Contrôle de l’activité de la myosine VI par ses partenaires cellulaires
Les moteurs cytosquelettiques
Dans toutes les cellules ont lieu des processus impliquant une motilité intracellulaire, par exemple dans le déplacement des vésicules et des organites, la mise en place des compartiments membranaires et la cytocinèse. La force mécanique nécessaire pour réaliser ces fonctions peut être générée de diverses façons. Une des plus importantes correspond aux moteurs cytosquelettiques capables dǯassurer de nombreuses fonctions de motilité. Ces moteurs moléculaires se déplacent le long du cytosquelette en transformant lǯénergie chimique obtenue par lǯhydrolyse de lǯATP en énergie mécanique, grâce à des changements conformationnels. Trois types de moteurs cytosquelettiques ont été décrits jusquǯà présent : les kinésines et les dynéines, qui se déplacent le long des microtubules ; et les myosines, qui sǯassocient aux microfilaments dǯactine (F-actine) (Akhmanova and Hammer III, 2010). Selon un modèle simple du trafic intracellulaire, les microtubules, longs ȋ>ʹͷ μmȌ et organisés radialement dans la cellule (figure 1), permettent le trafic rapide à longue distance entre la périphérie et le noyau. ③u fait de leur taille ȋ<ͳ μmȌ et leur disposition en réseau, les microfilaments dǯactine assurent le trafic local, plus lent, entre les microtubules et les divers compartiments de la cellule, notamment la membrane plasmatique (Langford, 1995). Les microtubules et les microfilaments dǯactine sont des structures polarisées : elles possèdent une extrémité positive (à croissance rapide) et une négative (à croissance lente). Cette polarisation définit le sens du mouvement des moteurs moléculaires, car la plupart des kinésines et des myosines se déplacent vers le pôle positif, alors que toutes les dynéines étudiées se dirigent vers le pôle négatif (Langford, 1995). La collaboration entre ces deux systèmes permet le transport de vésicules et dǯautres cargos à un endroit précis et à un moment donné (Gross et al., 2002; Tabb et al., 1998).
Tandis que la diffusion thermique est suffisante pour le transport de petites molécules comme lǯATP ou lǯacetyl-②oA, certaines structures ont besoin dǯun transport actif à lǯintérieur des cellules. Dans ce sens, les moteurs cytosquelettiques coopèrent au sein des cellules pour établir et maintenir lǯorganisation des cellules eucaryotes en assurant la localisation spécifique de protéines, de vésicules ou dǯorganites dans le cytoplasme, lǯadressage de macromolécules vers les membranes (plasmique ou internes), la formation de vésicules, lǯexocytose et lǯendocytose… )ls ont également un rôle clé dans la division et la migration cellulaires (Akhmanova and Hammer III, 2010; Geisbrecht and Montell, 2002; Ross et al., 2008; Woolner and Bement, 2009; Yoshida et al., 2004).
Les myosines
Les myosines constituent une superfamille de moteurs moléculaires dépendants de lǯactine (figure 2) qui comprend jusqu’à ce jour 45 classes différentes (Odronitz and Kollmar, 2007; Pasha et al., 2016). La plupart des classes de myosines sont ubiquitaires parmi les Eucaryotes: ainsi les myosines de classes I et II ont été retrouvées dans tous les types étudiés, des organismes unicellulaires aux plus complexes. Elles participent à la division et à la polarisation cellulaire. ③ǯautres gènes de myosines plus spécifiques sont responsables de la contraction musculaire, de la transduction de signaux ou bien encore du transport spécifique de biomolécules, de vésicules et dǯorganites (Hartman et al., 2011).
Les myosines sont classées en « conventionnelles » et « non conventionnelles ». Les conventionnelles correspondent aux myosines de classe II, et sont les premières à avoir été caractérisées (Sellers, 2000). Elles forment des filaments qui peuvent glisser le long des microfilaments dǯactine en produisant ainsi une contraction. ④lles sont entre autres impliquées dans la contraction musculaire et la cytocinèse (Spudich, 2001). Les autres classes de myosines, appelées « non conventionnelles» ne forment pas des filaments, et agissent en tant que molécules isolées. Elles constituent des classes de myosines diverses, responsables de nombreuses fonctions dans la superfamille. ②ǯest le cas des myosines V et VI, qui sont des moteurs processifs, cǯest-à-dire capables dǯeffectuer plusieurs pas le long de filaments dǯactine en transportant des cargos (Woolner and Bement, 2009).
Les myosines sont constituées dǯune longue chaine polypeptidique nommée « chaine lourde ». Elles possèdent trois domaines structuraux successifs :
1. Le domaine moteur, dǯenviron ͺͲk③a est responsable de lǯhydrolyse du MgATP. Il comporte également le site dǯinteraction avec lǯactine, mais son affinité pour le filament dépend de lǯétat structural/biochimique du moteur, selon le nucléotide présent dans le site actif.
2. Le cou, ou bras de levier ou encore domaine régulateur : il comporte les sites de fixation des chaînes légères qui appartiennent à la famille de la calmoduline. Selon la classe de myosine, un nombre variable de chaînes légères sont fixées sur la chaine lourde. Les chaînes légères se lient à une séquence consensus ([I,L,V]QxxxRGxxx[R,K]) nommée « motif IQ ». Ce domaine permet lǯamplification des changements conformationnels du domaine moteur et joue un rôle important dans la régulation du moteur (Houdusse et al., 1996).
3. La queue, correspondant à la partie C-terminale des myosines, est très variable selon la classe étudiée. ④lle est souvent capable dǯinduire la dimérisation de la protéine, et joue un rôle majeur dans la régulation de son activité ainsi que dans son recrutement. La divergence structurale de la queue permet la reconnaissance de cargos cellulaires spécifiques par ces diverses myosines.
Bien que les différentes classes de myosines aient des rôles très distincts, le domaine moteur et son mécanisme dǯaction sont très conservés (Sellers, 2000; Sweeney and Houdusse, 2010a). Le cycle catalytique du domaine moteur comprend plusieurs états fonctionnels successifs et plusieurs états structuraux ont été déterminés à haute résolution (figure 4), les mieux caractérisés étant lǯétat « rigueur» (la myosine est dépourvue de nucléotide et est fortement associée à la F actineȌ, lǯétat « post-rigueur » (avec une molécule de MgATP dans le site actif) et le « pre-powerstroke » (avec MgATP ou ses produits dǯhydrolyse, MgADP et Pi, dans le site actif) (Houdusse and Sweeney, 2016). Les changements conformationnels associés à lǯhydrolyse du MgATP et au relâchement successif des produits de cette hydrolyse sont utilisés par les myosines afin de générer une force, transformant ainsi lǯénergie chimique de lǯATP en énergie mécanique. Pour transporter des cargos en tant que moteur unique, ces protéines doivent être processives, cǯest-à-dire, capables dǯeffectuer plusieurs pas sur les filaments dǯactine avant de sǯen détacher. ②ette caractéristique sǯapplique en général aux myosines dimériques, car la dimérisation permet lǯassociation et la coordination de deux domaines moteurs pour « marcher » le long des microfilaments avec au moins une tête toujours associée à lǯactine (figure 5) (Houdusse and Sweeney, 2016; Sweeney and Houdusse, 2010b; Woolner and Bement, 2009).
La myosine VI
La myosine VI fut découverte en 1992 dans les cellules de Drosophila melanogaster (Kellerman and Miller, 1992). Ultérieurement, il a été démontré que cette myosine (initialement nommée 95F MHC) était étroitement associée à des particules se déplaçant le long des filaments dǯactine (Bohrmann, 1997; Mermall et al., 1994) et quǯelle se localisait dans des régions de la cellule riches en actine (Biemesderfer et al., 2002). Lors de sa découverte, elle fut impliquée dans la migration des cellules du follicule et la maturation des disques imaginaux chez la Drosophile (Deng et al., 1999). Depuis, elle a été trouvée dans tous les métazoaires, du nématode Caenorhabditis elegans à lǯhumain. Elle est aussi exprimée chez les choanoflagellés, les filastériens et les apusozoa, mais elle est absente chez les champignons et les amibes (Sebé-Pedrós et al., 2014). La principale particularité de la myosine V) est quǯelle possède une directionnalité de mouvement en sens opposé de toutes les autres myosines, cǯest-à-dire, elle se dirige vers lǯextrémité négative des filaments dǯactine (Wells et al., 1999). Elle est la seule myosine décrite jusquǯà présent avec cette caractéristique, ce qui lui permet dǯeffectuer des fonctions différentes de celles des autres myosines.
La tête de la myosine VI
La tête de la myosine VI possède deux inserts uniques dans la superfamille des myosines :
L’insert ͳ, près du site de liaison du nucléotide (MgATP, MgADP.Pi ou MgADP) du domaine moteur, est responsable de propriétés cinétiques spécifiques de la myosine VI. Lǯinsert ͳ ralentit la vitesse de fixation de lǯATP dans le site actif, paramètre important pour la coordination mécanique (« gating ») entre les deux têtes du dimère de myosine VI. Cette coordination est essentielle pour un mouvement processif (Ménétrey et al., 2005; Pylypenko et al., 2011).
L’insert ʹ (figure 6), quant à lui, fait partie du convertisseur de la tête de la myosine et possède un site de fixation à la calmoduline (Bahloul et al., 2004; Ménétrey et al., 2005). Le rôle du convertisseur est dǯamplifier et de transmettre les changements conformationnels du domaine moteur vers le reste de la myosine. Le complexe formé par lǯinsert et la molécule de calmoduline interagit étroitement avec le convertisseur et le contourne, imposant ainsi une orientation du bras de levier modifiée de 120° par rapport aux autres myosines (figure 7Ȍ. La calmoduline recrutée par lǯinsert ʹ interagit également avec le convertisseur et contribue au maintien de cette nouvelle direction. Ceci explique le changement de directionnalité de la myosine VI (Ménétrey et al., 2005). Des expériences avec des mutants et des chimères ont révélé que lǯinsert ʹ est en fait le seul déterminant de la directionnalité inverse, et que sans cet insert la myosine V) se dirige vers lǯextrémité positive des microfilaments dǯactine (Park et al., 2007).
Il a été important dǯétablir que les changements conformationnels et le mécanisme de production de force de la myosine VI est similaire à ce qui avait été décrit pour les autres myosines, malgré la directionnalité contraire. Lǯobtention des structures de la myosine V) à haute résolution par le laboratoire « Motilité Structurale » a été déterminante pour le démontrer (Ménétrey et al., 2005, 2007, 2012). Ces structures ont indiqué cependant que, contrairement aux autres moteurs, un changement conformationnel du convertisseur est essentiel durant le cycle pour quǯelle puisse effectuer des pas sur le filament dǯactine dǯune amplitude suffisante (Sweeney and Houdusse, 2010a).
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Table des matières
Introduction
CHAPITRE 1 : Contrôle de l’activité de la myosine VI par ses partenaires cellulaires
1.I Introduction
1.I.1 Les moteurs cytosquelettiques
1.I.2 Les myosines
1.I.3 La myosine VI
1.I.3.1 – Caractéristiques et structure de la myosine VI
1.I.3.1.1 – La tête de la myosine VI
1.I.3.1.2 – Le bras de levier
1.I.3.1.3 – La queue de la myosine VI
1.I.3.2 – Propriétés mécaniques et enzymatiques de la myosine VI
1.I.3.3 – Fonctions de la myosine VI
1.I.3.3.1 – Les partenaires de la myosine VI
1.I.3.3.1.1 – Partenaires RRL
1.I.3.3.1.2 – Partenaires WWY
1.I.3.3.1.3 – Ubiquitine
1.I.3.3.2 – La myosine VI et le cancer
1.I.3.4 – Régulation de lǯactivité de la myosine V)
1.I.3.4.1 – La dimérisation de la myosine VI
1.I.4 Objectifs
1.II Résultats et discussion
1.II.1 Identification et production de construits contenant le CBD de la myosine VI
1.II.1.1 – Généralités sur le CBD de la myosine VI
1.II.1.2 – Caractérisation biophysique des principaux construits contenant la queue de la myosine VI
1.II.1.2.1 – CBD-fin
1.II.1.2.2 – DT-fin
1.II.1.2.3 – SAH-fin
1.II.1.2.4 – 3HB-fin
1.II.2 Activation de la myosine VI
1.II.2.1 – Caractérisation de la forme inactive
1.II.2.2 – Analyse des interactions entre la tête et la queue de la myosine VI
1.II.2.2.1 – Le CBDC interagit avec la tête de la myosine VI
1.II.2.2.2 – La boucle ȾA-Ⱦ①, principale responsable de lǯinteraction
1.II.2.2.3 – Des interactions supplémentaires entre le CBDN et la région IQ
1.II.2.3 – Cristallographie
1.II.2.4 – Microscopie
1.II.2.5 – Conclusion
1.II.3 Caractérisation de l’interaction entre la myosine V) et ses partenaires cellulaires
1.II.3.1 – GIPC1
1.II.3.1.1 – )dentification et caractérisation du domaine dǯinteraction avec la myosineVI
1.II.3.1.2 – ②aractérisation de lǯinteraction entre la myosine V) et G)P②ͳ
1.II.3.1.2.1 – Analyse par MST de lǯinteraction
1.II.3.1.2.2 – ②aractérisation de la surface dǯinteraction
1.II.3.1.2.3 – Production et caractérisation du complexe myosine VI-GIPC1
1.II.3.1.2.4 – La liaison à GIPC1 permet la dimérisation de la myosine VI
1.II.3.2 – Autres partenaires
1.II.3.2.1 – NDP52
1.II.3.2.1.1 – Identification et caractérisation des fragments interagissant avec la myosine VI
1.II.3.2.1.2 – Production et caractérisation du complexe myosine VI-NDP52
1.II.3.2.2 – Optineurine
1.II.3.2.2.1 – Identification et caractérisation des fragments interagissant avec la myosine VI
1.II.3.2.3 – TOM1
1.II.3.2.3.1 – Production et caractérisation des chimères myosine VI-TOM1
1.II.3.2.3.2 – Le CBD de la myosine VI interagit avec TOM1 et GIPC1
1.III – Conclusion
1.III.1 – La surprise à la fin
CHAPITRE 2 : Les myosines MyTH4-FERMsont des moteurs polyvalents
2.I Introduction
2.I.1 Les myosines MyTH4-FERM
2.I.1.1 – Les myosines VII
2.II.1.1.1 – La myosine VIIa
2.II.1.1.2 – La myosine VIIb
2.II.1.1.3 – La myosine VII de Dictyostelium
2.Projet a. Analyse de l’interaction entre les microtubules et les domaines MyTH4-FERM et sa conservation pendant l’évolution
2.IIa. Objectifs
2.IIIa. Résultats et discussion
2.Projet b. Caractérisation des interactions entre la myosine VII et ses partenaires assurant la liaison entre les cadhérines et les filaments d’actine dans les microvillosités et les stéréocils
2.IIb. Objectifs
2.IIIb. Résultats et discussion
CHAPITRE 3 : Modulation de l’activité des myosines par de petites molécules allostériques
3.I Introduction
3.I.1 Les myosines conventionnelles
3.I.1.1 – Le cycle de production de la force
3.I.2 La modulation de l’activité des myosines
3.I.2.1 – Blebbistatine
3.I.2.2 – Pentachloropseudilin et pentabromopseudilin
3.I.2.3 – Omecamtiv mecarbil
3.I.2.4 – 2,4,6-triiodophénol
3.Projet a. Inhibition de la myosine II de muscle lisse par CK-571
3.IIa. Objectifs
3.IIIa. Résultats et discussion
3.Projet b. Activation de la myosine cardiaque par Omecamtiv mecarbil
3.IIb. Objectifs
3.IIIb. Résultats et discussion
3.IV Discussion et Perspectives
Matériel et méthodes
1. Clonage, expression et purification des protéines
2. Cristallisation des protéines et résolution de la structure
3. MST
4. Analyse par diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS)
5. Analyse par diffusion de la lumière à plusieurs angles (MALS)
Conclusion