Une jeune ingénieur agronome, fonctionnaire d’État, découvre, lors de sa formation, les questions de stratégie d’acteurs sur des questions que la science (« dure ») ne peut trancher, de relations entre l’Administration (avec un grand A) et les citoyens, dans un contexte de défiance mutuelle. Elle rencontre en 2001 Claude Millier, directeur scientifique de son établissement d’enseignement (l’ENGREF, Ecole nationale du génie rural, des eaux et des forêts qui, comme son nom ne l’indique pas, s’intéresse également aux questions agricoles et agro-alimentaires, aux questions sociales et managériales et de politiques publiques dans les champs du vivant et de l’environnement). Cette ingénieur avait une soif de passer trois ans (et plus) à creuser des questions sociales et managériales en lien avec les thématiques « risques » et « crises ». Pourquoi ces thématiques ? Parce qu’elles étaient, pour elle, des objets passionnants par leur capacité de déstabilisations, de ruptures de confiance et de drames,
« Si les questions de risque, de précaution et de gestion de crise sont devenues centrales ces dernières années, on le doit assurément à de grands événements venus questionner violemment la course au progrès que les sociétés occidentales tenaient volontiers pour assurée. » (Godard et al. 2002) .
mais aussi par leur capacité de mobilisation d’acteurs de tous bords pour justement éviter ces conséquences.
Notre souhait était de progresser sur deux chemins parallèles, pour deux apports complémentaires. Notre thèse devait certes être un apport scientifique, permettre à la communauté scientifique de progresser sur le petit pan étudié, mais aussi être un apport pratique, « utile » disions-nous, pour la société et en particulier pour le ministère en charge de l’agriculture que nous servons.
La protection des végétaux
Un enjeu soumis à des risques
La croissance des végétaux est soumise à un grand nombre de contraintes et de difficultés, certes naturelles (sécheresse, inondation, carence en minéraux…) mais aussi biologiques (broutage, parasitisme, infection virale…) :
« ”Arracher sa nourriture aux espèces qui la lui disputent”, telle est la lutte permanente menée par l’homme depuis qu’il est devenu agriculteur. En effet l’homme a toujours cherché à préserver ses récoltes de ses ennemis les prédateurs. » (Barnat 2001) « Toutes les cultures sont ainsi exposées aux attaques de nombreux êtres vivants, insectes surtout et cryptogames, qui en vivent et qui, trop souvent, anéantissent ce qui devrait être une belle récolte » (Vuillet 1913).
Nous pouvons donc dire que la production végétale est soumise à des « risques biologiques » . Concrètement, les pertes dues à l’introduction d’organismes « nuisibles » étrangers (adventices, couramment appelées « mauvaises herbes » (weeds), vertébrés (vertebrates), arthropodes et micro-organismes phytopathogènes (plant path.)) se chiffrent en plusieurs milliards de dollars américains par an pour les récoltes agricoles, les pâturages et les forêts, selon Pimentel et al. (2001).
Même les services officiels reconnaissent l’importance de ces coûts puisque le service de l’inspection sanitaire vétérinaire et phytosanitaire (APHIS, Animal and Plant Health Inspection Service) du ministère de l’agriculture des États-Unis (USDA, United States Departement of Agriculture) estime que les organismes nuisibles aux végétaux introduits causent 41 milliards de dollars par an à l’agriculture américaine et coûtent aux opérateurs des millions supplémentaires en taxes pour les contrôles de marchandises .
Sur notre continent, en juin 2009, la Commission européenne a estimé que les coûts associés aux impacts des espèces invasives sur la biodiversité, l’économie et la santé sont estimés à plus de 12,7 milliards d’euros par an dans l’Union européenne. Par ailleurs, ces risques ne cessent d’évoluer, ne serait-ce que par l’introduction incessante de nouveaux organismes nuisibles. Ainsi, entre janvier 2000 et juin 2005, les chercheurs estiment que 41 espèces d’insectes non européens dits « d’intérêt économique » ont été introduits en France métropolitaine (Morin 2005). Pour les productions végétales ayant un intérêt pour l’homme (en particulier végétaux agricoles), l’homme tente de faire en sorte que ces risques soient les plus minimes possible. Prenons l’exemple de la culture du maïs (Zea mays). Cette plante est notamment vulnérable à un petit insecte, Diabrotica virgifera virgifera Le Conte, la chrysomèle des racines du maïs.
Exemple du dispositif de surveillance de Diabrotica virgifera
Encadré 1 : Diabrotica virgifera virgifera Le Conte (d’après Reynaud 1997)
Connue depuis 1868 aux États-Unis, Diabrotica virgifera virgifera (Dvv) était confinée dans la zone nord-ouest du Centre du Pays, du Kansas (où les dégâts étaient importants dès 1909) jusqu’aux Grands Lacs atteints vers 1940. Après 1955, elle a commencé à s’installer dans des territoires plus orientaux. Elle a été détectée pour la première fois en Europe, officiellement, en 1992, près de l’aéroport de Belgrade (Serbie). En 1994, on la trouvait sur tout le territoire de l’ex Yougoslavie, entre la Slovénie et la Macédoine. En 1996, elle a été signalée en Roumanie et en Hongrie.
Description
Dvv est un coléoptère chrysomélidé (comme le Doryphore). L’adulte mesure 5 à 6 mm de long. Ses élytres noirs portent des taches jaunâtres longitudinales plus ou moins étendues. Les fémurs sont jaunes avec un liseré plus foncé. Les larves, allongées et cylindriques, ressemblent superficiellement à des chenilles. De couleur blancjaunâtre, elles présentent une capsule céphalique brune et une plaque anale foncée, et possèdent trois paires de pattes thoraciques. Leur taille varie de 1,5 mm en moyenne pour le premier stade à 8-11 mm de long pour le troisième et dernier stade.
Nuisibilité
L’adulte manifeste une assez faible nuisibilité directe par consommation des soies pouvant perturber la fécondation par le pollen. La nutrition sur le feuillage ne semble pas nuisible. En revanche, il peut exister une nuisibilité indirecte par transmission de champignons du genre Fusarium ainsi que d’un virus, le CPMV (Cowpea Mosaïc Virus). De façon générale, la nuisibilité de l’adulte justifie rarement un traitement, sauf cas particulier (selon le nombre d’adultes par plante et le stade du maïs). En revanche, les larves peuvent se montrer beaucoup plus nuisibles. Les dégâts directs viennent de la consommation des racines, laquelle entraîne un déficit nutritionnel de la plante donc une baisse du rendement ; de plus, les fortes attaques peuvent causer ou favoriser des phénomènes de verse. Il existe aussi une nuisibilité indirecte : implantation de champignons pathogènes par les morsures de nutrition et, en cas de verse, complication de la récolte.
La maîtrise de risques : un dispositif de gestion sur un « objet » complexe
Depuis des décennies, des scientifiques et gestionnaires se sont penchés sur le risque, pour d’une part une meilleure compréhension des processus réels et d’autre part une meilleure « appréhension », par les acteurs, de cet objet complexe qu’est le risque, permettant la mise en place de procédures, mesures, actions ayant réellement contribué à diminuer le nombre et l’ampleur des accidents. Ces deux champs d’opération renvoient aux deux sens du verbe « maîtriser », comme le souligne Chevreau (2008) :
« Le verbe « maîtriser » peut prendre deux sens :
– Avoir d’une chose une connaissance sûre, une pratique aisée ;
– Dominer, tenir sous son autorité, sa surveillance, son contrôle. (Dictionnaire de l’Académie Française, 9ème édition ) » (p.7) .
Nous essaierons donc dans un premier temps, de préciser le sens des termes employés (risque, danger, vulnérabilité…) en vue d’une meilleure « appréhension » sur cette réalité du risque.
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Table des matières
INTRODUCTION
A. POSITION DE RECHERCHE
B. LA PROTECTION DES VEGETAUX
C. LA MAITRISE DE RISQUES : UN DISPOSITIF DE GESTION SUR UN «OBJET» COMPLEXE
D. UNE PROTECTION DES VEGETAUX MISE A MAL PAR LE CONTEXTE ACTUEL
E. LA VIGILANCE, ETAPE CLEF POUR LA PROTECTION DES VEGETAUX
F. MOBILISATIONS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES
1ERE PARTIE : LA SURVEILLANCE BIOLOGIQUE DU TERRITOIRE, CONTEXTE TECHNIQUE ET ORGANISATIONNEL
I. UN CADRE REGLEMENTAIRE CONSTRUIT POUR CETTE MAITRISE DES RISQUES
I.A. HISTORIQUE REGLEMENTAIRE INTERNATIONAL
I.B. LA CONVENTION INTERNATIONALE POUR LA PROTECTION DES VEGETAUX (CIPV)
I.C. LE CONTEXTE REGLEMENTAIRE COMMUNAUTAIRE
I.D. LE CONTEXTE REGLEMENTAIRE NATIONAL
I.E. INFLUENCE DE L’UNION EUROPEENNE SUR LA REGLEMENTATION NATIONALE
II. L’ORGANISATION FRANÇAISE DE PROTECTION DES VEGETAUX
II.A. L’ORGANISATION FONCTIONNELLE DE L’ONPV ACTUELLE
II.B. UNE ORGANISATION AU SERVICE D’UNE « SURVEILLANCE BIOLOGIQUE DU TERRITOIRE »
II.C. UNE ORGANISATION DEBORDANT LES SERVICES D’ÉTAT
III. LA SURVEILLANCE BIOLOGIQUE DU TERRITOIRE DANS DEUX AUTRES DOMAINES
III.A. L’ORGANISATION DE LA SURVEILLANCE SANITAIRE HUMAINE
III.B. L’ORGANISATION DE LA SURVEILLANCE SANITAIRE ANIMALE
III.C. APPORTS POUR L’ORGANISATION FRANÇAISE DE PROTECTION DES VEGETAUX
2NDE PARTIE : UNE ORGANISATION VIGILANTE POUR LA DETECTION D’ORGANISMES NUISIBLES AUX VEGETAUX
I. CONTEXTE SCIENTIFIQUE DE LA VIGILANCE
I.A. PROPOSITION D’UNE DEFINITION ACADEMIQUE
I.B. LA VIGILANCE EN SOCIOLOGIE
I.C. LA VIGILANCE EN PSYCHOLOGIE
I.D. LA VIGILANCE EN GESTION
I.E. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE DE CE QU’EST LA VIGILANCE
II. L’OBSERVATION DES ACTIVITES DE VIGILANCE
II.A. DANS LA PRODUCTION DE TOMATES SOUS ABRI
II.B. DANS LA CERTIFICATION DES PLANTS DE POMME DE TERRE
II.C. LA VIGILANCE CHEZ DES NON-INSTITUTIONNELS
II.D. ENSEIGNEMENTS SUCCINCTS TIRES DE CES TROIS ETUDES DE CAS
III. MODELISATION AU NIVEAU D’UN INDIVIDU
III.A. POURQUOI UNE MODELISATION ?
III.B. LA VIGILANCE COMME PROCESSUS
III.C. QUELLE VIGILANCE INDIVIDUELLE ?
III.D. LE MODELE ANTICIPATION – DETECTION – DIAGNOSTIC – ALERTE
IV. MODELISATION D’UNE ORGANISATION VIGILANTE
IV.A. LE PROCESSUS DE VIGILANCE FACE AUX PROCESSUS ORGANISATIONNELS
IV.B. UNE ORGANISATION VIGILANTE ?
IV.C. UN PILOTAGE PAR TABLEAU DE BORD ?
IV.D. PROPOSITION D’UN TABLEAU DE BORD « VIGILANCE »
CONCLUSION
I. L’INTERET DE CETTE RECHERCHE
I.A. UNE APPROCHE AD HOC
I.B. DES MODELISATIONS DU PROCESSUS DE VIGILANCE
I.C. LA MISE EN EVIDENCE DU ROLE DE L’ORGANISATION ET PROPOSITION DE PILOTAGE
I.D. EN RESUME, L’INTERET DE CETTE RECHERCHE
II. LES LIMITES DE CETTE RECHERCHE
II.A. VALIDATION DES PROPOSITIONS
II.B. PRISE EN COMPTE DES DERNIERES ACTUALITES
III. PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
DETAIL DES REFERENCES CITEES SOUS FORMAT « AUTEUR, DATE »
SITES INTERNET CITES
TEXTES LEGISLATIFS ET REGLEMENTAIRES CITES
SIGLES ET ABREVIATIONS UTILISES
ANNEXES