L’objectif de cette thèse est d’étudier la faisabilité d’un instrument de type LIDAR pour la mesure à courte distance (environ 50 m) de paramètres atmosphériques tels que la vitesse de l’air, sa température, et sa densité.
Le mot LIDAR, acronyme de « Light Detection And Ranging », désigne une méthode de mesure analogue au RADAR (Radio Detection And Ranging) mais adaptée au domaine des longueurs d’onde optiques. On utilise aussi parfois l’expression de « radar laser » pour désigner la technique LIDAR. Bien que paradoxale, cette expression a l’avantage de mettre en avant l’objet fondamental qui est à la base du système : la source laser. La directivité des lasers permet en effet de guider l’énergie lumineuse sur de très longues distances avec une grande résolution spatiale, ce qui en fait un outil de choix pour des applications de télémesure ciblée. Par ailleurs, l’essor constant des sources lasers, en termes de puissance, de qualité spatiale, de qualité spectrale, ainsi que leur diversification en longueurs d’ondes et fonctionnalités, jouent un rôle moteur dans le développement parallèle des techniques LIDAR.
Par extension, le mot « lidar » est devenu un nom commun dans le milieu scientifique, servant à désigner l’instrument physique lui-même. Analogue au radar dans son principe, un lidar est composé d’une source laser dirigée vers une cible dont on mesure l’écho, c’est-à-dire la lumière réfléchie. La cible peut être une cible « dure » : un avion, un véhicule, un sol…toute surface solide, caractérisée par sa réflectivité. Le principal avantage du lidar par rapport au radar est alors sa meilleure résolution spatiale, liée à l’usage de longueurs d’ondes plus courtes. Cependant, les ondes optiques ont un autre avantage par rapport aux ondes radio : celui de pouvoir interagir avec des objets beaucoup plus petits, tels que les particules en suspension dans l’atmosphère (poussières, aérosols), ou même les molécules de gaz. Il est donc possible d’utiliser un lidar pour caractériser un milieu gazeux, et notamment l’atmosphère terrestre. On parle alors d’une cible « volumique », car l’écho lidar est rétrodiffusé au fur et à mesure de la propagation du laser dans l’atmosphère.
C’est à la classe d’instruments des lidars atmosphériques que nous allons nous intéresser dans ce mémoire. Aujourd’hui, les paramètres atmosphériques mesurés par lidar sont des plus variés : vitesse du vent, température, concentrations en aérosols et en diverses espèces chimiques (CO2, ozone, bioaérosols…). Il existe même des réseaux de stations lidars, fonctionnant de concert pour caractériser des phénomènes de grande étendue géographique (EARLINET en Europe), sans parler de la mise en service, récente ou à venir, de lidars spatiaux assurant une couverture géographique encore plus vaste (CALIPSO, ALADIN, ATLID…).
Contrôle des conditions atmosphériques de vol par lidar
Mesure des paramètres air
Tout comme le conducteur de voiture a besoin de connaître sa vitesse pour maîtriser son véhicule, le pilote d’avion a besoin de contrôler divers paramètres aérodynamiques de vol. La communauté industrielle des avionneurs s’accorde à dire que la mesure de « seulement » trois paramètres atmosphériques permettrait de déterminer un grand nombre de propriétés aérodynamique utiles au pilotage. Ces trois paramètres sont nommés les paramètres air : il s’agit de la vitesse air vraie, de la température statique, et de la densité atmosphérique, définis ci-après.
En 2001, une équipe de l’université de Michigan, en partenariat avec l’entreprise Michigan Aerospace, a publié un diagramme illustrant les relations entre ces paramètres air et les paramètres de vol utiles au pilotage[1] A titre d’exemple, une partie de ce diagramme est reproduite en figure 1.1. Quelques définitions permettront d’en faciliter la compréhension :
i) la pression totale est la pression atmosphérique perçue par l’aéronef, somme de la pression statique et de la pression dynamique. La pression statique est celle de l’atmosphère au repos ; la pression dynamique est la surpression perçue par l’aéronef en raison de son déplacement dans l’atmosphère ;
ii) la température totale est la température perçue par l’aéronef, somme de la température statique de l’atmosphère au repos, et de la température d’impact due à l’échauffement cinétique lors du déplacement de l’aéronef ;
iii) le vecteur vitesse air vraie est le vecteur vitesse de l’atmosphère au repos, vu depuis le repère de l’aéronef. Ce vecteur peut être défini par ses valeurs projetées sur trois axes indépendants Vx, Vy, Vz.
Une définition rigoureuse de la mesure des paramètres air serait donc la mesure, à l’infini amont, des 5 grandeurs scalaires que sont les trois composantes du vecteur vitesse de l’air, ainsi que sa température et sa densité. Mais en réalité, du point de vue des avionneurs, il n’est pas forcément nécessaire d’effectuer les mesures à «l’infini amont ». Des mesures à distance plus courte seraient tout aussi valables, puisque les perturbations induites par l’aéronef peuvent être calculées à l’avance pour corriger les mesures de manière adéquate. Cette stratégie ne peut cependant pas être employée à l’immédiate proximité du fuselage, qui peut être le siège d’écoulements turbulents irréguliers. Ainsi, la distance de mesure des paramètres air doit être au minimum de 1 mètre.
Toutefois, force est de constater que les avions volent depuis fort longtemps de manière satisfaisante…et sans lidar à bord pour mesurer les paramètres air ! Pour comprendre quel peut être aujourd’hui l’apport du lidar par rapport à l’instrumentation actuelle, il n’est pas inutile de s’intéresser brièvement à cette dernière. Nous ne prendrons ici qu’un seul exemple, celui de la mesure de vitesse, traditionnellement assurée par les sondes « Pitot ».
La faiblesse de la sonde Pitot réside dans la prise de pression statique. En effet, celle-ci n’est correctement effectuée que si l’écoulement latéral n’est pas perturbé par l’appareil luimême, ce qui n’est jamais le cas. Afin de minimiser les perturbations, les sondes Pitot sont généralement placées au niveau des ailes (pour un avion) ou du nez de l’appareil (pour un hélicoptère), mais dans tous les cas, elles doivent faire l’objet d’un étalonnage précis au sol. Cet étalonnage n’est pas simple, et peut coûter cher (jusqu’à plusieurs centaines d’heures de réglage par avion…) Par ailleurs, il n’est plus valable en cas d’écoulements turbulents, ceuxci étant irréguliers. De tels écoulements peuvent être rencontrés dans certaines configurations de vol, par exemple si l’angle d’attaque est trop important, et notamment dans le domaine des avions militaires, où la manœuvrabilité est essentielle.
L’avantage principal du lidar sur la sonde Pitot est donc de pouvoir effectuer des mesures à distance, et en particulier, dans des zones où les écoulements ne sont pas perturbés par l’aéronef, ou perturbés de manière prévisible et répétable. Cet avantage fondamental a d’ores et déjà été mis en évidence via des systèmes lidars Mie, aux basses et moyennes altitudes, et notamment dans le cadre de campagnes aéroportées sur hélicoptère[2] . Aujourd’hui, on souhaiterait pouvoir généraliser le principe de la mesure lidar au contexte de la haute altitude, avec en plus, si possible, la mesure simultanée de la température statique et de la densité atmosphérique. Ces deux raisons nous invitent à passer du cadre des lidars Mie à celui des lidars Rayleigh.
Détection de turbulences
Les turbulences atmosphériques se caractérisent essentiellement par des fluctuations de vitesse de vent vertical. Toutefois, même sans en arriver jusqu’à un tel niveau de gravité, les turbulences sont aujourd’hui identifiées comme un facteur de danger non négligeable pour les passagers et équipages des vols commerciaux, d’autant plus que le trafic aérien augmente continuellement. Par ailleurs, comme il est impératif que les structures d’avions résistent aux évènements turbulents, les constructeurs sont tenus de concevoir des structures plus solides, mais par conséquent aussi plus lourdes. La détection de la turbulence a donc également un enjeu économique important : celui de pouvoir à terme réduire la masse des structures volantes.
Deux types d’actions peuvent être envisagés en matière de détection de turbulences par lidar :
– soit utiliser un lidar de très longue portée (plusieurs km), de manière à détecter la turbulence suffisamment tôt pour pouvoir l’éviter, ou pour laisser aux passagers le temps de regagner leurs sièges et d’attacher leurs ceintures.
– soit utiliser un lidar de courte portée (50-150 m), permettant de déclencher, en un laps de temps très court, une réponse mécanique intelligente de la structure, via des actuateurs judicieusement placés. La structure pourrait ainsi s’adapter à la turbulence de manière à en limiter l’impact.
Bien entendu, dans les deux cas, il importe que le système lidar soit opérationnel en haute altitude et notamment en configuration dite « d’air clair », où les turbulences sont invisibles à l’œil nu (pas de nuages), et où il n’y a pas assez d’aérosols pour une mesure par lidar Mie. Ceci implique donc à nouveau l’usage d’un lidar Rayleigh.
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Table des matières
Introduction
1 Chapitre 1: Contrôle des conditions atmosphériques de vol par lidar
1.1. Mesure des paramètres air
1.2. Détection de turbulences
2 Chapitre 2 : Diffusion Rayleigh et diffusion Mie dans l’atmosphère
2.1. Diffusion Rayleigh dans l’atmosphère
2.1.1 Diffusion par un dipôle à polarisabilité isotrope
2.1.2 Diffusion par un dipôle à polarisabilité anisotrope
2.1.3 Sections efficaces de rétrodiffusion et de diffusion totale d’une « molécule d’air»
2.1.4 Coefficients de rétrodiffusion et d’extinction de l’air
2.1.5 Effet Doppler
2.1.6 Spectre de la raie Cabannes et effet Rayleigh-Brillouin
2.2. Diffusion de Mie dans l’atmosphère
2.2.1 Sections efficaces de rétrodiffusion et d’extinction des particules
2.2.2 Granulométrie des particules dans l’atmosphère
2.2.3 Coefficients de rétrodiffusion et d’extinction des particules
2.2.4 Spectre de diffusion Mie
2.3. Conclusion du chapitre
3 Chapitre 3 : Propagation et réception du signal lidar
3.1. Propagation de la cible à la pupille de réception
3.1.1 Champ instantané reçu dans la pupille de réception
3.1.2 Phénomène de speckle dans la pupille de réception
3.1.3 Cohérence temporelle du signal lidar
3.1.4 Puissance moyenne reçue par la pupille
3.2. L’approche par l’optique des rayons
3.2.1 Phénomène de vignettage
3.2.2 Modélisation d’un lidar coaxial à réception fibrée
3.3. Conclusion du chapitre
4 Chapitre 4 : Etude comparative de deux techniques d’analyse spectrale
4.1. Cadre de validité de l’étude comparée
4.2. Méthode de calcul des performances
4.3. Performances d’un Analyseur de Spectre Idéal
4.4. Performance d’un Fabry-Perot imageur
4.5. Performances d’un Double Interféromètre de Michelson Imageur (DIMI)
4.5.1 Paramètres et performances du DIMI optimisé pour la mesure de vitesse
4.5.2 Paramètres et performances du DIMI optimisé pour la mesure de température
4.6. Conclusion du chapitre
5 Chapitre 5 : Etude approfondie de l’analyseur DIMI
5.1. Représentation du DIMI comme « analyseur de cohérence » à deux canaux
5.2. Etude de sensibilité des performances
5.2.1 Influence du rapport de diffusion
5.2.2 Influence de la température atmosphérique
5.2.3 Influence du signal de fond solaire
5.2.4 Influence des facteurs de contraste instrumentaux
5.3. Calcul et méthode d’optimisation du contraste de frange
5.3.1 Trois facteurs de contrastes non limitants
5.3.2 Facteur de contraste lié au champ angulaire de la source
5.3.3 Principe et mise en œuvre de la compensation de champ
5.4. Simulation et estimation du signal d’un DIMI
5.4.1 Simulation de figures de franges
5.4.2 Estimation par maximum de vraisemblance (MV) : principe et algorithme
5.4.3 Performances statistiques de l’estimateur MV
5.4.4 Sensibilité de l’estimation au modèle de spectre Rayleigh-Brillouin
5.5. Conclusion du chapitre
6 Chapitre 6 :Développement d’un lidar pour la mesure de vent
6.1. Conception d’un instrument adapté aux contraintes métrologiques
6.1.1 Sensibilité métrologique de la mesure de phase
6.1.2 L’instrument réalisé et ses principaux modules
6.2. Traitement de signal des franges d’interférences
6.2.1 Modèle de franges à 5 paramètres
6.2.2 Pré-estimation des paramètres de franges par transformée de Fourier
6.2.3 Statistiques des signaux enregistrés
6.2.4 Estimation conjointe par MV des figures de franges
6.2.5 Bornes de Cramer-Rao et influence du bruit sur l’estimation de la phase
6.2.6 Vérification des performances du traitement de signal sur des signaux de synthèse
6.2.7 Traitement de signal adapté aux expériences de jour
6.3. Résultats expérimentaux
6.3.1 Caractérisation des paramètres du speckle créé par les fibres optiques
6.3.2 Réglage de l’interféromètre en champ compensé
6.3.3 Mesure du « zéro Doppler » et caractérisation de la stabilité de l’instrument
6.3.4 Calibration de l’instrument sur cible dure
6.3.5 Mesure du signal Rayleigh atmosphérique et détection de rafales
7 Conclusion générale
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