à la médecine se développent rapidement en commençant par l’imagerie médicale. Ensuite les médecins s’en emparent pour guérir toutes sortes de maladies, comme la teigne par exemple. Leur utilisation thérapeutique suscite un tel enthousiasme qu’elle laisse peu de place à la suspicion et la prudence. Les médecins croient alors que toutes les maladies vont être guéries avec ces rayonnements mystérieux.
L. Brocq est le premier à exprimer des réserves. Il suggère de n’avoir recours aux rayons X que « quand il n’existe pas d’autre bonne méthode de traitement et quand la nature du mal à soigner est telle que la possibilité d’apparition de radiodermites est négligeable comparativement aux conséquences qu’entraînerait l’évolution de la maladie ». On retrouve ici l’ancêtre du principe de justification. Les nombreux effets secondaires cutanés constatés poussent les physiciens et médecins à la conclusion que la radiothérapie doit être sélective, ciblée et bien dosée. La dosimétrie thérapeutique fait alors son apparition. Toute machine de radiothérapie mise en service doit être obligatoirement munie d’un dispositif permettant d’estimer la dose délivrée au patient. Aujourd’hui deux principes réglementaires balisent l’utilisation médicale des rayonnements : la justification des actes et l’optimisation des expositions. La justification d’un acte de radiothérapie repose sur la décision que l’irradiation constitue le bon traitement de la pathologie. L’optimisation, quant à elle, relève plus d’une démarche de sûreté du traitement. Elle correspond à la mise en place de procédures de contrôle. Alors que la sécurité du traitement n’a pas toujours été un souci dans l’histoire de la physique médicale, il est maintenant évident que l’utilisation médicale des accélérateurs nécessite des contrôles de faisceaux avant que ceux-ci ne parviennent au patient.
Chaque année en France, environ 350 000 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués. Seulement la moitié peut guérir avec les principales thérapeutiques actuelles qui sont : la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie. Utilisée chez plus de 60 % des patients, la radiothérapie conventionnelle de photons ou d’électrons est aujourd’hui bien maîtrisée. Elle est à l’origine de 30 à 40 % des guérisons seule ou en association avec la chimiothérapie. Elle a toutefois un inconvénient : le profil de dépôt de dose des photons. La dose qu’ils déposent au sein des tissus diminue progressivement avec la profondeur traversée. Ce phénomène est particulièrement gênant dans le cas de tumeurs situées en profondeur dans le patient. Le faisceau, pour atteindre la tumeur, doit alors traverser les tissus sains qui s’en trouvent particulièrement irradiés. Apparue au début des années 90, la radiothérapie conformationnelle a révolutionné la pratique de la radiothérapie en diminuant la dose déposée dans les tissus sains situés sur le parcours du faisceau. Plusieurs faisceaux focalisés sur la zone à traiter empruntent différentes directions incidentes. Chacun ne dépose qu’une fraction de la dose totale. Ainsi les tissus sains reçoivent une fraction de la dose tandis que le volume cible reçoit la dose totale. Les dommages causés aux tissus superficiels sont alors minimisés. La radiothérapie conformationnelle a cependant montré ses limites. Par exemple lorsqu’un organe à risque est tout contre le volume cible, voire en partie à l’intérieur, l’utilisation de plusieurs faisceaux ne suffit plus.
Dans ce contexte, l’apparition d’une nouvelle modalité de radiothérapie, appelée « hadronthérapie », représente une ouverture intéressante. Cette thérapeutique utilise des faisceaux de hadrons (le plus souvent protons ou ions carbone 12). La protonthérapie fait référence à la hadronthérapie par protons, tandis que la carbonethérapie est synonyme de hadronthérapie par ions carbone. Excepté les neutrons, le profil de dépôt de dose des hadrons est beaucoup plus avantageux que celui des rayonnements de la radiothérapie conventionnelle décrit précédemment. Il assure une distribution précise de la dose et permet de limiter l’irradiation des tissus sains en amont et de protéger les tissus sains en aval. Les premiers essais cliniques de hadronthérapie ont montré des résultats prometteurs, en particulier sur des tumeurs incurables ou inopérables avec les thérapeutiques actuelles. La hadronthérapie est donc envisagée comme une modalité complémentaire pour certains cas de cancers.
La hadronthérapie par ions carbone apparaît comme la thérapeutique la plus avantageuse en théorie. Elle est envisagée comme une solution du futur pour résoudre le problème de la radiorésistance de certains cancers, notamment ceux qui sont inopérables. La carbonethérapie est cependant de développement plus récent et l’analyse des bénéfices cliniques chez les patients n’a pu débuter que dans un nombre très restreint de centres en raison de la mise en œuvre de structures logistiques complexes et très coûteuses. Alors que la carbonethérapie n’en est qu’à ses prémices, la protonthérapie est considérée aujourd’hui comme un traitement de référence pour un certain nombre de pathologies. Depuis près de vingt ans, deux centres de protonthérapie existent en France à Orsay et à Nice, ils traitent au total environ 800 patients par an.
L’arsenal des thérapeutiques du cancer s’est beaucoup étoffé ces dernières années. De nouvelles modalités sont apparues, telle la protonthérapie, créant ainsi des besoins de recherche et développement dans tous les domaines et notamment dans le domaine du contrôle faisceau. Chaque machine délivrant des rayonnements à usage thérapeutique nécessite des dispositifs de contrôle faisceau adaptés. Les accélérateurs de la protonthérapie ne dérogent pas à la règle. C’est ce besoin en instrumentation utilisée en protonthérapie qui a motivé ce travail de thèse.
Introduction à la protonthérapie et au contrôle faisceau
Au cours de ces dernières années les données sur le cancer ont évolué en France. Des tendances rassurantes se sont confirmées comme la diminution de la mortalité par cancer et d’autres plus inquiétantes se sont imposées comme l’augmentation du taux annuel d’incidence des cancers. Les innovations thérapeutiques n’ont eu de cesse de faire avancer le combat contre le cancer depuis les années 50. Le risque de mourir d’un cancer a considérablement diminué. Un cancer sur deux peut aujourd’hui être vaincu. Même si le nombre de décès par cancer est en constante diminution en France, le cancer reste la première cause de mortalité chez l’homme et la seconde chez la femme. L’Institut National du Cancer estime à 357 5002 les nouveaux cas de cancers en 2010 (203 000 hommes et 154 500 femmes). Les efforts de recherche doivent donc être maintenus.
En cancérologie, la radiothérapie externe fait office de traitement de référence depuis près d’un siècle. Cette technique est aujourd’hui bien maîtrisée et son efficacité n’est plus à démontrer. D’ailleurs sa précision s’est nettement améliorée grâce à la possibilité de coupler plusieurs incidences faisceau et de moduler l’intensité. Quatre à six orientations de faisceau sont utilisées permettant ainsi de mieux conformer la dose à la tumeur.
De nouvelles techniques se sont développées en parallèle. Ces techniques cherchent en priorité à pallier le manque de précision balistique des photons de la radiothérapie externe. Elles visent à délivrer 100 % de la dose à la tumeur et à minimiser la dose aux tissus sains. Dans cet objectif, la protonthérapie s’est révélée très prometteuse. Les protons, munis d’un effet biologique antitumoral légèrement supérieur à celui des photons, présentent d’excellentes propriétés balistiques. La protonthérapie s’avère particulièrement adaptée aux cancers pédiatriques car elle permet de préserver les tissus sains encore en croissance et de diminuer ainsi les séquelles. Si on en parle moins, le cancer chez les enfants est néanmoins une réalité. Il représente la deuxième cause de mortalité (après les accidents) chez les enfants âgés de un à quinze ans dans les pays développés. Un enfant sur 500 sera atteint d’un cancer avant sa seizième année. La protonthérapie se pose donc comme un outil de choix face à ce problème.
Les hadrons, les protons
La radiothérapie conventionnelle avec photons de haute énergie n’a cessé de s’améliorer ces dix dernières années. Les outils d’imagerie, les logiciels de planification de traitement et les équipements permettent aujourd’hui de véritablement conformer le traitement à la tumeur. Toutefois cette technique à des limites, principalement dues à la physique même des rayonnements ionisants utilisés. Avec l’apparition des accélérateurs de particules, le paysage de la radiothérapie s’est diversifié. Le panel des faisceaux de la radiothérapie s’est enrichi de faisceaux de particules du noyau atomique : les hadrons.
Parmi les hadrons, on distingue les neutrons rapides, les protons et les ions dits « lourds » (principalement les ions carbone 12). Les propriétés biologiques intéressantes des neutrons ont rapidement attiré l’attention au début des années 70. Mais cet intérêt n’a duré que quelques années de 1975 à 1985 à cause d’une toxicité tardive liée à l’utilisation de grands champs d’irradiation traversant des tissus graisseux (favorisant les protons de recul). Cette toxicité serait plus maîtrisable à l’heure actuelle. Si les faisceaux de neutrons sont aujourd’hui peu utilisés c’est donc essentiellement à cause de leur manque de précision balistique. Les faisceaux de protons, jouissent d’excellentes propriétés balistiques. Ce sont celles-ci qui ont motivé leur développement initialement. Les faisceaux de protons ont tout d’abord été utilisés pour le traitement de tumeurs spécifiques comme les tumeurs de l’œil puis leurs indications se sont diversifiées. La protonthérapie fait aujourd’hui partie intégrante de l’arsenal de la radiothérapie. Les ions carbone, quant à eux, combinent tous les atouts des hadrons : l’efficacité biologique des neutrons et la précision balistique des protons. Ils pallient à toutes les lacunes des précédentes particules. Toutefois ces avantages ont un coût. En effet les ions carbone nécessitent des équipements lourds et complexes et donc plus coûteux. Cet inconvénient a eu également le désavantage de retarder leur étude clinique. La recherche en carbonethérapie n’est pas aussi avancée que celle en protonthérapie. De nombreuses études restent à mener pour assurer la sécurité d’un traitement par ions carbone. Parmi les hadrons, seuls les protons à l’heure actuelle, sont utilisés en routine pour le traitement de tumeurs.
La hadronthérapie représente aujourd’hui un bénéfice indéniable dans le traitement des tumeurs de localisation critique et de faible radiosensibilité. Ce bénéfice réside dans les propriétés physiques et radiobiologiques des hadrons.
Propriétés physiques
La première propriété physique, commune aux protons et ions carbone, est une excellente précision balistique. La combinaison d’une faible dispersion latérale du faisceau et d’un dépôt de dose en profondeur localisé confère à la hadronthérapie une précision de l’ordre du millimètre dans la délivrance de la dose. La seconde propriété physique est un dépôt d’énergie linéique élevé concernant plus les ions carbone que les protons.
Dispersion latérale
Les hadrons subissent de nombreuses collisions tout au long de leur parcours dans les tissus conduisant à un élargissement latéral du faisceau. Ce phénomène de diffusion multiple reste néanmoins limité. Le faisceau demeure focalisé sur la forme de la tumeur sans trop de dommages latéraux aux tissus environnants. En guise d’illustration, prenons un faisceau de protons que nous qualifierons de parfait (dont l’écart-type en entrée est nul) de 200 MeV ayant traversé 250 mm d’eau. L’écart-type de ce faisceau en sortie de la cible d’eau mesure seulement 4 mm.
Dépôt de dose en profondeur
Plus un hadron est énergétique, plus il traverse une épaisseur donnée de matière rapidement. Ses interactions avec le milieu sont dans ce cas brèves et l’énergie déposée est faible. Toutefois à mesure que la profondeur de matière traversée augmente, l’hadron décélère, ses interactions durent plus longtemps et l’énergie qu’il dépose s’accroît. L’hadron ralentit ainsi jusqu’à s’arrêter et délivrer toute son énergie résiduelle. En terme d’énergie déposée, celle-ci augmente jusqu’à atteindre un maximum en fin de parcours. Ce maximum de dépôt de dose est appelé pic de Bragg, du nom du physicien Sir W. H. Bragg. En 1903, celui-ci étudia l’évolution de la perte d’énergie des radiations ionisantes le long de leur trajectoire dans la matière et démontra ainsi le phénomène que nous venons de décrire [1904-BRA].
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I. Introduction à la protonthérapie et au contrôle faisceau
1 Les hadrons, les protons
1.1 Propriétés physiques
1.1.1 Dispersion latérale
1.1.2 Dépôt de dose en profondeur
1.1.3 Pouvoir d’arrêt et transfert d’énergie linéique
1.2 Propriétés biologiques
1.2.1 Effets à l’échelle atomique puis moléculaire
1.2.2 Coefficient d’efficacité biologique relative
1.2.3 Effet oxygène
1.3 Conclusion des avantages physiques et biologiques
1.4 Inconvénients
1.5 Conclusion
2 Déroulement d’un traitement de protonthérapie
2.1 Contourage de la tumeur
2.2 Planification du traitement
2.2.1 Planification directe
2.2.2 Planification inverse
2.3 Délivrance du traitement
2.3.1 Méthode passive
2.3.2 Méthode active : le Pencil Beam Scanning
2.4 Contrôle et correction
2.4.1 Monitorage faisceau
2.4.2 Contrôles d’assurance qualité
2.5 Conclusion
3 Distribution spatiale de la dose dans le patient
3.1 Expression de la distribution spatiale de la dose
3.2 Mesure de la fluence
3.3 Mesure de l’énergie
3.4 Évaluation de la distribution spatiale de la dose
4 Chambre d’ionisation
4.1 Principe de fonctionnement
4.2 Génération du signal
4.3 Modes de fonctionnement
4.4 Structure de mesure pour les particules traversant le détecteur
5 Motivations de la thèse
5.1 Distinction entre IC2/3 et Compass PT
Chapitre II. L’unité moniteur IC2/3
1 Cahier des charges
2 Description générale
3 Introduction aux tests de caractérisation
3.1 Conditions faisceau
3.2 Électronique, traitement du signal et exploitation
3.2.1 Signal acquis sans faisceau : « le zéro »
3.2.2 Signal acquis en présence du faisceau : « le signal »
3.3 Enchaînement des tests
4 Répétabilité
5 Efficacité de collection de charges
5.1 Tension de fonctionnement
5.2 Phénomènes d’hystérésis
6 Uniformité de réponse
6.1 Pression électrostatique
6.1.1 Expérience réalisée avec un faisceau laser
6.1.2 Problème étendu à un ensemble de films
6.1.3 Conclusion de l’étude de la déflexion électrostatique
6.1.4 Mesure expérimentale de la déflexion électrostatique des structures de mesure d’IC2/3
6.2 Force gravitationnelle
6.3 Pression acoustique
6.3.1 Déformations théoriques
6.3.2 Déformations expérimentales
6.4 Conclusion
7 Linéarité
8 Dispersion angulaire
9 Résolution spatiale
9.1 Faisceau fixe
9.2 Faisceau balayé
9.3 Conclusion
10 Analyse des « ailes »
10.1 Acquisitions à haute fréquence avec le moniteur IC2/3
10.2 Mesure du profil faisceau avec une fibre optique
10.3 Hypothèse de la diffusion des ions
10.4 Hypothèse de la diaphonie entre pistes
11 Bilan des performances atteintes
Chapitre III. Cahier des charges du dispositif de contrôle faisceau Compass PT
1 Les erreurs de délivrance faisceau envisagées
2 Modélisation d’un traitement de protonthérapie
2.1 Difficultés de la modélisation
2.2 Bases de la modélisation
2.3 Méthode d’interpolation
2.4 Forme du faisceau
2.5 Méthode d’optimisation
2.5.1 Solution approchée
2.5.2 Solution optimale
2.6 Cartes de distribution d’intensité des spots
3 Outils d’analyse de la distribution spatiale de dose
3.1 Définition des volumes
3.2 γ index
3.2.1 État de l’art
3.2.2 Définition
3.2.3 Critères du γ index retenus pour la modélisation
3.2.4 Exemple d’une image du γ index
3.3 Histogramme dose-volume
3.3.1 Définition
3.3.2 Critères des histogrammes dose-volume retenus pour la modélisation
3.3.3 Exemple d’une analyse de DVHs
4 Résultats de la modélisation : seuils d’erreur
4.1 Erreurs de balayage
4.1.1 Erreur de positionnement
4.1.2 Défaillance des aimants de balayage
4.2 Erreur de mise en forme faisceau
4.2.1 Critère d’acceptabilité propre à l’étude d’une erreur de mise en forme faisceau
4.2.2 Résultats
4.3 Erreur sur les unités moniteurs
4.4 Erreur d’énergie
5 Spécifications du détecteur
5.1 Spécifications des structures de mesure de dose
5.1.1 Sensibilité
5.1.2 Justesse
5.1.3 Fidélité
5.2 Spécifications des structures de mesure segmentées
5.2.1 Résolution spatiale de la localisation du centroïde faisceau
5.2.2 Résolution spatiale de la mesure des écarts-types faisceau
6 Conclusion
Chapitre IV. Conception du dispositif de contrôle faisceau Compass PT
1 Structure générale
1.1 Épaisseur équivalent-eau
1.1.1 Théorie de Molière
1.1.2 Simulation avec TRIM
1.1.3 Conclusion
1.2 Contraintes mécaniques
1.2.1 Recommandations
2 Structures de mesure de dose
2.1 Répétabilité
2.2 Efficacité de collection de charges
2.3 Linéarité
3 Structures de mesure segmentées
3.1 Modélisation pour la détermination de la largeur optimale des pistes
3.1.1 Description de la modélisation
3.1.2 Ajout d’un bruit
3.1.3 Mesure de la position du centroïde faisceau
3.1.4 Mesure de l’écart-type faisceau
3.1.5 Conclusions de la modélisation
3.2 Confrontation du modèle avec la mesure expérimentale de la résolution spatiale d’IC2/3
3.3 Conclusion
4 Mesure de l’énergie
4.1 Mesure directe
4.1.1 Protocole de test
4.1.2 Protocole d’analyse
4.1.3 Résultats
4.1.4 Interprétation des résultats
4.2 Mesure indirecte
5 Conclusion
Conclusion générale