Contributions à l’analyse économique des organisations

La question de la délégation : apports de la théorie de l’agence 

Comme ce célèbre passage de la richesse des nations le montre, les économistes ont très tôt reconnu le problème de délégation (ou d’agence, agency en anglais) posé par la séparation entre la propriété d’une entreprise et sa gestion.

Origine des conflits d’intérêts 

Les conflits d’intérêt entre actionnaires et dirigeant ont de nombreuses causes. La première cause de conflits est l’existence de bénéfices privés ou au contraire de coûts privés associés à certaines décisions. La possession d’un jet privé par exemple, ou le financement d’une chaire d’université peuvent représenter des bénéfices privés : si un dirigeant ne reçoit qu’une part 1/N des bénéfices de l’entreprise (où 1/N représente la fraction du capital qu’il détient), alors en faisant dépenser 1€ à son entreprise le dirigeant ne dépense réellement que 1/N €. Il a donc intérêt à faire supporter ces dépenses par l’entreprise. Ces bénéfices ne sont pas nécessairement monétaires, ils peuvent être aussi d’ordre psychologique : l’exercice du pouvoir et la position sociale en constituent des exemples. A l’inverse il existe des coûts privés, essentiellement psychologiques pour un dirigeant. Par exemple prendre soin des détails est fatigant, comme l’explique Smith lorsqu’il parle de profusion et de négligence. Le dirigeant peut avoir de la répugnance pour les conflits et de la gêne à renvoyer de proches collaborateurs. C’est sous cette forme de bénéfices privés coûts privés que les problèmes d’agence sont le plus souvent étudiés, Holmstrom (1979), Holmstrom et Milgrom (1987), Jensen et Meckling (1976), et présentés (Milgrom et Roberts 1992). Deuxième cause de conflit d’intérêt : les compétences du dirigeant, son capital humain, ne sont qu’imparfaitement connues. Or celui-ci se soucie non seulement de sa rémunération actuelle mais aussi du flux de sa rémunération future. Celle-ci se fonde sur le stock de capital humain qu’il a pu constituer. Il va chercher à maximiser ce capital humain, alors que l’entreprise souhaite maximiser son capital financier. Holmstrom (1999) a appelé ce phénomène « préoccupation de carrière ».

Troisième cause de conflit : une aversion pour le risque différente de la part du manager et des actionnaires les conduisent à valoriser différemment les projets qui s’offrent à l’entreprise, Lambert (1986), Holmstrom et Ricart I Costa (1986). Quatrièmement, un horizon temporel différent (c’est-à-dire un facteur d’escompte différent). Le manager préférera par exemple des investissements dont la rentabilité initiale est forte (Rogerson 1997). Cinquièmement, les différentes tâches auxquelles le dirigeant doit consacrer du temps sont évaluées avec plus ou moins de facilité (Holmstrom et Milgrom (1991)). Par exemple les conséquences d’un d’investissement à long terme ne seront que très imparfaitement estimées les premières années ; au contraire, celles d’une réduction des coûts opérationnels seront connues dès la première année. Enfin, sixièmement, la distorsion entre la valeur que l’on cherche à maximiser et l’indicateur utilisé pour mesurer cette valeur (Baker 1992 et 2001).

Le but des instruments de rémunération à la performance est donc d’aligner autant que possible les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. En pratique il s’agit, comme on vient de le voir, de les inciter à ne pas utiliser les ressources de l’entreprise à des fins personnelles, à allouer leur temps et leur attention entre différentes tâches (étudier la profitabilité des projets, traiter avec la communauté financière), à investir dans tous les projets profitables pour les actionnaires et rien que ces projets (ce qui inclut les désinvestissements profitables). Mais ces instruments ne représentent pas toutes les incitations des dirigeants. Les préoccupations de carrière étudiées par Holmstrom (1999) vont interférer avec les incitations explicites fournies par les actionnaires. On appelle incitations implicites toutes ces incitations que les actionnaires ne contrôlent pas. Certaines de ces incitations disciplinent les dirigeants, d’autres au contraire peuvent les éloigner de ce que les actionnaires préfèrent (se protéger des OPA par exemple).

On peut diviser la littérature en deux courants : la théorie principal-agent et la théorie positive, selon la distinction établie par Jensen (1983). La première, mathématique et formelle, s’attache à déterminer les contrats optimaux dans différentes situations stylisées d’agence. Ces modèles principal-agent ne sont pas spécifiques aux relations actionnaires-dirigeants, et peuvent s’appliquer à des ouvriers payés à la pièce ou à des questions de partage de récolte (fermage/métayage). La seconde, plus empirique, étudie les instruments concrets et leurs effets (Jensen et Meckling 1976). Par exemple la théorie positive justifie l’utilisation des LBO qui revient à donner aux dirigeants les incitations d’un entrepreneur très endetté. C’est une solution relativement efficace dans toutes les situations, simple et surtout très robuste aux aléas et aux circonstances. Or dans de nombreux cas, la théorie principal-agent montre que cette forme de contrat n’est pas optimale (un risque très important est supporté par l’agent, l’information relative fournie par la performance des autres entreprises du secteur n’est pas utilisée…). Les deux théories ne se recoupent donc pas complètement.

Quelques critiques usuelles de la théorie de l’agence 

D’abord certains dirigeants, notamment en France, ne semblent pas convaincus, sinon de l’existence du conflit d’intérêt, du moins de l’utilité d’offrir des rémunérations fortement incitatives pour y remédier. Le rapport du comité d’éthique du Medef (2003) illustre cette réticence : Progressivement avec l’augmentation des éléments variables et différés, il arrive que la partie fixe ne représente qu’une part assez minoritaire de la rémunération des dirigeants. Cette évolution pour « motivante » qu’elle soit ne semble correspondre ni à la sérénité ni à la transparence qui devraient caractériser la fonction de chef d’entreprise. Elle ne va peut-être pas non plus dans le sens de sa nécessaire exemplarité… Un retour vers plus de modération et de stabilité serait souhaitable.

Une deuxième critique consiste à dire que cette théorie n’est absolument pas descriptive (elle n’explique pas ce qu’on observe en pratique), malgré sa possible justesse normative, (quelle forme auraient les contrats si les actionnaires détenaient vraiment le pouvoir de les concevoir). Bebchuk et alii (2002) proposent donc une autre théorie pour expliquer la forme réelle des contrats : théorie du pouvoir des managers. Les contrats réels, et surtout leurs imperfections, s’expliqueraient par le pouvoir des CEO sur le conseil d’administration et plus encore par le souhait de dissimuler les rentes qu’ils s’octroient de cette façon.

Troisième critique : les incitations monétaires ne peuvent pas fonctionner et sont même contre-productives, notamment parce qu’elles détruisent toute motivation intrinsèque Kohn (1993). Une critique proche consiste à dire que les effets de bord, les problèmes d’équité horizontale et d’imperfection de la mesure sont trop importants et empêchent de mettre en place des incitations puissantes.

Enfin Murphy (1999) formule deux critiques contre le « modèle standard » d’aléa moral:
1) pourquoi des actionnaires confient-ils leur argent à des PDG qui poursuivent leur propre intérêt ? Parce qu’ils pensent que les PDG ont de plus grandes capacités et de meilleurs informations pour s’occuper à leur place de l’entreprise : les actionnaires ne connaissent pas parfaitement la fonction qui relie les actions du PDG à la valeur de la firme, même si ces actions sont observables.
2) L’espace d’actions des PDG est plus riche que celui d’un ouvrier agricole : allocation du capital, stratégie, développement externe et désinvestissements.

On peut apporter quelques éléments de réponses à ces critiques. Pour la première il est utile de dresser un parallèle avec le comportement des actionnaires-dirigeants, ces dirigeants qui détiennent une part importante de leur entreprise, souvent familiale. On s’inquiète rarement de leur manque de sérénité, de leur absence de modération ni du mauvais exemple que leurs gains peuvent représenter ! La deuxième critique nous invite à porter plus d’intérêt dans les modèles d’agence aux comportements de recherche de rente qui ont été éliminés dans certaines présentations.

Baker, Jensen et Murphy (1988) répondent à la troisième critique en disant que les nombreux dysfonctionnements des plans d’incitation prouvent au contraire que les incitations monétaires fonctionnent très bien au point de fonctionner « trop » bien dans certains cas, puisque les managers répondent aux incitations de systèmes mal conçus ; au lieu d’abandonner tout espoir de voir des systèmes d’incitation fonctionner correctement, Baker (1992 et 2001) s’interroge sur ces dysfonctionnements pour en comprendre les causes et voir comment y remédier.

Enfin les deux critiques formulées par Murphy (1999) mettent en garde contre la modélisation et l’obtention de contrats incitatifs trop compliqués et peu robustes à l’altération des hypothèses. Les instruments doivent rester simples comparés à l’espace d’action du dirigeant.

L’apport de la thèse

Les travaux de cette thèse couvrent trois sujets :
1) L’utilisation de l’information fournie par les marchés financiers pour contrôler le travail des dirigeants ;
2) les effets de l’évaluation relative de la performance sur le comportement des managers ;
3) les incitations des cadres intermédiaires au sein de l’entreprise.

Incitations fondées sur les marchés financiers 

Quelle est l’utilité de l’information fournie par les marchés financiers, c’est-à-dire essentiellement le cours de bourse, pour inciter les dirigeants, comparée par exemple à des indicateurs comptables ? Trois points peuvent être mis en avant. Premièrement l’intégrité de la mesure (les spéculateurs jouent leur argent) par rapport à des indicateurs définis par un conseil d’administration influençable, Tirole (2001).

Deuxièmement, les spéculateurs, afin d’être mieux informés que les autres, génèrent une information qui ne recoupe pas l’ensemble des informations comptables, présentes et futures. Le principe d’informativité nous dit qu’utiliser cette information permet une mesure plus précise donc de meilleures incitations. C’est l’une des idées présentes chez Holmstrom et Tirole (1993). Enfin, troisièmement, le cours de bourse fournit à tout moment une estimation de la somme actualisée des profits futurs, somme que les actionnaires cherchent directement à maximiser.

Evaluation relative de la performance 

L’une des prédictions les plus importantes de la théorie de l’agence est ce qu’on appelle le principe d’informativité : les contrats optimaux utilisent toute information qui permet de mesurer avec une plus grande précision les conséquences des actions entreprises par l’agent (Holmstrom 1979). D’où l’idée de l’évaluation relative de la performance : si deux personnes sont soumises aux mêmes événements, alors comparer leurs résultats permet de « filtrer » ce qui relève de l’aléa et ce qui relève de la performance pure. Or dans leur très grande majorité les options octroyées aux dirigeants d’entreprise ne sont indexées ni sur la performance des concurrents ni sur un indice de marché. Sachant que la principale source de rémunération explicite est constituée d’options Abowd et Kaplan (1999) critiquent cette situation et conseillent d’utiliser des options indexées sur la performance du secteur. Toutefois certains auteurs ont montré que ce principe d’informativité pouvait être mis en défaut et que l’utilisation d’une évaluation relative générait des effets pervers. Premièrement, dans un secteur oligopolistique, cela conduit les dirigeants à être trop agressifs (par rapport à ce que souhaitent les actionnaires) dans leurs décisions stratégiques (Fumas (1992)). En second lieu, des préoccupations de carrière, ou simplement l’aversion pour le risque, peuvent conduire les dirigeants à ne pas utiliser une information utile en leur possession (par exemple une technique de production plus rentable) pour ne pas s’éloigner de ce que font leurs concurrents (Zweibel (1995) pour le cas de préoccupations de carrière, Nalebuff et Stiglitz (1983) pour le cas aversion pour le risque).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
La question de la délégation : apports de la théorie de l’agence
Origine des conflits d’intérêts
Quelques critiques usuelles de la théorie de l’agence
Apport de la thèse
Incitations fondées sur les marchés financiers
Evaluation relative de la performance
Incitations des cadres intermédiaires
Conclusion
Bibliographie
Chapitre I
The Incentive Drawback of Public Ownership
Chapitre II
Les inconvénients d’une évaluation relative de la performance
dans un secteur à la rentabilité incertaine
Chapitre III
Rémunérations de long terme dans les entreprises
Chapitre IV
EVA and Incentives Theory : a Case Study
Conclusion

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *