Contribution isotopique (13C, 15N, 18O, 87Sr/86Sr) à la connaissance de la mobilité

Généralités sur le pastoralisme extensif et la gestion des troupeaux

L’apparition des modes de vie agropastoraux, centrés sur une économie de production (agriculture et élevage), a constitué une véritable révolution pour l’humanité durant le Néolithique, impliquant un bouleversement social, technique, culturel et économique des sociétés (Vigne, 2017). Encore aujourd’hui, ce système de production est très répandu.

De façon générale, le pastoralisme regroupe les moyens de production consistant en une interconnexion de stratégies de gestion de troupeaux et de relations sociales qui se concentrent sur l’exploitation des ressources de ruminants domestiques (ovins, caprins, bovins, équins, camélidés) (Cribb, 2004; Little, 2015). En plus des ressources primaires que sont les troupeaux, les éleveurs peuvent obtenir des produits secondaires fournis par les animaux tels le lait, le fromage et le cuir. Le pastoralisme est donc caractérisé par une forte relation entre le bétail et les éleveurs. Les pasteurs emploient une large variété de pratiques/stratégies d’élevage dans le but de maintenir et éventuellement d’augmenter la production et la reproduction de leurs troupeaux. La saisonnalité est également un facteur important influençant diverses stratégies, que l’on retrouve au niveau de la disponibilité des ressources et de l’occupation des sites. En effet, l’un des principaux enjeux auxquels font face les éleveurs est de pouvoir maintenir l’accès pour leurs bêtes à des sources de pâturage suffisantes tant en quantité qu’en qualité nutritionnelle soit par la distribution de fourrage soit par le déplacement vers de nouvelles pâtures.

Les déplacements de troupeaux jouent un rôle central dans l’économie pastorale passée et présente. La mobilité pastorale est définie par une série de déplacements calculés qui varient en termes de temps, de distance et de durée, entrecoupés d’intervalles de sédentarité. Les schémas de mobilité vont de l’utilisation sédentaire de riches pâturages (peu de migrations), à la transhumance (migrations saisonnières d’une partie du groupe familial – Ferret, 2014), en passant par le semi-nomadisme (installation permanente du foyer) et le pastoralisme nomade (mouvement fréquent du foyer). Le rythme, les modes de déplacement, les degrés de mobilité et les territoires occupés dépendent d’une combinaison de paramètres tels que l’organisation socio-politico économique, l’environnement, le climat, le nombre et le type d’espèces élevées (Arbuckle and Hammer, 2018; Dong et al., 2011; Fernandez-Gimenez, 2000; Kerven et al., 2006; Stépanoff et al., 2013). Les stratégies de mobilité pastorale couvrent un spectre entier, de la sédentarité totale à la mobilité extrême. Se déplacer permet aux éleveurs de récolter du fourrage dans une plus grande zone, d’utiliser avantageusement les ressources de différents types d’habitat (Fernández Giménez et Febre, 2006) et éventuellement de gérer plus d’animaux que s’ils étaient sédentaires. La mobilité est aussi utile afin de réduire la probabilité d’être confronté aux aléas naturels comme la sècheresse, des hivers rigoureux ou à des problèmes politiques (Bassett, 1986).

Parmi les différentes formes que peuvent prendre ces déplacements, la mobilité verticale est une stratégie vitale communément utilisée par les éleveurs vivant dans des zones montagneuses (Finke, 2004). Le pastoralisme dans les environnements montagneux est largement répandu et se caractérise par une stratification des ressources selon l’altitude. Les éleveurs exploitent ainsi les variations de productivité des pâturages liées à l’élévation en déplaçant le bétail de pâture en pâture le long d’un gradient altitudinal afin de pouvoir faire paitre les animaux au mieux durant l’année sans épuiser les ressources. En effet, les différences de température et de précipitation entre les plaines et les hauteurs peuvent conduire à des pics annuels de productivité asynchrones. Généralement, les troupeaux sont placés dans les plaines en saison froide, moment où les conditions météorologiques et écologiques y sont favorables, et dans les alpages durant l’été dès que les températures deviennent plus avantageuses au développement de la végétation (Ferret, 2014; Marchina, 2019; Salzman, 2002). Cette mobilité saisonnière peut se dérouler selon diverses stratégies parfois très complexes. L’éleveur peut se déplacer une seule fois, rapidement, entre la plaine et les pâtures d’altitude ou réaliser une série de déplacements successifs avec des campements intermédiaires profitant alors de pâtures d’élévation moyenne. De plus, la fréquence des déplacements peut grandement varier selon la saison, l’accès aux pâtures, les conditions locales des pâturages, mais également les liens entre les différents éleveurs.

L’apport des isotopes stables pour comprendre la gestion des troupeaux passés 

Introduction aux isotopes stables et généralités

L’analyse de la composition des isotopes stables des restes archéologiques des animaux domestiques peut être utilisée pour déterminer différents paramètres des pratiques d’élevage, tels que la mobilité ou la saison d’abattage. Actuellement, les éléments majoritairement ciblés par les études archéologiques sont le carbone, l’azote, l’oxygène et e strontium dont les variations de compositions isotopiques sont influencées par le climat, la géologie, la végétation, l’alimentation et la physiologie des individus.

Les isotopes d’un élément chimique possèdent le même nombre de protons, mais diffèrent par leur nombre de neutrons. Un isotope avec un petit nombre de neutrons sera considéré comme l’isotope léger (commun) et à l’inverse l’isotope avec le plus grand nombre de neutrons sera l’isotope lourd (rare). Dans le cas du carbone, par exemple, il existe deux isotopes stables, le 12C et 13C avec respectivement 6 et 7 neutrons. La proportion d’isotopes lourds par rapport aux isotopes légers est définie par le rapport isotopique (R). Contrairement aux isotopes radioactifs (par exemple le 14C), les isotopes stables ne se désintègrent pas avec le temps et les rapports se fixent et se conservent dans les milieux, reflétant les processus et environnements inorganiques et biogènes dans lesquels ils se sont formés. Toutefois, les rapports isotopiques peuvent varier en fonction des molécules et des réservoirs, en lien avec les transformations ayant lieu durant les processus physico-chimiques. Les différences dans l’abondance naturelle des différents isotopes sont généralement petites – mesurées normalement en partie par milliers (pour mille ou ‰). C’est pourquoi, afin de pouvoir comparer plusieurs rapports isotopiques (R) de façon précise, la notation delta (δ) a été proposée (McKinney et al., 1950).

Les différences dans la cinétique des réactions, ainsi que dans la composition à l’équilibre, peuvent entraîner un fractionnement isotopique au cours des processus physicochimiques, lorsque des éléments sont incorporés dans des systèmes vivants ou participent à des réactions chimiques inorganiques (Sharp, 2007). Au cours des processus biogéniques (c’est-àdire l’assimilation et les processus métaboliques), le fractionnement se produit généralement en raison de l’utilisation ou de l’incorporation préférentielle d’un isotope par un organisme par rapport à un autre. Ainsi les proportions moyennes en isotopes stables peuvent être altérées entre l’alimentation et les tissus biologiques du consommateur. Cela peut influencer les valeurs isotopiques de différents tissus à différents degrés (Deniro and Epstein, 1981; DeNiro and Epstein, 1978). Les rapports isotopiques peuvent varier entre les espèces et les individus en raison de leurs métabolismes et compositions biochimiques différents.

L’application de l’analyse de la compostion isotopique des tissus des animaux se base sur le principe que le milieu environnant, la nourriture et l’eau ingérées au cours de la vie de l’individu laissent des signatures chimiques dans les tissus corporels. De nombreuses études expérimentales contrôlées ont confirmé que les compositions isotopiques des tissus biologiques reflètent celles des régimes alimentaires (p. ex. Ambrose, 2002; Ayliffe et al., 2004; Sponheimer et al., 2003b, 2003a; Zazzo et al., 2007). Dans le registre archéologique, les tissus les plus couramment analysés sont les os, l’émail et la dentine et plus rarement la kératine (poil et corne). Certains de ces tissus animaux (dent, poil, corne) ont une croissance continue ou prolongée au cours de la vie de l’individu et deviennent chimiquement inertes après leur formation. Les analyses isotopiques de ces tissus, le long de leur axe de croissance, peuvent donc fournir des informations temporelles des compositions isotopiques de l’environnement (type de nourriture ou d’eau consommée, lieu de vie) éprouvées par l’animal et donc être interprétées en termes d’histoires de vie avec un degré variable de résolution temporelle selon le tissu (p. ex. Balasse et al., 2019; Balasse and Tresset, 2002; Bendrey et al., 2017; Pellegrini et al., 2008; Trentacoste et al., 2020; Ventresca Miller and Makarewicz, 2017; Zazzo et al., 2015). Il faut souligner que les profils d’isotopes stables observés au niveau individuel sont le produit d’une interaction entre des processus écologiques, physiologiques et biochimiques. Un effort est nécessaire pour comprendre les processus d’incorporation du signal isotopique dans les différents tissus et l’influence du métabolisme de l’animal ainsi que des processus de formation des tissus (amélogénèse, kératogénèse) (p. ex. Ambrose, 1991; Fuller et al., 2004; Hoppe et al., 2004; Passey and Cerling, 2002). De nombreuses études ont été conduites sur des animaux modernes afin de documenter l’intégration du signal isotopique dans les tissus des animaux (p. ex. Ayliffe et al., 2004; Bendrey et al., 2015; Cerling and Harris, 1999; Flockhart et al., 2015; Green et al., 2018b; Lewis et al., 2017; Podlesak et al., 2008; Zazzo et al., 2010, 2007) ainsi que l’influence des stratégies d’élevage sur les compositions isotopiques (p. ex. Balasse et al., 2001, 2002, 2012; Makarewicz and Tuross, 2006; Tornero et al., 2018). Cette approche est cruciale afin d’interpréter les données isotopiques et de pouvoir identifier différentes stratégies de gestion des troupeaux via les enregistrements isotopiques des restes archéologiques. De plus, comprendre les signatures isotopiques saisonnières obtenues à partir des tissus des animaux nécessite une connaissance détaillée de leurs sources et de leurs variations saisonnières locales, et donc une connaissance des conditions environnementales du site d’étude.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
Chapitre 1 – Généralités sur le pastoralisme extensif et la gestion des troupeaux
Chapitre 2 – L’apport des isotopes stables pour comprendre la gestion des troupeaux passés
2.1. Introduction aux isotopes stables et généralités
2.2 Principaux tissus biologiques étudiés : formation et enregistrement du signal
2.2.1 L’émail dentaire
2.2.2 La kératine des poils
2.3 Les isotopes stables : indicateurs de la mobilité
2.3.1 Le 87Sr/86Sr et la mobilité
2.3.2 Le δ18O et la mobilité
2.3.3 Influence de l’altitude sur le δ13C
2.3.4 Couplage du δ13C avec le δ18O pour détecter la mobilité altitudinale
2.3.5 Influence de l’altitude sur le δ15N
2.3.6 Isotopes stables et mobilité : synthèse
2.4 Les isotopes stables : indicateurs de la saison d’abattage
Chapitre 3 – Objectifs et cadre d’étude
Chapitre 4 – Suivi de la mobilité altitudinale par l’analyse isotopique (δ 13C et δ 15N) des crins de chevaux
4.1 Résumé de l’étude
4.2 Introduction
4.3 Experimental
4.3.1 Study area and sample collection
4.3.2 Hair sample preparation and stable isotope ratio analysis
4.3.3 Data Analysis
4.3.3.1 GPS-based inference mobility
4.3.3.2 Isotopically-based inference of mobility
4.3.3.3 Testing the effects of mobility and the environment on isotopic values
4.4 Results
4.4.1 Altitudinal mobility inferred by GPS
2.4.2 Tail hair carbon and nitrogen isotope ratios
4.4.3 Correlation between isotopic shifts and altitudinal mobility
4.4.4 Factors influencing carbon and nitrogen stable isotopes
4.5 Discussion
4.5.1 Time assignment and resolution of the isotopic record
4.5.2 Environmental control on variations in δ13C hair values
4.5.3 Environmental control on seasonal variation in hair δ15N values
4.6 Conclusion
Chapitre 5 – Identifier la mobilité et l’exploitation altitudinale par l’analyse isotopique (δ 13C et δ 18O) de l’émail des dents
5.1 Résumé de l’étude
5.2 Introduction
5.3 Materials
5.3.1 Burgast: topography, climate and vegetation
5.3.2 Plant materials
5.3.3 Geolocalised animal reference set
5.3.4 Non-geolocalised horse specimens
5.4 Methods
5.4.1 Estimation of tooth formation period and tooth selection
5.4.2 GPS-based inference of mobility
5.4.3 Isotopic analysis of plant material
5.4.4 Tooth sample preparation and isotopic measures
5.4.5 Isotopic data treatment and statistical methods
5.5 Results
5.5.1 The GPS record of caprines’ mobility
5.5.2 Plant δ13C values
5.5.3 δ18O values of tooth enamel
5.5.4 δ13C values of horses and caprines
5.5.5 Co-variations between δ13C and δ18O values
5.6 Discussion
5.6.1 Influence of altitudinal mobility / residency on δ18O values of livestock
5.6.2 Influence of altitudinal mobility / residency on δ13C values of livestock
5.6.3 Relationship between δ13C, δ18O and altitudinal mobility
5.7 Conclusion
CONCLUSION

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