Après la séparation de Madagascar de l’Afrique il y a environ 160 millions d’années (Grenfell, 1995 ; Mittermeier et al., 2006 ; Mittermeier et al., 2010), les découvertes des espèces de flore et faune, qui sont généralement endémiques, placent Madagascar parmi les pays célèbres et riches en matière de biodiversité. Actuellement, environ 90% de la couverture végétale originelle de la Grande Ile ont disparu et la majorité de la partie restante se trouve dans la partie orientale (Mittermeier et al., 2006). A vrai dire, la plupart sont des corridors forestiers qui ne sont autres qu’un pont biologique assurant le brassage génétique entre la biocénose de deux biotopes voisins (GERP, 2008). A travers les temps géologiques, la dégradation de la nature causée par l’Homme, pour ses besoins quotidiens, menace et érode d’une façon alarmante les écosystèmes (Harrison et al., 2004 ; Rasolofoson et al., 2007 ; Roger, 2008). En effet, la dégradation de la forêt est l’un des facteurs les plus importants influant sur la survie des plantes et des animaux dans les communautés forestières (Ganzhorn, 2001). En outre, concernant particulièrement les lémuriens, la chasse et sa détention illégale par des particuliers les poussent vers la berge de l’extinction (Mittermeier et al., 2010 ; 2014).
Varecia variegata editorum, un des lémuriens diurnes qui a vécu dans la Réserve Spéciale d’Analamazaotra (RSA), s’est localement éteint dans cette aire protégée vers les années 1970 dû probablement à la chasse pour sa viande (Day et al., 2009 ; Mc Guire et al., 2009 ; Rasoamanarivo et al., 2015). Or cette espèce animale est une disséminatrice de graine. Donc, elle joue un rôle important dans le maintien de l’écosystème en participant à la régénération naturelle de la forêt. Ainsi, conscient de l’importance biologique de cette espèce de lémurien et pour accomplir l’une de ses missions dans la conservation de la biodiversité malgache, l’ONG « Madagascar Biodiversity and Biogeography Project »(MBP) a effectué une réintroduction de l’espèce dans cette Réserve entre Janvier 2006 et Juillet 2007. Subséquemment, sept individus venant des forêts environnantes y ont été introduits : un groupe de quatre individus transloqués du Parc National d’Andasibe – Mantadia (PNAM) et un autre de trois individus venant de la Forêt Classée d’Anosibe An’ala (Day et al., 2009).
Généralités et étude bibliographiques
Selon la classification de Fleagle (2013), modifiée à partir de celle de Disotelleen, 2008, l’animal étudié appartient au :
Règne : ANIMALIA (Linnaeus, 1735)
Phylum : CHORDATA (Bateson, 1885)
Embranchement : VERTEBRATA (Cuvier, 1812)
Classe : MAMMALIA (Linnaeus, 1758)
Sous-classe : THERIA (Parker et Haswell, 1879)
Infra classe : EUTHERIA (Gill, 1872)
Ordre : PRIMATA (Linnaeus, 1758)
Semi-ordre : STREPSIRRHINI (Geoffroy, 1812)
Sous ordre : STREPSIRRHINI (Geoffroy, 1812)
Infra ordre : LEMURIFORMES (Geoffroy, 1915)
Super-famille: LEMUROÏDEA
Famille : LEMURIDAE (Gray, 1863)
Genre: Varecia (Gray, 1863)
Espèce: variegate (Hill, 1953)
Sous-espèce : editorum (Hill, 1953) .
Les noms vernaculaires de cette sous-espèce de lémurien sont les suivants :
– Malagasy: Vary, Varikandana, Varikandra, Varijatsy
– Français: Vari noir-et-blanc de Hill
– Anglais: Hill’s Black-and-White Ruffed Lemur
– Allemand : Südlicher Schwarz-weisser Vari
D’après la liste rouge de l’UICN (2015) sur les espèces de lémuriens menacées, Varecia variegata editorum est classée dans la catégorie « en danger critique d’extinction ».
Description de l’animal
Au niveau de la partie antérieure du dos existe une coloration uniforme noire. L’abdomen, la queue, la partie médiale des membres, le front, le sommet de la tête sont de couleur noire. Tandis que la partie postérieure du dos, les flancs, le bas du dos et la partie externe des membres sont généralement blancs (Mittermeier et al., 2014). Il a une queue touffue noire aussi longue que son corps environ 60 à 65 cm. Il pèse 3,1 à 3,6 kg (Britt, 1997). Sa longueur totale est de 110 à 120 cm dont 43 à 57 cm pour la tête et le tronc. Il vit en groupe de deux à cinq individus environ .
Les mâles et femelles adultes présentent à peu près la même taille. Certains chercheurs soutiennent le fait qu’il n’y a pas de dimorphisme sexuel net (Groves, 2000) entre les deux sexes. La distinction du mâle de la femelle est parfois impossible en un seul coup d’œil, ils ont la même couleur.
Habitat et répartition géographique
Varecia variegata editorum se rencontre uniquement dans les forêts tropicales humides de la côte Est de Madagascar (Petter et al., 1977 ; Mittermeier et al., 1994, 2006 ; 2014). Il vit le plus souvent dans les forêts primaires tropicales de moyenne altitude, mais il peut être trouvé dans certaines Réserves Spéciales Naturelles de Madagascar comme celles de Betampona et de Zahamena (Louis et al., 2004), dans le Parc National de Zahamena et dans les Réserves Naturelles d’Ambatovaky et de Marotandrano. On le trouve généralement dans des forêts allant du Parc National de Mantadia au nord jusqu’à la région méridionale de Mananjary au sud (Mittermeier et al, 2014) .
Comportements sociaux
En général, le genre Varecia utilise au moins quatre types de vocalisation différents pour marquer et défendre leur territoire ainsi que pour les démonstrations de dominance au sein même du groupe social. Le marquage olfactif est également très utilisé pour la délimitation du territoire. L’animal frotte ses glandes de marquage sur un support comme des branches, troncs d’arbre ou même le sol, pendant lequel il dépose un liquide odorant propre à chaque individu. Les mâles possèdent une glande située au niveau de la gorge alors que les femelles possèdent des glandes génitoanales. Quelques fois, un marquage par un frottement avec le sommet de la tête est observé (Pereira et al., 1988).
Reproduction
La reproduction des lémuriens est saisonnière (Young et al., 1990). Chez les lemuridés, la reproduction se passe pendant la saison chaude (Septembre à Janvier). Ils ont un petit par portée sauf Varecia (Varecia variegata variegata, Varecia variegata subcincta, Varecia variegata editorum, Varecia rubra). Le cycle œstral des femelles dure 33 jours, avec un œstrus de trois jours pendant lequel la période de réceptivité est extrêmement courte : de quelques heures à deux jours. V. v. editorum s’accouple entre les mois de mai et juillet avec une fréquence maximale en juin. Les petits, souvent des jumeaux, sont nés entre les mois de septembre et octobre. Chez la population introduite dans la RSA, des naissances ont été observées en novembre (pers. obs.). Les nouveaux nés sont portés par la bouche de leur mère et sont « parqués » dans un nid pendant les premières semaines de leur existence. La maturité sexuelle commence à 20 mois.
Pression et Menaces
La pratique de la culture sur brûlis ou « tavy » est très répandue dans plusieurs régions de Madagascar entre le mois d’octobre et le mois de novembre. Elle est l’une des principales causes de la perte de l’habitat et de la disparition de la biodiversité (Raselimanana et al., 2007). A Analamazaotra, le « tavy » se trouve déjà sur la limite Nord de la Réserve et risque d’avancer à l’intérieur de ce dernier si des mesures ne sont pas prises dans l’immédiat (Rasoamanarivo et al., 2015). Ce fait entrainera une réduction de la surface disponible pour l’habitat de l’animal et la diminution des ressources alimentaires de ce dernier. La population locale utilise aussi du feu pour collecter du miel dans la forêt. Par conséquent, cette action risque de dévaster cette Réserve. Même si ce cas est rare, il faut éloigner une telle mauvaise habitude afin d’éviter un grand dégât. D’autres pressions comme la collecte de quelques espèces de plante pour des fins multiples (nourriture, source de revenu, matériels de construction de maison, etc.) ont été aussi observées dans la RSA (Rasoamanarivo et al., 2015). Varecia variegata editorum est chassé dans la région du Makira (nord est) uniquement pour ses poils du cou qui sont utilisés pour soigner les toux persistantes et l’asthme (Golden, 2005).
Etudes effectuées relatives à la présente recherche
Plusieurs recherches ont été déjà effectuées sur Varecia variegata editorum. La première, sur la population de V. v. editorum introduite dans la RSA et relative à notre thème d’étude, est celle de Day et ses collaborateurs en 2009. Cette équipe a reporté que quelques temps après la relâche des premiers individus dans la Réserve en Mars et Avril 2006, les animaux se sont déplacés dans la partie nord de la forêt et ils ont formé deux groupes. La taille du groupe varie de trois à quatre individus. La superficie du territoire d’un groupe est de 150 ha. Les animaux passent la majorité de leur temps à s’alimenter, se communiquer et se reposer. Pendant la saison fraîche, ils commencent leurs activités journalières tard le jour, tandis que pendant la saison chaude, ils sont actifs tôt le matin. V. v. editorum a été observé consommer approximativement 20 espèces de plante avec comme principale nourriture : des fruits mûrs (>80%). Plusieurs naissances ont eu lieu dans le groupe social originel et au sein des nouveaux groupes formés après la fusion des individus venant des différents sites de translocation. White (1991) a observé que la nourriture de V. v. dans le Parc National de Ranomafana est constituée de 70,8% de fruits ; 11,1% de feuilles ; 2,8% de fleurs et 15,3% de nectar. Balko (1998) a reporté que ce lémurien maintient toujours la frugivorie malgré la perturbation de son habitat dues à des exploitations forestières. Selon Randriahaingo en 2011, le repos prédomine l’activité de cette sousespèce de lémurien (64,50%) suivie de l’alimentation (24,72%), les déplacements (10,89%) et les activités sociales (9,87%). Deux groupes ont été étudiés durant les six mois. Le territoire du groupe II avec trois individus est deux fois plus grand que le territoire du groupe I à deux individus. Le groupe II occupe 36.85 ha en moyenne tandis que le groupe I n’occupe que 15.66 ha seulement. Dans la Nouvelle Aire Protégée de Maromizaha, à l’Est de Madagascar, il a été reporté que V. v. editorum consacre environ la moitié de son temps à se reposer (49,53%). Les pourcentages des autres activités sont : 24,69% pour le déplacement ; 20,28% pour l’alimentation et 5,49% pour les activités sociales.87,53% de la nourriture de l’animal est composée de fruits ; 5,22% de feuilles et 7,19% de fleurs. Ce lémurien a été aussi observé se nourrir de champignons (0,06%). Une différence a été constatée au niveau de l’activité et l’alimentation de l’animal entre les mois de juillet-août et novembre-décembre. Une relation existe entre son alimentation, la saison et le type d’habitat (Raritahiry, 2015). D’après les études réalisées par Ratsimbazafy en 2006, les fruits constituent la base du régime alimentaire de V. v. editorum (75%) dans la Réserve Spéciale de Manombo au Sud-est de Madagascar, suivis des feuilles (17%) et du nectar (5%). L’animal préfère plutôt manger des jeunes feuilles que des feuilles matures. Des champignons et d’autres nourritures (écorce d’arbre et sécrétion des plantes) complémentent son alimentation avec une faible proportion. Quatre-vingt trois espèces de plante ont été consommées par cette sous espèce de lémurien. Le matin, l’animal a été vu boire occasionnellement de l’eau dans des trous d’arbre quand il fait chaud, et l’auteur n’a jamais vu l’animal manger de la terre.
Historique des quelques projets de translocation/réintroduction à Madagascar
Un projet de réintroduction de Varecia variegata editorum dans la Réserve Naturelle Intégrale de Betampona, Toamasina, Est de Madagascar, a été mené par Madagascar Fauna Group (MFG) et Duke University Primate Center entre les mois de novembre 1997 et janvier 2001. Treize individus de cette sous-espèce, venant des parcs zoologiques en Caroline du Nord et Georgia, aux Etats-Unis d’Amérique ont été introduits dans cette aire protégée (Britt et al., 2004). Le programme avait trois objectifs majeurs tels que : évaluer la capacité d’adaptation des individus introduits dans un habitat naturel, renforcer la petite population sauvage dans cette Réserve qui était environ 35 à 40 individus (Welch & Katz, 1992) et contribuer à la protection et conservation à long terme de cette Réserve. Les individus introduits avaient probablement du mal à s’accommoder avec leur nouvel environnement. Cinq individus dont deux males et trois femelles ont été victimes de prédation par Cryptoprocta ferox. Un mâle a été retrouvé décéder à cause de la mal malnutrition, une femelle a été porté disparue de la Réserve et une autre femelle a été retirée de son habitat en raison d’une mauvaise adaptation après deux ans dans la nature (Britt et al., 2001). En 2004, cinq des individus relâchés ont survécu, se sont reproduits et ont intégré la population sauvage (Britt et al., 2004).
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Table des matières
INTRODUCTION
I. MATERIELS ET METHODES
I.1. DESCRIPTION DU MILIEU D’ETUDE
I.1.1. Localisation Géographique
I.1.2. Facteurs abiotiques
I.1.2.1.Climatologie
I.1.2.2.Température
I.1.2.3.Précipitations
I.1.2.4.Géomorphologie
a.Relief
b. Pédologie et géologie
c. Hydrographie
I.1.3. Facteurs biotiques
I.1.3.1. Flore
I.1.3.2. Faune
I.2. MATERIELS ET METHODES
I.2.1. Matériels utilisés sur le terrain
I.2.2. Méthodes d’étude sur le terrain
I.2.2.1. Capture et différentes manipulation
I.2.2.2. Suivi de l’animal
I.2.3. Méthodes d’analyse des données
I.2.3.1. Analyse statistique
a. Analyse descriptive: calcul de pourcentage
b. Analyse analytique
I.2.3.2. Analyse des données spaciales
II. RESULTATS ET INTERPRETATIONS
II.1. Activités générales
II.2. Variation saisonnière des activités
II.3. Régime alimentaire
II.4. Variation saisonnière de l’alimentation
II.5. Les espèces de plantes consommées par Varecia variegata editorum
II.6. Territoire de Varecia variegata editorum dans la RSA
II.6.1. Territoire de chaque groupe
II.6.2. Chevauchement des territoires
II.6.3. Variation saisonnière de la taille du territoire
II.6.4. Corrélation entre la taille du territoire et la disponibilité de la nourriture
III. DISCUSSION
III.1. Activités et alimentations
III.2. Territoire
III.3. Recommandations
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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