Contribution à une géographie de l’innovation en temps de crise

D’après Roger Brunet, l’innovation est « un facteur de différenciation des lieux, synonyme de hiérarchies spatiales et de formes de développement plus ou moins adaptées à son émergence » (Brunet et al, 1993, p.256). L’innovation est en ce sens un objet géographique à la fois territorialisé et diffus, qui décrit une distribution inégale et évolutive. Cette évolution, se fait au grès de l’importance progressive qu’a pris l’innovation dans les discours et les pensées au cours du temps. Source de progrès, de bien-être social, l’innovation est un enjeu majeur pour les sociétés, en étant souvent rattachée au développement et à la croissance (Lévy et Lussault, 2003; OCDE 2011, 2013a, 2015a). Elle fait ainsi souvent l’objet de politiques publiques (Ailleret, 2009). Et, c’est dans le territoire, espace de savoir-faire, de talents et de compétences que l’innovation se construit. L’ensemble des caractéristiques évoquées ici justifie donc la mobilisation des géographes dans la théorisation des logiques spatiales d’innovation, de façon { comprendre les processus, les jeux d’échelle et ainsi guider l’action publique. Cette première partie a donc comme objectif d’inscrire notre recherche dans un contexte historique et scientifique spécifique.

Innovation et territoire, une approche géographique

« Les inventions dorment dans le giron des dieux. Une fois au contact usuel des hommes, l’invention s’effacera au profit de l’innovation ». Joseph Schumpeter, 1942, in Acherman, 2013, p.14.

« Nous sommes des nains, montés sur les épaules des géants. Chaque découverte s’appuie sur d’autres découvertes faites dans le passé. Et nous voyons plus loin qu’eux parce qu’ils nous portent en l’air. » C’est par cette formulation de Bernard de Chartres, que Thierry Madiès et Jean-Claude Prager (Madiès et Prager, 2008, p.16), membres du conseil d’analyse économique et auteurs de l’ouvrage « Innovation et compétitivité des régions » illustrent le caractère cyclique et cumulatif de la production d’innovations. Dit autrement, l’innovation peut être envisagée comme une réponse des sociétés humaines aux défis techniques, sociaux, culturels et territoriaux qui leur sont posés depuis l’apparition du genre humain. Dans une perspective plus économique, l’innovation est une réponse à un besoin, une offre répondant à une demande, qui lui confère une dimension de satisfaction participant concrètement a l’idée selon laquelle l’innovation, et le progrès qu’elle induirait, amélioreraient les conditions de vie et la satisfaction des populations (Caron, 2011). Ce schéma de lecture classique lie ainsi l’innovation, la compétitivité, la croissance et la cohésion sociale. Or, cette relation a évolué selon les époques et avec elle le rôle et la conception de l’innovation. Pendant la période industrielle, et jusqu’aux Trente Glorieuses, le commerce était fondé sur la spécialisation des États et des régions a partir d’un modèle théorique binaire : chaque pays vendait ce qu’il fabriquait le plus aisément et achetait ce dont il avait besoin (Smith, 1776 ; Ricardo, 1817 ; Bairoch, 1994 ; Carroué, 2004, 2007, 2012). Dans ce contexte industriel, la performance reposait essentiellement sur deux facteurs : le capital et le travail. L’innovation procédait alors jusqu’aux années 1980 d’un modèle linéaire avec une succession de phases isolées où le rythme de croissance était fonction de l’intensité du progrès technique, lui-même dépendant de la R&D (Kydland et Prescott, 1982 ; Long et Plosser, 1983 ; Ertz, 2001). Or, avec la mondialisation entamée dans les années 1980, on a observé une extension planétaire des interdépendances économiques appuyées sur le développement des échanges de biens, de services, de capitaux, de technologies et d’hommes (Veltz, 2007). C’est dans ce contexte d’intégration financière et technologique mondiale, et de révolution des technologies de l’information et des communications (TIC) que s’est développée une concurrence imparfaite (Krugman, 1994). Alors, les théories ricardiennes (Ricardo, 1817) n’opèrent plus dans ce cadre, et les flux du commerce international ne sont plus régis par les seuls avantages nationaux sur les marchés, mais sur la capacité des acteurs, notamment des entreprises, a maîtriser les économies d’échelles et la demande plus grande de diversité. En effet, face à des marchés ayant tendance à s’uniformiser, les consommateurs attendent une plus grande diversité de l’offre, a laquelle les entreprises répondent par une différenciation de leurs produits qui n’est alors plus uniquement fondée sur le prix. La compétitivité des entreprises et par extension de la croissance économique dépend désormais de la capacité d’innovation des sociétés. De ce point de vue, l’innovation est devenue un ressort particulièrement stratégique de la croissance économique, de la compétitivité des entreprises et, par ricochet, des territoires. Pour concurrencer des pays à bas coûts, les vecteurs de différenciation hors prix se trouvent, en effet, dans les spécialisations locales, les compétences, les talents et les politiques publiques favorables à la création d’écosystèmes de recherche et d’innovation (Ailleret, 2009). L’innovation est ainsi devenue un objet d’étude territorialisé, revalorisé par le contexte de globalisation dans lequel on observe de nouveaux territoires et politiques qui lui sont entièrement dédiés. De ce point de vue, la spatialisation, les jeux d’échelles et d’acteurs de l’innovation intéressent fortement les géographes et les spécialistes de l’aménagement. C’est dans ce cadre que nos travaux s’intègrent, afin de contribuer a mettre en lumière l’évolution de la géographie de l’innovation, a travers le passage en revue de ses théories et méthodologies d’analyse, et afin de proposer notre propre définition et notre positionnement dans ce champ de recherche. Pour ce faire, nous interrogerons dans ce premier chapitre la complexité de l’innovation en tant que notion (1.1), puis nous observerons l’innovation comme objet d’étude géographique au regard de l’évolution de ses différents courants et approches dans le temps (1.2).

L’innovation, une notion complexe à appréhender

Nous explorons d’abord l’univers très riche des définitions de l’innovation. Pour bien cerner la notion d’innovation, nous rappelons ici ses principales caractéristiques : ses différences avec d’autres notions qui lui sont proches (1.1.1), les définitions et types d’innovation différents (1.1.2), l’évolution de la notion en tant qu’enjeux (1.1.3), les facteurs qui la favorisent, et le processus spatio-temporel que l’innovation représente.

Les différentes phases conduisant à l’innovation

L’innovation est souvent considérée a tort comme un synonyme de plusieurs autres notions telles que la découverte, l’invention, mais aussi la créativité. Or, ces expressions toutes rattachées a la nouveauté, a la création et a l’émergence sont à distinguer, car elles correspondent a différentes étapes d’un même processus dont l’innovation est l’aboutissement (Mathe et Pavie, 2014) (Figure 2, P.34).

La créativité se situe ainsi d’abord très en amont de l’innovation et n’a été reconnue que très récemment par son entrée en 1971 dans le dictionnaire de l’Académie française. En effet, jusqu’{ la Renaissance, elle était l’apanage des dieux, c’est-à-dire que l’homme n’était pas libre d’en faire usage, tandis qu’aujourd’hui la créativité est libérée par la laïcisation de l’expression qui passe elle-même par les sciences, les lettres et plus récemment par l’expression populaire et les réseaux sociaux (Caron, 2011 ; Griset et Bouvier, 2012 ; Mathe et Pavie, 2014). La créativité est ainsi une succession de phases qui permet l’innovation, parmi lesquelles l’imagination, l’invention et le déploiement. En effet, on est créatif lorsque l’imagination prend forme.

L’invention se distingue également de l’innovation et de la créativité. De la créativité dans la mesure où elle répond { un problème, ce qui n’est pas forcément le cas de la créativité, et de l’innovation parce qu’elle n’est pas forcément traduite sur le marché et adoptée par des utilisateurs, clients, employés (Morand et Manceau, 2009). C’est { partir de la dernière phase, c’est-à-dire celle du déploiement, qu’on peut parler d’innovation. Le déploiement désigne en effet, la traduction d’une invention en innovation. Ce déploiement génère alors de la valeur. Dit autrement, innover consiste donc à donner de la valeur à une invention.

L’innovation, une pluralité d’approches 

La notion d’innovation est apparue au XIIIème siècle avec comme source latine «innovatio » qui désignait à la fois un processus, « l’action d’innover », une démarche, « chose nouvelle ; résultat de l’action d’innover, » et un résultat, une «réalisation technique nouvelle qui s’impose sur le marché » (Le Petit Robert, 2009, p.1335). C’est donc l’introduction d’un changement, d’une nouveauté dans un cadre établi, un positionnement qui la rapproche de la « nouveauté » et du « progrès ». L’innovation doit également être appréhendée en termes de processus ou de résultat. En tant que résultat, elle correspond { un objet final qui représente l’idée nouvelle et ses effets sur la société. En tant que processus, elle procède d’un moment entre la découverte d’une idée nouvelle et son exploitation effective dans la société. (Ailleret et al, 2009).

De ce point de vue, l’innovation doit répondre { un besoin. « Pourquoi la mettre en œuvre ? Quoi en faire ? Il faut y intégrer des possibilités, anticiper le besoin sociétal, y répondre en agrégeant des connaissances scientifiques ou techniques » (Ailleret et al, 2009, p.27). Cette idée renvoie a l’utilité de l’innovation et à ses apports en termes de bien-être, de cohésion et de progrès qui peuvent être questionnés. La notion d’innovation est également a rapprocher de la recherche qui permet un accroissement des connaissances. Ce dernier se réalise grâce au capital humain qui joue un facteur clé dans l’émergence et l’avènement d’innovations. L’accroissement des connaissances se construit en effet à partir de « connaissances nouvelles », de « découvertes scientifiques » faisant « progresser la théorie et la pratique d’un domaine déterminé » (Wackermann, 2005, p.215). Comme l’évoque notamment le travail de François Ailleret, « l’innovation est une question d’hommes et de femmes, car le capital humain en est une variable clé. Il faut orienter ce capital vers des réalisations créatives et innovantes, par des investissements dans l’éducation, la formation et la connaissance » (Daviet, 2004 ; Ailleret et al, 2009 ; Morand et Manceau, 2009 ; Mathe et Pavie, 2014). En répondant a un besoin, l’innovation trouve naturellement sa dimension économique. Elle apparaît comme un facteur de gain de productivité, un moyen de différenciation des produits générant de la croissance, grâce aux progrès technologiques et à la recherche publique et/ou privée. Dans ce cas-là, on peut toutefois se demander si l’innovation implique automatiquement de la compétitivité ou de la croissance, ou si, par exemple, le renouvellement incessant de gammes de produits ne détruit pas plus de valeur qu’il n’en crée. Dans une autre optique, l’innovation peut s’avérer un moteur positif pour sortir d’une crise économique, technologique ou organisationnelle, dans la mesure où elle porte sur de nouveaux objets ou services à consommer, de nouvelles manières de travailler. Cependant, si l’innovation peut-être une solution à la crise, elle peut également porter en elle des germes de crise a l’image des nouveaux secteurs des NTIC qui ont a la fois accru les inégalités sociales et engendré la constitution de bulle spéculative, puis leur éclatement, comme en ont témoigné le krach du Nasdaq en 2000, celui des technologies de l’Internet en 2001 et peut-être a l’avenir celle des green-tech ou des nano-tech (Suire, 2003 ; Grondeau, 2004 ; Ailleret et al, 2009). L’innovation prend ainsi un nombre considérable de formes. Parmi les plus connues, on a coutume de distinguer l’innovation incrémentale, c’est-à-dire l’évolution d’un produit ou d’une technique déja existante, de l’innovation de rupture qui sous-entend une réelle nouveauté, quelque chose d’inédit. Mais l’innovation s’adapte également à toute une variété de cas et de dénomination comme l’innovation ouverte, fermée, collaborative, de produit, de service, organisationnelle, culturelle, sociale, cognitive, économique, pédagogique, centrée sur les besoins, globale ou l’éco-innovation. A chaque fois, le lien entre innovation et progrès est manifeste et il est investi d’une image positive recherchée par les entreprises et les territoires dans leurs différents plans de communication (Mercier-Laurent, 2011).

Une notion en perpétuelle évolution
Entre le XXème siècle et le début du XXIème siècle, les sociétés industrielles ont connu un flux permanent d’innovations, et le processus de production d’innovations a évolué en lui-même. Il s’est longtemps caractérisé par un fonctionnement fermé.

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Table des matières

Introduction générale
Première partie : Contribution à une géographie de l’innovation en temps de crise
Introduction de la première partie
Chapitre 1 – Innovation et territoire, une approche géographique
Chapitre 2 – Globalisation, crises et politiques publiques en faveur de l’innovation
Chapitre 3 – Démarche systémique et Système Régional d’Innovation
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : L’organisation de l’innovation en région PACA : acteurs, modalités et système relationnel
Introduction de la deuxième partie
Chapitre 4 – Forces productives et potentiels d’innovation de la région PACA
Chapitre 5 – Accompagnement institutionnel et système relationnel
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie : L’innovation, ses nouvelles dynamiques et marqueurs en région PACA
Introduction de la troisième partie
Chapitre 6 – Les systèmes sectoriels d’innovation { l’épreuve de la crise : les cas du secteur aéronautique & spatial et de la micro-électronique en région PACA
Chapitre 7 – Les FabLabs en région PACA, de nouveaux lieux de l’innovation sociale
Chapitre 8 – Systèmes métropolitains, crises et résilience en région PACA
Conclusion de la troisième partie
Conclusion Générale

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