La phase-M de division cellulaire
La phase-M correspond à la division physique de la cellule mère en deux cellules filles. Comme décrit précédemment, deux types de division cellulaire coexistent dans le mode vivant : la mitose et la méiose. Bien que les objectifs de la mitose et de la méiose soient distincts, production de deux cellules filles génétiquement identiques versus formation de gamètes fécondables génétiquement différents, ces deux modes de division cellulaire ont des étapes et des mécanismes de contrôle en commun. Certains de ces mécanismes ont été adaptés pour assurer les spécificités de la division cellulaire méiotique, en particulier la séparation des chromosomes homologues et l’absence de phase-S intercalaire. Sur la base d’observations cytologiques, la mitose est classiquement divisée en quatre phases : la prophase, la métaphase, l’anaphase et la télophase (Figure 2). En prophase, les chromosomes se condensent et s’individualisent. L’attachement le long des bras des chromatides sœurs disparaît et seul l’appariement au niveau des centromères est conservé. Ce processus s’accompagne de la formation des kinétochores qui permettront lors de la mitose d’attacher les chromosomes aux microtubules du fuseau de division. Les deux centrosomes migrent de part et d’autre du noyau, préfigurant les deux pôles du futur fuseau de division. En début de métaphase, ou prométaphase, l’enveloppe nucléaire se rompt et les membranes cellulaires internes, Golgi et réticulum endoplasmique, se fragmentent en vésicules. Les microtubules se réorganisent sous la forme de trois réseaux microtubulaires : les microtubules kinétochoriens (assurent la liaison centromères/pôle du fuseau), interpolaires (entre les deux pôles pour maintenir la bipolarité) et astraux (émanant du pôle du fuseau vers le cortex cellulaire où ils vont s’ancrer) pour former le fuseau de division bipolaire. Les premiers chromosomes sont alors capturés par des microtubules et se mettent à osciller sur le plan médian du fuseau d’un pôle à l’autre. Une fois que tous les chromosomes sont correctement attachés de manière bipolaire, ils s’alignent au niveau de la plaque équatoriale du fuseau. La cellule est alors en métaphase. L’anaphase débute avec la perte de la cohésion centromérique et la dépolymérisation des microtubules kinétochoriens. Les chromatides sœurs sont ainsi séparées et migrent vers les pôles opposés de la cellule (anaphase A). Les pôles du fuseau s’éloignent ensuite l’un de l’autre grâce à la polymérisation des microtubules interpolaires (anaphase B). La membrane plasmique commence à s’invaginer au niveau du plan équatorial, prélude au sillon de division. Lorsque les chromatides ont atteint les pôles du fuseau, la télophase marque le début de la division physique des deux cellules filles. Les chromosomes se décondensent. L’enveloppe nucléaire se reforme autour des deux lots de chromosomes et le sillon de division se contracte pour la cytocinèse.
Les mécanismes de surveillance
Les mécanismes de surveillance interviennent à trois moments clés du cycle cellulaire : en phase-G1, en phase-G2 et en métaphase. En phase-G1, le point « R » (pour restriction) chez les eucaryotes supérieurs ou START chez la levure contrôle les conditions environnementales, la taille et la composition cellulaire, ce qui détermine si la cellule peut s’engager dans un nouveau cycle. En phase-G2, la réplication et l’intégrité de l’ADN sont contrôlées. En métaphase, le point de contrôle du fuseau (ou SAC pour Spindle-Assembly Checkpoint) vérifie l’attachement bilatéral des chromosomes au fuseau mitotique. Ce rétrocontrôle prévient ainsi toute ségrégation asymétrique des chromatides, susceptible de générer des cellules-filles aneuploïdes. Enfin, certains de ces mécanismes sont activés tout au long du cycle cellulaire lorsque l’ADN est endommagé, en particulier avant, pendant et après la réplication de l’ADN. Ces rétrocontrôles font intervenir des protéines « senseurs » qui détectent les anomalies et activent deux types de voies : l’une conduit à la réparation des anomalies et l’autre inhibe les complexes CDK-Cycline. Le cycle cellulaire est ainsi temporairement bloqué pour donner le temps de réparer l’anomalie détectée. Si les dommages sont trop importants, la cellule s’engage vers l’apoptose. Curieusement, certains types cellulaires sont dépourvus de ces points de surveillance, comme les premiers cycles embryonnaires qui suivent la fécondation.
Structure de Cdk1
L’analyse cristallographique de Cdk2 a permis de comprendre la structure tridimensionnelle des CDKs (Jeffrey et al., 1995). Dans leur conformation inactive, ces protéines sont organisées en deux lobes : un petit lobe N-terminal et un grand lobe C-terminal. Le premier lobe possède la séquence caractéristique des CDKs, le motif PSTAIRE. Ces deux lobes sont connectés par une région flexible contenant le site de liaison de l’ATP, la P-loop, et une boucle d’activation, la T-loop, à proximité du site de phosphorylation, T160 de Cdk2 et T161 de Cdk1. Lorsque Cdk1et Cdk2 sont inactives, la P-loop est bloquée par la T-loop. L’activation des CDKs se fait par des changements conformationnels de la T-loop puis de la Ploop qui permettent aux substrats des CDKs et à l’ATP d’accéder au site actif de la kinase.
Les kinases Wee1/Myt1
Wee1 est la première kinase ciblant Y15 à avoir été caractérisée chez la levure et dans des extraits de xénope (McGowan and Russell, 1993; Mueller et al., 1995b; Parker et al., 1992; Parker and Piwnica-Worms, 1992). Chez les eucaryotes supérieurs, la phosphorylation de T14 et de Y15 fait intervenir une seconde kinase, Myt1 (Booher et al., 1997; Fattaey and Booher, 1997; Liu et al., 1997; Mueller et al., 1995b). Cette kinase a été identifiée dans des extraits de xénope et correspond à une protéine membranaire associée au réticulum endoplasmique (Kornbluth et al., 1994; Mueller et al., 1995b ). Elle est retrouvée chez de nombreuses espèces (homme, souris, étoile de mer, drosophile, C. elegans et xénope) et semble impliquée dans la transition G2/M des cellules germinales mâles et femelles ainsi que dans les cellules en prolifération (Burrows et al., 2006; Cornwell et al., 2002; Liu et al., 1999b; Okumura et al., 2002). Wee1 et Myt1 phosphorylent leur substrat lors de son association avec la Cycline B et ne reconnaissent pas sa forme monomérique. En l’absence d’activité de Cdc25, Wee1 et Myt1 phosphorylent et inactivent Cdk1 tout au long de la phase-G2 au fur et à mesure que la Cycline B s’accumule. Les complexes Cdk2-Cycline A ne seraient pas de bons substrats de Wee1 et Myt1, expliquant leur activité en phase-S.
PP2A
PP2A est un hétérotrimère composé d’une sous-unité catalytique (PP2A-C), d’une sousunité structurale (PP2A-A) et d’une sous-unité régulatrice (PP2A-B) (Figure 4). Chez les eucaryotes supérieurs, PP2A-C est exprimée sous deux isoformes, a et b, qui présentent 97% d’homologie de séquence. Chez les vertébrés, il existe 16 sous-unités PP2A-B réparties en 4 sous-familles : B/B55 (PR55) avec 4 isoformes (a, b, g, d), B’/B56 (PR61) avec 5 isoformes (a, b, g, d, e), B’’/B72 avec 4 isoformes et B’’’/Striatin avec 3 isoformes (Nasa and Kettenbach, 2018). La plupart de ces différentes isoformes sont cependant spécifiques aux vertébrés, en particulier pour les sous-unités B55 et B56 (Booker and DeLong, 2017). PP2A-C sous forme monomérique n’a pas d’activité phosphatase. Pour être active, elle s’associe à PP2A-A par l’intermédiaire de motifs répétés en tandem HEAT (huntingtingelongation-A subunit target of rapamycin) présents chez PP2A-A. Le dimère PP2A-A/C constitue le cœur de l’enzyme mais son activité est très peu spécifique. La spécificité de substrat ainsi que la localisation intracellulaire sont déterminées par l’association d’une sous-unité régulatrice au dimère. Cette association implique particulièrement PP2A-A et l’extrémité Cterminale de PP2A-C, qui possède une séquence très conservée entre les résidus 304 et 309, le motif TPDYL, qui stabilise l’holoenzyme (Janssens et al., 2008). Ce motif est soumis à plusieurs modifications post-traductionnelles qui, selon la sous-unité régulatrice concernée, sont nécessaires ou non à la formation du trimère. En particulier, la méthylation de la L309 est requise pour l’interaction de PP2A-A/C avec B55 alors qu’elle est sans effet sur l’association aux autres sous-unités régulatrices. A l’inverse, la phosphorylation des résidus T304 et Y307 déstabilise la formation de l’holoenzyme PP2A-B55 en faveur de PP2A-B56 et de PP2A-B72. Si ces modifications sont importantes pour la formation et la régulation de l’activité de PP2A in vivo, elles ne semblent pas nécessaires in vitro (Ikehara et al., 2007; Nunbhakdi-Craig et al., 2007). La reconnaissance des substrats qui sont déphosphorylés par PP2A fait intervenir différents motifs consensus. Ces motifs sont spécifiques à certains isoformes de PP2A et ont été récemment identifiés par des approches in silico, bioinformatique et de protéomique. Il semble donc maintenant possible de prédire sur la base de la séquence l’ensemble des substrats qui seront déphosphorylés par une phosphatase donnée au cours du cycle. Ainsi, les sous-unités B56 reconnaissent le motif SLiMs “LxxIxE”, alors que B55 cible préférentiellement des substrats arborant de part et d’autre du résidu à déphosphoryler des motifs polybasiques chargés positivement (Cundell et al., 2016; Hertz et al., 2016; Wang et al., 2016). De plus, la phosphorylation de résidus adjacents à ces motifs peut augmenter la liaison de PP2A au substrat, contrôlant ainsi les interactions entre phosphatases et substrats localement et temporellement. Par exemple, PP2A-B56 interagit au niveau des kinétochores avec la protéine du SAC, BubR1, car son motif LxxIxE est uniquement phosphorylé dans les molécules de BubR1 localisées à cet endroit (Elowe et al., 2010; Huang et al., 2008; Kruse et al., 2013). Enfin, certains sites de liaison pour les PPPs sont créés suite à la phosphorylation du substrat, comme cela a été décrit pour la phosphatase PP2A-B56 et son substrat Erp1 dans l’ovocyte de xénope (Isoda et al., 2011) (voir Chapitre III). Outre les motifs de reconnaissance de substrats, les isoformes de PP2A présentent des affinités et donc des activités différentielles de déphosphorylation des résidus sérines et thréonines, qui sont fonction de la séquence adjacente au site de déphosphorylation. Ainsi, PP2A-B55 cible préférentiellement les phospho-thréonines plutôt que les phospho-sérines, une caractéristique généralement conservée pour les autres PPPs (Godfrey et al., 2017). L’ensemble de ces régulations permettent ainsi à une isoforme donnée de PP2A de déphosphoryler des substrats de manière non seulement spécifique mais avec des cinétiques différentielles afin d’assurer la parfaite synchronisation tant spatiale quetemporelle des événements de la division cellulaire (Cundell et al., 2016; Godfrey et al., 2017; Hein et al., 2017).
PP4 et PP6
PP4 et PP6 sont également impliquées dans la division cellulaire mais leur structure, leur fonction et leur régulation sont moins bien comprises. En raison de la forte homologie de séquence avec PP2A, environ 60% chez l’homme (Tomiyama and Ichimura, 2019), PP4 et PP6 sont classées dans la sous-famille des PLPs (PP2A-like phosphatases). Comme PP2A, elles agissent sous la forme d’hétérodimères ou d’hétérotrimères en s’associant à une ou deux sousunités régulatrices (Nasa and Kettenbach, 2018). En interphase, PP4 est associée à la chromatine dans le noyau et au niveau des centrosomes. Au cours du cycle cellulaire, son activité a été impliquée dans la régulation de la réplication de l’ADN (Chowdhury et al., 2008; Villoria et al., 2019), la réponse cellulaire à l’ADN endommagé (Lee et al., 2012; Nakada et al., 2008), la maturation des centrosomes ainsi que la nucléation et l’organisation des microtubules chez les mammifères, la drosophile et C. elegans (Helps et al., 1998; Sumiyoshi et al., 2002; Toyo-oka et al., 2008). Par ailleurs, elle régulerait la perte de cohésion des chromosomes chez la levure en mitose (Birot et al., 2017). In vitro, PP4 est capable de déphosphoryler Cdc20, Cdc25A et Cdc25B par l’intermédiaire d’un motif consensus de liaison FxxP (Ueki et al., 2019). PP6 a été impliquée dans la réparation de l’ADN, le développement lymphocytaire, la tumorigenèse et la régulation de la taille des organes (Ohama, 2019). Lors du cycle cellulaire, son inactivation conduit à trois phénotypes principaux plus ou moins prononcés selon le modèle étudié : un blocage en phase-G1, un arrêt en phase-S et une mitose anormale (Ohama, 2019). En particulier, PP6 participerait à la ségrégation des chromosomes, une fonction qui semble conservée de la levure jusqu’à l’homme. Ainsi, elle contrôle la phosphorylation activatrice d’Aurora A dans les cellules humaines et régule l’organisation du fuseau et la dynamique des microtubules lors de l’anaphase chez C. elegans (Afshar et al., 2010; Hammond et al., 2013; Zeng et al., 2010). Chez la souris, elle préserve l’intégrité de l’ADN dans les ovocytes en prophase et contribue à la sortie de l’arrêt en métaphase II (Hu et al., 2016; Hu et al., 2015). En termes d’activation de Cdk1, aucune donnée de la littérature n’indique que ces deux phosphatases participent à l’entrée de la division cellulaire.
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Table des matières
I. Introduction : Cycle cellulaire et division
A. LES DIFFERENTES PHASES DU CYCLE
1. L’interphase
2. La phase-M de division cellulaire
B. COORDINATION DES DIFFERENTES PHASES
1. Complexes Cdk-Cycline : chefs d’orchestre du cycle cellulaire
a) La famille des CDKs
b) Les différents complexes CDK-Cycline au cours du cycle cellulaire
2. Les mécanismes de surveillance
C. LES DIVISIONS MEIOTIQUES DE L’OVOCYTE
II. Les kinases et les phosphatases de la phase-M
A. CDK1, KINASE PIVOT DE LA PHASE-M
1. Structure de Cdk1
2. Régulation de l’activité Cdk1
a) L’association aux Cyclines
b) La phosphorylation activatrice
c) Les phosphorylations inhibitrices
i. Les kinases Wee1/Myt1
ii. Les phosphatases Cdc25s
B. LES PHOSPHATASES ET LE CONTROLE DE LA PHASE-M
1. Les tyrosines phosphatases
2. Les sérine/thréonine phosphatases
a) PP1
b) PP2A
c) PP4 et PP6
C. CONTROLE MOLECULAIRE DE LA PHASE-M
1. L’entrée en phase-M
a) Activation des complexes Cdk1-Cycline B
i. L’équilibre Wee1/myt1 et Cdc25
ii. Greatwall et PP2A-B55δ
iii. Le signal déclencheur de l’entrée en phase-M
b) La phosphorylation des substrats mitotiques
2. La sortie de phase-M
a) Les dégradations protéiques
i. Cyclines, séparation des chromosomes et APC/C
ii. La régulation de l’APC/C
b) La déphosphorylation des substrats mitotiques
III.La division méiotique ovocytaire
A. LA MATURATION MEIOTIQUE DE L’OVOCYTE
1. Évènements structuraux de la maturation méiotique
2. MPF et CSF, les deux activités qui rythment la maturation méiotique
B. L’ARRET EN PROPHASE I
1. État de Cdk1 et de ses régulateurs en prophase
2. Le verrou AMPc-PKA
C. LA REPRISE DE LA MEIOSE
1. Les signaux déclencheurs de la reprise de la méiose
2. La signalisation ovocytaire responsable de la reprise de la méiose
a) La chute de l’AMPc et l’inhibition de PKA
b) La synthèse de nouvelles protéines critiques pour l’activation de Cdk1
i. Les Cyclines
ii. Mos
iii. RINGO/Speedy
iv. Deux protéines, deux voies fonctionnellement redondantes
3. Mécanisme d’activation de Cdk1 en deux étapes
a) L’activation initiale de Cdk1
i. L’inhibition de Myt1
ii. Cdc25 : PKA et Plx1
b) L’auto-amplification de Cdk1
i. Régulation de Cdc25
ii. Myt1
iii. Inhibition de PP2A-B55δ par Greatwall
D. LA TRANSITION MI-MII ET L’ARRET CSF
1. La transition MI-MII
2. Arrêt en métaphase II et fécondation
IV. Arpp19, au cœur de la décision cellulaire d’entrer en division
A. LA FAMILLE DES ENDOSULFINES
1. Découverte, expression et localisation
2. Structure et sites de phosphorylation des Endosulfines
B. FONCTIONS DES ENDOSULFINES
1. Cycle cellulaire
2. Entrée en quiescence
3. Modèles post-mitotiques
C. ARPP19 ET LA MATURATION MEIOTIQUE
1. Les phosphorylations d’Arpp19 sur la S109 et la S67 en prophase et lors de la reprise de la méiose
2. Analyse fonctionnelle des phosphorylations dans l’ovocyte
a) La phosphorylation par PKA
b) La phosphorylation par Greatwall
c) La phosphorylation par Cdk1
3. Arpp19 et l’activation de Cdk1 dans l’ovocyte de xénope
V. Identification de la phosphatase qui cible Arpp19 lors de la reprise de la méiose
A. LES PHOSPHATASES DANS L’OVOCYTE DE XENOPE
B. RESULTATS
1. La phosphorylation S109, un équilibre entre PKA et PPS109 en prophase
2. PPS109 correspond à PP2A-B55
a) Identification de PPS109
b) Validation de l’identité de PPS109 in vitro et in vivo
3. L’activité de PP2A-B55 n’est pas régulée par la progestérone dans les étapes précoces de reprise de la méiose
C. DISCUSSION ET PERSPECTIVES
1. PP2A-B55a/d versus PP2A-B56
a) In vitro et en extraits
b) B55 et B56, quelle contribution dans l’ovocyte ?
2. L’équilibre PKA/PP2A-B55a/d en prophase
3. Quels mécanismes sous le contrôle d’Arpp19 ?
a) Arpp19 phosphorylée par PKA peut-elle réguler l’activité de PP2A B55a/d ?
b) Arpp19 et la synthèse protéique
c) Arpp19 et la localisation intracellulaire des acteurs de Cdk1
Bibliographie
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