Contribution des modèles animaux à l’étude des maladies infectieuses
Modélisation chez l’animal de maladies infectieuses de l’Homme
Les modèles animaux sont très utilisés pour l’étude des maladies infectieuses de l’Homme. Les études génétiques de prédisposition aux maladies infectieuses sont difficiles à entreprendre directement chez l’Homme pour diverses raisons : les infections ne sont pas contrôlées (en terme de dose inoculée, de pureté de la souche, etc…), les facteurs environnementaux sont très différents d’une personne à l’autre (alimentation, hygiène, exposition aux vecteurs, etc.), peu de phénotypes sont analysables et surtout la mise en œuvre de traitements dirigés contre l’agent infectieux perturbe l’évolution naturelle de la maladie. L’ensemble de ces facteurs de variations peut être contrôlé chez des animaux de laboratoire .
Il est toutefois important de prendre en compte la pertinence du modèle utilisé. Pour certaines infections, l’animal de laboratoire est un hôte naturel comme dans le cas de la peste avec les rongeurs. En fonction du pathogène, ces différents modèles ne sont pas des hôtes naturels mais développent des maladies plus ou moins proches de celles de l’Homme aussi bien au niveau de la pathogénèse (tissus et types cellulaires touchés, progression des lésions développées) que de la réponse physiologique (inflammation, immunité, etc.).
Par exemple, les modèles animaux les plus utilisés pour l’étude de la tuberculose sont la souris, le lapin et le cobaye. Ces trois modèles montrent une vulnérabilité très différente face à cette maladie : les souris sont relativement résistantes (plus ou moins en fonction des lignées utilisées) contrairement aux lapins et aux cobayes qui sont très sensibles. Les études faites sur ces trois modèles sont par conséquent complémentaires les unes des autres et ont permis de mieux comprendre l’immunopathogénicité de la tuberculose, les facteurs génétiques contrôlant l’infection, l’efficacité des traitements antimicrobiens et les interactions hôtes/pathogènes. Les souris sont particulièrement utilisées pour étudier la réponse immunitaire et notamment le déterminisme génétique de la vulnérabilité de l’hôte à l’infection, mais aussi pour tester des médicaments antibactériens. Le lapin développe une forme pulmonaire contrairement aux deux autres modèles et est donc un modèle de choix pour étudier cette forme de la maladie. Les cobayes, très sensibles à ce pathogène, sont très utilisés pour étudier le mode de transmission par aérosol de la bactérie mais aussi pour tester des vaccins.
Dans le cas où certaines espèces animales ne développent pas naturellement la maladie, il est possible d’introduire un gène humain pour rendre l’espèce sensible. C’est par exemple le cas de Listeria monocytogenes et du virus polio.
L. monocytogenes possède deux protéines de surface appelées internaline A et internaline B (notées respectivement, Inl A et Inl B). Ces protéines jouent un rôle important dans l’internalisation de la bactérie au sein des cellules. Elles sont reconnues par des récepteurs membranaires de la cellule hôte. L’internaline A est reconnue par l’E-cadhérine tandis que l’internaline B est reconnue par le récepteur Met de façon spécifique. Il existe une spécificité d’espèce très importante entre l’E cadhérine et l’InlA (cf. figure 1). En effet, alors que l’Ecadhérine humaine reconnaît parfaitement l’InlA de la bactérie, l’E-cadhérine murine en est incapable (Lecuit et al., 1999). Pour cette raison, la souris est un mauvais modèle pour l’étude de L. monocytogenes. Disson et coll. (2008) ont entrepris « d’humaniser » le modèle murin afin d’étudier l’invasivité de la bactérie chez son hôte (Disson et al., 2008). Pour cela, une souris Knock-In (ou KI) a été produite pour introduire le gène de l’E-cadhérine humaine dans le génome murin. Ainsi, les souris produites reconnaissent l’InlA et miment une réponse extrêmement proche de celle de l’Homme.
Il en est de même pour le poliovirus. Des souris transgéniques portant un gène codant le récepteur humain du virus de la polio ont été créées dans le but d’étudier les mécanismes moléculaires de la pathogenèse du virus. Ces souris ont l’avantage de pouvoir mimer la maladie observée chez l’homme et chez les primates. Elles permettent de comprendre la physiopathologie mais aussi de tester d’éventuels vaccins. Elles ont permis de limiter les études faites auparavant sur des primates (Nomura, 1997).
Ces différents modèles sont utilisés pour l’identification de gènes de vulnérabilité aux maladies infectieuses en émettant l’hypothèse que les mécanismes sont conservés entre les espèces.
Déroulement des processus infectieux
Comme c’est le cas pour toute maladie, la recherche de gènes de sensibilité/résistance aux maladies infectieuses impose d’étudier des phénotypes précis afin de les relier au génotype. Dans le cas des maladies infectieuses, le processus inflammatoire se décline en plusieurs étapes qui aboutissent soit à la guérison, soit à la mort de l’individu, soit à des inflammations chroniques. Les mécanismes physiopathologiques mis en place lors de l’infection sont très différents d’une maladie à l’autre et donc absolument pas généralisables. Pour illustrer cette variabilité, nous allons nous intéresser à 3 exemples : une infection bactérienne (Tuberculose), virale (la fièvre de la vallée du Rift) et parasitaire (la maladie de Chagas). La tuberculose est causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis qui est transmise, dans la majorité des cas, par voie aérienne. Des particules contenant le bacille tuberculeux sont produites lors de la toux et pénètrent chez l’individu contaminé jusqu’aux alvéoles pulmonaires. La pénétration du bacille dans l’organisme ne conduit à la maladie que dans 10% des cas en moyenne. Dans 90% des cas, la multiplication des bacilles s’arrête rapidement (Knechel, 2009). Les bacilles se multiplient dans les macrophages alvéolaires et déterminent la formation d’un chancre d’inoculation au niveau des lobes. La dissémination dans l’organisme se fait d’abord par voie lymphatique et ganglionnaire puis sanguine avec des localisations secondaires, dont la plus importante au niveau pulmonaire se situe à l’apex. La progression de la maladie est très lente. Le patient peut également développer une tuberculose extra-pulmonaire pouvant atteindre le rein, les os et les articulations (ostéo-arthrites, infections invalidantes), l’appareil digestif, le cerveau et la moelle épinière (méningites, infections très graves), ou bien tout le corps (tuberculose miliaire). La fièvre de la vallée du Rift (RVF) est une zoonose virale affectant principalement les animaux domestiques mais pouvant se transmettre aux humains. Elle est transmise par la piqûre d’un moustique infecté. Plusieurs syndromes ont été décrits. Habituellement les personnes atteintes ont des symptômes sans grave conséquence comme de la fièvre, des maux de tête, des myalgies et des anomalies hépatiques voire aucun symptôme. Dans un petit nombre de cas (<2%) la maladie peut évoluer vers un syndrome de fièvre hémorragique, de méningo-encéphalite (inflammation du cerveau), en encore affecter les yeux (Bouloy & Flick, 2009).
La maladie de Chagas, causée par un parasite Trypanosoma cruzi, se développe en deux phases : la phase aiguë peu de temps après l’infection, et la phase chronique qui peut s’étendre sur une durée de 10 ans. La phase aiguë est généralement asymptomatique mais peut s’accompagner de manifestations de type fièvre, anorexie, lymphadénopathie, hépatosplénomégalie et myocardite. Certains cas aigus (10 à 20 % s’atténuent en 2 à 3 mois pour faire place à une phase asymptomatique, et réapparaitre après plusieurs années. La phase chronique symptomatique suit une période d’incubation longue. La maladie affecte le système nerveux, le système digestif et le cœur. L’infection chronique entraîne divers troubles neurologiques, une atteinte du muscle cardiaque (cardiomyopathie qui est la complication la plus sérieuse), et parfois une dilatation du tube digestif qui entraîne une perte de poids importante. En l’absence de traitement, la maladie de Chagas s’avère mortelle dans la plupart des cas en raison d’une cardiomyopathie associée.
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Table des matières
1. Introduction
1.1. Recherche de gènes de vulnérabilité aux maladies infectieuses affectant l’Homme
1.2. Contribution des modèles animaux à l’étude des maladies infectieuses
1.2.1. Modélisation chez l’animal de maladies infectieuses de l’Homme
1.2.2. Déroulement des processus infectieux
1.2.3. Phénotypes utilisés pour caractériser un processus infectieux
1.2.3.1. Nature des caractères
1.2.3.2. Mort ou survie
1.2.3.3. Courbe de poids
1.2.3.4. Evaluation de la prolifération/dissémination de l’agent infectieux
1.2.3.5. Suivi des réponses inflammatoires et immunes
1.2.3.6. Lésions histologiques
1.2.4. Identification de gènes responsables des phénotypes analysés
1.2.4.1. Variabilité des caractères
1.2.4.2. Notion de QTL
1.2.4.3. Localisation génétique des QTL : principes généraux
1.2.4.3.1. Marqueurs moléculaires
1.2.4.3.2. Localisation des QTL
1.2.4.3.3. Cartographie par intervalle
1.2.4.3.4. Traitement statistique des résultats
1.2.4.3.5. Force d’un QTL
1.2.4.4. Les outils génétiques disponibles chez la souris pour la recherche de QTL
1.2.4.4.1. Croisements en deux générations
1.2.4.4.2. Lignées recombinantes consanguines
1.2.4.4.3. Lignées recombinantes congéniques
1.2.4.4.4. Lignées consomiques (ou chromosome substitution strains)
1.2.4.4.5. Cartographie d’association
1.2.4.4.6. Collaborative cross
1.2.5. Lignées congéniques et sous congéniques
1.2.6. Passer d’une région chromosomique à un gène
1.2.6.1. Analyses de gènes candidats
1.2.6.2. Production de nouvelles mutations aléatoires
1.2.7. Apport de l’étude de modèles animaux pour les maladies infectieuses de l’Homme
1.3. Les souris sauvages
1.3.1. Origine et évolution du genre Mus
1.3.2. Les lignées de souris de laboratoire
1.3.2.1. Origine des souris de laboratoire
1.3.2.2. Composition génétique des lignées de souris de laboratoire
1.3.3. Intérêt des souris sauvages
1.3.4. Limites des souris sauvages
1.4. La peste
1.4.1. Infection par Yersinia pestis
1.4.2. Yersinia pestis : la bactérie
1.4.3. Epidémiologie
1.4.3.1. Les grandes épidémies de peste au cours de l’histoire
1.4.3.2. Répartition des cas de peste aujourd’hui
1.4.4. Diagnostic
1.4.4.1. Diagnostic bactériologique
1.4.4.2. Immunochromatographie en bandelettes
1.4.4.3. PCR
1.4.5. Traitement de la peste
1.4.5.1. Traitements et prophylaxies médicamenteux
1.4.5.2. Vaccination
1.4.5.3. Apparition de résistances aux antibiotiques
1.4.6. Bioterrorisme
1.4.7. Modèles animaux de la peste
1.4.7.1. Modélisation de l’infection par Yersinia pestis
1.4.7.2. Etude des mécanismes immunologiques de réponse à l’infection par Y. pestis
1.4.7.3. Etude de l’expression des gènes chez la bactérie et chez l’hôte
1.4.7.4. Identification de facteurs génétiques contrôlant la vulnérabilité de l’hôte à l’infection
1.5. Objectifs du travail de thèse
2. Matériels et méthodes
2.1. Génotypage
2.2. Animaux
2.3. Température
2.4. Bactériémie
2.5. Prélèvement de macrophages et culture cellulaire
2.6. Dosage de l’IL-6 par ELISA
2.7. Extraction des ARNm et RT-PCR
2.8. Analyse statistique
3. Résultats
3.1. Introduction
3.2. Influence de plusieurs facteurs sur la réponse des souris infectées par Y. pestis
3.2.1. Effet de la dose infectieuse
3.2.2. Influence du sexe et de l’âge des souris
3.2.3. Variabilité entre expériences
3.2.4. Origine des animaux utilisés
3.2.5. Souche bactérienne
3.2.6. Paramètres expérimentaux retenus
3.3. Article
3.4. Recherche d’autres lignées sensibles ou résistantes à l’infection par Y. pestis
3.5. Recherche de QTL dans des croisements interspécifiques
3.5.1. Croisement (C57BL/6 x SEG)F1 x C57BL/6
3.5.1.1. Résumé des résultats présentés dans l’article
3.5.1.2. Analyses complémentaires
3.5.2. Croisement (C57BL/6 × SEG)F1 ×SEG
3.6. Analyse de la lignée consomique partielle BcG6
3.7. Production et analyse de lignées congéniques pour Yprl1¸2 et 3
3.8. Recherche de sous-phénotypes pour quantifier le degré de résistance
3.9. Etude du gène candidat Tnfrsf1a
3.9.1. Recherche de mutation dans la séquence de Tnfrsf1a
3.9.2. Analyse du phénotype des souris Tnfrsf1a-/-
3.9.3. Analyse fonctionnelle in vitro des deux mutations du DD
3.10. Recherche de QTL à l’aide de lignées recombinantes congéniques interspécifiques
3.10.1. Construction et composition des lignées IRCS
3.10.2. Analyse de la sensibilité des lignées IRCS à Y. pestis
3.10.3. Recherche des gènes impliqués dans la vulnérabilité de la lignée 120G
4. Conclusion
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