Contrôle de la prolifération cellulaire et développement du tube neural

Formation du tube neural

     Chez les vertébrés, le tissu neural dérive de l’ectoderme, feuillet embryonnaire situé sur la face dorsale de l’embryon. L’induction neurale est le phénomène qui va orienter les cellules de l’ectoderme vers un destin neural. A la suite de l’induction neurale, l’ectoderme se partage en deux domaines distincts : le domaine neural ou plaque neurale et le domaine non neural. Le domaine ectodermique non neural situé latéralement formera l’épiderme. La plaque neurale se fermera en tube neural qui va donner naissance au cerveau dans sa partie antérieure et à la moelle épinière dans sa partie postérieure. La formation du tube neural se fait par les processus de neurulation : la neurulation primaire va donner les régions cervico-thoraciques de la moelle épinière et la neurulation secondaire par cavitation va donner les régions lombaires et sacrées (Le Douarin et al., 1998). Au cours de la neurulation primaire la plaque neurale va subir une succession d’évènements morphogénétiques qui vont l’amener à se replier pour former le tube neural. L’induction neurale va d’abord induire un changement de morphologie des cellules de la plaque neurale qui vont former une structure épithéliale pseudo-stratifiée. Ces changements de morphologie des cellules conduisent à un épaississement de la structure. La plaque neurale au contact des tissus environnants forme trois points charnières : un médian et deux dorsolatéraux (figure 1A). Les cellules qui constituent ces points charnières acquièrent une forme triangulaire nécessaire à la formation d’encoignures dans la plaque neurale. Après la formation de la charnière médiane les bords de la plaque neurale s’épaississent et se soulèvent, ils forment les bourrelets neuraux. La plaque neurale se courbe et forme la gouttière neurale. Par la suite les bourrelets neuraux vont se rapprocher puis fusionner, la gouttière neurale devient alors le tube neural (figure 1A) (pour revue voir (Colas and Schoenwolf, 2001)). De manière concomitante à la fusion des bourrelets neuraux l’ectoderme épidermique se détache du neuroépithélium et forme l’ectoderme dorsal. La fermeture du tube neural n’a pas lieu de façon simultanée le long de l’axe antéropostérieur de l’embryon : chez le poulet elle débute dans la région du mésencéphale puis progresse rostralement et caudalement (figure 1B). Chez un embryon de poulet à un jour et demi de développement (stade 10 HH) (Hamburger and Hamilton, 1992) les états plaque neurale, gouttière neurale et tube neural coexistent le long de l’axe antéropostérieur. En effet, le développement de l’embryon progresse rostro-caudalement et la plaque neurale qui est la région la plus jeune se situe postérieurement à la gouttière neurale elle même située de manière postérieure au tube neural (figure 2). Cet embryon constitue de ce fait un modèle de choix pour l’étude des mécanismes qui régissent les phases précoces de la maturation de la moelle épinière. Le tube neural est au contact de plusieurs structures non neurales. Comme décrit précédemment l’ectoderme non neural est situé en position dorsale par rapport au tube neural. Sous le tube neural se situe une structure mésodermique axiale, la chorde, qui est déposée par le nœud de Hensen au cours de la régression de la ligne primitive pendant l’allongement antéropostérieur de l’embryon (Catala et al., 1996). De part et d’autre de la plaque et de la gouttière neurale se trouve le mésoderme paraxial non segmenté (PSM). Au fur à mesure de l’allongement antéro postérieur de l’embryon, en phase avec la fermeture du tube neural, le PSM va se segmenter en structures épithéliales arrondies, les somites. Les somites donneront plus tard le squelette axial, les muscles et le derme du tronc. Nous verrons par la suite que l’ectoderme dorsal, le mésoderme axial et paraxial ont une influence considérable sur le développement du tube neural.

Changement d’état transcriptionnel à la transition gouttière neural tube neural

     La maturation progressive du tube neural s’accompagne d’un changement de l’état transcriptionnel des cellules à la transition gouttière neurale tube neural. La plaque et la gouttière neurale sont caractérisées par l’expression de facteurs de transcription spécifiques. Ces structures expriment l’homologue du gène Achaete-scute de drosophile Cash4 (Henrique et al., 1997) (Storey et al., 1998) (Diez del Corral et al., 2002), et le gène à homéodomaine Sax1 (Bertrand et al., 2000; Diez del Corral et al., 2002; Spann et al., 1994). Pendant la neurulation primaire la limite d’expression de ces gènes recule caudalement au cours de la régression du nœud de Hensen et de la segmentation progressive du mésoderme paraxial. L’extinction de ces gènes s’accompagne de l’apparition au niveau du tube neural d’autres facteurs de transcription impliqués dans la régionalisation dorso-ventrale du tube neural et dans la spécification des cellules précurseurs neuraux. Ainsi les gènes Pax6 et Irx3, sont exprimés dans le tube neural et pas dans la gouttière ni dans la plaque neurale (Bertrand et al.,2000; del Corral et al., 2003). Leurs expressions progressent de façon rostro caudale de manière concomitante avec la somitogenèse au cours du développement. Il existe donc un programme transcriptionnel spécifique de la plaque et de la gouttière neurale caractérisé par l’expression des gènes Cash4 ou Sax1 et l’absence d’expression de Pax6 et Irx3. Par la suite les cellules adoptent un programme transcriptionnel spécifique du tube neural caractérisé par l’extinction des gènes caudaux et l’activation des gènes Pax6 et Irx3 (figure 3A).

La morphogenèse du tissu neural selon l’axe antéro posterieur s’accompagne de la maturation progressive des précurseurs neuraux

     Le neuroépithelium est un épithélium pseudo stratifié. Ainsi, chaque cellule s’étend sur toute l’épaisseur de cette structure. Les cellules au sein du neuroepithélium sont en prolifération, définissant ainsi la zone ventriculaire. Les noyaux de ces cellules effectuent une migration le long de l’axe apico-basal appelée migration interkinétique (figure 4). La position des noyaux est en étroite relation avec les phases du cycle cellulaire. Les cellules en mitose sont situées au bord de la lumière du tube neural et les noyaux des cellules en phase de réplication d’ADN (phase S) sont situés dans la moitié basale du neuroépithelium. Pendant que les cellules quittent la phase S pour rentrer en phase G2 du cycle cellulaire leur noyau migre vers la lumière. A l’entrée en mitose, les cellules perdent leur attachement à la lame basale et s’arrondissent pour se diviser. Après la cytokinèse, les cellules filles entrent dans un autre cycle ou quittent le cycle cellulaire. Les cellules filles qui restent dans le cycle cellulaire (phase G1) ont leur membrane qui s’étend vers la lame basale et leur noyau qui migre du lumen vers la lame basale avant de recommencer un nouveau cycle de réplication. Les cellules qui quittent le cycle cellulaire perdent, ou ne renouvellent pas, leur attachement coté apical et migrent du coté basal pour se localiser en bordure des cellules en prolifération, dans la zone sous ventriculaire (Hollyday, 2001). Au cours de leur différenciation les cellules se localisent dans la zone du manteau, future substance grise de la moelle épinière (Diez del Corral and Storey, 2001) (figure 5). Des expériences d’incorporation de bromodéoxyuridine (BrdU) et de marquage à la thymidine tritiée montrent qu’à l’exception de certains précurseurs d’interneurones du rhombencéphale qui quittent le cycle cellulaire très tôt au cours du développement (stade HH4) (McConnell and Sechrist, 1980; Sechrist and Bronner-Fraser, 1991), la plaque et la gouttière neurale contiennent en majorité des cellules en prolifération dans un état indifférencié (figure 3B). Les cellules postmitotiques vont apparaître progressivement selon une séquence rostro caudale en suivant l’allongement antéro posterieur de l’embryon. Le marqueur Delta qui est considéré comme un marqueur post mitotique précoce apparaît au niveau de la fermeture du tube neural d’embryon de stade 7-10 somites (Henrique et al., 1995) (figure 3C). Les cellules ayant quitté le cycle cellulaire vont par la suite entamer leur processus de différenciation neuronale. L’étude des marqueurs de différenciation neuronale comme le facteur de transcription à domaine bHLH Neuro M montre que les premiers neurones différenciés apparaissent progressivement dans le tube neural selon une séquence rostro caudale d’activation quelques heures après l’apparition du marqueur Delta (Roztocil et al., 1997) (figure 3D). Un autre marqueur de différenciation plus tardif la tubuline de type III TUJ1 apparaît plus rostralement selon la même séquence temporelle d’activation (Yaginuma et al., 1990). En plus d’un changement de l’état transcriptionnel, la morphogenèse du tube neural selon l’axe antéro-postérieur s’accompagne donc de la maturation progressive des précurseurs neuraux. Les précurseurs sont en prolifération dans un état indifférencié au niveau de la plaque neurale. Au niveau de la gouttière neurale quelques cellules vont quitter le cycle cellulaire mais la majorité des précurseurs neuraux prolifèrent. Dans le tube neural, on trouve à la fois des cellules en prolifération, des cellules qui quittent le cycle cellulaire et des cellules qui ont entamé leur processus de différenciation neuronale (figure 3E).

Rôle du mésoderme somitique et de la voie de l’acide rétinoïque dans la maturation du tube neural

     Des expériences de cultures d’explants de plaque neurale caudale ont montré que l’inhibition de la voie FGF n’est pas suffisante pour déclencher la différenciation neuronale (Diez del Corral et al., 2002). Par contre si ces mêmes explants sont co-cultivés avec du tissu somitique, on observe de la différenciation neuronale suggérant que le somite joue un rôle actif sur la maturation du tube neural. Des expériences de délétions de somites ont montré que ce tissu est nécessaire à l’expression d’Irx3 (del Corral et al., 2003) ou à l’apparition du marqueur Neuro M (Diez del Corral et al., 2002). Il a aussi été montré qu’une greffe de somite face à la gouttière neurale est capable d’activer prématurément l’expression de Pax6 (Pituello et al., 1999). Le somite joue donc un rôle actif dans la maturation du tissu neural. L’acide rétinoïque constitue le facteur somitique impliqué dans la maturation du tube neural. L’acide rétinoïque est une molécule diffusible synthétisée à partir de la vitamine A notamment par la rétinaldéhyde deshydrogénase 2 (RALDH2). L’acide rétinoïque rentre dans le noyau ou il se lie à des récepteurs (RAR et RXR) qui s’hetérodimérisent pour venir se fixer à des séquences de l’ADN (RARE) situées sur les gènes cibles et permettre leur activation (figure 6B)(Maden, 2002). Le gène RALDH2 est exprimé dans les somites et dans la partie rostrale du mésoderme présomitique suggérant que ces sites soient les lieux de synthèse de l’acide rétinoïque. Les récepteurs de l’acide rétinoïque sont eux exprimés principalement dans le tube neural mais aussi dans la gouttière neurale (del Corral et al., 2003). L’addition d’acide rétinoïque à des cultures d’explants de plaque neurale entraîne l’apparition de cellules positives pour le marqueur Neuro M, comme la co-culture d’explants de plaque neurale et de somite (del Corral et al., 2003). Ces mêmes co-cultures réalisées en présence d’inhibiteur de la voie de l’acide rétinoïque montrent que cette voie est nécessaire à l’effet inducteur du somite sur la différenciation neuronale (del Corral et al., 2003). Enfin, les analyses d’embryons de cailles déficientes en vitamine A (VAD) ou d’électroporation d’une forme dominante négative du récepteur à l’acide rétinoïque montrent un retard ou une inhibition de l’expression des gènes Pax6 ou Irx3 (del Corral et al., 2003; Novitch et al., 2003).

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Table des matières

INTRODUCTION
I/ Développement de l’ébauche de moelle épinière
A/ Formation du tube neural
B/ Maturation de l’ébauche de moelle épinière selon l’axe antero-postérieur
a) Changement d’état transcriptionnel à la transition gouttière neural tube neural
b) La morphogenèse du tissu neural selon l’axe antéro posterieur s’accompagne de la maturation progressive des précurseurs neuraux
d) Rôle du mésoderme somitique et de la voie de l’acide rétinoïque dans la maturation du tube neural
e) Antagonisme des voies de signalisation FGF et acide rétinoïque
C/ Genèse des différentes populations neuronales de la moelle épinière selon l’axe dorsoventral
a) Spécification des populations de neurones dans l’ébauche de moelle épinière
1) Les neurones ventraux
1.1) La chorde et la plaque du plancher ont des propriétés ventralisantes sur le tube neural
1.2) Le morphogène Shh est responsable de la spécification des populations neurales ventrales dans le tube neural
1.3) Transduction du signal Shh et régionalisation du tube neural ventral
1.4) Mise en place des différents domaines de précurseurs neuraux ventraux
2) Les neurones dorsaux
b) De la spécification à la différenciation neuronale
D/ Contrôle de la prolifération pendant le développement de la moelle épinière
a) Paramètres de la prolifération dans le tube neural
b) Contrôle de la prolifération dans le tube neural dorsal
c) Contrôle de la prolifération dans le tube neural ventral
II/ La voie de signalisation Shh dans le développement et le contrôle de la prolifération cellulaire
A/ Signalisation Shh et développement
B/ Régulateurs du cycle cellulaire
C/ Liens entre Shh et les régulateurs du cycle cellulaire
RESULTATS
I/ Contrôle de la prolifération dans l’ébauche de moelle épinière : Régulations et fonctions des Cyclines D1 et D2
A/ Synthèse de l’article
B/ ARTICLE
C/ Résultats supplémentaires liés au premier article
a) Recherche des kinases dépendantes des Cyclines D exprimées dans l’ébauche de moelle épinière
b) Analyse de l’influence de la fonction des Cyclines D1 et D2 sur leur propre expression
c) Evolution des paramètres du cycle cellulaire au cours de la maturation du neuroépithélium
II/ Shh régule l’expression d’un régulateur de la transition G2/M dans l’ébauche de moelle épinière : la phosphatase CDC25B
A/ Synthèse de l’article
B/ ARTICLE
C/ Résultats supplémentaires liés au deuxième article
a) Caractérisation des isoformes de CDC25B présentes dans le tube neural de poulet
b) Analyse de la densité mitotique selon l’axe dorso-ventral du tube neural
c) Analyse de l’influence de la voie de signalisation Shh sur la transition G2 /M dans les précurseurs neuraux
DISCUSSION
1/ L’expression de Cycline D2 fait partie du programme caudalisant médié par la signalisation FGF
2/ L’expression de Cycline D1 est régulée par la voie de signalisation Shh
3/ Les Cyclines D favorisent la prolifération des précurseurs neuraux au détriment de leur différenciation
4/ Régulation de l’expression des phosphatases CDC25 pendant le développement de l’ébauche de moelle épinière
5/ La voie de signalisation Shh agit à la phase G1 et la transition G2/M du cycle cellulaire
6/ Significations potentielles d’un contrôle à la transition G2/M dans les cellules précurseurs du tube neural
7/ Modèle du rôle de la prolifération dépendante de Shh dans la régionalisation tissulaire
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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